Stupide forêt.
C'était la troisième fois qu'Alexei se prenait les pieds dans les horribles racines de ces satanés arbres. À chaque fois, il pestait, insultait ces obstacles qui osaient se mettre sur son chemin.
Les yeux petits, gonflés, le visage émacié par une nuit agitée, il suivait Syrius avec un enthousiasme digne d'un Gruikui conduit à l'abattoir. De temps à autres, il s'arrêtait pour soupirer de tout son soûl et murmurer quelques mots doux – à prendre avec ironie – à l'égard de son compagnon de route.
Tout Pokémon laissés dans leur pokéball, il préférait faire cavalier seul, aujourd'hui. De toute façon, après la défaite de la veille, il ne servirait à rien de les forcer à s'entraîner aujourd'hui. Et puis le Venyysien n'en éprouvait pas l'envie. La douleur de cette humiliation était encore vive et il ne parvenait pas à l'apaiser. L'Austréen avait bien essayé de le consoler la veille, mais rien n'y avait fait. Bien au contraire.
Se laisser aller dans ses bras pour pleurer comme un Larméléon avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase : cette honte qui avait donné un goût amer à son réveil et à cette journée qui s'offrait à eux.
En sortant du lit, le regard qu'avait lancé Alexei à Syrius avait été des plus incendier. Au beau milieu de toutes ces émotions négatives, le jeune homme n'avait pas relevé cette étrange réaction de la part de Martial peu avant son combat d'arène. Lorsqu'il avait vu Syrius, il l'avait salué plutôt chaleureusement, ce qui n'était pourtant pas le genre de ce champion méprisant et altier.
Si Alexei avait trouvé ce comportement étrange, l'idée de se mesurer à son premier combat officiel l'avait détourné de tout autre sujet… Perdre lamentablement comme il l'avait fait avait d'ailleurs fini de lui faire oublier ce maigre détail.
Il se souvenait encore des mots dur du champion de type fée : un manque de connaissance, d'effort. Une équipe incomplète, décousue. Pas assez de pokémon… 
Oh, chacun de ces rapproches avait été un coup de couteau en plein cœur, et le jeune homme en gardait une amertume terrible. Il s'était senti… Idiot, affreusement idiot. Incapable de faire quoi que ce soit de bien ; un moins que rien. Un raté.
Entre quelques sanglots incontrôlés, il l'avait dit à Syrius, la voix tremblante : il n'arriverait jamais à rien.
Et le lendemain, cette pensée ô combien négative restait accrochée à son esprit, bien décidée à lui pourrir la vie.
Des milliers de questions le taraudaient : était-il vraiment fait pour être dresseur ? Ce premier combat lui avait bien montré qu'il n'avait aucun talent. Ne devrait-il pas retourner chez lui et raccrocher avec ses rêves utopistes ? Sa sœur se moquerait de lui. Il devrait se marier et descendre à la mine.
Perdu, complètement perdu, il s'était donc rabattu sur une interrogation qui demeurait accessible : pourquoi ce Martial avait il parlé à Syrius avec autant de familiarité ? Un sujet placebo, qui lui donnait l'illusion de mettre côté tout le reste, de souffrir un peu moins… Ou du moins, de souffrir autrement.

Depuis leur départ de Belagora, sa relation avec l'Austréen avait pris un tournant étrange. Suite à leur conversation le soir du festival, une petite gêne rythmait leur quotidien. Une sorte de pudeur qui cachait des sentiments déjà exprimés mais tardant à se mettre en pratique. Ça aussi, Alexei en avait honte.
Il mourrait d'envie de se laisser aller contre lui, de s'appuyer sur ce soutien infaillible. Se laisser capturer par cette forte attirance qui l'avait mené à une longue contemplation au matin de leur départ de la capitale : observer son compagnon de route endormi l'avait plongé dans un émoi particulier qu'il avait déjà pu ressentir avec Ioann dans son adolescence. L'envie de venir se lover contre lui, de déposer un baiser timide sur ses lèvres douces et charnues… Se laisser aller à des caresses sensuelles et se reposer contre sa peau… Son imagination, productive, faisait en général le reste, et se tirer de cette rêverie un peu folle était toujours une épreuve difficile.

Alors, là aussi, il avait préféré mettre ses désirs, ses doutes, ses hontes de côté… Pour décharger toute sa colère sur cette question innocente qu'il avait retrouvée dans un coin de sa mémoire dérangée.
Ce regard courroucé qu'il avait posé sur lui au petit matin était le début d'une rancune particulièrement cruelle : Syrius lui cachait quelque chose. Alexei en était désormais persuadé. Et alors que le photographe s'inquiétait de son état de santé, lui proposant un morceau de sandwich au terme d'une longue et éprouvante visite de la forêt de sycomores, Alexei, lui, ne faisait que lui en vouloir sans connaître les tenants des aboutissants.

Il jeta un regard noir à l'Austréen qui s'était assis sur une vieux tronc renversé et secoua vivement la tête. Il n'avait pas faim, et le sourire qu'il lui adressait ne faisait qu'intensifier sa nausée. Alors, allant s'adosser à un arbre, un peu plus loin, il croisa les bras et observa la clairière dans laquelle ils s'étaient arrêtés. À quelques mètres, un vieux bâtiment offrait une vue misérable. Son bois, rongé par les fermite, lui donnait des allures de film d'horreur.
Les racines, nombreuses, jonchaient le sol herbu, soulevant la terre et amusant les pokémon de son camarade.
Un instant, Lyov qui appartenait désormais à Syrius, arrêta son jeu pour dévisager le blond avec un mépris peu commun. Le Venyysien darda des yeux assassins sur la créature qui s'enfuit en courant, effrayé, suivi de près par la rocabot chromatique désirant encore s'amuser.
Le loup avait assisté à la défaite de son ex dresseur, et ce dernier se souviendrait toujours de cet air satisfait qui avait illuminé les traits de son visage. Il avait trouvé là sa vengeance.
Soudainement, tout le chagrin que le garçon s'était efforcé de refouler éclata à sa figure ; colère, culpabilité, désespoir, honte étaient ensemble mélangés pour donner un cocktail explosif, venin qui s'insinuait peu à peu dans chaque parcelle de son corps déjà meurtri par les sanglots de la veille.
La gorge d'Alexei se serra violemment, et sans qu'il ne puisse rien à faire, les larmes inondèrent ses yeux.
Un coup d'œil rapide, honteux en direction de l'Austréen et le jeune homme eut tôt fait de s'éclipser entre les arbres après avoir lâché un 'Je vais faire un tour' d'une voix rauque et brisée.

