Et maintenant je vais vous rendre vos copies. Dans l’ensemble, vous ne vous êtes pas foulés. Soyez plus rigoureux la prochaine fois, et les résultats suivront.

Un brouhaha s’élève dans la classe, accueillant les mots du professeur de mathématiques. Rohann reçoit ce soudain bruit ambiant en soupirant, jetant les stylos envahissant son bureau droit dans sa trousse. Pourquoi faut-il toujours que les autres produisent de tels bruits d’animaux lorsque les professeurs rendent leurs copies ? S’ils craignent leurs résultats, ils n’ont qu’à mieux travailler. Le Galarien, lui, sait pertinemment qu’il a réussi son devoir et ne s’inquiète absolument pas de sa note. Alors en attendant que le professeur distribue les copies, il commence à ranger ses affaires, veillant à ne rien oublier - la dernière fois qu’il a laissé traîner un carnet sur son bureau, il l’a retrouvé immergé dans les toilettes. Puisqu’il ne tient pas vraiment à revivre une pareille expérience, il assure ses arrières et récupère bien tout son matériel. Autour de lui, les autres élèves profitent de ce moment de flottement pour bavarder gaiement. De tous côtés se répète la même question : qu’est-ce qu’ils comptent ce week-end. Pour Rohann, c’est déjà tout réfléchi : il va mettre au propre sa rédaction couchée sur le brouillon de son carnet et réviser les leçons de la semaine. Pourquoi pas commencer l’exposé qu’il est censé donner à la fin du mois sur les Terres Sauvages de Galar ? Après tout, il connaît le sujet sur le bout des doigts, ça ne devrait pas lui prendre énormément de temps. Sauf si, bien sûr, il se laisse emporter … ce qui est très probable.

Le professeur passe devant lui, mais ce n’est pas encore son tour. A la place, l’enseignant rabroue une élève qui ne fournit pas le moindre effort depuis le début du trimestre. Si Rohann fait de son mieux pour ne pas écouter, il perçoit quelques mots tel que “intolérable” ou “potentiel”. De toute évidence, cette demoiselle a toutes les cartes en main pour fournir un excellent travail, mais la feignantise surpasse cet intellect. C’est bien dommage de ne pas utiliser de ses capacités à bon escient … Rohann estime que s’il est capable de quelque chose, il préfère toujours donner le meilleur de lui-même et fournir les résultats les plus excellents possibles. Etudier n’a jamais été un problème pour lui, il a toujours aimé apprendre et travailler. Passer des heures et des heures à rédiger des rédactions ou à réaliser des exercices … c’est limite récréatif, pour lui. Néanmoins, Rohann sait très bien pourquoi : ses déménagements incessants à travers les régions du monde rendait sa scolarité très difficile et afin de ne jamais être en retard où qu’il soit, il a travaillé d’arrache-pied. Et puis, quand il lui a fallu rattraper le retard de l’académie, il s’est plongé tête baissée dans ses études. Il a conscience de passer à côté de sa vie sociale mais étant donné les andouilles peuplant les couloirs de l’académie, il se dit qu’il ne rate pas grand chose, au bout du compte.

Finalement, le professeur s’arrête devant son bureau. Rohann lève donc les yeux dans sa direction, un léger sourire aux coins des lèvres, rictus que l’enseignant lui rend aussitôt en lui tendant sa copie - la dernière du paquet. Un beau vingt sur vingt - évidemment ! Le professeur ne tarie pas en éloges, tant que le Galarien sent le rouge lui monter aux joues. Quelques regards convergent dans sa direction, jaugeurs, moqueurs. Si le garçon fait de son mieux pour garder la tête haute, il baisse vite les yeux sur sa copie, faisant mine de relire l’appréciation alors qu’il cherche juste à fuir tout cela. Il ne comprend pas pourquoi on le regarde toujours de la sorte. Il est félicité pour son bon travail … en quoi est-ce si étrange ? Rohann a préparé ce contrôle pendant une soirée entière pour se garantir cet excellent résultat. Les réponses ne sont pas apparues sur sa copie comme par magie. Ce n’est là que le fruit de ses efforts, rien de plus. Heureusement, la cloche retentit, annonçant la fin des cours. S’en suit un brouhaha de voix et de chaises poussées - en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, les élèves ont déserté la salle. Ne reste que Rohann qui, comme d’habitude, attend que le plus gros du monde soit parti pour faire de même.

Néanmoins, à peine se lève-t-il de sa chaise que son professeur l’appelle, désirant s’entretenir avec lui. Sûrement va-t-il encore lui parler de ce groupe de soutien scolaire … ce n’est pas le premier à lui proposer d’y participer … en tant qu’aide pour les autres. Dans un autre contexte, sûrement le garçon aurait été ravi d’apporter son aide à ses camarades mais … sa réputation n’est pas au beau fixe dans l’académie. Ce n’était déjà pas ça au tout début - pour des raisons obscures - mais ça l’est encore plus depuis que son homosexualité a été révélé au grand jour. Si Rohann assume parfaitement ses préférences, il a appris à ses dépends qu’être gay à Salva est très mal perçu. Et bien sûr, désormais, il n’est perçu que comme le petit pédé de service. Alors même s’il voulait participer à ce groupe de soutien scolaire, il sait pertinemment que ce serait une perte de temps, puisque les autres élèves n’accepteraient jamais de l’écouter. Alors une fois encore, Rohann se confond en excuses, et décline la proposition, prétextant une surcharge de travail pour ne pas que le professeur insiste de trop. Après quelques salutations polies, le Galarien se dirige finalement vers la sortie. Mais à peine avait-il franchi la porte menant au couloir qu’il aperçoit une figure familière …

Oh non ...

Rohann n’arrive pas à y croire. Non content de partager sa chambre avec lui, il faut que Arutua vienne le chercher jusque devant sa classe ! Parce que ce n’est pas un hasard, pas vrai ? Les cours des dernières années sont terminés depuis bien une heure et tous les élèves de la classe de Rohann sont déjà parti. Il ne reste que lui … et le professeur de mathématiques. Mais, Aru, rendre visite à un professeur ? Nah, impossible. C’est pour lui qu’il est là, et lui seulement. Mais pourquoi ? En quel honneur ? Un autre pari débile avec ses crétins de potes ? Ou alors il compte se plaindre de quelque chose que le Galarien aurait pu faire dans la chambre ? Il a beau y réfléchir, Rohann estime qu’il n’a absolument rien à se reprocher. Il a même éteint sa lampe de chevet avant minuit la veille, un exploit venant de lui qui aime lire jusque tard dans la nuit. Peut-être Cynder s’est-elle encore permis de dormir dans son lit en y semant des poils partout ? En bon chat qu’elle est, la minette de feu apprécie les endroits en hauteur alors la couchette de Arutua a tout pour lui plaire. Mais de là à l’attendre à sa sortie de classe, ça lui paraît un peu exagéré. D’ailleurs, n’importe quelle conversation pourrait attendre jusqu’à ce soir, en théorie. Aru n’est donc pas là seulement pour ça … du moins, Rohann l’espère.

