Le boulot d’un professeur pokémon ne s’arrête jamais vraiment. C’est con, mais c’est comme ça. Même avec tous les assistants du monde, et avec l’aide occasionnelle d’Alma, j’ai toujours une montagne de choses à faire. Je comprends de plus ne plus pourquoi nombre de mes collègues s’entourent d’une armée de scientifiques, mais aussi d’une armée de pokémon, prêts à les aider pour des travaux plus simples et triviaux. Alors, oui, quelque part, moi aussi j’ai de l’aide de ma petite troupe, mais ils me causent plus souvent des ennuis qu’autre chose. Winston est un bon compagnon lors des trop longues soirées, mais il a tendance à mettre du jus de baies sur mes feuilles. Lumila est une bonne lampe de chevet mais… la miss s’est mise récemment à émettre les spores caractéristiques de son espèce, et donc à m’endormir moi et les autres par la même occasion. Rosie est d’une aide indispensable dans la serre et pour l’arrosage de mes plants de baies mais… elle arrose aussi un peu trop souvent l’intérieur du laboratoire, avec son enthousiasme débordant. Wattson, lui, m’a déjà causé deux courts-circuits en voulant coller le disjoncteur d’un peu trop près.
Reste Lucebel, et nos débuts très houleux qui m’ont coupé bien trois plants de baies Tamato presque à maturité. Cependant, je pense avoir trouvé un petit job à la mesure de ses talents… destructeurs. Depuis quelques jours, la monorpale est assignée à la garde de la serre. Pas qu’il y ait de nombreux dangers, mais le laboratoire reste en périphérie de la ville, proche de la forêt des Sycomores, et avec la récolte bientôt, j’ai peur qu’une bande de Zorua viennent se servir comme l’année passée. Après tout ce temps que nous avons consacrés à la pousse de ces plants, il n’est pas question que je ne récolte pas les fruits de notre travail ! Cela tombe bien, parce que cette période est celle que je préfère. J’adore mettre mes bottes de caoutchouc, prendre un grand seau, et récolter les baies arrivées à maturité. J’en propose toujours quelques-unes à mes pokémons, je conserve le reste pour mes recherches et ma consommation personnelle.

Je me suis levée bien tôt pour cette longue journée qui m’attend et toute la petite troupe est au pied de guerre pour m’aider. Mon équipe s’est tellement agrandie ces derniers mois, que je me demande où je vais m’arrêter… certainement pas de sitôt ! Panier dans les bras, cheveux noués et prête au travail, je me rends dans la serre adjacente au laboratoire. Une chance de ne devoir faire que quelques pas pour m’y rendre ! D’étonnante bonne humeur, je déverrouille… la porte déjà déverrouillée ?
Oh-ho… je suis persuadée de l’avoir fermée hier soir. Lentement, je tourne la poignée et me retrouve nez à nez avec un véritable champ de bataille. Des plans saccagés, au sol, vidés de leurs précieuses baies ! Non, je dois cauchemarder, ce n’est pas possible ! Comment … ? Luce’ devait pourtant monter la garde et… et où est-elle passé d’ailleurs ?!

« Luceee’ ? » Ne me dit pas qu’elle s’est amusée à ruiner mes efforts quand même ? Je sais qu’elle n’a pas aimé servir de taille-haie, mais quand même ? La monorpale contourne la serre et se présente à moi… rapidement, elle comprend mon désarroi face à ce carnage et panique ? Elle semble tout aussi étonnée que moi. Et énervée aussi « Tu… tu sais ce qui s’est passé ? »

La petite troupe a commencé à investir les lieus, et divers cris d’étonnement se sont entendre… Notamment Wins’, qui attendait avec impatience la maturation des baies pêcha de cette année. Je ne sais pas qui a fait ça, mais oser s’en prendre à mon verpom, même indirectement, c’est signer son arrêt de mort… ! La monorpale et moi-même échangeons un regard entendu. On n’est peut-être pas les meilleures amies du monde, mais nous partageons une fierté du travail bien fait. Je fais quelques pas dans la serre, et dépose le seau qui restera bien vide cette année.

