Belagora n'avait rien perdu de sa superbe, toujours aussi imposante. La capitale du Septrion semblait taillée dans un énorme diamant, une image qui ne reflétait en rien la richesse de ses habitants, mais qui inspirait tout de même l'admiration. Malgré le fort trafic aérien qui ralentissait les cieux de la grande ville et cachait en partie la vue, Sarah restait collée contre la vitre tandis que le taxi prenait lentement de l'altitude. Le calme de la cabine contrastait agréablement avec l'effervescence de l'hippodrome qu'elle venait de quitter, et faisait doucement redescendre la sourde angoisse qui lui avait tordus les entrailles au contact de tant de personnes. Trop de gestes à anticiper, trop d'hypothétiques accidents à prévoir.
Peu intéressé par la vue, son Minidraco préférait observer le Dracolosse qui leur servait de taxi volant. Depuis que Sarah lui avait dit qu'il ressemblerait à ça quand il serait plus grand, Soie n'en finissait plus d'examiner son aîné. Difficile de deviner ce qu'il en pensait, mais la petite moue qu'il affichait restituait assez bien l'idée générale.
- Tu ne pourras plus te cacher dans mes poches, c'est sûr.
Soie grogna sa déception avant de retourner à l'abri du manteau de sa dresseuse. Sarah avait eu cette idée quelques jours plus tôt, et avait depuis reconverti toutes les poches de ses pardessus en nids douillets pour l'accueillir. Le Minidraco s'était montré retors en arrivant chez les Aaron, en refusant de s'alimenter et en fuguant plusieurs fois. Mais leur rapports s'était nettement améliorés depuis qu'elle ne le forçai plus à rester dans sa pokéball pendant la nuit, et si ce n'était pas encore le grand amour, Soie acceptait désormais sans trop de soucis de l'accompagner partout où elle allait. Sa présence silencieuse avait eu le mérite de la rassurer au sein de la foule bruyante de tout à l'heure.
- Écarte-toi de cette fenêtre, ça peut être dangereux. Et redresse-toi, bon sang ! - Oui, Grand-Mère.
Guenièvre Aaron n'avait jamais accepté que ses petites-filles l'appelle Mamie : trop familier et irrespectueux à son goût. Incarnation vivante de la fierté, elle s'accrochait encore à la gloire passée de leur famille, et exigeait des jumelles qu'elles continuent à porter dignement cet héritage. Même s'ils ne roulaient plus sur l'or depuis longtemps et que leur nom était voué à disparaître, son credo restait le même : garder la tête haute. Guenièvre respectait parfaitement l’adage, inspirant à la fois respect et crainte. Elle faisait à peine ses soixante-et-un ans, et son assurance naturelle savait très bien les faire oublier. Elle savait comment opérer pour qu'on l'écoute religieusement, et imposer son avis sans souffrir de contre-arguments. Oui, sa grand-mère était une vraie oratrice, qui aurait sans doute fait fureur en politique si sa vie lui en avait laissé l'occasion, et Sarah aurait aimé avoir hérité d'un peu de sa prestance. Faute de mieux, elles partageaient avec elle les caractéristiques physiques propres à toutes les femmes de leur famille : cheveux blond, yeux bleus, hautes pommettes et long nez. Caractéristiques qu'il fallait savoir mettre en valeur ou dissimuler le moment venu. Voilà pourquoi Guenièvre avait insisté pour que Sarah troque son pantalon en toile contre une robe avant de partir, arguant qu'on n'assistait pas à une course habillée comme une fermière. Et même si sa robe n'était pas des plus pratique à porter, Sarah s'était pliée aux desiderata de sa Grand-Mère, trop curieuse pour louper une occasion comme celle-ci.
Car si Guenièvre était aussi sévère envers elle-même qu'envers ses petites-filles, elle s'accordait de temps en temps de petits plaisirs au travers de ce qui était devenue sa passion au fils des ans : les courses hippiques. La vieille dame ne se lassait pas d'observer les montures et leurs jockeys évoluer autour du grand ovale que formait la piste. Elle avait décidé d'emmener Sarah avec elle aujourd'hui, et la jeune fille avait trouvé très impressionnants les chevaux lancés à pleine vitesse. De son point de vue de parfaite amatrice, cela avait été une jolie course, et elle ne comprenait pas pourquoi sa Grand-Mère se montrait si sèche et pincée. Elle n'avait rien perdu, puisqu'elle ne pariait pas, mais la façon dont elle faisait cliqueter ses ongles sur l'assise de son siège clamait haut et fort sa contrariété. Alors que Sarah réfléchissait à la meilleure façon de lui demander ce qui n'allait pas sans se faire rabrouer, elle extirpa une pokéball de son sac, la lui lança avant d'ouvrir la trappe permettant de s'adresser au chauffeur.
- Fais-la sortir, il faut qu'elle se dégourdisses les pattes.
Sur la pokéball, rayée à force d'avoir côtoyé un trousseau de clé de trop près, une étiquette autocollante portait la mention « C/F/2016 ». Reconnaissant l'inscription, Sarah appuya sur le bouton d'ouverture... Et se retrouva avec Vesta sur les genoux.
- Mais qu'est-ce que tu fais là, toi ?
La petite Caninos se contenta de lui lécher le nez en guise de réponse. Elle était issue d'une portée de Baltazar et Fibi, le couple phare de l'élevage des Aaron. Les jumelles en avaient pris soin pendant de longues semaines après leur naissance, et Sarah s'était particulièrement bien entendue avec la troisième femelle de la portée, qu'elle avait secrètement prénommée Vesta. Elle aurait aimé pouvoir garder cette boule de poils incroyablement câline, mais Guenièvre avait toujours été claire sur le sujet : les petits qui naissaient dans l'élevage étaient destinés à la vente, point barre. Balthazar et Fibi avaient encore de beaux jours devant eux, et donc aucune raison de les remplacer. Le mieux pour vesta serait donc de trouver une nouvelle famille... Mais sa vente n'était normalement pas prévue avant un long moment.
- Où est-ce qu'on va ? fit la jeune fille en sentant le taxi changer brusquement de direction. - On retourne aux écuries.
Bon. Il s'agissait manifestement d'une décision prise sur un coup de tête, et Guenièvre, comme Isabelle, était artiste en la matière. Sarah savait qu'insister n'aurait pas beaucoup d'effets. Sans doute sa Grand-Mère avait-elle quelque chose à régler avec les organisateurs de la course... où n'importe qui d'autre, ça n'était pas ses affaires. Et même si la présence de Vesta la laissait dubitative, devoir s'occuper de la Caninos n'était pas désagréable, loin de là. Elle s'amusait déjà avec Soie, sortit de sa poche pour lui dire bonjour.
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Les écuries de Belagora, situées non loin de l’hippodrome, constituaient en d’imposants bâtiments de pierre et de spacieux boxes disposés en rectangle autour d'une grande cour dallée. Le sol était jonché de morceaux de paille et de terre rapportés par les sabots des chevaux, qui faisaient regretter à Sarah son pantalon de fermière. La jeune fille aurait sûrement dû attendre près de l'entrée pendant que Guenièvre partait à la recherche de renseignements, mais l'occasion était trop tentante, et Vesta avait manifestement détectée de nouvelles odeurs qu'elle réclamait de suivre à grand renforts de jappements. Sarah accompagna donc la Caninos à l’intérieur de la cour, se persuadant qu'elle ne faisait rien de mal tant qu'elle ne touchait à rien. La plupart des boxes étaient occupés, et quelques personnes allaient et venaient pour nourrir et soigner les chevaux. Sarah chuchota à Vesta de rester près d'elle, craignant que sa présence n’effraie les équidés. Mais la boule de poil n'avait pas l'air de beaucoup les impressionner. Un Galopa curieux passa sa tête à travers la fenêtre de son box pour les observer. Sa crinière indiquait clairement ses origines galarienne, que Sarah reconnu pour avoir déjà vu quelques uns de ses semblables sur le marché d'Isslot. Une feuille de papier agrafée sur la porte portait son nom – Stardust -. Le cheval prêtait d'avantage d'attention à Soie, qui observait les alentours depuis la poche de Sarah, qu'à Vesta, qui faisait pourtant d'étonnants efforts pour se placer juste sous son nez.
- Salut... Désolée de te déranger.
Sarah était certaine de l'avoir vu concourir plus tôt, et imaginait qu'il devait avoir grand besoin de repos.
Jamais encore Louka n’a vu pareil effervescence sur l’hippodrome. Des gradins pleins à craquer s’élève un brouhaha de voix que le jockey, bien qu’il soit en contrebas, parvient à entendre comme si on lui criait dans les oreilles. Tenant Stardust par la bride, il attend le rappel pour rejoindre le paddock où tous les concurrents défilent avant la course. Une occasion pour les parieurs ou autres amateurs d’admirer un peu les athlètes avant qu’ils ne rejoignent la piste. Calme comme à son habitude, Louka se contente de promener son regard un peu partout - ce monde lui est tellement familier maintenant qu’il ne s’étonne plus du rien. D’autres seraient impressionnés par un tel public mais le septrionnien en fait fit depuis très longtemps maintenant. De toute façon, il est capable de discerner les visages ou les voix de là où il est. Ce sont les entraîneurs qui occupent le premier rang, ce ne sont donc là que des figures très familières pour le jeune jockey. Il aperçoit d’ailleurs Iouri, son entraîneur, en pleine discussion avec un confrère. Louka l’a déjà vu à plusieurs reprises, ils ont même échangé quelques mots, mais ça s’arrête là. Si Iouri n’a pas jugé bon de le présenter en bonne et due forme, c’est très sûrement qu’il ne considère pas cela bien utile. Ce qui ne dérange pas le garçon, en soi … Moins il a de visage et de nom à retenir, mieux il se porte !