Pour autant, l’idée qu’il ne vienne pas le voir du tout lui conviendrait aussi. Sa présence n’est peut-être due qu’au hasard, après tout. Alors même s’il croise rapidement le regard de son colocataire, Rohann presse l’allure en sortant de la classe, tête basse, serrant son sac à dos contre son torse. Bien tenté mais … trop tard. La main d’Arutua se referme sur son épaule et le Galarien lâche un long soupir de désespoir. Il est donc là pour lui. Super. Et qu’est-ce qu’il compte lui sortir, maintenant ? Qu’il le trouve mignon, comme il lui a répété cent fois pendant sa ridicule période de drague ? Rien qu’y en repensant, Rohann rit jaune. Et dire qu’il y a cru bêtement. Il s’est laissé charmer par ce garçon qui lui faisait du rentre-dedans sans en rougir, appréciant sincèrement l’intérêt qu’il lui portait. Et l’apprenti Ranger a commencé, de son côté, à développer une attirance sincère pour son aîné, se surprenant à admirer son corps musclé, son sourire de mannequin - et à rire de son humour à deux balles. Ca a été une terrible douleur que de découvrir le pot-au-rose et, depuis, Rohann lui en veut de tout son être. Jouer avec les sentiments des autres, il n’y a vraiment rien de plus lâche et de plus odieux …

S’il se tourne vers son aîné, Rohann n’affiche pas un sourire ravi, loin de là. Pourtant, il est étonné par l’air quelque peu … perturbé de Arutua. Ce n’est pas dans ses habitudes de bafouiller et de chercher ses mots. Et en plus, il lui demande de discuter ? Est-il seulement sérieux ou c’est encore un de ces manèges ? Rohann peut-il seulement lui accorder le bénéfice du doute ? Certes, le voir baisser les yeux de la sorte est limite trop étrange pour être vrai mais une petite voix souffle au Galarien et l’écouter. S’il juge que sa démarche est trop étrange pour être sincère, il passera son chemin. Rohann n’a pas de temps à accorder aux personnes qui lui veulent seulement du mal. Il a suffisamment trimé l’an dernier pour vouloir éviter de reproduire le même schéma. Tout ce à quoi il aspire, c’est obtenir des résultats excellents et se garantir son diplôme l’an prochain. Et une fois son accréditation de Ranger en poche, il pourra dire adieu à tous ces crétins qui lui ont pourri la vie pendant presque trois ans. Certes, il lui reste encore une année entière avant de recevoir son diplôme mais Rohann est plus proche de la fin que du début. Tout n’est plus qu’une question de temps, d’autant plus que la majorité de ces bourreaux terminent leur année d’ici quelques mois. Peut-être aura-t-il droit à du répit l’an prochain ? C’est bien tout ce qu’il peut espérer.

En tout cas, Rohann ne pipe mot, laissant Arutua lui expliquer les raisons de sa présence. Il veut qu’ils parlent, ok. Mais de quoi ? De son côté, le Galarien n’a absolument rien à lui dire - d’ailleurs moins il le voit, mieux il se porte. D’autant plus lorsque son colocataire à une attitude si étrange. Quand il y repense … déjà ce matin, Arutua n’était pas comme à l’accoutumée. Il s’est réveillé au premier carillon de son réveil sans traîner au lit, il a pris sa douche sans faire d’histoire et lui a même adressé un petit sourire. Comme s’ils étaient devenu, pendant la nuit, les meilleurs amis du monde. Bon, Rohann exagère un peu sur ce coup-là mais son comportement reste pour le moins étrange et inhabituel. Il est habitué à un Alolien quittant ses draps avec toutes les peines du monde, râlant sur ce réveil le tirant de ses douces rêveries. La plupart du temps, il se rendort illico presto et c’est Rohann qui est obligé de le tirer du lit afin de ne pas payer les frais de sa paresse. Dans le règlement du dortoir, il est noté sur noir sur blanc que les colocataires doivent veiller sur la ponctualité de l’un et de l’autre. Une notion d’esprit d’équipe, qu’ils disent - balivernes, c’est surtout pour s’épargner la peine d’effectuer eux-même le contrôle des réveils, surtout !

Enfin, autant écouter ce que Arutua a à lui dire, sait-on jamais.

On peut aller boire un verre, tout les deux…? À Derwoud. Y'a un bar sympa, et… Ce serait vraiment bien qu'on mette les choses à plat… Parce que l'ambiance, entre nous, elle est vraiment pas bonne, et ça nous pèse, je le vois bien. S'il-te plaît. C'est vraiment important !

Rohann reste interdit plusieurs secondes. Aller boire un verre tous les deux ? Il est sérieux ou il se fout encore de sa gueule ? Depuis quand la terrible ambiance planant entre eux le dérange ? S’il a l’air sincère, le Galarien ne sait pas trop quoi en penser. Aru lui a fait un mauvais coup une fois : il est parfaitement capable de recommencer. Et cette proposition tombe tellement comme un cheveu sur la soupe que Rohann a bien du mal à croire en sa sincérité. Mais après tout … pourquoi pas ? Ecouter ce qu’il a à lui dire, ça ne peut pas lui faire de tort. Et si Rohann a l’impression de se pointer dans un coup fourré, il partira sans plus de cérémonie. Son regard balaie d’ailleurs les couloirs, à la recherche des crétins de copains d’Arutua qui pourraient assister à la conversation de loin. Mais il n’y a personne à l’horizon, même le professeur de mathématiques s’en est allé. Quelque peu circonspect, Rohann dévisage son colocataire pendant de longues secondes, détaillant les moindres traits de son visage, le moindre tic capable de le trahir. Mais rien ne lui indique que ça puisse être une mauvaise blague. Et … en y repensant, un petit tour en ville lui ferait du bien. Il s’y est bien rendu ce week-end, pour l’adoption de Rê, mais il ne s’est pas vraiment plus attardé que cela. Alors autant se saisir de cette occasion.

Relâchant la pression autour de son sac, Rohann le jette finalement sur son épaule afin de se donner un air faussement décontracté. La vérité, c’est qu’il appréhende vraiment cette fameuse discussion mais ce serait encore pire de se défiler. Il préfère savoir ce que Aru a à dire plutôt que se poser la question mille fois tout seul dans sa tête. De toute façon, ça ne l’engage à rien pas vrai ? Alors autant accepter.

Ok, ok. Mais pas pendant trois heures, j’ai des devoirs à faire moi.

Et si Rohann insiste sur le “moi”, c’est parce qu’il sait très bien que son colocataire n’est pas un exemple de sérieux. Apprendre et travailler ne semble pas vraiment l’intéresser et il fait parti de cette catégorie de gens qui préfère se reposer sur ses lauriers et se contenter du minimum syndical. Le Galarien ne l’a d’ailleurs jamais vraiment vu le nez dans ses leçons ou assis à son bureau à réaliser quelques exercices. Il est souvent scotché à son ordinateur ou à son holokit, à faire il-ne-sait-quoi. Ou alors il vaque à d’autres occupations ailleurs que dans la chambre. Pour autant, il semble bien tenir la barre au niveau de ses notes. Il paraît qu’il brille en éducation physique, cela dit. Certes, le sport est très important pour un Ranger, parce qu’il se doit d’avoir une condition physique excellente afin de gérer sur le terrain mais … la théorie à son importance, aussi. Autant Rohann veut bien avouer que les mathématiques et les langues ne sont pas les matières les plus importantes pour leur futur métier, autant les reconnaissances florales et animales, la géographie, l’étude de cas sont très très importants. C’est toujours bien plus intéressant lorsque les notions sont concrètes et en accord avec leur futur métier. Enfin … Aru fait bien ce qu’il veut. Tout ce que Rohann lui demande, c’est de ne pas lui mettre des bâtons dans les roues.

Le Galarien commence à faire quelques pas en direction de la sortie mais en réalisant que Arutua ne le suit pas, il jette un regard par dessus son épaule et le hèle :

Ben alors, on y va ? Parce que tu veux qu’on y aille maintenant, pas vrai ?

Pendant une demi-seconde, Rohann se demande s’il a pris la bonne décision en acceptant ce … rendez-vous avec Arutua. Bien évidemment, cela n’a absolument rien d’un rencard et si son colocataire lui avait exposé ça en ces termes, l’apprenti-Ranger aurait refusé. Malgré les sentiments qu’il nourrit encore à son égard - plus ou moins refoulé au fin fond de son esprit - leur situation n’est absolument pas propice à une telle idée. Et puis d’abord, comment croire à sa sincérité ? Arutua s’est moqué de lui une fois, et lui a fait énormément de mal. A l’époque, Rohann trouvait limite trop beau l’idée qu’il puisse plaire à un garçon tel que son aîné. Il est totalement populaire au sein de l’académie, les filles se bousculent pour attirer son attention. Il faut reconnaître qu’il est beau garçon … ce teint bronzé digne des îles dont il est originaire, ces cheveux violets légèrement ondulés, ces muscles sculptés par le sport, ce regard de braise … Un tel physique ne laisse personne insensible, il faut bien le dire. Bien évidemment, le Galarien ne se contente pas de son apparence. Avant de connaître la face immergé de l’iceberg, il voyait un garçon sociable, avec toujours le mot pour rire. Une personnalité haute en couleur qui promet de la bonne humeur chaque jour qui passe. Puis Rohann l’a découvert faux, menteur, suiveur … et la désillusion fut terrible.