« Wins’ ! Viens mon cœur » La petite pomme roule tristement dans ma direction et la récupère dans mes mains pour la consoler. « Je sais… je sais, mais j’ai besoin de toi. » Maintenant que le nombre de mes pokémon a augmenté, j’essaie de déléguer quelques tâches à Winston. Il est le plus ancien, et sait comment je travaille. Puis les baies supplémentaires qu’il recevra au déjeuner est une belle récompense. « Rassemble les autres, et essayer de trouver si quelques baies ont survécu. Vois avec Lumila si les plants sont sauvables. Je m’occupe de trouver le coupable avec Luce’, okay ? Je reviens vite. »

Le verpom acquiesce… comme un verpom peut le faire, avant de s’occuper de ce que je lui ai demandé. Luce’ et moi avons du travail de recherche à faire… et on va commencer tout de suite.

Je ne sais pas qui est coupable de ce crime, mais il ne s’en sortira pas comme ça ! Pas sans quelques remontrances bien senties de ma part en tout cas ! Certains de ces plants sont extrêmement compliqués à entretenir sous ces latitudes, d’autres, mettent juste des semaines et des mois avant qu’on puisse entrapercevoir la première fleurs… et je ne parle même pas de celles qu’il faut polliniser à la main parce que la serre ne pas de bombidou attribué à cette tâche. Bref, beaucoup de travail, et je ne suis même pas sûre de pouvoir sauver suffisamment de fruits pour le goûter de mes pokémon. Ces derniers se sont mis en chasse d’un petit miracle, sous les indications de Wins’. Quand il est en présence d’amis, il en oublie sa timidité. D’ailleurs, il est même plutôt curieux et toujours content de rencontrer des inconnus… sauf s’ils font quoique ce soit pour lui faire peur, ou que je me situe un peu trop loin à son goût. Devoir s’acclimater à l’arrivée de nouveaux dans l’équipe l’a un peu changé, un peu forcé à dépasser ses craintes aussi, pour le meilleur. Et le voilà à les mener tranquillement. Cette petite pomme tremblotante a bien grandi, je serai presque nostalgique de l’époque où il poussait de petits cris quand je changeais de pièce sans lui. C’était avant qu’il se rende compte qu’il pouvait me suivre, évidemment.

Mais trêve de réflexion sur mon adorable verpom, je n’ai pas une journée à perdre, malheureusement. Une chose est sûre, vu les dégâts, on peut déjà éliminer une intervention humaine. Puis, Luce’ n’aurait laissé entrer personne sans mon accord. Un pokémon alors ? Mais lequel ? Il me semblait avoir renforcé la serre suffisamment, notamment contre les bandes de Zorua qui trainent dans la forêt. Aucun pokémon aussi gros aurait pu se faufiler, j’en suis certaine. Plus petit alors ? Pas un spectre, je n’en vois pas les traces. Hmm, étrange mystère. Un spododo aurait pu s’inviter, c’est sûr, mais il ne dévore pas les fruits de cette manière, alors qui ? A mes côtés, la monorpale est aux aguets, plus habituée à la confrontation qu’à la réflexion. Pour sûr, elle n’attend qu’un geste de ma part pour aller taillader… n’importe quoi. Je ne suis même pas sûre qu’elle attendrait mon feu vert.

