HISTOIRE

J’aimerai dire que mon histoire est ‘banale’. En fait, j’aime à le croire. Je pense que les habitants du Septrion ont plus d’histoires ‘hors normes’ à raconter que l’on veut bien nous faire croire. Tout un peuple ne peut pas être formé sur le même moule, pas tout en souhaitant conserver son individualité. Disons alors que mon histoire est banale, mais que pour une raison qui m’échappe, elle me place en dehors de la norme. Edelsten est ma ville de naissance, tout comme celle de mon père, Michal Helm, et de ses parents avant lui. Je peux remonter sur dix ou douze générations, tous les membres de ma famille du côté de mon père sont nés à Edelsten. Ma mère ? Ma mère vient d’ailleurs. C’est peut-être la première ‘tare’ qui est censée prouver au monde que ma famille est ‘étrange’. Ma mère, Eléanore, est originaire de l’Austrée. Et c’est à peu près tout ce que je peux dire sur elle. Tragique ? Peut-être. J’aurai préféré que ce soit le temps et la vie qui nous sépare, mais l’histoire est tout autre. Je ne l’ai juste pas connue. Décédée au terme d’une longue grossesse difficile, le fait que je sois née durant les mois d’hivers, lorsqu’aucun médecin n’a pu faire le déplacement à temps fut son coup fatal. A moins que le racisme ambiant n’ait retenu la bienveillance de nos voisins. Je ne sais pas. J’ai du mal à la comprendre. J’ai du mal à comprendre comment une femme a peu tout quitter pour aller s’installer dans une région aussi... intolérante. Une région qui fonctionne à l’envers.

De ce que j’en sais, leur histoire sort pratiquement d’un semblant de conte de fée. A moins qu’elle m’est été romancée. Mon Père a rencontré ma mère lors de l’un de ses voyages d’études en Austrée, lorsqu’il était encore un jeune scientifique subordonné de mon grand-père. Une aberration en soi. Je suppose que cela explique pourquoi lui-même a toujours été ‘l’étrange’ du coin. Contre les souhaits de sa famille, mon père s’était mis en tête d’étudier la flore d’un autre pays que le sien et selon lui, il a ramené au pays la plus splendide des fleurs : ma mère.

Pour sûr, accueillir une étrangère a dû en déranger plus d’un, et surtout, faire capoter d’anciens arrangements d’entre familles... mais qu’importe, ils s’aimaient. Un peu trop, juste un peu trop. Eléanore s’est donc installée loin de chez elle, avec son amant, son fiancé, son compagnon et finalement, son époux. Est-ce que l’amour justifie cette folie ? Un couple mixte, un lien entre deux régions qui se haïssent depuis des générations. Un lien hors norme, qui n’a que faire des querelles, qui n’a que faire des guerres passées. Pourtant, l’un comme l’autre, chaque famille a été touchée. Celle de père, comme n’importe laquelle... celle de Mère, je ne peux que l’imaginer. Sans jamais entrer dans les détails, Père me raconte parfois... ces temps de privations, ces temps durs et compliqués où son voisin est un ennemi avant d’être... juste un être humain. Terrible époque, les ‘Helm’ n’en sont pas sorti indemne. La trahison de Père explique... sans excuser. Elle explique pourquoi je n’ai pratiquement aucune famille. Pas de grands-parents, pas d’oncles, ni de tantes. Ils existent, mais... n’ont pas pu supporter la peau dorée de Mère. Ils n’ont pas pu supporter les enfants métisses... car oui, enfants il y a eu.
Quelque temps après, mon frère ainé a vu le jour, non sans difficulté. Erik Helm, successeur tout désigné de la lignée et des recherches qu’il a fallu reprendre de zéro, sans soutien. Egalement mon ainé de près de quatorze ans. Pourquoi une telle différence ? Parce que Eléanore et mon père ont toujours eu des difficultés à concevoir, et surtout, à garder la grossesse jusqu’au terme.