Il marcha d'un pas rapide, enjambant les racines, bien décidé à s'éloigner le plus possible de ce garçon qui éveillait tant de sentiments contraires chez lui. Cet Austréen de malheur qui faisait de sa vie un enfer et qui trouvait pourtant bon de le consoler avec une tendresse affligeante alors qu'il aurait préféré rester seul après un tel affront ! Pleurer devant lui devenait insupportable… Et en plus, il avait le toupet de lui cacher des choses sur sa propre vie, peut-être même ses origines bourgeoises.
Alexei était certain que Syrius avait tu quelques descendances nobles : Martial ne le connaissait pas pour rien !
Reniflant rageusement, il se laissa tomber au pied d'un énorme sycomore et s'il garda un visage fermé dans un premier temps, il ne tarda pas à éclater en sanglots douloureux.

Ces derniers jours, il ne faisait que pleurer. Tant que plus aucune larmes ne parvenait à s'échapper de ses yeux chagrins. Tant que chaque crise lui donnait un mal de tête terrible.

Qu'allait-il donc devenir ? Cette tristesse qui l'accablait sans cesse, cette rage profonde, cette honte cinglante étaient devenus insupportables.
Plongeant son visage déformé par la peine dans ses bras, il ne releva la tête que lorsque Syrius le rejoignit – évidemment, il n'avait pas la décence de le laisser tranquille –. Le regard qu'il lui lança débordait d'une haine sourde, toute faussée et alimentée par des sentiments hostiles, fruit d'un trouble profond qui le torturait :

▬ Va-t-en ! S'il-te-plaît ! Va bouffer ton sandwich si ça te chante, mais laisse-moi seul ! J'ai pas faim, et je veux pas te voir !

Des mots durs qui se fondirent en un nouveau sanglot. Il essuya rageusement le peu de larmes qui avaient mouillé ses joues irritées.

▬ De toute façon, tu peux bien me raconter tout ce que tu veux ! Comme quoi tu comprends, comme quoi il ne faut pas que je m'inquiète, comme quoi je devrais me laisser aller dans tes bras… Mais pourquoi je te croirais ?! Tu n'es qu'un menteur et un sale cachotier. Va-t-en.

Les phrases sortaient sans contrôle préalables, brutes, blessantes et irréfléchies. Syrius devenait la tête de turc de tout un monde de sentiments négatifs, d'humeurs terribles dont le blond ne parvenait pas à se débarrasser.

▬ T-Tu devrais te trouver une autre tarlouze. J-Je suis pas le bon, tu vois bien ! Juste un raté qui ne trouve rien de mieux que faire honte à ses parents ! Va-t-en.

@Syrius

Tapette. Tarlouze. Tantouze.
Pédé.
Tous ces mots qui résonnaient en écho dans sa tête et qui lui donnaient envie de pleurer jusqu'à plus fin et de disparaître six pieds sous terre. Tous ces mots qu'il avait un jour entendu dans la bouche de son père et qui le touchaient à chaque fois en plein cœur.
Le dire lui-même, c'était une façon de se punir, de se faire encore plus de mal, de se blesser, de se flageller jusqu'au sang.
C'était tout ce qu'il était, après tout, non ? À quoi cela servait-il de se le cacher plus longtemps ? Une sale tarlouze. Un mec qui se ferait bientôt humilier par un autre homme et qui en redemanderait. Quelle honte… Mais quelle honte…
Son regard, encore fixé sur Syrius, vacilla. De grosses larmes troublèrent son champ de vision et il plongea son visage entre ses bras pour sangloter tranquillement. Il était certain que l'Austréen resterait à ses côtés, quoi qu'il fasse, quoi qu'il lui dise, et il n'avait pas la force de le chasser. Il n'avait qu'à rester planté là si ça lui plaisait ! Après tout, il n'y avait plus rien à sauver. L'honneur, l'orgueil… Il n'y avait plus rien de tout ça. Au moins, il ne pourrait pas tomber plus bas.

Qu'était-il donc aux yeux de Syrius ? Un monstre ? Une pédale chialeuse…? Un nouveau sanglot, plus violent que les autres, se répercuta dans toute la forêt et un lourd frisson parcourut son corps entier.
Au fond… Qu'en avait-il à faire, des histoires du photographe ? Il pouvait bien être le fils de qui il voulait ! La reine de Galar, même, si c'était permis ! Le blond s'en moquait. Ce n'était qu'un problème parmi tant d'autre, et sans doute pas le pire.

Tremblant de tout ses membres, Alexei demeura silencieux, reniflant seulement de temps à autres ; le plus gros problème, c'était les sentiments de plus en plus forts qu'il éprouvait à son égard. Même un mensonge sur ses origines ne pourrait rien y changer, il en était certain.
Tout de Syrius lui plaisait, désormais : jusqu'à ses manies, jusqu'à sa voix, toujours douce, chaude et rassurante. Il adorait ala forme délicate de son épaule, la chaleur que produisait naturellement son corps et qui l'apaisait chaque fois qu'il se collait à lui…
Tant de choses l'attiraient chez ce garçon. Tant qu'il ne lui trouvait plus aucun défaut, si ce n'était son entêtement à vouloir le consoler alors qu'il n'y avait rien à faire. Le chagrin d'Alexei était comme une tempête : personne ne parviendrait à l'arrêter ; il valait mieux attendre que ça passe.