« Doucement. » Je m’adresse toujours un peu fermement à elle. Sa tête est aussi dure que son type acier. « Ne commence pas à vouloir tout découper. »

La monorpale proteste, et me dépasse pour fouiner dans la serre. Je roule des yeux, m’intéressant plutôt aux murs, à la recherche d’indices. Je doute que le coupable soit encore à l’intérieur, vraiment. Ma petite troupe s’active maladroitement, sous les gazouillis innocents de Rosie qui n’a pas vraiment l’air de comprendre la situation à 100%. Elle est juste contente de porter le seau qui se remplis de branches arrachées, et de quelques pots brisés. Ah… je ne sais pas ce qu’il lui est arrivé avant que je la recueille, mais c’est un vrai rayon de soleil, quand elle n’invoque pas la pluie, évidemment. Un bruit soudain me tire de la contemplation de mes petits bouts et je me retourne pour voir ce qui se passe. Lucebel pousse et gratte le tas de sac de terreau que je stocke dans le fond de la serre, a-t-elle trouvé quelque chose… ? Ou un pokémon ? La monorpale pousse son petit cri métallique de bataille et dégaine sa lame, je me précipite immédiatement pour l’arrêter.

« Luce’, non ! Attends, laisse-moi voir »

Elle proteste et bougonne, toujours à l’affut dans mon dos alors que je penche pour regarder ce qu’elle a trouvé. Hm, je ne vois rien… peut-être derrière ? Difficilement, je déplace la pile de sacs, jurant intérieurement de trouver un système plus simple de rangement. Je m’arrête quand je l’aperçois enfin. Une petite boule de poils verte et blanche… je ne reconnais pas ce pokémon ? Deux fleurs rose pâle également ? Je n’ai jamais vu cette espèce dans la forêt, mais elle est familière et…

Oh. Oh ! Non, non, non, ce n’est pas possible ça. C’est un shaymin ?! Le dieu de la montagne ? Dans ma serre ? Et qui s’est visiblement régalé de mesbaies ?! Je dois rêver c’est impossible. Aussi proche d’une implantation humaine ? Un coup de chance ou… dois-je être flattée qu’il a dévoré tout mon dur travail en une nuit ?

« Hey… ça va bonhomme ? » Face à cette bouille adorable, difficile d’être autre chose que douce. J’essaie d’approcher ma main, doucement. « C’est toi qui as tout mangé ? »

Je dois être en train de rêver. C’est forcément un rêve, non ? D’ici deux-trois minutes, je vais me réveiller dans mon lit, enterrée sous un tas de pokémons qui ronflent et me dire que j’ai dû manger un poil trop épicé avant d’aller me coucher. Oui, c’est ça. Pour quelle autre raison il y aurait une véritable divinité dans ma serre ? La divinité de ma région en plus ?! Si bas, si loin des montagnes d’air purs ? Ah… hm, force est de constater que je ne me réveille pas, que Shaymin est toujours là, et qu’il a plus que visiblement dévoré la majorité de ma récolte de baies. Oh, et que Luce’ a très envie de lui faire passer un sale quart d’heure pour avoir osé passer à coté d’elle et trompé sa vigilance. Je ne lui en veux pas tellement pour ce dernier point, vu la taille de ce pokémon, sa couleur, il passe largement inaperçu dans l’herbe. J’imagine quand même à quel point son orgueil doit être blessé. Un foutu orgueil qui lui ferait s’attaquer à un dieu, mais un orgueil qui la pousse toujours à exécuter ses taches avec soin… à condition qu’elle considère la tâche comme étant digne d’elle, évidemment.
Faisant bouclier de mon corps pour éviter un combat inutile qui risquerait non seulement de mal tourner, mais également d’endommager ce qui reste de ma serre, j’essaie de rassure le petit hérisson vert. Ma … question est rhétorique, car avec son ventre si rond et le jus de baie que je peux clairement voir sur ses poils blancs, impossible de me tromper. Je stoppe ma main en le voyant ses piquants s’hérisser. De loin, on dirait de la pelouse tendre, mais j’imagine sans mal que ça doit quand même piquer un peu. Shaymin semble également me comprendre… et me fait un petit geste de la tête pour me répondre.

‘Non’ ?