Voici le tableau dans lequel j’ai vu le jour. Mon père, dévasté par la perte de sa femme, devant du jour au lendemain s’occuper d’un nouveau-né, tout en élevant son fils ainé pour qu’il prenne la succession de son laboratoire de recherche. Mon frère, dans la pire période de l’adolescence qui se retrouve avec une sœur dont il ne voulait pas et sans mère. Evidemment, de la ‘famille’ plus ou moins éloigné ont proposé de l’aide, juste par obligation, après nous avoir coupé... mais puisque ‘cette femme’ n’était plus de ce monde. Ils ont proposé de me prendre à leur charge... car je ne ressemble pas à une Austrienne, pas physiquement. Ils auraient pu rattraper les ‘erreurs’ de Père, faire de moins une véritable Septrionnienne, malgré les tares de la génétique je suppose.

« Que ferait un homme veuf avec une petite fille à élever ? Tu n’en seras pas capable ! C’est tellement plus compliqué de s’occuper des filles... Puis, c’est le temps que tu trouves une nouvelle compagne, plus jeune de préférence...Puis, tu sais.. »

Cruel ? C’est pourtant la norme de mon pays. Mon père a refusé, plus ou moins gentiment... non, il a plutôt expédié tous ces gens ‘bienpensants’, loin, très loin de sa maison, au point de couper les ponts avec certains, avec tous.

Il a essayé. Vraiment essayé, je le pense sincèrement, mais je ne faisais pas le poids. Face à ses recherches, face à l’idée de développer l’intérêt de la science de Erik, je ne faisais juste pas le poids. Je me souviens, c’est certainement un de mes premiers souvenirs, de Père et Erik, fourrés des heures et des heures entières dans le laboratoire adjacent à la maison, ou dans la serre, discutant avec tellement de ferveur ! A côté, je peinais à rivaliser quand ma meilleure production consistait en un vague dessin de fleur qui n’existe pas vraiment. Durant mes premières années, Père a toujours eu du mal à montrer son intérêt, ou son enthousiasme sur mes progrès. Coincé entre l’idée de la place des femmes dans ce pays, l’ignorance du fonctionnement d’un enfant humain. Comme si de moi-même, j’aurai dû me tourner et développer une passion dévorante pour le rose, les frou-frou, la pâtisserie et le ménage.

Mouais.

Je t’aime beaucoup Père, mais... il aurait fallu me donner un autre exemple pour ça

Evidemment j’ai toujours voulu me mêler des ‘affaires des garçons’. Evidemment je passais mon temps à suivre mon frère partout, au grand dam de ce dernier. Evidemment, j’ai été réprimandée pour ça.

Du moins, au départ. Un jour, tout a changé. Au terme d’une dispute nocturne –Non, je n’étais pas endormie-, mon frère a claqué la porte de la maison, sans se retourner. J’avais six ou sept ans, lui vingt et un, et une grosse envie de s’émanciper et de prendre son avenir en main. Je pense que la recherche ne l’intéressait pas tant que ça. Est-ce que je lui en ai voulu ? Beaucoup, comme une petite fille qui en veut au grand méchant qui a fait souffrir son père. Mais je ne l’ai plus revu depuis...alors, à quoi bon ?

Tout a changé car désormais, j’avais toute l’attention de mon père. Toute son attention, à partager avec ses recherches... alors, pourquoi ne pas lier les deux ? Deuxième, troisième, dixième détail étrange à propos de ma famille je suppose : mon père s’est mis en tête de faire de moi sa successeuse. Il s’est mis en tête de parfaire mon éducation, d’aller plus loin, beaucoup plus loin que ce que d’autres parents accordaient à une fille. J’étais si heureuse de pouvoir enfin mettre les pieds dans le laboratoire, d’apprendre toutes ces nouvelles choses à propos des pokemon, des plantes, de la forêt des illusions. Evidemment, l’impact sur ma scolarité a été... immédiate. Moi qui avait déjà du mal à nouer des relations amicales avec les enfants –avec les filles- de mon âge, le fait que je préfère passer mon temps libre à courir dans les bois au lieu de jouer à la poupée ou à me rendre à des pseudo-goûter a été le coup de grâce.