La voix d’un organisateur s’élève finalement dans son dos et Louka comprend avant qu’il n’ait le temps de finir sa phrase. Il est temps de rejoindre le paddock. Doucement, le garçon et son Galopa se mettent en route, traversant une petite étendue de pelouse synthétique - parce qu’il ne faut pas espérer une herbe si grasse et verte dans le Septrion - afin de rejoindre les autres concurrents. La plupart sont des habitués, des jockeys que Louka connaît et contre lesquels il a couru de nombreuses fois. En général, ce sont tous de chics types, malgré la rivalité qui peut en rendre certains un peu moins agréables. Pour autant, Louka n’a de différend avec personne, si bien qu’il salue ses concurrents avec un sourire ravi et en reçoit tout autant en retour. D’un pas élégant, Stardust défile en suivant son jockey sans jamais chercher à le dépasser, tant habituée à tout cela qu’elle semble être née juste pour cela. En première ligne, les parieurs épient, jugent, observent : ils se demandent sur quel spécimen parier. Les courses sont souvent l’occasion de se mettre beaucoup d’argent en poche … ou d’en perdre tout autant. Louka sait qu’il ne se lancerait jamais dans cette spirale infernale. Généralement, les gens investissent beaucoup d’argent, le perdent, puis rejouent pour espérer rembourser leurs dettes. Certains chanceux y parviennent mais … ce n’est pas le cas de tout le monde, comme le prouve les guenilles de certains d’entre eux. Le jeu est une véritable addiction et en sortir n’est pas évident… voir impossible.
Finalement, le moment de la course est arrivée. En file indienne, les jockeys rejoignent leur stalle attitrée. Bien sûr, comme à l’accoutumée, quelques montures se montrent récalcitrantes - les cages métalliques dans lesquelles les concurrents sont enfermés avant la course ont le don de stresser de nombreux Pokémon. Stardust, elle, ne rencontre pas la moindre difficulté, que ce soit pour rentrer ou lors de la fermeture dans son dos. La Galopa de Galar a toujours eu un excellent self-control, même avant de débuter sa carrière de cheval de course. Leurs premiers entraînements aux stalles se sont tellement bien déroulés que Iouri n’a pas eu besoin de leur imposer des essais pendant trop longtemps. Depuis, ce n’est rien de particulièrement stressant pour Louka et Stardust, malgré les renâclements incessants, les hennissements de peur et les coups donnés sur le fer des stalles. Il faut quelques minutes aux palefreniers et autres employés du stade pour faire rentrer tout ce petit monde avant de pouvoir lancer le compte à rebours. Concentré, ses mains gantées tenant fermement ses rênes, Louka est fin prêt à commencer …
Satané Sergei, hein ? Nous dépasser à un mètre de la ligne d’arrivée ! Enfin, ça reste une belle course.
Pour toute réponse, Stardust pousse un long hennissement. Un léger sourire aux lèvres, Louka tapote l’encolure de la Galopa puis se hâte de lui retirer son filet. En règle générale, ce sont les palefreniers qui s’occupent de désharchaner les chevaux mais le septrionnien tient toujours à s’occuper lui-même de Stardust. Si certains jockeys voient leurs montures comme de simples outils de travail, ce n’est pas son cas et il veille à ne jamais négliger Stardust. C’est pourquoi il s’est rapidement éclipsé après une interview pour rejoindre les écuries et offrir un bon pansage bien mérité à la Galopa. Doucement, il détache la cocarde dorée attachée au filet de la jument et l’ajoute à toutes les autres décorant la porte de son box. S’ils n’ont pas raflé la première place aujourd’hui, Louka reste très satisfait de leur performance. Sergei et son Zéblitz sont des concurrents exceptionnels et il est rare qu’ils parviennent à les battre. Néanmoins, le jockey est sur la fin de sa carrière : il n’a plus qu’une saison devant lui avant de tirer sa révérence. Il n’est donc pas étonnant qu’il mette tant d’énergie dans ses courses. Sergei tient à s’en aller avec un bon palmarès. Et puis, arrivé deuxième à une course si prestigieuse, ce n’est pas rien ! Iouri a beau lui répéter qu’il ne devrait se contenter que d’une victoire totale, Louka ne l’entend pas de cette oreille. Tant que Stardust et lui s’amusent, c’est bien tout ce qui compte.
Tendant les bras devant lui, Louka attrape sa selle et la déloge du dos de Stardust, qui s’ébroue de bonheur. L’assise a beau être petite et légère, la Galopa est tout de même bien plus confortable sans. Louka la dépose sur la porte du box à côté du filet, comme d’habitude. Il les rangera dans la sellerie une fois le pansage terminé. Il s’arme alors d’une étrille et se hâte de brosser le poil de Starbust, qui pousse un long soupir ravi. Elle tend d’ailleurs l’encolure au maximum, invitant Louka à la gratter sous la crinière. Non sans un petit rire, le garçon s’assure de la contenter, délogeant quelques poils blancs à chaque coup de brosse. Il défait ensuite les pions de sa crinière afin de la libérer et y passe un peigne fin, appréciant douceur la douceur de ses crins entre ses doigts. Si la crinière forme quelques ondulations à cause des pions, le jockey sait qu’elle reprendra vite sa souplesse naturelle. Pour finir, il s’empare d’un cure-pied et s’assure de bien nettoyer son sabot en évitant de stimuler la fourchette - c’est une zone très sensible sous le pied des chevaux, qu’il est important de ne pas trop toucher au risque de le faire mal. Sa besogne terminée, Louka range ses brosses dans sa boîte de pansage et offre quelques gratouilles supplémentaires à la Galopa, qui semble sincèrement appréciée cela.
C’est en voyant Stardust passer sa tête par dessus la porte de son box que Louka décide d’en faire autant, se demandant bien ce qui attire ainsi l’attention de sa jument. C’est alors qu’il avise une jeune fille, blonde, accompagné d’un Caninos et d’un autre Pokémon dans sa poche qu’il ne parvient pas à identifier. Puisque c’est la première fois qu’il voit cette demoiselle, Louka vient à la conclusion qu’elle est une visiteuse … ou bien une petite nouvelle ? Hm, à en juger par ses beaux vêtements, ce serait fort étonnant. Pourtant autant, le jockey la salue sans se poser davantage de question :
Salut ! Est-ce que je peux t’aider ? Tu cherches quelqu’un ?
Doucement, il tire le loquet fermant le box et pousse la porte afin d’en sortir. Inutile de la refermer derrière lui, il sait pertinemment que Stardust n’irai nulle part. Passant une main dans ses cheveux en bataille - et un peu gras à cause de la bombe qu’il a porté pendant la course - Louka a conscience qu’il n’a pas très fière allure. Ses bottes noires sont sales, tout comme sa culotte blanche qui a écopé de quelques traces de terres et d’herbes. Seul son dossard bariolé n’a aucun dégât à déplorer - le garçon n’a pas prit le temps de se doucher ou de se changer après la course, trop pressé de rejoindre Stardust. Pour autant, les écuries ne sont jamais un temple de la mode alors … on peut dire qu’il se fond totalement dans le paysage !
Avec le temps, Sarah avait peu à perdu perdu le réflexe de tout anticiper. Après le déménagement, elle avait apprivoisé son nouvel environnement, et Isslot et ses alentours lui étaient désormais assez familiers pour qu'elle cesse de se méfier de tout. Ne lui restait comme souvenirs de l'accident que ses maux de têtes et sa répugnance des contacts physiques, qui pouvaient parfois s'avérer très handicapants. Tout à l'heure encore, en sentant les gens se bousculer et se coller contre son dos pendant la course, elle avait été prise de nausée et avait dû s’administrer plusieurs gifles mentales pour se calmer, faire bonne figure et ne pas se faire réprimander par Guenièvre. Rien d'étonnant à ce qu'elle ne se remémore pas clairement le placement des coureurs... Être submergée par autant de voix et de visages inconnus lui avait donner envie de s'enfuir très loin et de se mettre en boule dans un coin pour ne plus entendre la cacophonie ambiante. Quitter l’hippodrome avait été un soulagement, et si se retrouver dans les écuries, endroit complètement inconnu, ne lui donnait pas envie de vomir, s'était tout aussi angoissant. Heureusement, Soie et Vesta étaient là pour l'accompagner. Le Minidraco avait sans doute commencé à comprendre que sa maîtresse fonctionnait un peu différemment des autres adolescentes, et son besoin d'être sans cesse rassurée et accompagnée ne semblait pas lui déplaire. Après tout, la Septrionnienne considérait désormais sa présence à ses côtés comme indispensable, chose qui s'avérait forcément extrêmement flatteuse.