J’arque un sourcil. Il est sérieux ? Il va en falloir un peu plus pour me convaincre. Je parie qu’il s’est faufilé cette nuit, et qu’après avoir fini son orgie, il s’est retrouvé coincé à cause de… hm, sa légère prise de poids. Comme quoi, on peut être un pokémon de légende et ne pas être forcément ni très sage, ni très malin. S’il n’avait pas cette bouille absolument adorable, j’aurai laissé Lucebel s’occuper de lui mais… Awn, je craque. Il ment comme un pied, mais je craque complètement.

« Tu as littéralement un morceau de baie pêcha dans le pelage… tu sais ? » Délicatement, sans brusquer, j’attrape le morceau en question et lui montre dans le creux de ma main. « Là, tu vois ? J’ai mis du temps à faire pousser ces baies… Elles étaient bonnes, au moins ? »

Dans mon dos, le reste de la troupe s’affaire pour trouver des rescapées… alors que la monorpale plane, certainement bougonne et fusillant de l’œil le hérisson tout rond.

Quel mauvais menteur ! D’une naïveté d’enfant également. Il faut croire que les histoires sur ses prouesses sont peut-être légèrement exagérées ? Aucune idée. J’ai un certain respect pour les croyances d’autrui, mais je ne me suis jamais vraiment intéressée au culte entourant ce petit dieu tout vert. Difficile à croire qu’il est le représentant du Septrion, tant il est à mille lieu de la rudesse dont les habitants du Nord peuvent faire preuve. Que du contraire même, il est tout rond -très rond-, et je l’imagine sans mal très doux à caresser quand il n’essaie pas d’utiliser ses piquants. Je ne sais pas encore très bien que faire de lui. Pour sûr, il n’est pas mon pokémon et ne le sera jamais. Je n’ai pas le cœur à prendre revanche de son affront, mais le laisser partir sans rien ? Juste ‘salut, à la prochaine ?’, alors qu’il s’agit de la rencontre d’une vie ? Est-ce mal de vouloir de faire durer un peu plus longtemps ? Après tout, ce pokémon plante doit être tout aussi intéressant à étudier. On dit qu’il possède la capacité de purifier l’air le plus sale, de le rendre si pur. Ça, et aussi que ses fleurs sont directement liées à son état émotionnel. Ses deux fleurs sont bien roses et éclatantes, alors je suppose qu’il se sent bien… et savoir que c’est en lien directement avec ma production de baies m’emplit d’une étrange fierté.

Sa bouille adorable me confirme d’ailleurs qu’il s’est régalé… et vu comment il a gobé le restant de baie pêcha de mes doigts, j’imagine qu’il ne s’est arrêté que lorsqu’il a eu fini de dévorer tout ce qui est à sa portée. Hé… faut croire que j’ai un petit talent pour le jardinage, au final. Même si je ne suis pas la seule à m’occuper de cette serre, évidemment. C’est un travail collectif.

Plus rassuré, le petit dieu sort de sa cachette. Il est si petit… et pourtant, j’ai l’habitude des pokémon de petite taille ! Je me recule doucement pour lui laisser l’occasion de faire quelques pas. Il lève son museau, curieux de l’agitation que cause mes pokémons… et son enthousiasme se fane. Il m’a l’air… un peu honteux ? Il est vrai que le panier de baies de ma troupe est bien peu rempli, et qu’il est difficile pour Wins’ ou Watt’ de ne pas se montrer déçu de la taille réduite de leur goûter. Dire que Watt’ se faisait une joie d’enfin goûter à cette première récolte avec nous, que Lumila s’est occupée de la vitalité de certains plants malades, que Rosie a tout arrosé sans faillir… Et même si cette dernière est toujours un peu perdue dans son monde, j’aurai aimé lui montrer les fruits de son travail. Je me sens aussi un peu peinée… mais le petit dieu ne l’est plus très longtemps !
Gazouillant, il part rejoindre le reste de la troupe, bien affairée un peu partout dans la serre. Il les appelle ? Un à un, mes pokémon se rendent au centre, et entoure Shaymin. Evidemment, chacun à sa propre réaction, lui ressemblant si fort. Rosie s’est juste approchée, sans penser à rien, répondant à ce gazouillis par un autre, très chantant. Wins’ m’a d’abord jeté un petit regard, inquiet, avant de finalement rouler dans sa direction. Lumila, quant à elle, reste perchée sur une branche d’un plant de baie Rabuta, tête à l’envers, observant de loin. Wattson, évidemment, s’est précipité quand il a vu les autres se rassembler, juste pour ne pas être mis de côté. Lucebel ? Encore septique, la monorpale reste à mes côtés, bougonne.