Aussi, lorsque Syrius, qui s'était un peu éloigné pour s'asseoir sur une vieille souche, daigna lui expliquer la situation, Alexei ne fit que sangloter doucement… Que voulait-il qu'il lui réponde ? Bien sûr, qu'il connaissait les Al'Shams. Ces sales bourges du sud dont les ancêtres avaient asservi le Septrion des décennies entières… Mais qu'en restait-il, désormais ? Un prinçaillon, un gouverneur incapable… Et un champion. Le blond en aurait presque ri dans un autre état, mais il se contenta d'en pleurer.
De toute façon… Ça ne changeait rien. Certes, il sentait une colère sourde serrer désagréablement sa gorge : sans doute le sentiment d'avoir été trahi par ce garçon auquel il avait pu se confier sur sa propre situation familiale de nombreuse fois… Mais perdu pour perdu… Autant dire que le Venyysien n'en avait plus rien à faire.
Un coin de son esprit nota néanmoins que son compagnon de route n'avait pas l'air en très bons termes avec ses richissimes parents, et quelque part, cela le rassura un peu. Bien plus qu'il ne voulut se l'avouer.

Déçu, bien sûr qu'Alexei l'était. Très déçu, même. Mais au fond, Syrius restait le même : ce garçon attachant, humble et profondément gentil qui l'avait aidé quand les choses ne s'étaient pas passées comme prévu, qui l'avait charmé à force de petites attentions et expressions d'émotions diverses.
Aussi, un peu sonné mais pas franchement scandalisé, le garçon releva doucement la tête et plongea son regard dans celui de l'Austréen. Se dernier l'avait rejoint et se tenait désormais à ses côté, se permettant d'essuyer les larmes qui rougissaient ses yeux et maculaient son visage. Alexei prit lui-même le mouchoir et sécha avec lassitude les traces de son chagrin, grimaçant de temps à autres : sa peau, très irritée à force de pleurer, absorbait le sel de ses larmes et lui piquait désagréablement.
Un soupir tremblant s'échappa de ses lèvres :

▬ Q-Qu'est-ce que j'en ai à foutre, de toute façon…? J-Je savais que tu étais riche… Ç-Ça me suffit.

Des paroles étonnamment sage qui marquaient un lent mais progressif changement de mentalité. Quelques semaines plus tôt, il s'en serait pris à lui avec une violence toute cruelle. Désormais, il ne parvenait qu'à constater et lui en vouloir de ne pas lui en avoir parlé plus tôt.
De nouvelles larmes, brûlantes, intarissables, dévalèrent ses joues et son visage se déforma en un rictus chagrin. Il se sentait tellement nul, tellement idiot de n'avoir rien vu, rien remarqué. Et au-delà de ça, il détestait d'avoir fait peur à ce garçon au point d'attendre d'être confronté à une preuve irréfutable pour lui parler de tout ça. Il n'était donc… qu'un salaud ? Pour que Syrius n'ose pas ce confier à lui, c'était sans doute le cas. Un pauvre con égoïste…
Un nouveau sanglot secoua ses épaules :

▬ J-Je sers vraiment à rien… T-Trouve-toi quelqu'un d'autre… Ce sera plus sage… Je suis vraiment tout ce qu'il y a de pire !

Il accentua son dernier mot qui se fit cinglant, terrible, et s'éleva dans ce coin de forêt où ils s'étaient tout deux assis.

▬ Alex … Tu n’es pas un raté, ni un moins que rien. Et il n’est pas question que j’aille voir ailleurs parce que … parce que je t’aime.

Les sanglots du blond reprirent de plus belle à ces mots. Sérieusement…? Pourquoi empirait-il la situation en lui disant des choses aussi embarrassantes ? Ses joues s'empourprèrent et un flot de larmes vint se déverser sur ses joues en peu de temps. Tremblant comme un feuille, il lui jeta un regard désespéré et l'agrippa par son pull, venant poser son front contre le haut de son torse :

▬ M-Mais pourquoi tu dis des choses pareille… A-Arrête, n-ne dis pas des trucs comme ça…! C'est pire que tout…

S'effondrant finalement dans ses bras, Alexei cacha son visage dans son cou et enlaça sa taille, le serrant fort contre lui. Son cœur battait à la chamade, si fort que le sang pulsait désagréablement à ses oreilles. Il toussa un peu, s'étouffant avec ses propres sanglots, et s'abandonna, las, à cette chaleur qui s'emparait petit à petit de son corps, qui faisait s'envoler un million de papillons dans son bas ventre et lui donnait une nausée légère mais détestable.
Il n'osait pas se répéter ce que Syrius venait de lui dire. C'était tellement gênant… Il en éprouvait une honte mordante, mais aussi la culpabilité d'avoir quelque part aimé entendre ces mots.
Il avait terriblement envie de plus, et il n'osait même pas se l'avouer… Pourtant, son corps parlait à sa place, et ce constat lui donne la chair de poule. Il était terrifié à l'idée de mettre les pieds dans cette univers qui lui tendait désormais les bras… Terrifié parce qu'il craignait qu'on ne les voit, qu'on ne les agresse. Terrifié parce qu'il était certain de ne pas pouvoir assumer un tel changement dans sa vie, quand bien même il le désirait ardemment.
Petit à petit, il s'abandonna complètement dans les bras de l'Austréen et retrouva un calme tout relatif, ses sanglots s'apaisant pour ne devenir que de petits soubresauts chagrin.
Son besoin de réconfort se faisait plus que jamais ressentir et Alexei finit pas laisser une de ses mains s'aventurer jusqu'aux cheveux mi-longs de Syrius, venant les caresser doucement dans une tentative de tendresse maladroite :

▬ J-J'ai… Super honte… M-Mais j'arrive pas à te repousser… Murmura-t-il finalement dans son cou, la voix plus tremblante et fragile que jamais. J'ai peur aussi… J-J'ai tellement peur d-de ce qui va suivre…