Moins vigilante, Sarah n'avait donc absolument pas envisagé que la Galopa puisse ne pas être seule dans son box. Aussi, lorsque la tête du jeune homme surgit au-dessus de la porte du box, elle sursauta, initiant une réaction en chaîne surréaliste : Soie partit immédiatement se cacher au fond de sa poche tandis que Vesta se mit à grogner férocement au nez de Stardust.
S'empourprant de gène, Sarah se pencha pour saisir la petite chienne dans ses bras pendant que le jeune homme sortait du box. Tout en la caressant pour la calmer, elle en profitait pour dissiper la frayeur qu'il lui avait faite. Le jeune homme – elle ne pouvait pas penser « garçon », il était à l'évidence plus âgé qu'elle – portait encore ses habits de course, avec son dossard coloré et le drôle de pantalon blanc qu'elle avait vu arboré par tous les jockeys avant le départ. Peut-être venait-il de Galar avec sa Galopa ? Il n'en avait pas l'accent, pourtant. Sarah éprouvait d'ailleurs une troublante impression de déjà vu en le regardant, comme si elle l'avait déjà croisé auparavant, mais impossible de se rappeler où, et de définir si ce souvenir était véridique ou un pur produit de son imagination. En tout cas, il n'était pas très surprit de la trouver ici, en témoignait le naturel avec lequel il lui parlait. Il s'avérait gentil et rassurant, la présence de la jeune fille ne lui semblait donc pas trop bizarre...
« Sarah » se présenta-t-elle en hochant la tête, à défaut de tendre la main. « Voilà Vesta et... Soie. » fit-elle en désignant la Caninos des yeux puis en baissant le regard vers la poche de son manteau. A ses mots, le Minidraco avait glissé sa tête à l’extérieur pour observer d'un œil méfiant Louka. Puis il était retourné se cacher. Il ne fallait pas s'attendre à beaucoup plus de sa part : le petite serpent n'aimait guère les nouvelles têtes. « J'attendais ma grand-mère et Vesta était curieuse et... j’espère qu'on ne vous a pas interrompu.»
Malgré l'amabilité du jockey, elle craignait de se faire réprimander pour être entrée dans la cour sans autorisation, et avait fini sa phrase en baissant les yeux, un peu honteuse et embarrassée. Le vouvoiement lui était venu par réflexe. Il était plus âgé qu'elle et travaillait : deux critères qui avaient actionné un commutateur de bonnes manières dans son cerveau. L’expérience le lui avait appris : on se faisait toujours moins réprimander quand on témoignait à adulte plus de respect qu'il n'en aurait fallu. Mais Louka – c'était un nom d'ici, ça – semblait beaucoup plus conciliant que sa grand-mère. Ou en tout cas, pas du tout enclin à la gronder. Au contraire, il se montrait curieux, témoignant à la jeune fille une attention plutôt plaisante, qui invitait au dialogue.
« Vous... vous devez être épuisés, après une course pareille. Je ne pensais pas que les jockey s'occupait de leur monture eux-même. »
Sarah dû s’interrompre pour déposer sa petite Caninos au sol. Celle-ci ne cessait de se tortiller dans tous les sens pour échapper à l'étreinte de Sarah - qui, sous le coup du stress, devait sans doute serrer un peu fort. Mais une fois relâchée, au lieu de rester tranquillement au pied de sa maîtresse, la chienne profita de sa liberté retrouvée pour s'engouffrer dans l’entrebâillement de la porte du box, partant en explorer l’intérieur sous le regard circonspect de Stardust.
« Vesta ! » L'embarras fit virer Sarah au cramoisi. Elle n'osait pas se précipiter pour aller récupérer sa chienne, craignant une réaction imprévisible de la Galopa. Au cri de sa dresseuse, Soie avait de nouveau sorti la tête de sa poche, visiblement très incommodé par tous ce bruit. « Je suis désolée... Comme elle est encore jeune, elle n'est pas très obéissante. Aller Vesta, arrêtes de fouiner et sors de là !»
D'ordinaire, on attendait que les pokémon de l'élevage soient moins excités avant de les faire sortir, et la décision de Guenièvre en était d'autant plus étonnante. Pour l'instant, la Caninos observait très attentivement Stardust, qui, bonne joueuse, faisait semblait de n'avoir rien remarqué.
« Elles ont l'air de se supporter, c'est déjà ça... Je n'avais encore jamais vu de Galopa de Galar de si près. Vous devez venir de loin ? »
HRP:
Et voilà J’espère que ça te permet de rebondir ;) J'essaierais d'être plus rapide la prochaine fois
A peine Louka a-t-il ouvert la porte du box pour en sortir que la visiteuse mystérieuse se penche pour se saisir d’un jeune Caninos que le jockey n’avait même pas vu. La créature, visiblement jeune, semble un peu paniquée … heureusement, les caresses offertes par la demoiselle ont le don de la calmer un peu. Peu impressionnée par tout ce remue-ménage, Stardust se contente de gratter le sol de son box du bout de son sabot, en guise de salutation. Elle a connu bien pire dans sa vie qu’un jeune Caninos agressif ! Avant de briller sur les champs de course, Stardust était une combattante hors-pair. Louka et elle traînaient sans cesse aux abords du Manoir Hanté d’Isslot afin d’y combattre les Pokémon Spectres fréquentant les lieux. Il n’y avait pas meilleur endroit dans le coin pour se battre et il faut bien avouer que le garçon et sa jument - encore jeune ponette à cette époque - prenaient un malin plaisir à rendre la monnaie de leur pièce à ces fauteurs de trouble ! Ils se dissimulaient dans l’ombre, espérant prendre les visiteurs par surprise mais … au final, c’étaient eux qui mourraient de peur. Car malgré son adorable bouille de gentil Ponyta à la crinière violine, Stardust était un véritable petit démon sur sabots ! Sûrement aurait-elle brillé, dans les combats d’Arène … mais c’est une toute autre carrière qu’elle a embrassé au côté de son ami de toujours.
Un léger sourire aux coins des lèvres, Louka adresse un poli mouvement de tête à Sarah, en guise de salutation. Elle lui présente ensuite les deux Pokémon l’accompagnant : Vesta pour la Caninos, Soie pour … la créature enfouie au fin fond de sa poche. C’est à peine si le jockey parvient à apercevoir sa petite tête dépassant du tissus, et le regard soupçonneux qu’il lui adresse. Le garçon a un léger rire - il a l’air gratiné celui-là ! Mais tellement mignon en même temps. Néanmoins … il doit bien avouer que sa préférence va au Caninos. Ce n’est pas une espèce que les habitants du Nord ont l’habitude de croiser, parce que ces chiens rayés préfèrent les températures chaudes de l’Austrée - ce qui est compréhensible étant donné leur type Feu. Toujours est-il que cette petite créature pleine de caractère lui a tapé dans l’oeil, et il a toutes les peines du monde à se retenir de la caresser. Ses parents lui ont toujours répété de ne jamais toucher un Pokémon sans y avoir été invité, alors il garde ses mains près de lui et se contente de toucher avec les yeux … même si l’adorable touffe de poil au niveau de son crâne est une véritable invitation aux gratouilles !
Timide et embarrassée, la jeune fille baisse les yeux, craignant de l’avoir dérangé. Néanmoins, Louka reçoit tellement peu de visite que cela lui fait plaisir plus que ça ne l’agace. De toute façon, pourquoi se sentirait-il gêné ? Sarah ne lui cause aucun tort et ce ne sont pas les quelques grognements de Vesta qui l’incommode particulièrement. Ce serait plus le vouvoiement qui le mettrait mal à l’aise, d’ailleurs. Louka n’a pas encore tout à fait atteint l’âge d’être considéré comme un adulte, alors l’utilisation d’une telle formule de politesse le met plutôt mal à l’aise. Néanmoins, cela lui permet de comprendre que son interlocutrice est sûrement issue d’une bonne famille, pour avoir reçu pareille éducation. Est-elle venue assister à la course avec sa grand-mère, qu’elle a mentionné plus tôt ? Ce sont généralement les familles assez riches qui viennent admirer les courses, en plus de toutes une tripotée de pauvres parieurs qui vendraient père et mère pour un quignon de pain.
D’ailleurs, sa sollicitude vis-à-vis de sa fatigue lui arrache un petit sourire. Bien sûr, après une course pareille, le garçon est éreinté. Ca ne dure jamais longtemps sur le papier, mais toute la préparation autour et surtout la concentration nécessaire pour faire une belle performance, ça suffit amplement pour le vider de ses batteries. Néanmoins, même fatigué il ne laissera jamais personne s’occuper de Stardust à sa place. Elle est sa meilleure amie après tout, et pas seulement sa monture le temps d’un bon galop. Doucement, sa main court sur le pelage soyeux de la Galopa qui tend l’encolure, appréciant particulièrement les gratouilles sous la gorge, au niveau de sa ganache. Vesta, de son côté, profite que Sarah l’ait lâché pour se faufiler dans le box, remuant la paille fraîche qu’un palefrenier a eu la bonne idée d’étendre sur le sol juste avant le retour de la Galopa. Rouge de honte, la blondinette se confond encore en excuse et malgré ses rappels, la petite Caninos refuse de lui obéir. Elle préfère observer Stardust sous tous les angles et la jument se prend au jeu, venant souffler sur la houpette crème recouvrant le crâne de la jeune chienne de feu.