Un dialogue… s’entame ? Je ne peux pas très bien le comprendre, vu que tout le beau monde parle le pokémon, mais j’imagine plus ou moins ? Surtout Wins’, que je connais depuis très longtemps et dont les intonations me sont plus familières. Je suppose qu’ils discutent de la situation, de leur déception, mais aussi de l’état des plants. De ce que je vois, certains ont vraiment souffert d’avoir ainsi été arrachés et ils se demandent quoi faire. Hm, je m’approche doucement, parce que ça, c’est mon domaine.

« On doit retirer les branches trop endommagées pour que le plan garde des forces. Ce sera plus facile avec des mains, mais je vais avoir besoin d’assistants ! » je m’adresse alors au petit dieu, plutôt contente de le voir ainsi. « Tu veux nous aider ? C’est gentil… ça leur fait plaisir aussi. N’hésite pas si tu as d’autres idées. »

On a beaucoup de travail, beaucoup, beaucoup, mais tous ensemble, je sais qu’on peut y parvenir. Seule, je me suis déjà occupée de cette serre, après un raid de Zorua et ce n’était pas une partie de plaisir. Plusieurs jours, les mains dans la terre, en deuil de ces plants rares que j’avais mis des lustres à faire germer. Quelque part, la situation est semblable, mais pas pareille. Je ne suis plus seule pour m’occuper de cet endroit. Enfin, je suppose que si, puisque je reste la seule humaine… mais au diable cette espèce ! Incapable de s’entraider sans se cracher à la gueule, incapable de faire preuve de la moindre compassion sans cacher quelques pensées impures, ou malades. Entourée de mes pokémon, c’est certainement comme ça que je finirai. Isolée, seule, mais loin d’être aigrie. Cynique de ce monde, fascinée par sa beauté, enivrée du parfum de mes fleurs, c’est ainsi que je veux finir. Après avoir poser les yeux sur tout ce qu’il y a à voir, tout ce qu’il y a ressentir. Loin et proche de mon cocon.
Pourquoi aurai-je besoin d’autre chose que ce que j’ai sous les yeux ? Ces pokémon soi-disant cassés, rejetés, trop faibles, trop étranges, inutiles, ingérables… tous rassemblés autour d’un petit dieu trop gourmand pour son propre salut. Une vision qui ferait grincer des dents plus d’un dans cette ville, bien plus dans le reste de mon pays. Une bénédiction divine, gâchée sur une bande incapable de servir le bien commun sans causer de vague. Je n’abandonnerai pas. Temps que j’ai mes pokémon autour de moi, je n’arrêterai pas.
Alors, retroussons-nous les manches et mettons-nous au travail. Redressons les plants fatigués, ajoutons des tuteurs pour qu’ils tiennent bien droit, dirigés vers le timide soleil du Septrion. Ramassons le feuillage mort, les branches qui ont succombées, ajoutons-les à un compost qui aidera les survivants. Rassemblons les trognons, que Winston puisse s’occuper du reste des chairs et rejeter les graines dans le même souffle. Plantées et arrosées, elles donneront de nouveaux arbres, sains et magnifiques. Coupons les branchages trop lourds et malades, soulageons ceux qui peuvent l’être. Dans cet élan qui dévore les minutes sans que nous nous en rendions compte, même Lucebel finit par nous rejoindre… elle range sa lame, bien trop importante pour être utilisée à ce genre de tâche, mais sa main spectrale est si utile pour atteindre ce que même moi je ne peux. Au final, elle sait manier l’outillage humain aussi bien que moi.