@Syrius

Des crises de larmes comme celle-ci, Alexei en faisait de plus en plus, et c'était tout particulièrement inquiétant. Qu'était-il en train de devenir, au juste ? Si son père l'avait vu dans cet état, il l'aurait sans doute déshérité sur le champ. Quelle honte…
Malheureusement, fermer les écoutilles n'était pas toujours possible. La plupart du temps, le blond y parvenait ; c'était difficile, parfois même douloureux, mais il était capable de retenir ses larmes… Mais il y avait des situations où, malheureusement, c'était chose impossible. Un pari perdu d'avance dont il n'était pas capable. Un effort surhumain, une idée vaine qu'il abandonnait bien vite.
De toute façon, à trop se retenir, à trop intérioriser, il devenait fou. Ce n'était pas la bonne solution.
Pleurer, s'exprimer, se révéler… C'était un exercice difficile, mais naturel qui lui faisait beaucoup de bien. Certes, il avait honte de ce qu'il devenait petit à petit : un garçon peut-être trop à fleur de peau, un gamin chialeur qui s'apitoyait toujours sur son sort… Mais n'était-ce pas sa véritable personnalité, au fond ? Celle qu'on avait tenté de lui ôter alors qu'il n'était encore qu'un enfant ? Des paires de gifles, des remontrances, il en avait reçues… Alors maintenant qu'il était loin de ce père aux airs de bourreau, de cette grande sœur qui ne jurait que par son sérieux, il lâchait du leste et se laisser porter par ce petit cœur battant qu'il avait trop longtemps négligé.

Mais jusqu'à quand cela pourrait-il durer ? Chaque fois qu'il s'écoutait, il franchissait une étape supplémentaire. L'avant-veille, il avait laissé entendre ses sentiments à Syrius et avait accepté de continuer son voyage avec lui alors que le plus sage aurait été de s'en éloigner. Et à présent… À présent il était dans ses bras et ne l'avait même pas repoussé, malgré cette déclaration osée, ces trois petits mots qui voulaient dire tant de choses et le perdaient complètement.
Jusqu'où irait-il, comme ça ? Est-ce que c'était une bonne chose ? Ou commettait-il une terrible erreur ? Il n'arrivait pas à savoir… Et même si l'Austréen ne cessait de lui répéter que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire, la crainte d'être découvert par sa famille l'empêchait d'avancer. Au-delà de ça, il y avait aussi le regard qu'il portait sur lui-même. Que serait-il, à ses yeux, s'il laissait Syrius voler son cœur ? Plus qu'une tantouse, ce qu'il avait toujours voulu fuir et qui éclatait désormais au grand jour sans qu'il ne puisse rien y faire.

Malgré toutes ces peurs, cette panique terrible qui prenait le dessus sur sa raison, il ne parvenait pas à se défaire de cette douce étreinte. C'était là son seul réconfort : un peu de tendresse comme il n'en avait jamais eue auparavant. Un peu d'amour dans cet univers sombre où il peinait à trouver son bonheur.

Un petit soupir tremblant s'échoua dans le cou du photographe. Alexei laissa ses doigts courir dans sa douce chevelure, veillant bien à ne tirer aucune mèche ; il ne voulait pas lui faire mal. Juste lui dire par ce geste d'apparence anodin qu'il partageait les même sentiments que lui. Parler n'était pas son fort, alors, il ne pouvait qu'agir. Que se laisser porter par cet élan de tendresse, d'affection qui le poussait à aller toujours plus loin dans leur tentative de rapprochement physique.
Il sentait le cœur de Syrius battre à la chamade dans sa poitrine, il entendait aussi son propre poul, qui tambourinait à n'en plus finir sur ses tempes. Toute ses pensées s'emmêlaient ; il n'y avait plus rien à en tirer si ce n'était ce désir profond de se laisser faire. Il y cèderait, encore une fois. Il ne voulait plus penser à l'après… Seulement profiter du moment présent, de cette chaleur que lui offrait ce garçon auquel il s'était tant attaché. Le seul qui faisait preuve de magnanimité, de compréhension et même de douceur à son égard.

Petit à petit, les vestiges de ses sanglots s'effacèrent pour laisser place à une respiration calme, discrète, qui laissait enfin entendre les bruissements de la forêt. Seul un silence entendu, complice, pour se dire des mots muets mais ô combien plus intenses que quelques phrases bafouillées.
Doucement, Alexei se détacha de l'étreinte du photographe, plongeant son regard dans le sien : ses pupilles émeraude lui rappelaient le feuillage des pins qui étendaient leurs ramures non loin de Venyys, seules marques d'une végétation timide mais bel et bien présente dans ce nord dévasté par la neige et le froid. Syrius avait un regard particulièrement réconfortant. Une couleur chaude, chatoyante, qui lui rappelait qu'il n'était pas seul et qu'il était au moins aimé de quelqu'un à sa juste valeur.
Dans ce contact visuel, le blond trouva la force d'accepter sa tendresse sans s'écarter, sans rechigner. Il laissa l'Austréen essuyer ses larmes, caresser son visage collant de sel, douloureux après les crises successives qui avaient fini par irriter sa peau délicate. Prenant sa main dans la sienne, il s'appuya contre sa paume fraîche et apaisante. Le rouge vint mordre ses joues, mais il n'y prêta pas attention et préféra déposer un léger baiser au bout de ses doigts qui cessèrent de courir sur sa peau pour se perdre dans son cou.
Retenant sa respiration, Alexei ouvrit grand ses yeux rougis, sentant un lourd frisson parcourir son échine.
En observant Syrius réduire la distance qui les séparait dans un silence presque religieux, il ne pensa pas une seule seconde à reculer, à fuir ce qui s'annonçait comme inévitable, ce qui serait bientôt une fatalité, un évènement qu'il ne pourrait plus jamais oublier. Non, il demeura immobile, complètement passif, entièrement offert à ce garçon qui vint quérir ses lèvres avec un doux baiser, à peine appuyé, juste assez pour que son visage entier se teinte d'écarlate.
Le Septrionien papillonna un instant des yeux avant de fuir ce regard ardent qui cherchait ses prunelles grises, un drôle de sentiment le prenant à la gorge. Ce n'était pas de la honte – pas encore du moins –, pas de la culpabilité non plus… Une sorte d'embarras, de gêne sourde qui n'avait rien de néfaste : au contraire, elle était toute naturelle, fruit de sa maladresse, de ce premier baiser ni vraiment réussi, ni vraiment raté.