Ne t’en fais pas pour Vesta, elle peut fouiller dans le box si ça l’intéresse. Stardust ne lui dira rien. Comme pour le confirmer, la jument pousse un léger hennissement. Et en effet oui, elle vient de loin ! Je l’ai acheté il y a quelques années sur le marché d’Isslot, un vendeur originaire de Galar en avait importé. Je doute qu’il était un commerçant bien honnête et légal mais … j’ai eu le coup de foudre pour Stardust et je crois bien que ça a été réciproque.
Doucement, Stardust enfouit ses naseaux dans la main de Louka, qui la gratouille doucement. Entre eux, ça a vraiment été l’amour au premier regard. Jamais auparavant le garçon n’avait autant désiré un Pokémon et il est allé jusqu’à casser sa tirelire pour l’arracher aux griffes de ce vendeur malhonnête. Désormais, la jument vit des jours paisibles auprès de Louka et est même la petite coqueluche de la presse de Belagora, qui voue une véritable admiration pour la belle créature originaire de Galar. S’il y des Galopa sur Salva, ce ne sont pas les mêmes spécimens, bien que Louka les trouve particulièrement beau aussi. Notamment Flame, la monture d’Amir, qui ne semble être fait que de grâce. Néanmoins, sa préférence va à Stardust et sa belle crinière violine : il n’existe pas crins plus doux que les siens ! Le garçon en prend soin, cela dit. Stardust apprécie être toujours parfaitement présentable, sans être une pimbêche pour eux. Disons que … elle aime patauger dans la boue autant qu’elle apprécie une bonne douche bien chaude et un pansage intégrale !
D’ailleurs, tu as raison pour les jockeys. Rares sont ceux qui s’occupent de leur monture après la course. Mais personnellement, je préfère gérer Stardust moi-même. Ce n’est pas un outil de travail à mes yeux. Tout le monde ne pense pas comme quoi, cependant …
La preuve, il est présentement l’unique jockey présent dans les écuries. Et pourtant, toutes les montures ont été rapatriés dans leur box. Ce sont les palefreniers qui ont prit le relai, débarrassant chacun des Pokémon de leur panoplie de course et leur offrant un brossage bien mérité, ainsi que quelques douceurs à se mettre sous la dent. Jamais encore Louka n’a cédé à cette solution de facilité. Il est hors de question qu’il aille se la couler douce ailleurs alors que Stardust a fait le gros du boulot ! Elle mérite qu’il s’occupe bien d’elle et lui offre toute l’affection qu’elle mérite. D’ailleurs … il l’emmènerait bien marcher un peu aux abords ds écuries, ça lui ferait le plus grand bien ! Se dégourdir un peu les jambes avec une course de ce niveau, c’est toujours très appréciable pour la Galopa. Alors Louka pousse davantage la porte du box afin de laisser à Stardust l’espace suffisant pour en sortir.
Au fait, nous nous apprêtons à partir faire une balade. Tu veux venir avec nous ? A moins que ta grand-mère ne soit déjà revenue ?
Obéissant tout de même un peu à sa maîtresse, Vesta se contenta de tourner sagement autour de la jument et de fouiller les amoncellement de foin dans les coins du box, à la recherche d'improbables trésors. Sarah réprima un mouvement de recul lorsque la jument approuva la réponse de Louka avec un hennissement sonore, et Soie remua au fond de sa poche, dérangé par tout ce remue-ménage. La jeune fille n'était pas habituée à la proximité des chevaux, et sa taille rendait la Galopa impressionnante. Les seuls pokémon imposants que Sarah avait eu l'occasion de côtoyer de près était les Arcanins du refuge. Eux aussi pouvait servir de monture, et Guenièvre avait apprit très tôt à ses petites-filles comment se tenir convenablement sur leur dos. Sarah savait que des courses étaient parfois organisées, sans en avoir jamais vu aucune. De toute façon, elle se refusait catégoriquement de rapprocher cette pratique du métier de Louka : toutes les fois où elle avait monté Baltazar, c'était sans selle, et pour effectuer de simples ballades autour du village ou dans les vallées environnantes. Rien à voir avec la performance offerte par la Galopa et son maître.
La lumière se fit dans l'esprit de la jeune fille lorsque Louka évoqua Isslot. Elle avait très certainement déjà croisé le jeune homme au détour d'un chemin : après tout, le tourisme avait peu à peu repris son essor dans la région, rien d'étonnant à ce qu'il ait fait escale dans le village. Peut-être même y avait-il vécu ? Si c’était le cas, sans doute l'avait-elle entrevu à l'école : ils n'avaient pas beaucoup d'année de différences, et Louka avait pu être dans une classe de niveau supérieure à son entrée au collège. En tout cas, c'était sur le marché où il avait déniché Stardust que sa sœur et elle avait passé des heures à contempler les différents pokémons avant que leur mère accepte enfin la venue d'animaux dans la demeure familiale. Il était même possible que Sarah ait vu Stardust. Était-elle déjà une Galopa avant que Louka ne la prenne avec lui ? Le jeune homme était à l'évidence bien plus proche de sa monture que ne l'était habituellement les jockeys. Sarah connaissait cette distance qu'on gardait d'ordinaire avec les pokémons qui nous servait de gagne-pain. Elle n'aurait normalement pas dû s'attacher à Vesta, ni lui donner de nom : elle se serait sentie moins mal lorsque la petite chienne aurait du les quitter. Mais malgré toute sa bonne volonté, elle ne pouvait contrôler ce genre de chose. Et puis comment résister à la bouille de la petite Caninos, si mignonne ? C'était sûr, Sarah mettrait un certain temps pour se remettre de son départ. La jeune fille éloigna bien vite ses tristes pensées de son esprit, reculant pour permettre à Louka de faire sortir Stardust de son box et se penchant vers Vesta pour lui offrir quelques caresses alors qu'elle sortait à la suite de la jument, encore couverte de brin de paille.
« Elle n'est pas encore là... » fit-elle pour répondre au jockey. « Il faut qu'on en profite ! Vesta a besoin de se défouler, et ça ne fera pas de mal à Soie de sortir un peu. »
En réponse, le Minidraco tressauta dans sa poche, lui signifiant sa désapprobation par quelques coups contre les parois en tissu de son refuge itinérant. La réponse de la jeune fille intriguerait sans doute Louka. Ce n'était pas que Sarah n'aimait pas sa grand-mère, bien au contraire, mais la vieille dame était autoritaire et étouffante. Lui échapper pendant quelques instants procurait à la jeune fille un sentiment de liberté enivrant dont elle voulait profiter le plus longtemps possible. Elle emboîta donc le pas au jeune homme et à sa jument lorsqu'ils sortirent des écuries, Vesta sur les talons. Une bande de terre et quelques champs séparaient l’hippodrome et les bâtiments qui lui était rattaché de l'effervescence de la ville. L'air commençait à sentir la pluie, et Sarah pensa une énième fois qu'elle n'était vraiment pas habillée pour les circonstances. Elle n'avait plus qu'à croiser les doigts pour que l'averse n'éclate pas avant qu'elle soit rentrée à Isslot.
Lorsqu'elle le jugea bon, elle retourna sa poche pour en faire sortir Soie. Le petite serpent lui jeta un regard noir en glissant jusqu'au sol, et l'ignora ostensiblement tout en rejoignant Vesta pour la convaincre de le prendre sur son dos. Même si cette réaction peina un temps Sarah, celle-ci savait que le Minidraco n'était pas très rancunier, et aurait très vite oublié cette contrariété. Et puis voir le tableau qu'ils formaient avec Vesta, perchés l'un sur l'autre, lui rendit rapidement le sourire. Ses pokémons allaient rester ensemble, et, rassurée à leur sujet, elle vint se ranger aux côtés de Louka.
« Nous venons justement d'Isslot. Le voyage était un peu long, mais Grand-mère aime venir regarder les courses de temps en temps. Pour moi, c'était la première fois. C'est vraiment très impressionnant... »
La liberté avec laquelle le jeune homme s'exprimait donnait envie à Sarah de faire de même. Elle aimait assez la façon dont Louka parlait. C'était différent des discussions trop prise de tête qu'elle pouvait avoir avec sa sœur ou sa mère. Sarah préférait cette aisance de la conversation, qu'elle peinait pourtant à mettre en œuvre par elle-même. On lui avait appris à ne prendre la parole que lorsqu'on lui en donnait l'autorisation et si cela apportait quelques choses de nouveau à la discussion. Alors elle prenait un plaisir de débutante à babiller à propos de petits riens, à explorer cette nouvelle facette de la conversation. D'ailleurs, le vouvoiement commençait un peu à lui peser.