La joie de Shaymin se transmet à tous, son enthousiasme également.

Ce qui m’aurait pris des jours, seule, ne nous a pris qu’une heure. Il ne reste plus qu’à refermer, et laisser la danse de Rosie s’occuper du reste. Nous devons réfréner ses ardeurs, tant la bonne humeur ambiante a failli à plusieurs reprises nous couter une belle averse sur la tête. Alors que nous rassemblons les outils, le petit dieu s’affaire et un air aussi pur que celui des plus hautes montagnes se répand dans la serre. Bientôt, de petites fleurs éclosent un peu partout, s’épanouissant comme un seul homme.
Une nouvelle récolte s’annonce. Tous, moi y comprise, nous sommes sous le charme de son pouvoir, presque abasourdi de le voir à l’œuvre. Si le petit dieu nous a causé bien des désagréments et déceptions, le voir travailler si dur et constater ce résultat… je pense qu’on peut bien mettre de côté toute idée de revanche ou de remontrance. Il s’est parfaitement acquitté de sa tâche.

« C’est… superbe ! » La danse de Rosie s’est stoppée que par une étincelle de Wattson, inoffensive, mais dissuasive quand même. Il n’aime pas plus que ça être mouillé à outrance. Ma bande -moins Luce’ qui cache bien son humeur dans son fourreau- gazouille gaiement. « Merci… merci beaucoup Shaymin ! On n’aurait pas pu faire tout ça sans toi ! »

Ou en tout cas, pas avec une si belle ambiance. Dans l’émoi, je m’éclipse discrètement, laissant mes pokémon faire sa fête au petit hérisson, bien gentiment. Tout travail mérite récompense, et tous, nous avons bien mérité cette fameuse récompense. Je reviens quelques minutes plus tard, les bras chargés de baies Stekpa, très sucrées, que je garde spécialement pour ce genre d’occasion. Enormes baies, même plus grosses que Wins’ ou Lumila. J’en dépose une devant chaque pokémon.

« Voilà la récompense ! régalez-vous ! »

Voilà une matinée qui se termine sur une note positive, finalement ! Ma serre est de nouveau belle et le parfum des fleurs remplit l’air qui nous entoure. Encore plus que d’habitude, même. Drôle d’impression. J’ai toujours vécu ici, même si j’ai beaucoup développé la serre, je l’ai toujours connue et Père l’a construite avant ma naissance. J’en connais chaque recoin, j’en hume le parfum depuis des dizaines d’années. Pourtant, pourtant… cet air doux et frais, dans lequel flotte des fragrances végétales, me semble bien nouveau, presque inédit. Un mélange entre nouveauté et familier. Evidemment, nous le devons à ce petit Dieu gourmand, mais également aux efforts combinés de chacun. Tous, nous avons tous bien mérité de faire une petite pause, et de profiter de cet instant avec une collation. Je m’installe au milieu de mes pokémons, les observant avec cette lueur… chacun d’entre eux est unique et je ne les remplacerai pour rien au monde. Chacun a son petit truc, sa particularité qui apporte un peu de piment à ce groupe et à ma vie en général. Si j’ai parfois du mal à me montrer magnanime avec les autres humains, ce n’est jamais le cas pour mes pokémon. Ou les pokémon en général. Leur présence illumine mes journées parfois bien monotones et solitaires… En commençant par Winston, évidemment, le premier à avoir pris le temps de percer ma carapace, même si son désir d’être en ma compagnie venait surtout d’une envie de rester en vie. Il n’empêche, sa persévérance à toutes épreuves malgré mes multiples tentatives pour le rendre à la vie sauvage m’a amenée ici : au beau milieu d’une troupe insolite de pokémons qui dévorent joyeusement des baies Stekpa. Tous ? Pas vraiment, car même si elle n’en dit rien, je sais que Lucebel n’est guère attirée par le fruit sucré… trop sucré à son goût. Elle n’en dira rien, par fierté, et c’est pour cela que je lui glisse quelques baies maron à sa portée.