L’apprenti-Ranger retient un soupir alors qu’il ajuste la lanière de son sac sur son épaule. Qui sait ce qu’il compte bien lui raconter au café ? Aru parle d’une conversation sur leur situation, mais dans quel but ? Parvenir à un terrain d’entente ? Rohann est près à enterrer la hache de guerre, mais non sans quelques efforts - et surtout des excuses - de la part du natif d’Alola. Le cadet veut bien reconnaître qu’il n’a pas donné sa part au Malosse : son caractère est ce qu’il est, et il n’hésite pas à rentrer dans le lard quand une situation l’agace. Il n’est pas parfait, mais personne ne l’est. Il ne demande donc pas à Aru de l’être non plus, seulement … seulement de le respecter. S’ils ne sont pas destinés à devenir les meilleurs potes du monde, soit. Mais au moins que leur cohabitation se passe bien, que les disputes cessent et que chacun mène sa vie sans pourrir celle de l’autre. S’il faut faire des concessions, Rohann en fera - à condition que Arutua en face autant. Les efforts doivent venir des deux côtés, sinon ça ne fonctionnera pas il est certain. D’autant plus qu’il ne reste que quelques semaines avant la fin de l’année et le départ de l’Alolien … alors autant essayer de faire de ces derniers instants des moments plus calmes, plus sereins … plus agréables.

Enfin, Rohann préfère ne faire aucun plan sur la comète et voir où cette fameuse discussion va les mener. Cela dit, ils ne sont pas encore parti que le Galarien touche un point sensible : le travail. Arutua n’est pas réputé pour être le travail acharné de l’académie et ça, Rohann a pu le constater depuis le début de l’année. Il ne l’a quasiment jamais vu à son bureau à bûcher sur des sujets d’examens pour préparer ceux qui l’attendent à la fin de l’année. D’ailleurs, l’Alolien l’a avoué lui-même : il n’a pas travaillé du week-end sur ses contrôles de la semaine. Une attitude que le plus jeune a bien du mal à comprendre … Quand il sait que des devoirs l’attendent, il travaille comme un forcené pour les réussir haut-la-main. La preuve qu’ils n’ont pas le même degré de sérieux quant à leur travail. Et lorsque le garçon termine sa défense en l’appelant princesse, Rohann pousse un léger grognement agacé. S’il commence déjà à le caresser à rebrousse-poil, il ne donne pas cher de leur petite entrevue. Rohann ne compte pas s’attarder si les choses tournent mal : il a autre chose à faire que perdre son temps pour des conneries.

Sur ces mots, les deux garçons se mettent en route. Aru fait le gros de la conversation, lui décrivant son week-end à Thacie. Rohann y ayant vécu quelques temps avant son inscription à l’académie, il n’est pas étonné de tout ce qu’il lui raconte et se permet même de lui raconter son propre vécu sur l’île, notamment sa rencontre avec le Ranger qui l’a décidé à se lancer dans cette voie. Lorsqu’il lui parle de sa rencontre avec ce garçon originaire de Galar, l’apprenti-Ranger l’écoute attentivement, surtout concernant ses piercings. Lui-même est très intéressé par ce genre de modifications corporelles et compte se faire percer d’ici peu. Pour le moment, il désire commencer par la langue et aviser pour la suite. Pourquoi pas l’arcade, plus tard ? Tant qu’il est encore à l’académie, il préfère rester soft pour ne pas que l’administration lui tombe dessus. Il sait très bien que, par ici, ils n’apprécient pas trop les profils qui … “sortent de l’ordinaire”. Quand il sera Ranger ce sera différent, il disposera de davantages de liberté et n’aura de compte à rendre à personne. Enfin, tout dépend de la caserne à laquelle il sera rattaché mais bon. Il avisera au moment venu ! Pour le moment, celui à la langue sera déjà un très bon début.

Le duo d’apprenti-Ranger quitte finalement l’académie et prend la direction de Derwoud en entamant un nouveau sujet de conversation : la musique. Rohann est très axé rock, notamment les groupes en vogue à Galar ou à Unys. Il en a une bonne sélection dans son holokit et quand il a besoin de se concentrer, c’est ce qu’il y a de mieux. Parfois, il s’abandonne à quelques vocalises discrètes mais, malheureusement, le garçon n’est pas vraiment un chanteur né. Il gère davantage du crayon que des cordes vocales. D’après Aru néanmoins, ce n’est pas quelque chose de vraiment connu à Alola, les natifs préférant les chants traditionnels. Ce que Rohann comprend : du peu qu’il a pu entendre lors de son séjour, il a beaucoup apprécié. Cela dit, le rock’n’roll reste son style favori et cela s’exprime jusque dans son style vestimentaire. S’il porte son uniforme pour le moment, il le troquerait bien pour son jean serré, son tshirt blanc et sa veste en cuir noire. Heureusement, il peut au moins se permettre quelques accessoires, tels que ses nombreux bracelets pendant à son poignet droit et son collier style plaque militaire. Bien sûr, il cache ce dernier dans sa chemise pendant les cours pour ne pas trop importuner ses professeurs mais dès que l’occasion se présente, il le remet par dessus !

Les voilà finalement arrivés au café, charmant petit établissement en bois qui se fond parfaitement dans le décor de Derwoud. Galand, Arutua lui tient la porte et Rohann le remercie en pénétrant dans la salle principale où il y a peu de monde. Comme son colocataire, l’apprenti Ranger salue le personnel présent et se dirige vers une table dans le fond, près d’une fenêtre donnant sur la forêt bordant la ville. Arutua s’assoit en face de lui et Rohann lui adresse un petit regard curieux. Son aîné est étonnement … avenant. Presque trop poli. Doit-il se méfier ? Ou, au contraire, profiter ? Hmmm, patience, Rohann - se dit-il en avisant le regard un peu fuyant de son colocataire. Il paraît si … mal à l’aise. Pour autant, le Galarien se sentirait mal pour lui. Il a l’air sincère … cette histoire doit vraiment le travailler.

Hmm… Merci d'être venu, en tout cas. Ça me fait… Vraiment plaisir. Tu veux boire quelque chose ? Je pense que c'est mieux qu'on se mette à l'aise avant de… Avant de commencer à papoter un peu. Dis-moi ce que tu veux et je commande. C'est moi qui paie bien sûr.
Ouai, je veux bien boire un petit quelque chose.

Rohann avise un instant Moe venu le renifler et le garçon ose une caresse sur le sommet de son crâne. La Rattata est toujours collée à Aru, quelque soit les circonstances. Sa relation avec son dresseur lui rappelle celle le liant à Cynder. Si la Flamiou n’est pas avec lui en ce moment - trop occupée à fureter aux alentours de l’école - leur amitié est si solide que Rohann n’a même pas eu besoin de la sceller avec une Pokéball. La petite ratte noire passe le plus clair de son temps perché sur l’épaule de Aru, comme si elle était une extension de son corps. Rohann trouve leur duo très touchant, d’autant qu’il connaît leur histoire. Arutua a trouvé Moe agonisant après avoir ingéré de la mort aux rats et a tout donné pour lui sauver la vie. Depuis, la Rattata a une santé fragile et son dresseur veille sur elle comme une Vaututrice sur sa couvée. En tout cas, pour ce geste, Rohann le respecte. Les Rattata sont tellement considérés comme des parasites qu’un autre que lui aurait laissé crever Moe dans le caniveau. 