« V-Vous participez depuis longtemps à des courses, Stardust et toi ? Vous avez dû beaucoup vous entraîner ! Est-ce qu'il existe... je sais pas... des formations pour devenir jockey ? »
Le parcours du jeune homme l’intéressait au plus haut point. Bien sûr, elle ne s'imaginait en aucun cas emprunter le même : son propre futur la laissait dans un flou total qu'elle cherchait à dissiper aux travers de retours d’expériences divers. Le jeune homme était indépendant et avait déjà un gagne-pain, une situation qui lui paraissait, à elle, encore très lointaine. Elle n'avait encore aucune idée de ce qu'elle ferait plus tard, où elle irait, dans quoi elle se sentirait bien et utile. Pour l'instant, son horizon se cantonnait à Isslot et ses montagnes : son univers était si réduit... Elle mourait d'envie d'en apprendre et d'en voir plus, de visiter Belagora en long, en large et en travers et de retourner à Edelsten. Pourrait-elle seulement quitter son chez-elle sans être submergée par l’anxiété ? Elle avait parfois l'impression qu'elle ne parviendrait jamais à être assez forte pour vivre toute seule dans ce monde-ci. Qu'elle manquait de caractère, et aussi probablement un peu de confiance. Sa mère disait que c'était l'âge, et Guenièvre ne savait bien évidemment rien de ses troubles. Quand on descendait des Aaron, on ne doutait pas, question de principe. Elle avait déjà eu du mal à supporter la longue convalescence de Sarah quand elle avait déménagé à Isslot, elle n'accepterait désormais plus aucune faiblesse de la part de sa petite-fille.
Tout en poussant la lourde porte du box de Stardust, Louka se souvient des palabres de Iouri concernant son inconscience. D’après le vieil homme, offrir autant de liberté à sa monture n’est absolument pas une bonne idée. Pour lui garantir une santé de fer et une efficacité certaine sur les champs de course, le mieux serait de la garder au box et de la faire courir que de temps en temps, afin de s’assurer qu’elle ne se blesse nulle part en gambadant dans les prés. Néanmoins, jamais le jeune jockey n’a été de cette avis. Après tout, Stardust n’est pas une machine. Elle a besoin de sortir, de voir du monde, de profiter de moments agréables en compagnie de Louka. La garder enfermée comme une poule aux oeufs d’or … ce serait comme la tuer à petit feu. Stardust est sa meilleure amie avant d’être son gagne-pain. Et si un jour il doit tout arrêter pour l’épargner de quelque souffrance … Louka le fera sans hésiter. Ils se sont lancés ensembles dans cette aventure, sans pour autant s’y enchaîner. Bien évidemment, le jeune homme a toujours été parfaitement transparent quant à sa vision des choses avec son coach - néanmoins, ce dernier doit considérer ses paroles comme les promesses utopiques d’un gamin un peu empoté. C’est mal connaître Louka - les paroles en l’air, ce n’est pas pour lui.
Et c’est donc malgré toutes les recommendations de Iouri que le garçon pousse la porte du box, permettant à sa jument d’en sortir. Ses sabots claquent sur le sol cimenté, et quelques têtes équines apparaissent ça et là aux portes pour regarder ce qu’il se passe. Fière et élégante, Stardust secoue un peu sa belle crinière violine avant d’enfouir ses naseaux dans les mains tendues de son jeune dresseur. Louka lui caresse tendrement le bout du nez, lorgnant un instant sur son licol. Pourquoi s’en embarrasser le temps d’une petite balade, hm ? Ce n’est pas comme si la jument comptait lui faire faux-bond. Elle ne marche jamais loin de lui de toute façon. Sait-on jamais, si quelqu’un de mal intentionné se prend l’idée de la voler … malheureusement, dans l’univers des courses, ce genre de chose arrive assez fréquemment. Surtout lorsqu’une monture rapporte … ce qui est le cas de Stardust. Si Louka sait sa jument parfaitement en mesure de se défendre, il ne veut pas tenter le Grimalin pour autant. De toute façon, des gardiens rôdent jour et nuit aux abords des box et des paddocks pour assurer la sécurité des Pokémon de course. Les écuries ne laisseront personne mettre ses sales pattes sur leur gagne-pain …
En tout cas, Louka est ravi que Sarah accepte de venir faire ce petit tour en leur compagnie. Il ignore quel rapport elle peut bien entretenir avec sa grand-mère, mais elle semble assez ravie à l’idée de lui échapper le temps de quelques instants. Ce que le garçon comprend sans mal : sa propre mère aurait des tendances assez étouffantes, surtout depuis leur emménagement à Belagora. Comme si, loin de leur Isslot natal, sa vie était perpétuellement menacée. Mais qui viendrait faire du mal à un jockey ..? Sa réputation ne va pas plus loin que les limites du domaine sportif, il n’a rien d’un politicien ou même d’un fils de bonne famille. Bref, il comprend plus ou moins la pressio qui doit peser sur Sarah. Alors autant lui offrir une petite parenthèse de liberté et de légèreté en attendant le retour de sa grand-mère ! Les voilà donc qui quittent les écuries, accueillis à l’extérieur par la brise timide de Belagora. En levant les yeux vers le ciel, Louka aperçoit quelques nuages gris - une averse se prépare. S’il avait fait un peu plus frais, sûrement les Belagoriens auraient-il eu droit à un petit peu de neige … mais la saison n’est pas assez avancée pour cela.
Le petit groupe s’engage alors dans un long chemin herbu, entre l’hippodrome et les écuries. Sarah en profite donc pour faire sortir le Minidraco de sa poche, ce que la petite créature bleue semble guère appréciée. Elle se hâte donc de rejoindre Vesta, piaillant pour grimper sur son dos. Ce que la Caninos accepte bon gré mal gré, et la scène que les deux créatures offrent à de quoi arracher quelques rires aux deux jeunes humains. Ces derniers finissent néanmoins par se concentrer à nouveau sur leur conversation, permettant à la demoiselle de lui expliquer la raison de sa présence. Et en apprenant d’où elle vient, Louka paraît étonné : décidément, le monde est petit ! Néanmoins, il comprend mieux pourquoi le visage de Sarah lui semblait familier. Il a du la croiser de temps en temps à Isslot, que ce soit sur les bancs de l’école ou dans les rues du bourg. Parfois, Isslot manque cruellement à Louka. Il aimait cette vie simple, sans prétention. Il avait souvent froid, parfois les quantités manquaient au fond de son assiette mais … aussi étonnant que cela puisse paraître, la vie lui semblait bien plus simple. A Belagora … ce n’est absolument pas la même chose. Une vie à cent à l’heure. De l’effervescence de jour comme de nuit. Bref … les inconvénients d’une capitale.
Je comprends mieux pourquoi ton visage me dit quelque chose ! Nous avons dû nous y croiser de temps en temps. J’habitais au centre du village, mes parents y tenaient la cordonnerie.
Cordonnerie qu’ils ont cédés à un couple d’amis, quelques jours avant qu’ils ne rejoignent Louka à Belagora. Désormais, ils font office de secrétaires pour lui. Ou du moins … d’assistants ? Le garçon ne saurait vraiment le dire. En tout cas, la fabrication de chaussures, c’est terminé pour eux. Quelque part, cela attriste un peu Louka. Ses parents étaient doués dans leur métier et … ils semblaient l’apprécier. Tout plaquer pour une vie nouvelle à Belagora, il en sait pas vraiment si c’est judicieux. Néanmoins, cela a permis à son petit frère Svenn de recevoir une bien meilleure éducation. Lui qui a toujours rêvé de devenir architecte, il pourra se lancer dans de telles études, par ici. Quant à lui, eh ben … il gagne très bien sa vie, grâce aux courses. Iouri lui a dégoté de nombreux sponsors, en plus de son salaire de base et son pourcentage en cas de courses gagnantes. Louka n’étant pas particulèrement dépensier, il conserve la plupart de son argent sur un compte, auquel il ne touche jamais. Une petite épargne pour l’avenir. Lorsque Stardust et lui ne seront plus en mesure d’assurer les courses, et qu’il devra se reconvertir ailleurs.
Nous sommes professionnels depuis presque deux ans maintenant. Avant, nous nous contentions de courses amateures dans les Plaines de Cristal. C’est là-bas que nous avons été repéré par notre entraîneur. Je ne me destinais absolument pas aux courses, au début. Je pensais reprendre la cordonnerie de mes parents une fois majeur.
Adaptant son pas à la foulée de sa jument, Louka constate qu’ils se sont déjà bien éloignés des écuries et qu’ils s’apprêtent désormais à pénétrer dans le champ aux abords de l’hippodrome. S’il appartient aux écuries, ce terrain est encore inexploité, et laissé sauvage. L’herbe y est donc assez haute, ce qui ne semble pas déranger Stardust outre mesure. Bientôt, la petite tête tigrée de Vesta disparaît dans la végétation, mais Louka entend distinctement sa progression aux travers des herbes folles. Si sa culotte d’équitation le protège de tout inconfort, il comprend bien vite que ce ne sera pas le cas pour Sarah. Alors le garçon s’immobilise, et caresse doucement l’encolure de Stardust pour l’inviter à faire de même. Si la jument lui lance un petit regard étonné, elle ne proteste absolument pas, faisant aveuglément confiance en Louka. De ce fait … elle ne cherche absolument pas à se dérober lorsque le jeune jockey attrape la demoiselle par la taille afin de l’asseoir sur son dos. Stardust est exclusivement montée depuis qu’elle a évolué mais cela ne semble absolument pas la déranger. De toute façon, Sarah ne pèse pas lourd du tout - rien qui ne soit donc inconfortable pour elle, en somme.