Je mentirai en disant que cela ne m’a pas touché. Oui, j’avais l’attention de mon père, oui, j’avais enfin ses félicitations, mais je n’en recevais pas de la part de qui que ce soit d’autre. Ni vrais amis, ni vraie famille. Je mentirai en disant que mon adolescence a été une partie de plaisir. Surtout quand la grosse majorité des filles de mon âge avait deux sujets de conversations principaux : les garçons et leur future vie de famille.
Je n’ai jamais eu le moindre intérêt ni pour l’un, ni pour l’autre.

Je ne me souviens plus le nombre de fois où j’ai dû me ‘justifier’ de ne pas avec de crush pour tel ‘beau gosse’, ou que j’ai dû feindre l’envie d’avoir deux, trois, quatre ou cinq ‘mini-moi’. Tout ça pour quand même être moquée. Je me souviens des commentaires, ce sont les pires. Quand on parle de toi, sans oser venir te le dire directement. Les rumeurs, les racontars. Je me souviens de ces gens cherchant toujours à savoir « ce qui n’allait pas chez moi ». Comme si j’étais cassée, un objet à réparer. A cet âge, on ferait tout pour se fondre dans la masse, mais même la masse ne voulait pas de moi. Ma confiance en moi en a pris un sacré coup.
Petit à petit, j’ai juste... arrêté. J’ai arrêté de m’intéresser à ces gens, à leur avis. J’ai arrêté de vouloir me justifier, de vouloir défendre mon père qui m’élevait « si mal ». J’ai juste arrêté de me défendre, et j’ai commencé à répliquer. Quitte à appuyer où ça fait mal.

Si je ne me suis jamais intéressée sérieusement aux garçons, j’ai commencé à développer, au début de ma vingtaine, un très grand intérêt pour la gente féminine. Cela coïncide avec le fait que j’ai commencé à aider mon père au centre pokemon. Fini de passer cent pourcent de mon temps en solitaire, dans la forêt ou dans mon laboratoire. Le centre pokemon d’Edelsten draine énormément de personnes. Beaucoup sont de passage. Beaucoup sont originaires d’ailleurs, de l’Austrée, de Thacie, ou même d’autres continents. Les mœurs ne sont pas pareils là-bas et toutes ces rencontres n’ont fait que confirmer ce qui était pourtant flagrant : Je suis attirée par les femmes. Uniquement les femmes.

La comparaison est vaine mais... juste, regardez-les ? Comparez un homme et une femme et osez me dire que j’ai tort. La délicatesse, les formes, la variété, la douceur... ce n’est juste pas pareil. J’en viens parfois à me demander ce que les autres femmes peuvent trouver aux hommes qu’elles n’arrêtent pas de couvrir d’éloges creuses.

Mon intérêt s’est fixé sur une femme en particulier : Liv. Liv d’Isslot. Quelques années plus jeune que moi, en transit prolongé à Edelsten. Je ne sais pas pourquoi elle a décidé de rester plusieurs mois dans ma ville et à l’instant où je l’ai aperçue, je suis tombée sous son charme. Fort. Très fort. La première fois que j’ai ressenti de tel sentiment. Une dresseuse qui faisait le tour des arènes. Notre amitié fut... évidente. Basée sur cet amour commun des pokemon, sur son intérêt à faire de l’un de ses êtres qui court dans la forêt des illusions son partenaire. Je l’ai aidée, je l’ai écoutée, j’ai adoré son rire, sa manière de voir le monde. Je l’ai soutenue. Pour moi, c’était l’évidence même. Je suis stupidement tombée amoureuse, et elle a fait de même. Pour un temps.
Bien sûr, cette relation, je l’ai cachée du mieux que j’ai pu. Parce qu’elle ne voulait pas que cela se propage, parce que... parce que tout un tas d’excuses pour qu’on ne nous voit pas enlacée, ou main dans la main.
Les rumeurs ont quand même enflé, nous passions trop de temps ensemble. Deux jeunes femmes, célibataires, sans prétendants sérieux... le scandale. Un autre à ajouter sur ma pile. Je m’en foutais, j’étais heureuse. J’aurai dû m’en foutre.