Finalement, Rohann attrape la carte déposée dans l’angle de la table et la déplie devant ses yeux. Ils servent un peu de tout ici, des plats chauds comme diverses gourmandises sucrées. S’il est bien tenté par un éclair au chocolat, Aru a parlé de boisson et non de nourriture, alors le garçon se concentre sur cette partie-là de la carte. Celle-ci propose de nombreux cocktails et Rohann se retrouve un peu bête devant une telle liste. Comment savoir ce qui pourrait lui plaire ? Ses parents n’étant pas versés alcool, il n’en a jamais vraiment bu. Il lui faut donc jeter son dévolu sur un classique, alors il se contentera un mojito framboise. En attendant qu’un serveur rejoigne leur table, il referme la carte et lance un nouveau regard en direction de son colocataire. Faudrait-il qu’il lance lui-même la conversation, ou le laisser patauger dans la semoule ? Après tout, c’est lui qui a voulu cette discussion alors à lui de se débrouiller. Néanmoins … Rohann le voit bien troublé et il n’est pas revanchard au point de l’ignorer. Alors il lisse un peu la carte, cherchant ses mots, avant de se lancer à l’eau :

Dooonc … de quoi tu voulais parler ? De nos différents j’imagine ? Un soupir lui échappe, mais il enchaîne. Ou tu recommences ton numéro de drague pour faire rire les copains ?

Ses mots sont durs, mais Rohann les pense - en vérité, il ne s’est toujours pas remis de cette trahison, qui lui a brisé le coeur. Et encore, le garçon s’estime relativement poli, parce qu’il a des mots beaucoup plus incisifs à l’esprit. Sûrement ne les aurait-il pas retenu dans un autre contexte mais … ça, c’est une autre histoire. Finalement, le serveur se rapproche de leur table pour prendre leurs commandes : le Galarien commande donc son mojito fraise, sans jamais lâcher Arutua des yeux un seul instant.

Attaquer de front, c’est la stratégie principale de Rohann. Prendre des chemins détournés, tourner autour du pot encore et encore, ça ne mène absolument à rien. Autant mettre directement les deux pieds dans le plat et régler les problèmes au plus vite. Il est peut-être un agressif, certes - mais cela est seulement dû à l’animosité qu’il ressent à l’égard de Aru. Il lui a fait du mal, beaucoup de mal. Maintenant, il en paie les frais. Pour autant, Rohann ne compte pas lui faire des crasses. Il est plus mature que cela et de toute façon, à quoi bon ? Pendant son enfance, ses parents lui répétaient sans cesse “ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse.” Si le Galarien a des tendances très rancunières, il n’est pas fixé sur ses positions et sait écouter les arguments en face. Est-ce qu’il en prendra réellement compte ? Hm, à voir. En tout cas, ce n’est pas lui qui cherchera la vengeance à tout prix. Au contraire, il n’aspire qu’à la paix et à la tranquillité. Rejeter de l’huile sur le feu encore et encore, entretenir les mauvaises relations, est tout simplement inutile. Il préfère dépenser son énergie dans autre chose, à voir ses études pour ne citer qu’elles. Ou alors le dessin, à qui il consacre de moins en moins de temps malgré son envie de gribouiller. Lorsque son esprit est tourmenté, embrouillé, occupé, il n’est capable de rien si ce n’est travailler, encore et encore, espérant que les formules mathématiques et les listes de vocabulaire occupent suffisamment son cerveau pour l’empêcher de penser à quoi que ce soit d’autre.

Arutua ne se laisse pourtant pas désarçonner : il sourit, et lui renvoie sa question. Rohann renifle. Ce n’est pas du jeu, ça. Ce n’est pas à lui de se rendre compte de ça, c’est à son colocataire de le lui promettre. Il n’a pas le temps de s’en plaindre néanmoins, puisque l’arrivée du serveur l’en empêche. Ainsi décide-t-il plutôt de suivre le conseil de son aîné … et attendre la fin de leur discussion pour se faire un avis. Qui sait ? Il pourrait être surpris. De toute façon … ils sont seuls, et loin de l’académie. Enfin, loin … tout est relatif mais ils ne sont pas l’enceinte de l’établissement. Ils sont comme qui dirait en terrain neutre, et ils peuvent discuter ici librement, sans qu’une oreille indiscrète ne traîne dans le coin. Dans l’auberge, mis à part le personnel, Rohann ne voit qu’un couple partageant un cocktail et un groupe de collégiens, qui ne sont pas scolarisés à l’école des Rangers - au lieu de quoi, le garçon les aurait reconnu. Il n’y a donc personne susceptible de leur faire du tort, personne pour les espionner. Et cela rassure énormément Rohann, qui se sent bien plus à l’aise que s’ils s’étaient isolés dans l’académie. Là-bas, difficile de garder un peu d’intimité, si ce n’est dans les dortoirs … et encore. Paraît que les oreilles traînent pas mal dans les couloirs.

Le regard circonspect, il assiste à l’échange entre le serveur et son colocataire - visiblement, Aru est un habitué. Traîne-t-il toutes ses conquêtes au même endroit ? Est-il une nouvelle proie sur sa liste ? Un reniflement impertinent lui échappe - s’il y croit, il peut se mettre le doigt dans l’oeil. Rohann n’est pas l’une de ses perdrix qui lui tourne autour la bouche en coeur. Il ne se laissera pas avoir si facilement. Enfin, le Galarien se trompe peut-être sur toute la ligne. Arutua prend “comme d’habitude”, quoi que ça puisse signifier. Il y ajoute une assiette de cookies et Rohann le remercie mentalement - il a tellement faim qu’il pourrait engloutir un Tauros entier. Même Moe semble tout impatiente à l’idée de mettre ses petites pattes sur quelques petits gâteaux. Ses moustaches frémissent et Rohann la trouve tout à fait adorable. Néanmoins, son Dresseur ne lui destine qu’un seul gâteau, ce qui a le don de bien agacer la petite ratte. Est-ce que Rohann compte en manger ? Evidemment que oui, il a l’estomac dans les talons ! Il a bien manger au self pourtant mais … après une après-midi de cours, il a toujours une petite fringale. Généralement, il les cale à coup de chips dévorées à même son lit mais des cookies, ça lui ira très bien. D’autant qu’il est certain qu’ils seront délicieux !

Un silence pesant suit le départ du serveur. Un peu mal à l’aise, Rohann toussote, comme pour encourager Arutua à se jeter à l’eau. Mais l’Alolien semble en pleine réflexion, perdu dans un monde auquel le Galarien n’a pas accès. Fébrilement, il emmêle et démêle ses doigts, et Rohann ressent son trouble comme s’il était sien. Il est tellement étrange de voir Aru dans un tel état que l’apprenti Ranger n’ose pas lui adresser le moindre mot, craignant de le déranger dans son fil de pensée. Il préfère plutôt observer distraitement la salle, admirant la décoration soignée ou essayant de comprendre les conservations menées aux autres tables. Le couple semble se disputer, à en juger par les traits agacés du jeune homme. Pourtant, le ton reste bas, modéré. Rien à voir avec les éclats de voix résonnant dans leur dortoir lorsque Aru et Rohann se tirent des balles dans les pattes. Le Galarien admire leur self-control - il serait parfaitement incapable d’en faire autant. Et finalement, les visages se dérident et les deux amoureux se sourient à nouveau. L’orage est passé …

Mais un autre pourrait bien éclater. Arutua prend finalement la parole, commençant par simplement s’excuser. A chacun de ses mots, Rohann hoche la tête, comme pour valider ses propos. Oui, il lui a fait beaucoup de mal. Oui, il a été vraiment con - et encore, le mot est faible. Oui, il mérite que son mépris … même si Rohann ne désire pas entretenir cette vieille rancune pour l’éternité. A quoi bon de toute façon ? Ce qui est fait est fait - Arutua ne pourra rien défaire. Au moins, il a arrêté de trop le faire chier. C’est bien tout ce que Rohann lui demande. Néanmoins … le garçon apprécie ses excuses, d’autant qu’elles sonnent sincères à ses oreilles. Même Moe dévisage son Dresseur, comme impressionné par cette preuve de courage. Quelque peu touché, Rohann baisse les yeux, sentant ses joues le brûler subtilement. Heureusement, le serveur choisit ce moment pour leur apporter leurs commandes. Il dépose d’abord le bol de cookies au centre de la table, puis une bière devant Aru, et le mojito devant Rohann. Ce dernier le remercie avant qu’il ne tourne les talons pour les laisser seuls à nouveau. Sans attendre, Aru vide le contenu de sa bouteille dans un verre, puis cède un cookie à Moe avant de pousser le bol vers Rohann. Celui-ci se hâte d’un piocher un, affamé comme une meute de Lougaroc.