Les mots de Syrius se perdirent d'ailleurs dans le flot déchaîné de ses pensées, de ses nouvelles craintes somme toute bien anodines et naïves, ces questions dérangeantes qui suivaient toujours un évènement aussi important dans la vie d'un jeune adulte. Seul un frisson plus intense que les autres le tira de sa rêverie éveillée lorsque l'Austréen déposa un baiser chaud sur son front, créant une véritable petite décharge électrique.
Alors, il se laissa aller dans ses bras pour y respirer son parfum et ferma quelques instants les yeux pour calmer les battements endiablés de son cœur. Il avait l'impression que sa poitrine était en train d'exploser.
Ses bras vinrent se souder autour du cou de Syrius, recherchant une étreinte amoureuse, pleine d'une tendresse ardente qui lui ferait un bien fou.
Timide, il osa même déposer un léger baiser dans ce cou qui lui était offert, attardant un instant ses lèvres contre sa peau douce.
Après avoir laissé planer un silence apaisant, il finit tout de même pas s'écarter de l'austréen pour se confronter à son regard virile et il força un petit sourire, pâle traduction de cette explosion d'émotions qui avait lieu dans son corps et son esprit :

▬ J'aimerais… J'aimerais qu'on reste comme ça pour le restant de nos jours… Qu'on revive ce moment à l'infini… Je me sens bien, dans tes bras. Murmura-t-il enfin avec une pudeur toute mesurée.

Il se sentait bien, c'était la vérité. Apaisé, maître de lui-même, enfin maître de ses sentiments… Et ces phrases anodines, presque trop fleur bleue étaient en réalité la transcription d'une crainte latente : il savait que ce sentiment de plénitude ne durerait pas. Que bientôt, il serait rejoint par cette honte cruelle qu'il avait réussi à chasser pour dix minutes de joie innocente, d'amour pudique.
Alors, profitant de cette sensation de toute-puissance, conscient qu'elle n'était que passagère, le garçon brava les dernières barrières qu'on avait dressé sur son chemin et déposa à son tour un baiser sur les lèvres toutes offertes de Syrius, s'y attardant un peu plus, goûtant à leur saveur si particulière et terriblement enivrante.

Il laissa enfin aller sa tête contre son épaule, se lovant contre ce torse incroyablement confortable, et soupira doucement.

▬ Je sais que je fais une connerie, là… Un petit sourire sardonique déchira son visage. Mais elle a un goût de paradis… Je vais essayer d'en profiter tant qu'il en est encore temps… Et de me souvenir de tout, je te le promets.

@Syrius

Ses mots sonnaient déjà comme une sentence. Si Alexei était en ce moment même sur un petit nuage, ce dernier était encore friable et quelque peu orageux. Rien ne durerait. Pas même ce sentiment de plénitude… Car le blond, malgré l'affection que lui portait Syrius, malgré ses gestes tendres, malgré le baiser qu'il avait osé poser sur ses lèvres offertes, se trouvait perdu. Il vagabondait sur une terre qui lui était tout à fait inconnu et où des spectres du passé faisaient tour à tour leur apparition. D'abord ceux de son père, de ses sœurs, puis celui de Ioann… Et le sien, quelques années plus tôt… L'impression que ses avant-bras le démangeaient à nouveau, comme si les plaies qu'il y avait tracé avec la lame de son couteau n'étaient pas encore guéries… Comme si, petit à petit, elles commençaient à se réouvrir pour devenir des ouvertures béantes et sanglantes.

Contre l'épaule de Syrius, il fut parcouru d'un terrible frisson et ferma les yeux quelques instants pour tenter de se concentrer sur des sentiments positifs… L'exercice était complexe, et il doutait de pouvoir y arriver. Le Venyysien était toujours partagé, déchiré par son envie de rester contre ce garçon, de le couvrir de tendresse et sa peur de s'engager dans cet univers qu'il avait si longtemps redouté, repoussé, refoulé… Et qui s'imposait à lui, plus que jamais.
S'il faisait le dernier pas… S'il franchissait la limite… La dernière limite… Alors il se perdrait. Et rien ni personne ne pourrait jamais le ramener sur le droit chemin. Il emprunterait toute sa vie une route tortueuse, qui lui apporterait certes un petit réconfort sur certains points, mais l'inquièterait autrement plus que la voie centrale, simple et directe, dénuée de tout danger et de toute violence.

Alexei était à deux doigts de la franchir, cette limite. Juste un peu plus… Juste encore quelques caresses… Un baiser, et il cèderait. Mais cela ne voudrait pas pour autant dire qu'il accepterait cet écart comme si ce n'était qu'une simple formalité, une erreur sans grande incidence. Il vivrait sans doute malheureux, hanté par la honte et la culpabilité. C'était pour cela qu'il se retenait. Qu'il essayait de se contenir, de ne pas se laisser aller à sa perte…
Malheureusement, il savait qu'il ne tiendrait pas longtemps. C'était une évidence. À rester là, tout contre l'Austréen, son odeur apaisante avait déjà imprégné son corps entier. Désormais, s'en débarrasser serait difficile… Et le blond ne savait même pas s'il en avait envie.
Il avait bien trop apprécié cette étreinte, ce premier baiser un peu volé, un peu inattendu mais d'une douceur bouleversante. C'était… Tout simplement délicieux. Il avait attendu cela toute son adolescence ; ce moment de tendresse ultime, décisif… Celui qui lui murmurerait à l'oreille "C'est ce que tu voulais, hein ? Tu n'es qu'un monstre."
Ça n'avait pas raté. Cette petite voix, il l'avait entendue… Et pourtant, le plaisir ressenti, l'émoi qui avait fait s'envoler un millier de papillusions dans son bas ventre avaient été plus forts.
Mais maintenant qu'il se sentait juste fatigué, éreinté par tout ce qui lui tombait dessus depuis quelques jours, maintenant qu'il se reposait dans les bras de son amant, il se retrouvait en tête à tête avec ses peurs.
Le blond n'avait pas attendu longtemps pour redescendre de son nuage et revenir dans cette réalité sombre et effrayante.

