HISTOIRE

Sarah ne conservait que peu de souvenirs d'avant l'accident. Quelque moments avec sa sœur jumelle dans le jardin de leur ancienne maison d'Edelsten, un dîner en famille où son père avait fait des crêpes, une visite chez leurs grands-parents paternels, à Mésoé. Et c'était tout. Des moments heureux et insouciants, de beaux souvenirs.

Même si elle était sur le bateau au moment de l'impact, elle ne gardait presque aucune réminiscence de l'accident. Simplement les cris de panique des autres passagers qui occupaient le ferry, une question affolée d'Isabelle, la voix faussement rassurante de leur père, l'explosion. Et puis plus rien. Une conséquence du traumatisme crânien qu'elle s'était fait en heurtant le pont, avait affirmé les médecins à sa mère. Une blessure qui lui avait valu de longues semaines d'hospitalisation et de violentes crises de migraine qui demeuraient, même des années après. Et même si les dernières paroles qu'elle avait entendu de sa part était « Ce n'est sans doute rien, ma chérie », leur père était décédé juste après, dans l'explosion qui avait détruit le moteur à vapeur du bateau. C'était un membre de l'équipage qui avait secouru les jumelles, en les saisissant toutes les deux par leurs vêtements avant de se jeter à l'eau.

Les semaines suivantes, elle les avait vécu comme dans un brouillard. L’accident, le décès, la douleur sourde dans son crâne, tous se confondait. Il n'y avait pas eu de mots échangés pour les rassembler toutes ensembles, sa mère sa sœur et elle. Pas de séances de pleurs communes pour commencer leur deuil. Un silence pour souffrir le moins possible, se redresser et oublier rapidement. Juste le silence, les couloirs vide de l’hôpital, les migraines. Des sanglot étouffés dans des coussins blancs.

Stella Dusk n'avait pu résister longtemps aux « sincères condoléances » et aux regards de pitié des voisins, qui lui rappelaient sans cesse la perte de son conjoint. Alors, dès que Sarah avait pu sortir de l’hôpital, elle avait vendu la maison d'Edelsten et était retournée là où elle avait grandit et où sa famille s'était établie depuis des générations : Isslot.
Elles s'étaient installées toutes les trois dans la grande demeure des Aaron, où vivait encore leur grand-mère. Si Isabelle avait surmonté l'épreuve en adoptant la technique familial - à savoir redresser la tête et ne surtout pas évoquer ses soucis -, sa jumelle avait eu plus de mal à se conduire normalement. Pendant encore un mois après l'accident, Sarah était restée vaseuse, s'alimentant et répondant aux sollicitations du bout des lèvres. Elle se réveillait en hurlant la nuit, sursautait au moindre bruit fort qu'elle entendait. Un comportement inacceptable, indigne d'une grande fille de onze ans, d'une héritière des Aaron et encore moins d'une fille du nord. Parce que la mollesse et les bons sentiments étaient réservés aux Austréen, à ceux qui ne connaissaient pas le vrai froid. Mais même si la grand-mère en pensait quelque chose, elle se gardait bien de donner son avis à voix haute. Car désormais, c'était Stella qui faisait la loi dans la maison, et même s'il était formellement interdit d'évoquer leur père, parce qu'il ne servait à rien de ressasser, elle s'échinait à respecter sa volonté et à élever ses filles dans un certain progressisme. C'était lui, simple professeur originaire de Thacie, qui lui avait permis de s'émanciper des valeurs bien trop arriérées des Aaron, et il était hors de question que ses filles retombent dans les écueils des mentalités crasseuses dont elle avait réussi à s'extraire.
Alors Stella les avait encouragé à marcher la tête haute, à afficher leur fierté, à soutenir chaque regard lubrique jusqu'à faire baisser les yeux, à réussir à l'école. Elle avait refusé les unes après les autres toutes les demandes en mariage, et après le collège, c'était occupée elle-même de faire la classe à ses filles. Parce qu'elles étaient des héritières, des Aaron, et que même si leur famille n'était plus qu'une ombre de grandeur depuis la fin de la guerre, elle se devait d'en être digne, et d'être les pionnières de la modernité.