Arutua continue finalement son mea culpa, Rohann lui prêtant une oreille attentive, intéressée ... s'attendant au pire :

Je vais clairement pas me chercher des excuses… Ce serait vraiment trop fort. J'assume l'entière responsabilité de mes actes… Mais sache seulement que j'étais sous pression, quand je t'ai fait ça. Je suis… Super lâche et influençable. C'est vrai et j'en suis pas fier… Mais seul, je ne t'aurais jamais harcelé… D'autant que… Q-Que je suis assez mal placé pour ça…

Rohann manque de s’étouffer avec le gâteau. Est-ce qu’il a bien compris ce qu’il est censé comprendre … ?! Il est mal placé … pour le harceler concernant son orientation sexuelle ?! Ca signifie que Aru serait …?

Non. Non, non, non. Impossible. Aru, gay ? C’est tout bonnement … tout simplement … tellement … probable, en vérité. Les regards qu’il lui lance à la dérobée … ils sont toujours si intenses. C’est bien pour cela que Rohann s’est fait avoir aussi facilement. Parce que l’Alolien savait comment s’y prendre, savait quoi faire pour le charmer. Et, surtout … parce que les gars lui plaisent. Parce que lui-même se laisserait sûrement tenter par un regard de braise, un sourire charmeur, une oeillade lourde de sous-entendus. Le coeur de Rohann rate un battement dans sa poitrine. Soudain, tout semble prendre son sens. Et si … et si, depuis le début, sa bande de guignols étaient au courant pour ses préférences et qu’ils avaient joué sur ce point sensible pour faire d’Arutua leur petite marionnette ? Peut-être ont-ils trouvés ça marrant, de se servir d’un gay pour en emmerder un autre. Une attitude à vomir, mais parfaitement probable dans le coin. Les gens sont tellement cons qu’ils en seraient capable. D’autant que la petite bande d’Aru est réputée pour n’être qu’un ramassis de petits cons homophobes, presques racistes même. Tout ce que Rohann ne peut supporter.

Toussotant un peu, il dépose son morceau de cookie sur la table et avale la pilule en aspirant une lampée de mojito. Les bulles pétillent sur sa langue, imprégné d’un arôme de fraise sucrée. Wow, c’est un sacré morceau à avaler ça, quand même. Franchement, il ne s’y attendait pas, Arua l’a pris de court. Et, par Arceus, il ne s’attendait absolument pas à ça.

Okay donc, laisse-moi résumer … t’es gay, c’est ça ?

Il chuchote, bien sûr, pour ne pas se faire entendre des autres clients de l’auberge. Ces inconnus ne sont pas censés savoir leurs préférences, cette discussion ne concerne qu’eux. Et surtout, Rohann ne veut lui causer aucun tort … surtout pas concernant un tel sujet. Il sait à quel point cela peut-être difficile à avouer, à assumer. Et Salva n’est absolument pas ouverte sur le sujet, en plus de ça. Par ici, notamment dans le Nord, c’est une déviance, une maladie, une folie. Il paraît que l’Austrée est plus ouverte mais … Rohann a bien du mal à y croire. Rien qu’à en juger par l’attitude de ses professeurs lorsqu’il s’est fait harceler l’année précédente. En apprenant son homosexualité, certains ont cessé de lui donner la parole en classe, ou d’écouter ses questions à la fin d’un cours. Un comportement intolérable qui a beaucoup blessé Rohann. Heureusement, l’intervention de ses parents puis les vacances d’été ont suffi à effacer ce trouble … auprès des enseignants, au moins. Au sein des élèves, c’est une toute autre histoire. Et si cela touche moins Rohann qu’auparavant, il est toujours compliqué d’être choisi en dernier en sport, ou dévisagé dans les vestiaires. Comme s’il risquait de se jeter sur un garçon pour le baiser sans vergogne. Franchement … quel ramassis de conneries.

Rohann se laisse aller contre le dossier de la chaise, las. Il y a tellement de chose qu’il aimerait lui dire mis ses pensées s’emmêlent dans son esprit. Il peine sincèrement à enregistrer cette information inattendue. Pourtant, il finit par souffler quelques mots :

C’est ce qui justifie ton comportement ? Genre … tes potes l’ont découvert et ils t’ont fait chanter ? Distraitement, Rohann joue avec les glaçons de son verre à l’aide de sa paille. Franchement … je vais pas te faire la morale à coup de “tu aurais dû te douter que ça me blesserait” ou de “tu traînes avec les mauvaises personnes” car t’en as certainement conscience. Seulement … j’espère que ça t’a servi de leçon pour l’avenir.

Perdu dans ses pensées, les yeux dans le vague, Rohann n’entend même plus ce qu’il se passe autour de lui. Ni le brouhaha d’ambiance, ni la clochette de la porte d’entrée, ni les petites dents de Moe grignotant sagement son cookie. En se levant ce matin, jamais il n’aurait pensé finir dans un café en ville, à partager un petit goûter avec Arutua … pour apprendre qu’il aime les hommes, lui aussi. Si l’idée ne lui a jamais effleuré l’esprit auparavant, cela ne lui semble pas si improbable que ça, loin de là. Il est vrai qu’il a le profil du type capable de plaire aux deux sexes, la preuve parce que Rohann a craqué pour lui. Mais le contraire n’a pas toujours vrai et à le voir entouré de toutes ses filles, le Galarien n’a même pas essayer de se dire que … qu’elles n’étaient pas les seules à attirer son attention. Et bien sûr, ce n’est pas par ici, entouré de tous ces homophobes, qu’il allait assumer pleinement ses préférences. En vérité, si Rohann n’avait pas eu l’idée de génie - ironie - de ramener ses mangas boy’s love à l’académie, très certainement que personne n’aurait jamais rien su le concernant. On l’aurait seulement catégoriser comme l’intello qui préfère ses bouquins aux nanas, et basta. Ca lui aurait épargné bien des tracas. Mais le garçon ne s’était pas attendu à tout cela. A Thacie, il n’a jamais eu trop de problèmes, il a donc pensé que ce sera pareil dans tout Salva … mais il était bien loin du compte.

Et maintenant, la simple idée que Arutua soit homosexuel remet en cause énormément de chose. Déjà, sa fausse drague. Y avait-il seulement un soupçon de sincérité dans ses regards, ses sourires ? A-t-il accepté ce petit défi minable autant pour plaire à ses potes que pour se le mettre dans la poche ? Si Rohann ne l’avait pas cramé … jusqu’où serait-il aller ? Le garçon sent son coeur se serrer dans sa poitrine. Il a tant espéré que tout cela soit vrai. Que Arutua le voit vraiment comme un candidat potentiel à la course à son coeur. Et pas comme un jouet avec lequel il comptait s’amuser encore un peu, jusqu’à s’en lasser. Rohann préfère encore rester seul qu’être considéré comme un passe-temps. Sur son application de rencontre gay, beaucoup de profils lui plaisent mais tous ne recherchent rien de sérieux. Une relation éphémère, un coup d’un soir, dicté par le plaisir et seulement le plaisir. Pas de place pour les sentiments, pas d’attache, pas d’issue romantique. Or, ce n’est pas ainsi que Rohann conçoit une relation. Et cela peut paraître un peu vieux jeu comme idée, mais il destine sa première fois à quelqu’un qu’il aimera, et qui l’aimera en retour. Et s’il doit attendre encore quelques années … alors qu’il en soit ainsi. Même si, il faut bien l’avouer … une partie de lui a hâte de découvrir les plaisirs de la chair et tous ses travers.