Le garçon offre alors un petit sourire taquin à la jeune fille, conscient de l’avoir prise au dépourvu. Il aurait peut-être dû lui demander la permission mais … Stardust est tellement une bonne crème que Sarah ne risque absolument rien, sur son dos. Et au moins, il l’épargne une traversée entre les hautes herbes du champ.
Tu es bien installée ? Ne t’en fais surtout pas, Stardust est vraiment gentille. Seulement, l’herbe est vraiment très haute ici alors … je me suis dit que tu serais plus confortable sur son dos.
Sarah savait que la distance qui s'étirait peu à peu entre les écuries et eux serait proportionnelle aux réprimandes de Guenièvre à leur retour, mais décida d'ignorer son inquiétude, retardant le plus possible l'appréhension qui finirait indéniablement par lui nouer l'estomac. Ils s'étaient déjà bien éloignés, et de là où ils se trouvaient, le Dracolosse assis sur la cabine du taxi volant ne semblait pas plus gros qu'un pouce. Mais même d'aussi loin, il restait toujours difficile de croire que Soie et lui appartenait à la même espèce. L'arbre évolutif du Minidraco laissait toujours Sarah dubitative, même après l'avoir retourné dans tous les sens pendant ses nuits d'insomnies. On lui avait appris que l'évolution était une suite logique, où les caractéristiques physiques se développaient d'une forme à une autre. Mais c'était un monde qui séparait Minidraco de Dracolosse, une frontière que l'évolution n’aurait théoriquement pas dû franchir, un changement de couleur, de forme et de masse trop improbable, qui faisait toujours tiquer la demoiselle. Une fantaisie d'Arceus parmi quelques autres, qui dépareillait un peu avec ce dont elle avait l'habitude. Face à cela, la forme prochaine de Vesta coulait de source, un enchaînement évident et instinctif, qui comblerait certainement la petite Caninos de joie. A contrario, Soie semblait déterminer à ne pas quitter sa poche avant un long moment, un soulagement pour Sarah qui ne s'imaginait pas faire entrer un dragon de trois mètres entre les murs de sa chambre. Tant que le Minidraco n'accepterait pas de vivre dans sa pokéball, il faudrait qu'il garde sa forme serpentoïde bien pratique... et beaucoup plus mignonne.
Pour l'instant, son pokémon lui faisait toujours la tête, et s’était couché sur le dos de Vesta, faisant assez confiance à la Caninos pour choisir leur itinéraire et l'avertir au besoin. La petite chienne, à la tête de leur drôle de compagnie, courrait explorer le chemin avant de faire demi-tour pour revenir les chercher en remuant la queue. Ses yeux brillaient d'excitation, comme si elle découvrait des trésors entre chaque brin d'herbe.
Sarah, quand à elle, restait sagement aux côtés de Louka et Stardust, écoutant attentivement le jockey en gardant les yeux fixés au sol, comme font parfois les enfants quand la route est trop longue. Elle avait osé poser sa main sur la crinière de Stardust et ne la retirait plus. Elle sentait les muscles de la Galopa s'animer sous sa peau à chaque mouvements, et elle aimait ce contact un peu hypnotique. C'était maintenant une certitude partagée, Louka et elle s'étaient déjà croisés à Isslot. C'était un drôle de hasard que cette rencontre. Sarah voyait encore très bien l'emplacement de la cordonnerie du village, où elle était certaine d'avoir accompagnée sa mère pour y faire réparer des chaussures. Depuis quelques années, le petit commerce avait été remplacé par une boulangerie où Isabelle allait acheter chaque lundi une brioche tressée, viennoiserie traditionnelle de la région. Sans doute la famille de Louka avait-elle quitté Isslot lorsque leur fils s'était sérieusement mis aux courses... De plus en plus d'habitants des montagnes désertaient leurs bourgades natals pour travailler dans les grandes villes du Septrion, qui commençaient tous juste à se moderniser et dont les chantiers avaient grand besoin de mains d’œuvres supplémentaires.
« Grand-Mère s'occupe de l'élevage d'Arcanin à la sortie du village. Normalement, on ne fait pas trop sortir les Caninos avant leur évolution, mais je crois qu'elle s'est attachée à Vesta. »
A vrai dire, c'était pour l'instant la seule solution que Sarah avait trouvé pour expliquer la présence de la petite chienne auprès d'eux. Peut-être la vieille dame avait-elle fait une exception à ses sacro-saintes règles et s'était laissée charmer par la mignonne petite bouille de la Caninos. Cela restait peu probable, et Sarah faisait de son mieux pour s'empêcher d’espérer. Mais malgré cela... elle aurait été plus qu'enchantée d'accueillir définitivement Vesta dans leur demeure d'Isslot.
Entendre le jeune homme évoquer son métier était rassurant. Il n'était pas beaucoup plus vieux qu'elle, mais avait trouvé une discipline dans laquelle il pouvait travailler et s'épanouir tout à la fois. Il lui montrait un joli exemple, loin de Guenièvre et de sa mère qui travaillait seulement pour ne pas rester désœuvrées et se reposait grandement sur la fortune familiale pour vivre. S'il avait pu se faire une place dans le monde des courses hippiques sans même s'y être préparé des l'enfance, alors Sarah arriverait certainement à trouver un métier qui lui plairait. Elle avait envie de faire quelque chose qui lui plaise, dans un domaine qui la passionnerait. Sans doute faudrait-il qu'elle se batte : déjà au collège, certains professeurs traitaient les jeunes filles comme des imbéciles incapable de réfléchir correctement. Mais Stella avait appris à Sarah à garder la tête haute : elle saurait prouver sa valeur. Il fallait simplement qu'elle s'affirme plus, qu'elle ose d'avantage donner son avis et s'opposer à ceux qui la rabaissait. En grandissant, elle finirait sans doute par y arriver un peu mieux... n'est-ce pas ?
« C'est génial que vous ayez pu en faire un métier... Je ne sais pas encore trop ce que j'aimerais faire plus tard. Ma mère dit que je n'aurais pas de problèmes, parce que je suis plutôt bonne à l'école. Je ne sais pas comment elle peut être aussi sûre d'elle. »
Quand on était une fille dans le Septrion, être bonne en cours ne suffisait pas toujours. Stella comptait sans doute sur les fonds qu'il restait à la famille pour permettre à sa fille de faire des études supérieure. Cette perspective ajoutait de nouvelles angoisses à Sarah, qui, malgré son sentiment de tourner en rond à Isslot, ne s'imaginait pas encore quitter le nid. Elle n'aurait pas dû s'en inquiéter : le lycée par correspondance ne commencerait que l'année prochaine, et il lui resterait du temps pour décider qu'elle voie choisir. Mais Sarah aimait prévoir, et ne pas pouvoir imaginer un futur tout tracé lui donnait l'impression de se trouver devant un immense précipice, alors même qu'elle avait réussi à s'extirper d'un premier après des années d'efforts.
Sarah fut contrainte de s'écarter de Stardust et de ralentir l'allure lorsqu'ils arrivèrent aux abords de l’hippodrome. Un grand champs laissé en friche longeait l'enceinte de la piste. L'herbe y était si haute que Vesta y disparaissait presque entièrement, et Sarah jeta un coup d’œil vers ses petites ballerines et sa robe longue, se demandant comment se débrouiller pour ne pas les salir. Elle savait bien qu'elle aurait dû rester habillée en fermière. Elle s'apprêtait à retirer ses chaussures, résolue à s'aventurer pieds nus dans le champs, lorsque Louka, sans l'avertir aucunement, la saisit par la taille. Ce contact inattendu lui arracha un sursaut de surprise. Un effroi incommensurable lui bloqua le souffle, et tétanisée, elle resta le plus immobile possible lorsque le jeune homme la souleva et la posa sur le dos de sa Galopa. Sarah avait un problème avec les contacts physiques. Il fallait qu'elle les voit arriver, qu'elle s'y prépare, pour ne pas déraper. Prise par surprise, son corps pouvait faire n'importe quoi pour se défendre. En sentant les mains du garçon sur ses hanches, son pouls avait soudain piquer un sprint dans sa cage thoracique, et, alors qu'il venait de la lâcher et qu'elle tentait de cacher au mieux sa fébrilité, elle s'estimait simplement heureuse de ne pas avoir gifler Louka par réflexe. Si on ajoutait à son syndrome post-traumatiques imprévisible la gène naturelle que toute bonne jeune fille du Septrion éprouvait au contact d'une peau masculine, il y avait eu dans l'initiative du jeune homme de quoi lui faire faire plusieurs crises cardiaques d'affilées. Le sourire taquin de Louka lui échappa, trop occupée qu'elle était à calmer sa respiration. Elle n'osait pas trop bouger, de peur de déclencher un mouvement inattendu de la part de Stardust. C'était la première fois qu'elle chevauchait un équidé, et c'était très différent de monter un Arcanins. Il y avait moins de place pour s'asseoir confortablement et trouver un équilibre, et Sarah, par peur de basculer, avait enfoui ses mains dans la crinières violettes de la Galopa. Elle pu enfin souffler un peu lorsque le jeune homme s'expliqua. Si Sarah avait été plus rancunière, elle lui aurait peut-être fait des reproches. Mais elle tenait absolument à ne pas montrer à quel point son geste l'avait mis mal à l'aise, et les paroles de Louka ressemblaient un peu à des excuses. Cela lui suffisait amplement.