Je n’aurai pas de remerciement en retour, mais qu’importe. La monorpale a été d’une grande aide et ce, même si elle n’aime pas tellement cette vie en communauté.
Un à un, j’observe mes pokémon. Wins’ dévore sa baie favorite sans plus de cérémonie, de même que Rosie. Ils s’en mettent un peu partout, mais cette scène est juste mignonne. Un peu à part, Wattson est… étrangement collé à sa baie. Sa bouche contre la chair du fruit, je ne suis pas certaine qu’il tente de croquer quoique ce soit, mais plutôt qu’il la pousse ? Je pense qu’il aime avoir l’attention sur lui, et je lui découvre un côté farceur qui me plait bien. Lumila, la spododo, pousse sa collation vers moi. Le fruit est bien trop gros, et elle n’a pas une bouche aussi grande que celle de Rosie, loin de là. Je m’empare alors du fruit et d’un couteau et le lui découpe en plus petit morceau. Elle est si discrète qu’il est facile de l’oublier.

Reste Shaymin, l’invité de la journée… qui a dû s’éclipser de son groupe de migration pour terminer ici. J’avais presque oublié que ceux de son espèce migrait une fois par an. J’imagine qu’il a été séparé de son groupe hier ou il y a quelques jours et… le voilà ? J’imagine également qu’il va aller les rejoindre. Il s’est si bien intégré que, égoïstement, je n’ai pas très envie qu’il nous quitte. Profitons de l’instant encore un peu, temps qu’il dure. De ce timide soleil nordique au travers du verre. De cette verdure nouvellement parée de fleurs. De cette atmosphère de fin de vacances d’été que je n’ai jamais vraiment connu. Lui aussi dévore sa baie avec un immense appétit, avant de rouler sur le dos, soufflant d’aise et définitivement repu. Il a quelques points communs avec Wins’, et une gourmandise qui pourrait rivaliser avec la sienne !
Finalement, le petit Dieu s’approche de moi, bien timide, et… décide d’entamer sa sieste digestive contre mes jambes ? C’est… amusant, plutôt inattendu aussi, et complètement adorable. Si je pouvais, je le serrerais bien fort contre moi, quitte à l’étouffer dans ma poitrine. Je me contente pourtant d’approcher une main douce, hésitante. Je n’ai guère envie de lui faire peur… mais je meurs d’envie de toucher son pelage vert et blanc. Est-il piquant ? Est-il comme du gazon ? La réponse est autre, puisqu’il est absolument doux et d’une étrange fraicheur. Je me perds dans quelques caresses, réalisant la chance, et même l’honneur que ce petit Dieu m’octroie. Pour une scientifique, c’est un comble. Je ne suis pas particulièrement croyante, mais je respecte ceux qui le sont pour les bonnes raisons.

« J’imagine que tu ne vas pas tarder à rejoindre les autres shaymins… » Je ne sais pas trop où mon train de pensées me mène, ou même si je blasphème mais bon. « Merci d’être venu, et d’être resté pour nous aider. Mes pokémon t’aiment déjà beaucoup, et moi aussi. »

Lumila, bien repue avec à peine à quart de baie, se hisse à son tour sur mes jambes. Son champignon lui semble presque trop lourd pour elle et elle avance de quelques centimètres à peine avant de piquer du nez sur mes cuisses. Ah, elle aussi va me faire fondre.