Isabelle avait été forte pour deux, le temps que Sarah se remette. Puis les sœurs avaient fait front commun. Elles s'étaient adaptées, avaient appris la vie sous la chaîne des Milles Sommets : le ciel blanc, les tempêtes de neige, les feux de bois et les toits en ardoise. Elles avaient remplacées les couronnes de pâquerettes d'Edelsten par des banderoles colorées les jours de beau temps, les histoires du soir par les récits de guerre de la grand-mère, la statue d'Arceus chère à leur père par l'autel honorant Shaymin au fond du jardin. Elles s'étaient insérées dans la petite communauté d'Isslot, qui devait, malgré les divergences d'opinions et d'idéologies, rester soudée pour surmonter les embûches de la nature. Isabelle s'était rapidement fait des amis, grâce à son ton enjoué et son énergie solaire. Sarah, dans son ombre, avais mis un peu plus de temps à sortir et à discuter avec des enfants de son âge. Il n'était pas nombreux à Isslot : une dizaine d'ado qui avaient tous grandit ensemble, mais qui les avait accueillis joyeusement. Si Sarah parlait peu et se méfiait beaucoup, d'autres remplissaient sans difficulté le vide de parole qu'elle laissait. Elle s'était habituée doucement à Emmanuel, qui parlait sans cesse pour ne rien dire, et à Célia, qui acquiesçait furieusement chacune des répliques du jeune homme. Ils étaient tous les deux un peu plus âgés qu'elle, mais terriblement attachant, et Sarah ne tarda pas à partager son temps libre entre Isabelle et les deux adolescents.

C'était Célia, qui, la première, avait eu le droit d'adopter un pokémon. Une petite Nosferapti qu'elle avait appelé Violette et qu'ils emmenaient voler dans les grottes troglodytes qui perforaient les falaises près du village. L'absence d'yeux du pokémon et la façon dont il allait évoluer fascinait Sarah. Elle se demandait de qu'elle façon cela se passerait, s'il changerait d'apparence en quelque jours ou en un instant. Est-ce que les pokémon souffraient en évoluant ? Est-ce qu'ils faisaient du bruit, s'illuminaient ? La curiosité qu'avait éveillé la nosferapti chez elle était insatiable, et Sarah, soutenue pas Isabelle, avait vite prié Stella d'accepter la venue d'autres pokémons que les Arcanins de la grand-mère dans leur grande maison trop vide.
Stella avait tenue bon jusqu'à leurs quinze ans, âge où elle estimait les jumelles capable de s'occuper correctement d'animaux. C'est ainsi qu'elles avaient accueilli Soie et Élise, la goupix d'Isabelle. La venue du Minidraco avait changé la façon de voir le monde de Sarah. Si elle avait toujours été couvée par Isabelle et sa mère, c'était maintenant à elle de s'occuper de Soie toute seule, et elle adorait cette nouvelle responsabilité. Elle aimait prendre soin du pokémon, découvrir tous les jours un peu plus de ses capacités, voir comment il grandissait, le dessiner quand il dormait, roulé en boule sur le parquet ensoleillé. Elle avait envie d'en apprendre plus, de connaître les habitudes de vie des autres pokémon, mais la section qui leur était dédiée à la bibliothèque du village était décidément bien trop peu fournie pour pouvoir répondre à ses questions.
Dès ses seize ans, Sarah avait commencé à se sentir à l'étroit dans les ruelles d'Isslot. La vallée entière était devenue sa maison, mais elle considérait toujours Edelsten comme l'endroit où étaient ses racines. Les grottes, les quelques pistes de ski en hiver, les concours de pâtisserie, les pâturages et les troupeaux de Farfaduvet en été lorsque le temps était clément, elle en connaissait les moindres détails et avait de plus en plus la sensation d'en avoir fait le tour.

D'aucuns aurait parié que ce serait Isabelle, la pétillante, sociable et enjouée Isabelle, qui souhaiterait partir étudier dans la grande ville. Mais la jeune fille avait clairement exprimée le souhait de reprendre l'élevage d'Arcanins de leur grand-mère, et était bien plus attachée à Isslot que ne l'était Sarah. En grandissant, les jumelles s'étaient peu à peu éloignée l'une de l'autre, et même si leur complicité d'enfant n'avait pas disparu, leurs aspirations, leurs espoirs et leurs idéaux étaient désormais bien différent. Alors Sarah partirait étudier à Belagora. Dans une communauté aussi petite et traditionnelle, rares étaient les enfants qui partaient faire des études supérieures, et encore moins les jeunes filles. C'était une fierté, et, au-delà de sa simple curiosité et de sa soif de connaissances, Sarah savait la chance que lui avait offert sa mère d'avoir pu être aussi libre, de pouvoir s'en aller. Elle partait beaucoup pour elle, évidemment, mais aussi un peu pour Célia, qui avait été marié à quinze ans à un homme deux fois plus âgé qu'elle, alors qu'elle nourrissait le rêve secret de devenir dresseuse. Elle voulait porter ce rêve-là au-delà des pics blancs des Milles Sommets.