« C'est gentil. Mais préviens-moi la prochaine fois, j'ai eu peur. »
Au commandement de son maître, la jument se remis en marche, forçant Sarah à serrer plus fort sa crinière entre ses doigts. Elle n'avait aucune idée de comment se tenir pour faciliter le travail à Stardust. Elle n'avait pas de selle, et si le contact direct avec le poil de la jument ne la gênait absolument pas, l'absence d'étrier où mettre ses pieds pour être plus stable l'handicapait d'avantage. Elle n'osait pas dire à Louka qu'elle aurait préféré marché pieds nus dans l'herbe. Heureusement, Stardust était prévenante : elle avançait doucement, en prenant garde à éviter tous ce qui aurait pu ressembler de près ou de loin à un obstacle. Son travail aurait sans doute été plus simple si Vesta n'avait pas déboulé d'un coup dans le chemin, l'obligeant à faire un écart et faisait frôler l'AVC à Sarah. La Caninos s'était sauvée entre les hautes herbes avant même que sa maîtresse n'ait eu le temps de la réprimander, perdue dans des jeux invisibles auquel Soie semblait participer lui aussi. Sarah abandonna l'idée de les réprimander, qui ne ferait que mettre Soie d'encore plus mauvaise humeur.
« Je ne sais pas si je suis assises correctement. J’espère que je ne lui fais pas mal... C'est beaucoup plus complexe que de monter un Arcanin. »
Et beaucoup moins confortable, mais ça, elle préférait le garder pour elle.
Louka n’a jamais été un garçon très à l’aise avec les filles. Sûrement parce que la vie ne l’a gâté d’aucune sœur, ou parce qu’elles ne traînaient jamais avec lui dans la cours de récréation. De ce fait, il y a toujours eu cette incompréhension du sexe opposé, à se demander ce qu’elles pouvaient bien toutes penser. Bien sûr, Louka n’en a pas peur non plus : seulement, il ne sait jamais vraiment comment se comporter avec elles. Elles semblent toutes si … fragiles. Comme si un simple croche-pied suffirait à les briser en milles morceaux, comme un vase en verre. Louka s’est donc toujours naturellement tenu loin d’elle. De toute façon, les garçons et les filles n’ont pas à se mêler, du moins d’après les adultes. Et puis … petit à petit, à mesure qu’il grandissait, les femmes commençaient à devenir une nouvelle curiosité. Le mariage est revenu plusieurs fois sur les lèvres de ses géniteurs, comme une promesse future d’un événement inratable. Un destin gravé dans la roche, auquel il ne semblait pas pouvoir échapper. Pour autant, les années ont continué à passer sans qu’une épouse n’apparaisse sur son perron, ce qui a bien arrangé ses petites affaires. Et à ce jour, malgré sa majorité et sa situation stable, il n’a toujours pas de bague au doigt – ce qui n’est absolument pas pour lui déplaire !
Ainsi, en saisissant Sarah par la taille pour l’asseoir sur le dos de Stardust, Louka n’a pas songé une seule seconde que cela puisse incommoder la demoiselle. Après tout, il a fait doucement et c’est bel et bien pour l’aider qu’il a agit ainsi. En soi, il estime n’avoir absolument rien à se reprocher, bien au contraire ! Et pourtant, la jeune fille semble se figer sur le dos de la Galopa, et le garçon se sent bien obligé de lui lancer un petit regard interrogateur. Peut-être a-t-elle le vertige ? Ou n’est-elle simplement pas à l’aise à cru ? Il est vrai que la sensation est assez particulière, mais Louka préfère cela à une selle. Bien sûr, cette dernière dispose d’étriers très utiles pour l’équilibre mais c’est à cru qu’il a monté Stardust les premières fois. C’est au rythme de leurs balades dans les abords d’Isslot qu’il a apprit à trouver son point d’équilibre. Pour le reste, ça a été de l’instinct plus qu’autre chose. Toutes les histoires de fourchette et de positionnement de jambes, il l’a appris bien plus tard auprès de son coach. Ce n’est rien de vraiment étonnant en soit : ce ne sont pas les fils de cordonniers qui apprennent l’équitation auprès de professeurs agréés. Cette discipline est un luxe que tout le monde n’a pas les moyens de s’offrir. Mais ce n’est pas comme si Louka en avait vraiment eu besoin : l’instinct et la patience s’en sont chargés d’eux-mêmes.
Louka esquisse un petit sourire mi-gêné, mi-désolé aux mots de Sarah. Il ne voulait pas lui faire peur, bien entendu, alors il se retrouve bien embarrassé. Il ne voulait surtout pas l’incommoder ni même la mettre mal à l’aise, loin de là. Juste lui épargner une marche désagréable dans les hautes herbes. Par ici, la terre en friche n’a absolument rien d’agréable sous le pied et habillée comme elle l’est, elle se serait facilement fait mal aux jambes. Enfin bref, ce qui est fait est fait ! Sarah n’a même pas demandé à descendre alors … Louka estime que tout va bien pour elle ? De toute façon, ce n’est pas comme si elle craint quoi que ce soit avec Stardust. La jument a toujours été très calme, et l’est encore plus lorsque quelqu’un est sur son dos. Elle veille d’ailleurs sur ses foulées pour ne pas être trop rapide, et évite savamment tous les obstacles qui risqueraient d’un peu trop remuée sa petite cavalière du jour. Mais forcément, et malgré toute sa bonne volonté, quand Vesta apparaît soudain devant ses jambes sans crier gare, la Galopa ne peut retenir un petit écart surpris. Heureusement, aucune cabriole à déclarer et Sarah est toujours perchée là-haut. Louka n’a pas le temps de réprimander la Caninos qu’elle disparaît à nouveau dans les hautes herbes …
Sarah semble cependant déjà se remettre de ses émotions, parce que là voilà qui doute quant à sa manière de monter Stardust. Elle craint de lui faire mal, mais elle n’a aucune peur à avoir : du moment qu’elle n’écrase pas ses talons dans son ventre, rien ne pourra vraiment la gêner. Mais forcément, il comprend qu’un dos de Galopa diffère vraiment d’un dos d’Arcanin. Et d’ailleurs, cette comparaison attise sa curiosité. Les Arcanin de l’élevage de sa grand-mère sont destinés à la monte ? Il sait évidemment que ces Pokémon sont des montures assez appréciées mais il ignore jusqu’à quel point. Lui-même s’imagine assez mal se jucher sur le dos d’un tel Pokémon ! Un équidé lui paraît bien plus normal et adapté. Son regard se perd un instant à l’endroit où les herbes hautes, remuantes, trahissent la position de Vesta. Lorsqu’elle deviendra une grande Arcanin, elle sera montée, elle aussi ? Comment se passe donc le dressage ? Et surtout, existe-t-il des courses d’Arcanin à l’image de celles qu’il dispute depuis quelques années maintenant ? La tête fourmillante de questions, Louka se permet finalement de les poser :
Je n’ai jamais monté un Arcanin, comment est-ce ? Ta grand-mère en élève dans ce but ? J’imagine qu’il existe des courses aussi, non ? Ca me paraît pourtant assez fou ! Un Arcanin, c’est quand même autre chose qu’un équidé. Plus large, plus lourd … Mais sûrement plutôt confortable.
Sarah rougit en voyant l'embarras du jockey se peindre sur son visage. D'un côté, elle était presque contente de ne plus être la seule gênée, et de l'autre, elle culpabilisait de se réjouir de son malaise. C'était une petite vengeance qu'elle n'aurait pas dû savourer : Louka n'avait fondamentalement rien fait de mal. Il était gentil, avenant... Bien plus délicat que tous les garçons qu'elle côtoyait au collège. Il ne méritait vraiment pas qu'elle le fasse souffrir. Elle essaya de se faire pardonner en lui souriant en retour. Il fallait qu'elle prenne un peu sur elle : sa mère le lui répétait sans cesse, mais elle manquait encore cruellement de pratique. Elle n'arrivait à faire illusion qu'un temps, cachant ses migraines et vertiges derrière des masques d'insensibilité jusqu'à ce que la douleur soit trop forte. Heureusement, ce n'était déjà plus le cas. La présence du jockey avait quelque chose de rassurant qui empêchait la demoiselle de se laisser dominer par le stress.
La jeune fille enfouit ses mains dans la crinière violacée de la Galopa, essayant de se détendre un peu. Cela ne devait pas être très agréable pour Stardust d'avoir une cavalière tendue sur le dos. Sarah avait souvent récolté des grognements d'avertissements de Baltazar quand elle adoptait une mauvaise position et lui faisait mal sans le faire exprès. Sans doute la jument était-elle moins susceptible que le vieux Caninos... Mais la blonde préférait parer à toutes éventualités : si Stardust la gratifiait d'une ruade, elle en mourrait sans doute de peur. Heureusement, Louka semblait faire entièrement confiance à sa monture, et Sarah sentait bien que la Galopa était un exemple de sérénité. La demoiselle se demanda soudain qu'elle monture ferait Soie. Elle chercha du regard une trace de ses pokémon dans le champ, et ne tarda pas à les trouver. Les deux petits ailerons blancs de Soie dépassaient des hautes herbes, indiquant leur position. Plus tard, le Minidraco deviendrait un noble Dracolosse, capable de s'élever dans les airs et d'y atteindre des vitesses impressionnantes, mais aussi d'y emmener son dresseur. A vrai dire, Sarah voyait très mal le petite serpent accomplir de telles prouesses. Lui qui restait dans sa poche et grognait sur tous ce qui lui était inconnu... Il tenait plus du lézard capricieux que du dragon majestueux. Enfin, il était inutile de s'en inquiéter maintenant : le Minidraco n'évoluerait pas avant de longues années, et peut-être même jamais. Ils verraient bien comment se débrouiller le moment venu.