« Si tu avais envie de rester un peu, ou de revenir à la fin de la migration faire une halte dans ma serre, tu es le bienvenu. Evite juste d’emmener des dizaines autres petits gloutons comme toi, parce que je n’aurai pas assez de baies pour tout le monde ! »

Je ne sais pas si c’est mon impression, ou juste que je projette, mais j’ai la sensation que ce petit gars a envie de rester un peu plus longtemps avec nous. A moins que je ne fasse que l’espérer sincèrement. Il suffit de le voir, il suffit de le voir pour comprendre. Il suffit de voir le comportement des autres. Il suffit de voir Winston complètement à l’aise alors qu’il est en présence d’une entité complètement inconnue et inédite. Oui, je suis là. Oui, il n’est pas seul et est en territoire connu, mais il ne regarde pas par-dessus son trognon, ni ne sursaute. Il suffit de voir Lucebel, flottante, menaçante, dans toute sa splendeur, mais qui n’a pas essayé une seule fois de lever sa lame contre lui après le premier incident. Oh, elle n’essaiera sans doute jamais vraiment de faire ami-ami avec lui, ou du moins, ça n’y paraitra pas, mais elle est encline à passer l’éponge pour l’instant. Ce n’est pas rien. Il suffit de voir Watt’ s’approcher, pour finalement venir ébouriffer le pelage du petit Dieu avec ses étincelles. Toujours à la recherche de nouveaux ‘membres’ pour son banc, on dirait qu’il vient d’accepter celui-là. Il suffit de voir Rosie, toujours un peu lente et perdue dans son monde, être complètement imperturbée par sa présence. Comme si Shaymin avait toujours été là. Il en est de même pour Lumila. Rapide ? ça ne fait que quelques heures, une paire, ce n’est pas grand-chose pour faire connaissance et pourtant…
J’ai aussi cette sensation que le hérisson vert a toujours été là, l’espoir qu’il sera toujours là.
La séparation ne sera pas sans douleur, alors, je la redoute. Une rencontre comme on en fait qu’une fois par vie. Je la redoute, et espère la retarder en lançant une folie de proposition. Comme si… comme si une divinité allait s’abaisser à nous rejoindre. Le symbole du Septrion ? En compagnie de ce qu’on peut littéralement appeler un tas de ‘ratés’ ? Bon à rien, selon des standards qui me révulse. Incapable de se battre, ou simplement sans la moindre envie de le faire. Loin d’être solide, loin d’être réellement utile dans de lourds travaux. Et je règne au milieu de ces pokémon, sans la moindre envie de me conformer. A croire que je les attire.
A croire que la seule qui suit ce qu’on attend d’elle -la force, la puissance- ne fait que subir son séjour ici.
Jamais. Jamais le dieu du Nord n’acceptera.
Pourtant, ce regard, si bleu, plongé dans le mien. Il a l’air de considérer mes mots, sérieusement. Je sais qu’il m’a comprise. Peser le pour et le contre ? Je n’imagine pas l’enlever à sa famille, je ne l’ai jamais fait. Chacun de mes pokémon est à mes côtés parce qu’il le veut… enfin, presque ? Le petit dieu me semble… acquiescer ? Puis s’en revient se blottir contre moi ? Comme ça ? Accepte-t-il cette folie ?

Sans plus de cérémonie, mes lèvres forment le mot ‘merci’. Etrange émotion, joie et gratitude mêlée. Comme si, malgré tous les revers qu’on m’a balancé à la gueule, quelqu’un, quelque chose venait de valider mes actions. Un petit dieu, ce n’est pas rien ! Je me demande comment Père va réagir. Comment les autres qui se moquent dans mon dos vont réagir.

Est-ce important ? Très franchement, je n’en ai rien à foutre. Je sais ce que je vaux. Je sais tout ça.

« Il va falloir qu’on te trouve un petit nom, alors. »

Mais pour l’instant, profitons de cet instant. Doux et délicat. Une sieste qui est méritée, que je passerai à veiller sur cette petite et étrange bande de pokémon. Ou nous veillerons, Luce’ et moi. Quelque chose de précieux à protéger, bien plus qu’un tas de baies, pourtant délicieuses.