Discrètement, il lève ses yeux ambrés en direction de son aîné. Ses pommettes rougies par l’embarra, il ne semble pas en mener large. Et Rohann se souvient comment il l’a trouvé sexy la première fois qu’il lui a sourit, présentant une rangée de dents bien blanches et un air charmeur tout à fait à son goût. Mais là, son visage tout gêné, son air embarrassé … le rend plus mignon que jamais. Et le Galarien sent ses propres joues s’embraser. Il ne peut pas le nier : il a encore des sentiments pour ce garçon, malgré tout ce qu’il a osé lui faire. Rohann s’efforçait de refouler ses sentiments encore et encore, et se sentait proche du but … jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à ce qu’il l’invite à ce café, lui présente ses excuses, lui apprend sa bisexualité. Parce que c’est ainsi qu’il se décrit à son jeune colocataire … tout en lui promettant de ne plus jamais lui faire du mal. Peut-il le croire ? Lui faire confiance ? Lui accorder une seconde chance …? Une partie de lui en a envie, vraiment. La promesse d’un nouveau départ est alléchante, tentatrice. Mais d’un autre côté, la peur d’être trahi à nouveau pèse sur ses épaules, comme une épée de Dimoclès au dessus de sa tête. Se remettrait-il d’une autre déception ? D’un autre côté … l’année est bientôt fini. Même si Aru remet ça, ce ne sera plus que l’histoire de quelques semaines pour en être débarrassé définitivement. Donc … le jeu en vaut peut-être la chandelle …

Je peux t'expliquer comment ça s'est passé… Pour que ce soit plus clair et qu'on n'ait plus rien à se cacher. Avant ton arrivée, y'avait un Septrionien dans notre groupe. Enfin, il traînait avec nous. Un peu moins suiveur que les autres… Pas trop intéressé par les filles… Enfin, t'as compris. On s'est bien plu et on a fini par se mettre ensemble… Mais évidemment en cachette, si je peux le dire ainsi. Difficile d'être discret dans cette putain d'école. Bref. Il est parti un mois ou deux avant que t'arrives et les gars m'ont posé beaucoup de questions ; clairement, ils se doutaient d'un truc. J'ai tout de suite compris qu'ils cherchaient à me salir et à me ridiculiser… Et comme j'ai juste… Super peur de me retrouver seul – vraiment, la solitude, c'est une putain de phobie pour moi – j'ai fait tout ce qu'ils voulaient… Je suis vraiment un gros lâche égoïste…

Se saisissant du dernier cookie, Arutua le rompt en deux et tend une moitié à Rohann. Ce dernier s’en saisit sans piper le moindre mot. Toute cette histoire est tellement crédible qu’il a envie d’y croire à trois-cent pourcent. Etant donné le profil de Jared et toute sa bande d’idiots, c’est possible. Aucune pitié, pas même pour leur soi-disant ami. Rohann se demande d’ailleurs pourquoi leur ami Septrionnien est parti. A-t-il fuit cette relation toxique ? Le Galarien a failli. Plus d’une fois, il a failli écouté ses parents et quitter cette académie de malheur. Mais ça aurait été une véritable perte de temps. Or, il ne voulait pas repousser son diplôme encore et encore. Rohann a fait le choix de préserver son avenir en faisant une croix sur sa vie sociale. Regrette-t-il ? Parfois, oui. Quand il voit un groupe d’amis organiser du camping dans la Jungle Véronèse ou travailler tous ensemble sur la pelouse de l’académie, il les envie. Au lieu de quoi, il reste seul dans sa chambre ou dans la bibliothèque, devant ses livres, ses écouteurs dans les oreilles et Cynder ronronnant dans le creux de ses genoux … Dans un sens, il comprend Aru. Certains préfèrent encore traîner avec des idiots plutôt qu’être seul. Surtout que l’Alolien a tout du gars social - un véritable animal de meute. Contrairement à Rohann qui est davantage du genre Lougaroc solitaire.

Le Galarien s’apprête à reprendre une gorgée de mojito lorsque Arutua reprend la parole. Et ce qu’il lui dit … le laisse pantois :

R-Rohann… C'était pas que du flan, ok ? V-Vraiment… Tu crois qu'ils t'ont choisi pourquoi ? Ils savaient très bien que ça me ferait souffrir et que ça serait super difficile pour moi de faire semblant avec toi... Ils voulaient que je craque pour mieux me descendre après.

Doit-il comprendre ce qu’il aimerait entendre …? Doit-il comprendre qu’il plaît à Aru …? Presque instantanément, ses joues rougissent et son coeur se bat à battre fort dans sa poitrine. La gorge nouée, il repousse son cocktail. Le voilà incapable d’avaler quoi que ce soit, même le morceau de cookie gracieusement offert par son aîné. Il se sent pris en plein duel intérieur. Doit-il le rejeter, s’assurer une sécurité ou bien … se laisser porter, et voir où tout cela voudra bien les mener ? Si Arutua a fait l’effort de l’inviter et de lui raconter tout cela … c’est parce qu’il espère que cela découlera sur quelque chose ? C’est ce que Rohann aimerait croire, mais qui l’effraie autant que ça le charme. L’idée de la mascarade lui reste en tête, comme des fers aux pieds. Bien malgré lui, malgré tous les efforts qu’il veut fournir, cette peur lui reste en tête et l’empêche de lui faire confiance aveuglément. Un énième soupir lui échappe, alors qu’il perd ses doigts dans sa chevelure argentée. Que faire ? Peut-il lui faire confiance ? Passer l’éponge sur ses erreurs passées et partir sur de toutes nouvelles bases, plus saines … ? Un instant, son regard cherche Cynder - qui n’est pas là, bien sûr. Et son absence lui plaise, parce qu’il aurait aimé la serrer un peu dans ses bras pour sentir sa chaleur, sa présence. La chatte est une véritable bouée de sauvetage pour lui. Sans elle, il a l’impression de naviguer entre deux eaux.

Distraitement, Rohann porte l’ongle de son pouce à sa bouche et commence à le grignoter. Un tic qu’il a développé depuis peu, qui traduit son stress, son angoisse. La veille de ses examens de milieu d’année, il s’est littéralement bouffé tous les ongles de la main droite, au point de s’en faire saigner un. Heureusement, ils ont repoussé depuis mais Rohann a bien souffert les jours suivants son méfait. Finalement, il lance un regard en direction d’Arutua. Il ne sait tellement pas quoi lui dire, à l’instant T. Il a l’impression que le moindre de ses mots ne sera qu’une nouvelle flèche qu’il lui décrochera en pleine figure. Même lorsqu’il essaie de faire attention, de peser ses mots, Rohann finit par faire du passif-agressif. Et là, pour une fois, il aimerait paraître plus … doux ? Plus sympa. Mais visiblement, sa langue n’est fait que pour cracher du venin.

A-Aru je … qu’est-ce que je dois comprendre moi ? Que tu as pu avoir … des sentiments pour moi ? Sérieux, joue pas avec ça. Ne sois pas con à ce point.

Ses épaules tremblent un peu alors qu’il soupire. Ses yeux piquent un peu mais il refuse de pleurer. Il se sent suffisamment ridicule comme ça pour ne pas en rajouter une couche. Alors il boit une gorgée de mojito, espérant que le peu d’alcool contenu dans le cocktail l’aide à avaler la pilule.

Je veux bien croire à tes excuses et te pardonner. Connaissant Jared et sa bande de cons, ça ne serait pas étonnant. Et je ne pense pas que tu prendrais la peine de mettre tout ça en scène pour rien. Mais le reste … le reste, je sais pas. Tu m’as prit pour un con une fois, je ne veux pas que ça se reproduise. Je suis peut-être naïf, mais je n’accepterais pas que tu me trahisses à nouveau. La première fois … ça m’a brisé le coeur.