Les questions de Louka sortirent Sarah de ses pensées et la firent baisser les yeux vers le jeune homme.
« Grand-mère élève nos Arcanins pour être des pokémon de compagnie. On les dresse quand même pour la monte au-cas-où, pour assister des personnes handicapées, par exemple. Mais dans l'ensemble, ils sont peu utilisés comme monture. C'est bête, parce qu'il peuvent aller aussi vite qu'un Galopa ! Par contre ils n'ont pas la même endurance. Mais comme ils sont plus gros, on a plus de place pour s'asseoir, et puis ils sont tout doux ! »
C'était ce que Sarah préférait avec ces pokémon : les Arcanins ressemblaient à de grosses peluches adorables, et s'il fallait bien sûr les laisser tranquille – sous peine de se faire sévèrement mordre – ils restaient très câlin dès qu'ils vous avaient identifié comme faisant partie de la famille. C'était d'ailleurs pour cela que Sarah et Isabelle trouvait difficile de ne pas s'attacher au Caninos de la pension, qui réclamaient sans cesse des caresses.
« Je n'ai jamais entendu parler de courses... Mais il doit forcément en exister quelque part. Ça doit être très difficile... »
Tenir sur un Arcanin lancé à pleine vitesse devait être inconfortable au possible, et pour Sarah, qui n'avait jamais effectué que quelques ballades tranquilles avec Balthazar, un véritable enfer de frottements et de secousses qui déclencherait à coup sûr une apocalypse de migraines entre ses tempes.
Ils avaient fini par quitter le champ d'herbes hautes tout en parlant, mais Sarah ne demanda pas à descendre de Stardust pour autant. Elle s'était habituée au contact de la jument, et ce moyen de locomotion lui était plutôt agréable à présent. Vesta gambadait à leurs côtés, toujours pas épuisée, et Soie tentait tant bien que mal de rester en place sur son dos, faisant passer le poids de ses anneaux de droite à gauche pour compenser les embardées de la Caninos. Les nuages qui couvraient le ciel de gris depuis le matin s'étaient un peu dissipés, laissant filtrer quelques timides rayons de soleil. La lumière dorée de fin d'après-midi fit se dire à Sarah que la nuit tomberait bientôt... et que Guenièvre devait déjà la chercher depuis un moment.
« Est-ce qu'on pourrait faire demi-tour ? Il commence à se faire tard... »
Louka a toujours été un garçon particulièrement curieux. Si, la plupart du temps, il garde ses interrogations pour lui-même afin de ne pas paraître idiot, il arrive aussi qu’il ne puisse pas tenir sa langue. Surtout lorsqu’il se sent à l’aise et que son interlocuteur lui inspire confiance. Certes, il ne connaît pas vraiment Sarah mais la jeune fille lui paraît fort sympathique et respectueuse – pas le genre à vous rire au nez pour une petite question de rien du tout. Louka en a connu beaucoup des gens comme ça : des types qui se moquent de la crédulité des autres et la mette sur le compte d’un manque d’intellect. Or, ce que le jockey a apprit au fil des années, c’est que l’intelligence d’une personne ne dépend pas de ses connaissances, mais plutôt de la façon dont il les utilise. Bien sûr, une personne cultivée aura tendance à tenir des conversations plus poussées, mais rien qui ne la rend plus intéressante que qui que ce soit d’autre. Bref, tout ça pour dire que Louka a très tôt apprit à tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de dire quoi que ce soit, afin de s’assurer que jamais personne ne se moque de lui. Bien sûr, arrive des moments où les mots lui viennent trop spontanément pour les retenir, mais bien heureusement, cela se passe très souvent lorsqu’il est en bonne compagnie.
Au moins Sarah ne le prend-t-elle pas pour un crétin, même lorsqu’elle lui explique le but de l’élevage de sa grand-mère. Les Pokémon sont destinés à la compagnie, pas aux courses – néanmoins, ils sont tout de même dressés pour s’habituer à un poids sur leur dos. Ce que Louka trouve vraiment intéressant, au moins qu’il caresserait même l’envie d’aller visiter cet élevage si cela se révèle possible. Sait-on jamais, il pourrait y apprendre beaucoup de choses intéressantes. Certes, il ne se destine absolument pas à la monte d’Arcanin – il préfère de loin se contenter de Stardust – mais … il se demande bien à quel point leur dos sont confortables. Peut-être l’occasion se présentera-t-elle à lui un jour. En tout cas, ce n’est sûrement pas sur Vesta qu’il risque de se jucher, surtout à l’heure actuelle. Encore petite et jeune, la chienne mesure à peine soixante-dix centimètres de haut pour une vingtaine de kilogrammes. Soie demeurera son unique cavalier jusqu’à son évolution, c’est une certitude. Et cela ne semble pas déranger la Caninos qui zigzag entre les buissons et les hautes herbes, alternant le pas et le trot tout en haletant de plaisir. Sa queue en remue de plaisir : de toute évidence, elle apprécie cette petite balade en extérieur !
En tout cas, d’après Sarah, les courses ne sont pas monnaies courantes. Sûrement existent-elles, mais elle n’a jamais assisté à aucune. Louka paraît songeur. Lors de ses premières courses clandestines, les participants montaient un peu tout et n’importe quoi. Mais y a-t-il déjà vu un Arcanin … peut-être bien. Ses souvenirs concernant cette période commencent à devenir de plus en plus flou, au fur et à mesure des années. Et s’il épiait le moindre de ses concurrents au début, il a vite apprit à se concentrer uniquement sur son duo avec Stardust par la suite. Les autres participants n’importaient plus vraiment. Il venait s’amuser, il venait profiter, et c’était bien tout ce qui comptait. Jamais Louka n’a pas les choses au sérieux jusqu’à ce qu’il se fasse repérer au point de dépendre d’une véritable écurie. Désormais, il sait que ses performances sont importantes et qu’il doit se montrer plus sérieux. Cela dit, Louka fait de son mieux pour toujours conserver une part de plaisir. Il ne veut pas que la course devienne une corvée ou pire, une simple routine, un boulot comme un autre qu’il exécute dans le but d’obtenir un salaire. Il tient à ce que chaque moment passé sur le champ de course soit un moment de plaisir avec Stardust, un instant d’osmose entre lui et elle, comme il l’a toujours été depuis le tout début.
Bientôt, les promeneurs quittent le champ en friche et déboulent dans une carrière d’herbe tondue. C’est par ici que la plupart des montures viennent brouter après une bonne cession. Louka y emmène souvent Stardust pour qu’elle se délecte de quelques brins d’herbes, givrés en hiver. Face à cette plaine ouverte, Vesta se prend l’envie de taper un bon sprint et la voilà qui galope à perdre haleine, la langue pendant de sa bouche. Le pauvre Soie est remué dans tous les sens, mais il tient bon – quel jockey ! Louka laisse échapper un petit rire à la vue de ce spectacle et Stardust profite de ce moment d’immobilisation pour arracher quelques touffes d’herbes. Le jeune homme la laisse faire en tapotant son encolure, jugeant qu’elle a bien mérité un petit goûter après tout ça. Toujours perchée sur son dos, Sarah signale la nécessité de faire demi-tour. En effet, le ciel de l’après-midi s’assombrit et bientôt, le soleil entamera sa descente derrière les montagnes. Il est plus que temps de rentrer, d’autant qu’il ne faudrait pas mettre la grand-mère de Sarah en colère. Alors Louka tourne les talons et tape sur sa cuisse pour inviter Stardust à le suivre. La jument s’arrache aussitôt à sa dégustation pour lui emboîter le pas, bientôt suivie par Vesta et Soie. De nouveau, la Caninos disparaît dans les herbes hautes, ne laissant paraître que le pompon clair de sa queue.
Le chemin en sens inverse se révèle un peu moins long, Stardust ayant adopté une foulée plus rapide pour vite atteindre leur destination. Ainsi quittent-ils rapidement le champ en friche pour revenir dans le petit couloir menant ensuite aux écuries. C’est alors qu’une petite idée germe dans la tête de Louka. Quitte à rentrer, autant proposer un petit souvenir à Sarah, non … ? Elle n’acceptera peut-être pas, mais ça vaut le coup d’essayer. Il dépasse donc Stardust pour la faire s’arrêter, et adresse un petit sourire à la blondinette perchée sur son dos.
Dis … ça te dit de trotter ? Ou même de galoper ? D’ici jusqu’au bout du couloir, tout là-bas. Je peux monter avec toi si ça te rassure. Mais ce serait dommage de terminer comme ça non ? Tu verras, Stardust a une foulée très agréable. C’est à peine si nous la sentons courir !
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