À ça, les baisers de Syrius, ses douces attentions ne pouvaient rien changer. C'était… Son affaire, son problème, sa démence. Une conversation avec lui-même qui durait déjà depuis bien trop longtemps et qui n'en finissait jamais. C'était des tirades, un duel sans fin qui opposait son cœur, ses désirs à son esprit, ses valeurs.
Et les mots doux du photographe, qui se voulaient rassurants, ne firent que lui confirmer qu'il vivait en décalage avec cet austréen à l'éducation si différence, si incompatible à la sienne.
Ce n'était pas une question de regard extérieur. C'était une question d'honneur, d'erreur, de déchéance. Il n'avait pas besoin des autres pour savoir s'il sombrait dans une folie qu'il n'aurait pas dû se permettre. Sa seule conscience suffisait amplement, et elle était même encore plus terrible que le jugement d'autrui.
Un léger soupir, tremblant, l'accompagna dans son lent détachement du corps chaud et rassurant de Syrius.
Il secoua doucement la tête, résistant un peu à cette gentille séance de massage qu'il lui offrait.

Aucun mot ne sortit de sa bouche pourtant ; ses lèvres, trop pâles, tressaillaient, retenant des phrases trop dures, acerbes, qui ramèneraient le Solemmien à une réalité trop violente.
Alexei voulait l'épargner. Oui. Il l'aimait trop pour lui faire le même mal que la veille. Il l'aimait trop pour le rendre encore une fois malheureux.
Refouler, toujours refouler.
S'il s'était senti bien une demi seconde, les vieilles habitudes étaient revenus au galop.

Les derniers baisers eurent un goût amer ; comme de petites brûlures insupportables qui marquèrent sa peau à l'encre indélébile.
Alexei retint tout juste un petit mouvement de recul et écouta les mots de Syrius d'une oreille à peine attentive, trop préoccupée par ses propres conversations qui se déroulaient inlassablement dans son esprit :

▬ Contentons-nous de laisser les choses venir. Allons à notre rythme … rien ne presse. Je serais heureux tant que nous restons ensemble.

Il eut un petit sourire forcé, rayon de soleil feint pour le tromper et mieux l'endormir. Ne pas le décevoir, ne pas lui faire peur… Peut-être que nier ses propres craintes l'aiderait d'ailleurs à mieux accepter la situation. Peut-être.

▬ Oui. F-Faisons ça… Car pour l'instant, je ne suis pas prêt à grand chose.

Même pas prêt à l'appeler son… Copain. Car c'était cela, n'est-ce pas ? Si tant est qu'il puisse lui donner un tel nom. Leur couple n'avait rien de légal, rien de naturel. C'était une erreur, une grossière erreur dans laquelle ils se jetaient les yeux fermés… Et Alexei le savait bien : ils ne pouvaient pas s'en empêcher. L'attraction était trop forte.

Inspirant profondément, il se détacha enfin de l'étreinte de Syrius et fit mine de s'étirer un peu pour se remettre d'aplomb.
Un autre soupir creusa sa poitrine et il lança un petit regard interrogateur au photographe : n'était-il pas tant de se remettre en marche ? De finir cette visite de la forêt ? De s'entraîner ?
Tout dans sa tête lui criait de passer à autre chose, de changer de sujet. Fuir cet univers dégoulinant de douceur et de tendresse pour revenir à une réalité plus… Rassurante, moins embarrassante et entêtante.
Noyer sa honte, noyer sa culpabilité, noyer ses peurs dans un quotidien stable et habituel.
Désormais, la défaite à l'arène semblait être le sujet parfait, celui de toutes ses préoccupations ; celui qui le détournerait d'une chose aussi délicieuse qu'effrayante à laquelle il s'autoriserait à réfléchir plus tard.

▬ Tu viens…? Il faut retrouver tes pokémon. Il faut que je sorte les miens pour les laisser gambader… Il faut que j'aille les entraîner… O-On peut pas rester là indéfiniment.

@Syrius

Se détacher de Syrius était un exercice difficile. Sa chaleur réconfortante dont il venait de s'extirper lui manquait déjà. Comme un vide intersidéral au creux de son ventre, une tristesse et une noirceur profondes qui lui retombaient dessus sans ménagement. Pourtant, Alexei voulait garder la face ; rester un minimum souriant. Rassurer ce garçon auquel il venait de se livrer pour mieux s'en détacher.
Cette tendresse, ce baiser… De belles sensations mais qui ne venaient pas seules. Déjà, le blond sentait un malaise le prendre à la gorge, déranger son estomac. La peur d'avoir fait quelque chose d'interdit, celle de s'être définitivement perdu dans un univers qui le tentait depuis trop longtemps mais dont il ne connaissait rien. Il aurait bien pleuré encore un peu, à cet instant précis. Pleurer parce qu'il n'avait pas voulu s'arracher des bras de l'Austréen. Pleurer parce qu'il se sentait plus misérable que jamais. De jour en jour, quelque chose en lui s'effritait, se fragilisait. Que restait-il de l'Alexei de Venyys, celui que son père avait modulé au fil des années…? Pas grand chose. Quelques bribes, ridicules…
Un soupir tremblant marqua la séparation de leurs deux corps ; il ne savait même pas quand il accepterait de retrouver le réconfort de ces bras tendus, la chaleur de cette peau contre la sienne… Et pourtant, il voulait plus. Tellement plus. Mais il n'arrivait pas à se le permettre.
Le quart d'heure liberté était déjà passé ; il ne restait plus que les limites, les terribles limites.