Jamais auparavant Rohann n’a autant détaillé un napperon de table. Certainement réalisé à la main, les broderies sont précises, professionnelles. Couleur crème, ils se fondent dans la décoration du café à la perfection. Le garçon en serait presque à compter les mailles tant il ne sent incapable de supporter le regard de Aru. Il n’a pas été cool, il le sait. D’autant que son colocataire s’est suffisamment flagellé lui-même pour ne pas que Rohann ait à rajouter une couche. Mais … il fallait qu’il sache. Qu’il comprenne, une bonne fois pour toute. Il lui a fait du mal, et il doit réaliser jusqu’à quel point. Ce n’est pas là une vengeance de la part de Rohann, mais plutôt … sa façon à lui de fermer la parenthèse. Il a mit des mots sur ce qu’il ressentait, et lui a communiqué le tout. Au moins, Arutua est au courant et Rohann s’est libéré de ce poids pesant lourd sur ses épaules. Il n’a pu parler de tout ça à personne, et ça lui pesait sincèrement sur le coeur. Il était temps d’ouvrir les valves pour tout laisser partir. Au lieu de quoi … il n’aurait jamais pu tourner la page. Rohann se connaît, il a des tendances rancunières, mais il sait faire la part des choses et passer l’éponge. C’est ce qu’il désire avec Aru. Même si, il le sait lui-même, il n’en donne pas vraiment l’air. 

Ca a toujours été comme ça, de toute façon. Socialement, Rohann est maladroit. Il a pris l’habitude d’être constamment sur la défensive, pour se protéger de la méchanceté des autres. Alors lorsque quelqu’un s’adresse à lui sans la moindre arrière-pensée, ou que l’on essaie de se faire pardonner auprès de lui, le garçon est véhément. Parfois même cruel. Frappe avant d’être frappé, en quelque sorte. Or, il sait que ce n’est vraiment pas la bonne habitude. Il donne raison aux gens de se montrer durs avant lui. Il jette des seaux d’huile sur le feu, et se plaint à la moindre éclaboussure. Ce travail sur lui-même, Rohann réalise en ce moment même à quel point il est important. Il faut qu’il apprenne à accorder le bénéfice du doute. A pardonner. Et sans pour autant rester constamment sur ses gardes. Il passera à côté de beaucoup de belles choses, sinon. Et … une petite voix dans sa tête lui susurre que Arutua peut lui apporter beaucoup. N’a-t-il pas sous-entendu qu’il lui plaisait ? Pourquoi se priver d’une potentielle histoire juste pas peur du futur ? Qui ne tente rien n’a rien, comme on dit. S’il continue de vivre dans l’angoisse permanente, il finira ses jours seuls, comme un idiot … et ce n’est vraiment pas ses plans d’avenir, c’est une certitude !

Lorsque le Galarien se sent finalement en mesure de lever les yeux, il constate que quelques larmes coulent sur les joues d’Aru. Inquiète, Moe se frotte contre son Dresseur, pour le consoler. Il a beau essuyé son visage, ses beaux yeux sont rouges de tristesse. Rohann sent son coeur se serrer dans sa poitrine. Quel con il est, parfois. Aru s’ouvre à lui et il n’est même pas capable de se montrer un minimum compréhensif. Ca a dû beaucoup lui coûter que de lui avouer tout cela, notamment cette bisexualité que Rohann ne lui soupçonnait pas. Pour autant, la peur de Rohann est sincère … et justifiée. S’il a des craintes, ce n’est pas pour rien. Aru a été le dernier des idiots, avec lui. Alors oui, certes, c’est une histoire plus compliquée que cela, dans laquelle l’Alolien peut également être compté comme une victime mais c’est sur les faits que Rohann se base. Sûrement ne devrait-il pas. D’autant plus que, maintenant qu’il connaît toute l’histoire … il n’en veut plus autant à Aru. C’est même presque qu’il ne sera pas sincèrement désolé pour lui. Jared et sa bande n’ont jamais été qu’une bande de sales cons. Pour peu, Rohann irait leur faire tâter son poing !

Aux termes de quelques minutes - qui paraissent des heures au Galarien - Arutua finit par se calmer. Il sèche ses larmes et prend une grande inspiration pour se calmer. Face à lui, presque ratatiné sur sa chaise, Rohann l’observe en silence, craignant sa sentence. Stressé, il se mordille la lèvre inférieure, écoutant son colocataire sans piper mot. Bien sûr qu’il veut le pardonner. A quoi bon lui porter rancoeur encore et encore ? Le passé est le passé, c’est sur le présent qu’ils doivent concentrer leurs efforts maintenant. Néanmoins, ce n’est pas le meilleur endroit pour cela. Rohann a besoin d’air - et de solitude. Alors il s’assure que le verre d’Arutua soit vide avant de le saisir par le poignet, déposant quelques pokédollars sur la table en guise de paiement. En théorie, le compte est bon, il avait presque vingt pokédollars en liquide sur lui. Sans ajouter un mot, Rohann tire Aru à sa suite, ignorant les regards étonnés qui se déposent sur eux. Il adresse malgré tout quelques salutations polies au personnel avant de pousser la porte et de respirer à fond l’air humide de Derwoud.

Il ne s’attarde cependant pas devant le café. Sans lâcher Aru, Rohann s’éloigne et rejoint l’orée de la forêt. S’il ne compte pas disparaître au coeur de la Jungle Véronèse, il compte seulement sur les premiers arbres des bois pour leur offrir une intimité nécessaire pour la suite de leur conversation. Le Galarien marche pendant quelques minutes en silence, observant ses pieds plutôt que l’horizon. Son cerveau, en ébullition, cherche toutes les excuses possibles et imaginables. S’il a fait pleuré Arutua, c’est parce qu’il l’a blessé. Et Rohann n’en retire pas la moindre fierté, bien au contraire. ll ne veut pas considérer cela comme une petit vengeance que l’Alolien aurait bien mérité … il n’est pas un gamin à ce point. Néanmoins, il a beau réfléchir … rien de particulièrement convainquant ne lui vient à l’esprit. Tant pis, il va devoir y aller à l’aveuglette. Dire les choses comme elles lui viennent, sans avoir rien préparé au préalable. Ca ne sera pas très glorieux, mais il n’a pas vraiment le choix. De toute façon, au point où ils en sont … autant faire tomber tous les masques, non ?

Finalement, Rohann s’arrête, au milieu des arbres bordant la ville. S’ils ne sont pas loin du centre, ils n’entendent rien de son brouhaha et ne voient personne - et personne ne doit pouvoir les voir en retour. Doucement, il relâche le poignet d’Aru et se frotte frénétiquement le visage, comme pour se donner du courage. Bon ! Puisqu’il faut se jeter à l’eau … autant plonger sans se poser la moindre question.

Désolé. J’avais besoin d’air. Et surtout … de solitude.

Finalement, il fait volte-face et plonge ses yeux dans ceux d’Aru. Leur couleur noisette est si belle … rien de particulièrement commun, qui rend le visage de son colocataire si unique, si attirant. Un instant, son regard tombe sur ses lèvres, qui semblent l’attirer comme un aimant. Mais Rohann tient bon, et vient doucement attraper les mains de l’Alolien, serrant ses doigts dans les siens. Ah, c’est si difficile. Il a tellement peur de dire encore quelque chose de travers … mais impossible de se défiler. C’est maintenant ou jamais.

Ecoute Aru, je suis désolé. Tu t’ouvres à moi et je réagis comme le dernier des idiots. En fait, le con, c’est moi. Mais tu sais, je me suis dit que je devais te dire les choses qu’elles que je les ressentais pour .. ben, clore ce chapitre ? Je connais tes sentiments, tu connais les miens. Il n’y a plus aucun secret. J’ai envie de dire … affaire classée ?