Les semaines se sont transformées en mois et, pour moi, nous filions un parfait amour.
Pourtant, ce n’était pas suffisant. De plus en plus, Liv recevait des courriers ‘inquiets’ de sa famille, et même d’amis. Ils ne comprenaient pas la situation, pourquoi son tour s’était arrêté à Edelsten si longtemps.

« Tu pensais que l’on serait ensemble pour toujours ? »

C’est sur ce ton presque moqueur que j’ai su que tout était fini. Que pouvais-je lui offrir à part mon affection ? Je n’ai ni famille, ni soutien, ni la possibilité de subvenir aux besoins d’une famille, aux besoins d’enfants... puis je ne pouvais même pas lui ‘donner d’enfants’.

« ça ne pouvait pas être sérieux »

Alors elle est repartie. Sans tour des arènes, je doute qu’elle l’ait même terminé. Amèrement, j’ai reçu tour à tour un faire-part de mariage, puis celui d’une naissance. Et encore d’une autre. Je doute qu’elle ait gardé un soupçon de la personne dont je suis tombée amoureuse... le résultat me laisse tout de même un goût de gâchis et d’inachevé.

Pour me remettre, je me suis plongée dans mon travail. Fort. Pour l’oublier. J’ai commencé à publier mes articles, à affronter la communauté rétrograde de mon pays. J’ai pris le laboratoire en main, si bien que mon père a fini par m’en laisser la pleine gestion pour se consacrer à sa retraite. Il n’approuve pas tout ce que je fais, ni tout ce que je suis, mais n’essaie pas de me changer. Douloureusement conscient qu’il est responsable de ce que je suis devenu. J’ai continué à donner un coup de main au centre pokemon, notamment pour tester et mettre en place des protocoles de soins à base de remèdes naturels. Ma passion pour les pokemon, la flore et la recherche ne s’est jamais éteinte et ne s’éteindra jamais. Ma passion pour les femmes ne s’est pas calmée... même si ma liste de conquêtes se résume essentiellement à des relations de passage. Une nuit, pas de lendemain.Plus de lendemain. Il n’y en aura plus. A cause de Liv ? Ne lui donnons pas ce pouvoir. Celle que j’ai connue n’existe plus, rattrapée par les normes et les conventions qui ne m’ont jamais intéressées. J’ai un besoin de liberté. Un besoin d’ailleurs, un besoin de voir autre chose, de connaitre autre chose. Difficile de se fixer quand on ne planifie pas de rester longtemps quelque part.

Je suis la chef de ce petit laboratoire familial, et ce n’est pas facile tous les jours. Le travail s’amoncèle, et les financements et le recrutement d’assistants sont souvent difficiles. Pourquoi ? Parce que j’ai le malheur d’être du ‘beau sexe’.

Ils ne vont pas me faire plier. Si tous les autres n’y sont pas parvenus, personne ne le pourra.
Je suis fière de ce que je suis devenue. On ne me l’enlèvera pas.

QUI ES-TU DERRIÈRE TON ÉCRAN ?-
Un joli sobriquet ? Aisiah, mais Lucie ira très bien  
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Comment as-tu trouvé notre cher forum ? Alex’ m’en a parlé, j’ai décidé de suivre la hype  
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