Difficile de soutenir le regard de Syrius après lui avoir volé ce moment de tendresse qu'il avait tant attendu. Difficile de se confronter à sa déception puis à sa compréhension silencieuse. Comme si… Comme si sa réaction était normale. Comme s'il s'y attendait.
Bien sûr : Alexei l'avait lui-même prévenu. Les obstacles, il se les imposait tout seul, préparait ses coups en avance. Un instant, il sentir tout espoir le quitter : qu'allait-il devenir si à chaque chose qu'il accomplissait, et déconstruisait tous ses efforts après coup…? Il ne pourrait jamais avancer, jamais aller de l'avant.
Mais il ne savait pas non plus si c'était ce qu'il voulait : s'engager sur ce chemin était dangereux. Certes… Petit à petit, il lui semblait comprendre qu'il ne pourrait jamais s'opposer à ses désirs. Il… Aimait les hommes. C'était dans sa nature. C'était lui. Alexei. Quelque chose clochait, mais il n'avait pas inventé cette attirance. Il était né comme ça… Sinon, s'il avait pu choisir… Tout aurait été tellement plus simple…

Mais c'était comme ça. C'était comme ça, et maintenant, il lui fallait choisir. Rester dans les clous sans espoir de bonheur ou d'histoire d'amour. S'écarter du droit chemin, apprendre à s'accepter, apprendre à faire fis du regard des autres, et mettre toutes les chances de son côté pour être un jour heureux. Exposé aussi simplement, le problème devenait simple : il lui suffisait de se laisser aller à sa véritable identité, de tenir bon quelques semaines, quelques mois… De devenir la personne qu'il était vraiment, sans regret, sans honte et culpabilité. C'était effectivement le plus logique d'un point de vue extérieur… Mais pas aussi simple et clair dans sa tête. Le blond vouait lui-même un parfait dégoût pour ses attirances ; l'impression d'être un raté, une anomalie. Ce sentiment suffisait à lui faire du mal et à rendre le choix plus difficile.
Et s'engager sur ce chemin reviendrait à accepter d'en parler un jour à son père… Ce dernier le chasserait sans aucun ménagement. Jamais Grisha accepterait d'avoir un pédé comme fils. Déshérité, renié… Alexei finirait seul, et ses sœur suivraient sans aucun doute leur géniteur dans sa démarche.

Mais le blond était trop fatigué pour penser à tout cela. Peser le pour et le contre lui demandait trop de réflexion, trop d'énergie… Et avec Syrius à ses côtés, ses pensées se trouvaient troublées. Bien sûr que l'Austréen lui dirait de suivre son cœur : lui-même avait accepté sa nature et ne semblait en rien le regretter… Sauf que leurs situations n'étaient pas semblables. Elles étaient même tout à fait opposée. Syrius était riche et avait des parents qui ne prenaient pas le temps de le considérer : ses frères avaient un rôle plus important, et le petit prince de la famille vivait dans leur ombre. Cela avait en soit, malgré la blessure d'ego engendrée, quelques avantages. Il était plus libre, moins confronté à ce regard et ce jugement pesant d'un père qui avait longtemps misé toutes ses chances en son fils unique.
C'était… Tellement plus simple.

Mais ça, Alexei ne voulait pas le lui dire. Ce serait trop vexant pour le garçon qu'il chérissait, et il refusait de blesser à nouveau un cœur aussi pur que le sien. Non, le mieux était de le préserver de tous ses dilemmes cornéliens, ses problèmes insolubles. Se taire un temps, s'éloigner pour moins souffrir… Et y réfléchir à tête reposée, quand tout le reste irait mieux.
Car au-delà de ses problèmes de cœur, le blond était confronté aux doutes qui avaient suivi sa défaite contre Martial. Là aussi, il craignait de s'être trompé. Et s'il n'était pas fait pour être dresseur…?  Une hypothèse tout à fait probable qui lui donnait la nausée.

Il pataugeait complètement dans l'océan marécageux de ses tourments. Et la main qui vint quérir la sienne lui offrit sur l'instant un réconfort recherché qu'il fut bien en mal de refuser.
Alexei, qui s'était pourtant promis de cesser les rapprochements pour le reste de la journée, planta son regard perplexe dans les prunelles émeraude de Syrius et finit par céder, mêlant ses doigts aux siens.
Les yeux de l'Austréen l'envoûtaient complètement… Il ne parvenait pas à résister à ses avances et il venait encore une fois de le prouver.
Ce geste tendre lui procura une sensation de sécurité assez agréable qui lui autorisa de penser à des choses plus gais sur le chemin du retour : il lui fallait faire d'avantage connaissance avec Kama… Sans parler de la Croquine, sortie de l'œuf le soir du Festival à la grande sidération d'Alexei. Il lui fallait retrouver cette foutue chercheuse et faire l'échange… En espérant qu'elle ait gardé le Monorpale qui avait normalement dû sortir de son œuf…
Et n'avait-il pas trouvé une pierre glace sur le marché de Belagora, avant de partir ? Narcisse, si fier de son apparence actuelle, serait-il heureux de pouvoir enfin évoluer ?
Alexei avait longuement hésité à lui proposer cette option… Il aimait son Goupix tel qu'il était et avait un peu de mal à se faire à l'idée qu'il n'aurait plus sa boule de poil à porter et serrer dans ses bras pour se consoler. Pensée purement égoïste mais qui l'avait retenu de le faire se métamorphoser avant son combat d'Arène. Il aurait peut-être dû… Un Feunard d'Alola serait sans doute plus puissant qu'un Goupix.
Et Kama… Kama cesserait peut-être enfin de tourner autour du renard comme s'il était une nourriture appétissante. Ces deux, côte à côte, étaient insupportables… Cela ne l'avait pas aidé à décrocher le badge.