Hm, Rohann devrait arrêter de lire les romans policiers de son père, ça commence à sérieusement déteindre sur son vocabulaire. Néanmoins, ce n’est pas le moment de se poser des questions sur sa façon de parler, il y a plus important dans l’instant.

Je te pardonne. Pas besoin d’entretenir une vieille rancoeur alors que l’on pourrait … repartir sur des bases saines ? Enfin, si tu le veux bien.

Crétin. Jamais Rohann ne s’est considéré aussi crétin qu’à ce moment précis. Qu’est-ce qui lui a pris, au juste ? Quel Bombydou a bien pu le piquer ? Sur l’instant, il n’a pas réfléchi. Ce besoin de solitude et de grand air l’a poussé à agir sur un coup de tête, à se saisir ce poignet et de le tirer loin, loin du café, loin du regard des autres … pour, enfin, retrouver la plénitude que seule la forêt sait lui offrir. Malgré sa surprise - toute compréhensible et justifiée - Arutua s’est laissé sans sans trop protester. Il lui a bien demandé le pourquoi du comment mais … Rohann n’a pas été capable de lui répondre. Et maintenant qu’ils se retrouvent tous les deux, maintenant que le Galarien lui a fait ses aveux … il se sent sincèrement ridicule. Pour peu, il aimerait se transformer en Taupiqueur afin de disparaître six pieds sous terre. Ce genre de réaction n’est absolument pas commune de sa part, et c’est ce qui a dû étonner Arutua avant toute chose. En général, Rohann parle avant d’agir. Lorsque le contraire se passe, c’est parce qu’il a écouté ses pulsions et son instinct plus que sa chère raison, qui semble pourtant lui dicter sa vie de A à Z. Et le résultat est là … ses joues, écarlates, semblent avoir littéralement pris feu. S’il le pouvait, Rohann se plongerait la tête dans un seau d’eau glacée …

Mais … au moins, il se sent plus léger. Arutua sait tout - les voilà sur un pied d’égalité. Aucun des deux n’a l’avantage sur l’autre et cet équilibrage, c’est la promesse d’un futur un peu plus sympathique. Peut-il se dire que, enfin, les disputes sans queue ni tête à propos d’un cactus en plus sur le bord de la fenêtre ou d’un vêtement traînant sur la mauvaise chaise sont terminées ? Bien évidemment, Rohann ne s’attend pas à ce qu’ils deviennent les meilleurs amis du monde du jour au lendemain mais … il espère pouvoir constater les changements et les apprécier à leur juste valeur. Cela prendra peut-être un petit peu de temps, parce que personne ne change en un jour. Mais à force d’effort des deux côtés, Rohann veut croire à une cohabitation plus sympathique, sereine, et pourquoi pas … amicale ? Voire plus ? Son coeur rate un battement dans sa poitrine - c’est sûrement beaucoup trop tôt pour penser si loin mais … une petite voix lui souffle que cela peut arriver. Qu’il s’agit d’un futur possible pour eux. Et si l’occasion se présente un jour, Rohann viendra la saisir à deux mains.

Cela en tête, sentir les doigts d’Aru serrer les siens le rend tout chose. Un agréable sentiment de sérénité enveloppe un instant Rohann, qui ne peut qu’esquisser un sourire un peu tordu aux paroles de son aîné. Il a raison … les choses prendront sûrement un peu de temps. Mais il est persuadé que tout ceci aura une fin heureuse. Peut-être pas la “happy end” qu’il attend mais … au moins une relation plus saine, plus respectueuse aussi. Pour finir l’année scolaire dans une ambiance moins tendue. D’autant que les examens d’Arutua arrivent à grands pas, et il aurait bien d’autre Chacripan à fouetter pour gérer les états-d’âmes de Rohann. Ce dernier se fait d’ailleurs la promesse de ne pas l’importuner et de ne plus faire mention de son manque de travail. L’Alolien se gère comme il l’entend et ce n’est pas à lui de lui dire comment faire. A chacun sa méthode … Néanmoins, si son aîné a besoin de quelques conseils pour retenir plus efficacement une leçon, Rohann se fera une joie de l’aider. Il est plutôt bon professeur malgré les apparences … d’où l’insistance de son professeur pour l’inclure dans ce satané groupe d’entraide.

Tout à ses pensées, le Galarien affiche une mine surprise lorsqu’il sent Arutua le tirer doucement vers lui. Ses mains glissent dans son dos et avant que Rohann n’ait le temps de dire quoi que ce soit, il se retrouve dans les bras de l’Alolien qui l’étreint doucement mais affectueusement. Il ne force rien, si bien que l’apprenti Ranger pourrait s’enfuir sans le moindre mal. Néanmoins, le parfum délicat qui envahit ses narines le convainc de ne rien en faire, préférant enfouir son nez dans ses cheveux violets, le plus discrètement du monde. Si son coeur se lance dans un tango endiablé dans sa poitrine, Rohann ne s’en rend même pas compte, préférant refermer doucement ses bras autour de sa taille de son aîné afin de lui rendre la pareille. Ah, la chaleur de ses bras est si réconfortante … il aimerait demeurer ainsi pour l’éternité. Un instant, il s’imagine effleurer ces lèvres qui l’appellent comme au premier jour, mais il s’y refuse. C’est bien trop tôt pour cela. Il préfère voir comment les choses évoluent et s’ils parviennent, l’un comme l’autre, à tenir leurs engagements. Aru l’a dit : ça prendra du temps. Alors autant ne rien précipiter … pour le moment.

Merci à toi de t’être confié. Je … je ne m’y attendais pas et … ouai, ça me touche.

Parler ainsi de ses sentiments le gêne énormément mais, sur le coup, ça lui paraît si naturel qu’il en esquisse un petit sourire ravi. Leur fin d’année promet, c’est une certitude. Et si Rohann comptait autrefois les jours jusqu’au départ d’Aru, pressé qu’il mette les voiles et lui foute la paix … il ressent désormais un léger pincement au coeur à l’idée qu’il quitte l’académie et parte faire carrière ailleurs. Etant donné l’époque de l’année, il a probablement déjà choisi sa future caserne et doit chercher son logement à proximité. Reste-t-il seulement à Salva ? En Austrée ? Part-il loin de Derwoud, au point qu’il risque de ne jamais le revoir avant que, lui-même, ne soit diplômé …? Imperceptiblement, il renforce son étreinte autour de sa taille. Il aimerait … il aimerait sincèrement vivre quelque chose avec lui. Une histoire, passionnée, sincère. Faire un bout de chemin en sa compagnie - ou peut-être plus ? Cela dépendra de la volonté d’Aru … malgré ses mots qui veulent tout dire, Rohann ne peut pas clamer haut et fort qu’il l’aime de tout son coeur. Alors cela peut paraître un peu fleur bleue mais … le Galarien aimerait être sûr de leurs sentiments, les siens comme ceux d’Aru. Pour ne pas s’engager sur une route à sens unique, ou un cul-de-sac. Bien sûr, il est difficile de tout prévoir à l’avance mais avant de s’engager où que ce soit, Rohann veut pouvoir constater de lui-même de l’évolution de leurs sentiments.

Ecoute, je erm … j’ai espoir que tout s’arrange vite entre nous. J’ai envie de plus te connaître. Mais le vrai toi. Pas le Aru qui convient à Jared.

Doucement, Rohann s’écarte et lui offre un petit sourire timide. Il espère qu’avec ses mots, Arutua comprenne ce qu’il aimerait voir évoluer entre eux. Une relation sincère, sans tabou, sans secret … enfin, bien sûr qu’ils garderont toujours leur jardin secret, c’est propre à chacun, mais plus de mensonges et d’amitié feinte. Ce n’est que comme ça qu’ils pourront avancer sur le bon chemin.

On rentre …? Il commence à se faire tard et … j’ai quelques devoirs à faire.

Il y aura des choses qui ne changeront pas néanmoins … et Rohann reste Rohann !