Elle était arrivée à la fac de Belagora prête à dévorer le savoir qu'on lui donnerait, avide de comprendre le pourquoi du comment. Et elle n'avait pas été déçue, même si plusieurs points l'avaient quelque peu fait déchanter. Son cursus, « Biologie et évolution des pokémons », rassemblait des étudiants des quatre coins du Septrion, mais sur deux centaine d'étudiants dans l'amphithéâtre, elles n'étaient qu'une vingtaine de femme. Le mépris de certains de leurs collègues masculins dans les rangs étaient supportable, mais celui de leurs professeurs l'était déjà beaucoup moins. Quelques-uns, même s'ils évitaient de le dire trop fort, pensaient qu'elles n’avaient aucun potentiels et qu'elles prenaient les places d'élèves plus prometteurs. Sarah avait vite compris qu'elle devrait travailler plus vite et mieux que la plupart des autres étudiants pour prouver sa valeur et son mérite, sa légitimité à s'asseoir dans l'amphithéâtre. Atteindre l'excellence, et la conserver. Cela ne lui faisait pas peur : sa mère lui avait appris à garder la tête haute.

Elle avait découvert l'univers de la grande ville, la foule, et même si toute cette nouveauté était excitante, elle s'était révéler incapable de se détendre et se forger de vraies amitiés. La première impression que lui avait fait l'université l'handicapait en alimentant sa méfiance, et elle avait finalement finie par abandonner, ne se contentant que de connaître de plus ou moins loin ses camarades et de participer au sorties cinéma entre filles. Elle avait continuer de sourire en toute circonstances, essayer d'être aussi enjouée que pouvait l'être Isabelle, et ce malgré les tensions qui secouait la ville ces derniers temps et l’angoissaient particulièrement. Dans les couloirs de l'université, les ragots allaient bon train et un nom courrait de lèvres en lèvres : Valys. Des indépendantistes dont la présence se faisait de plus en plus sentir, en témoignait les tracts qui passaient de mains en mains à la fac, et que Sarah préférait tenir éloignés de ses pensées. Puis il y avait eu la commémoration de l'armistice, où, en bonne progressiste, elle avait eu le malheur de se rendre. Quand les émeutes avaient commencées, elle s'était brusquement retrouvée parachutées dans les histoires de sa grand-mère, au sein d'une foule révoltée, en colère et haineuse, une partie de son peuple qu'elle n'approuvait pas et qui l'épouvantait. Elle s'en était extraite en bousculant et en marchant vite, n'écoutant pas les slogans hurlés dans un microphone, une mains fourrée dans la poche de son manteau pour s'assurer que Soie ne s'était pas enfuit. L'angoisse avait fait cogner une migraine infernal dans son crâne toute la nuit, que même le Minidraco n'avait pas réussi à apaiser. Elle n'était pas sortie de l'appartement les jours suivants, exténuée et confuse, comme revenue au temps de ses onze ans et de sa convalescence. Elle ne s'expliquait pas son état, ne comprenait pas le stress et l'inquiétude qui la secouait, et ne voulait surtout pas être contrainte de retourner à Isslot et de devoir avouer un échec. Il fallait redoubler d'efforts, ne surtout pas laisser de la marge à l'angoisse, se tenir éloignée des mauvaises pensées. Alors elle avait avalé ses cachets et était retournée dans les amphithéâtres. Mais l'atmosphère avait changé dans les rues de Belagora, une peur collante s'insinuait partout, dans les recoins des murs, dans les plis des vêtements. Impossible de se changer les idées. En quelques jours, la ville qui lui avait sembler être une porte de sortie s'était transformée en une prison d'anxiété qui ne faisait qu'alimenter ses sourdes angoisses. Alors il fallait fuir.

Assidûment, elle s'était mise à rédiger de maigres CV pour des demandes de stage en accord avec son cursus, un moyen de s'éloigner un peu de la ville pour lui permettre de souffler. Juste une accalmie songeait-elle. Elle devait être surmenée par les études, il fallait qu'elle parte au grand air... ou qu'elle change tous simplement de fréquentations. Oui, elle allait s’éloigner, pour respirer un peu mieux. Ce serait sa manière de garder la tête haute.

QUI ES-TU DERRIÈRE TON ÉCRAN ?-

Un joli sobriquet ? Mon pseudo officiel est Asyx, mais je vous laisse le soin de m'en trouver tous pleins d'autres.

Combien de printemps ? 17 pendant encore un bon bout de temps, je suis de fin d'année.

Comment as-tu trouvé notre cher forum ? Via le partenariat avec Pokémon Rebirth.

T'en penses quoi ? J'adore tous le soin apporté à l'univers du forum. C'est riche, cohérent, et super agréable comme base à l'écriture. Félicitations aux staff pour ce travail de titans !

Ton poké préféré ? Zorua

Dis-moi, n'as-tu pas trouvé quelque chose de bizarre dans le règlement ? Romain et Jean-Eudes mangent du Mimigal grillé à Hoenn.