Parfois, Alexei regrettait d'avoir capturé le Farfuret sur un coup de tête. Ce dernier n'avait rejoint l'équipe que pour manger à sa faim et voudrait sans doute reprendre sa liberté tôt ou tard. Le blond ne l'en empêcherait pas… Mais avec le départ de Lyov, il lui faudrait trouver un autre pokémon rapidement.
Il avait un peu parlé de tous ses ennuis à Syrius, réfléchi aussi à ce qu'il désirait pour l'avenir de son équipe.
Ce fut en combattant contre les pokémon de Martial que le garçon s'était rendu compte de son admiration pour le type fée. Il y avait… Une sorte d'attirance. Leur charme, leur délicatesse… C'était tout ce qu'il détestait chez lui mais qu'il ne pouvait pourtant pas s'empêcher d'aimer. Les Pokémon fée prouvaient au monde entier qu'on pouvait être aussi fort que délicat, aussi cruel que miséricordieux. Cette dualité… Alexei en rêvait pour lui-même, alors… Peut-être devrait-il s'essayer à ce type tout à fait particulier ?
Syrius lui avait fait entendre que la forêt des Sycomores regorgeaient de pokémon féériques… En se baladant un peu, il trouverait sans doute chaussure à son pied.

Dans ce changement de tactique, il y avait une volonté de renouveau. Laisser tomber la rigidité de l'acier ou de la glace pour s'ouvrir à ce qu'il refoulait depuis bien trop longtemps. Une thérapie, en quelque sorte. Le désir de s'accepter et d'apprendre à mieux se connaître.

Il serra un peu plus fort la main de Syrius dans la sienne à l'approche de la clairière qu'ils avaient tout deux quittée un petit quart d'heure plus tôt. Dernière étreinte discrète, dernière manifestation de sa tendresse avant de faire comme s'il ne s'était rien passé de spécial… Alexei se voyait encore mal montrer son affection devant leurs pokémon. Il lui faudrait… Du temps. Et beaucoup de patience pour Syrius, qui ne comprendrait sans doute pas facilement ses réactions aux frontières de l'exagération et de la psychose.

Arrachant sa main à la sienne, Alexei rendit le petit regard tendre que lui lança Syrius et s'éloigna un peu de lui, le temps que son compagne retrouve et félicite ses pokémon. Tous couchés dans un carré d'herbes, ils l'attendaient patiemment, sans faire de bruit.
Jouant l'indifférence, Alexei s'écarta de la petite troupe pour libérer sa petite équipe. Que trois… Alors que Syrius comptait déjà quatre membres… Hmm. Décidément, il lui fallait un ou deux pokémon supplémentaires. Cela ne lui ferait pas de mal… D'autant que la petit Croquine, à laquelle il n'avait pas encore trouvé de nom, ne lui appartenait pas et retrouverait bientôt les poches d'une dresseuse qu'il avait eu le malheur de connaître… 
La demoiselle, heureuse de retrouver le plein air, s'était pourtant vite attachée à son dresseur de fortune et le collait en permanence. Venant se frotter contre ses jambes, le blond soupira : elle était mignonne… Mais il ne pouvait clairement pas la garder. Il ne savait pas du tout comment s'en occuper… Et il doutait qu'elle soit vraiment utile en combat.
Il la prit néanmoins dans ses bras pour la contenter – et surtout la faire taire –, avant de rabrouer le Farfuret qui, à peine sorti de sa Pokéball, courait déjà après Narcisse pour le mordre :

▬ Kama ! Bats les pattes ! Si tu l'embêtes trop, tu retournes dans ta pokéball sans plus de ménagement ! Un petit soupir lui échappa alors que le renard polaire vint se cacher entre ses jambes. Et toi… Cesse de jouer à la victime ! Si tu le griffais une fois… Il ne t'embêterait plus ! Pff… Qu'est-ce que je vais faire de vous…?

Désespéré, le jeune homme s'accroupit tout de même pour offrir quelques caresses à ses deux compagnons, Kama en raffolant et Narcisse en désirant toujours plus que son petit camarade.
Ses Pokémon n'avaient étonnamment pas mal pris leur défaite. C'était même eux les premiers qui étaient venus consoler leur dresseur à coup de pattes et de museaux. Un léger sourire étira sensiblement ses lèvres et il relâcha la petite pousse qu'il tenait encore sous un bras pour qu'elle aille tranquillement gambader dans l'herbe :

▬ Bon, commença-t-il sur un ton qu'il voulait plus assuré, on va aller s'entraîner. Tous ensemble. Il le faut si on veut montrer à Martial de quel bois on se chauffe… E-Et… Avec un peu de cohésion et de travail d'équipe, on arrivera bien à lui montrer qu'on n'est pas aussi mauvais qu'il le croit !

Avec ces mots, il se rassurait lui-même… Mais Narcisse, encourageant, hocha vivement la tête pour approuver ses mots. Alexei, attendri par la bienveillance de la créature, le gratouilla un peu entre les oreilles.
Il ne se releva que lorsque Syrius lui posa enfin la question fatidique, celle qui mettrait définitivement fin à leur parenthèse sentimentale :

▬ Alors, votre programme ? Si nous pouvons aider, n’hésitez pas !

Se rapprochant du garçon, Alexei se retint tout juste de l'enlacer et préféra lui adresser un simple sourire, plutôt neutre mais qui renvoyait une certaine tendresse.
Fidèle, Narcisse vint s'asseoir entre eux, les observant converser avec beaucoup d'attention.

▬ On va aller s'entraîner, et… Et je vais essayer de capturer un autre Pokémon, aussi. Pour compléter l'équipe et prendre le dessus dans notre combat contre Martial. Cédant à son besoin de rompre cette distance froide qu'il s'imposait encore entre eux, le blond rangea tendrement une mèche de cheveux rebelle derrière l'oreille de Syrius. Tu peux aller dans le manoir, si tu veux. On se retrouve plus tard, d'accord ? Au centre pokémon.

Jetant un petit coup d'œil inquiet autour d'eux, Alexei vérifia que les pokémon de Syrius étaient occupés à autre chose avant de déposer un petit bec fugace sur ses lèvres offertes. Le rouge mordit ses pommettes, et Narcisse, seul témoin qui trouvait grâce aux yeux du blond, roucoula discrètement, ravi.

▬ B-Bon… E-Eh bien… On y va. À toute à l'heure…?

@Syrius