Euranie était un joli brin de ville. Posé à flan de colline, ou plutôt de volcan, elle surplombait une vue magnifique, inédite pour les touristes. Si le hameau enviait la mer à Mésoé, celle-ci ne pouvait bénéficier de tels paysages qu'en rêve. Plus industrielle, on n'y trouvait pas autant de fleurs et de verdure. Les bâtiments eux-mêmes étaient plus ternes, question de praticité : il fallait caser le plus de monde possible pour accueillir habitants et visiteurs d'autres régions. Ça n'avait jamais empêché Ulrich d'adorer la ville portuaire, bien sûr. Tout ce qui ne ressemblait pas à Venyys était un paradis à ses yeux.

Même s'il y avait de quoi lui évoquer la vie à Septrion, entre altitude et vue montagnarde, la principale différence était dans la température et les couleurs. Il n'y avait manifestement que dans sa propre région qu'on se gelait les miches en plein été. L'air n'était pas aussi chaud qu'en contrebas, évidemment, mais il était très agréable et loin de ce que le fils du nord appelait "froid".
Ici, pas de neige, pas de ciel noir pollué par la production et l'extraction de charbon, seulement de la végétation qui semblait enlacer les baraques, si typiques, presque comme si la nature avait repris ses droits, alors qu'il ne s'agissait que de quelques plants de lierres savamment plantés. Pour un gamin râleur, le brun était assez facile à impressionner.
Il n'avait, malheureusement, pas les moyens de s'offrir des séjours dans le village, dédié à la clientèle assez aisée. il suffisait de lire les prix affichés sur les boutiques et restaurants. Avec le prix d'un porte-clé, il aurait largement pu s'acheter un, voire deux repas - si tant est que l'on considère un sandwich comme un repas. Tant pis, il apportait généralement son propre pique-nique et venait pour faire profiter ses yeux et non son porte-monnaie.

Assis sur le dossier d'un banc, recevant quelques regards jugeurs de la part d'adultes sûrement un peu coincés, il profitait de son encas avant d'entraîner ses monstres non-loin de là, dans un petit coin dont la vue rivalisait avec celle du belvédère, invasion de touristes en moins.
Évidemment, King et Joséphine avaient déjà eu leur part, qu'ils avait avalé en mois de temps qu'il n'en fallut pour que leur maître déballe ses tartines. Bien repus, ils ne se privèrent pas pour autant de le reluquer avec leurs yeux de Caninos battu. Incapable d'y résister, l'adolescent dut sacrifier des miettes pour avoir la paix. Si l'oiselle faisait de son mieux pour attraper les bouts de pain en plein vol, le canidé ne s'embêtait pas, préférant se goinfrer à même le sol, quitte à avaler plus de terre que de nourriture. Tête baissée, concentré sur son grignotage, il ne remarqua pas le danger foncer vers lui.

Ulrich, lui, ne manqua pas de constater qu'une flèche rose s'apprêtait à débouler sur le Pokémon Roche. Seulement, l'attaquant était si rapide qu'il n'eut pas le temps de prévenir son compagnon. Il fut projeté plus d'un mètre plus loin après l'impact. Il se releva bien vite pour faire face à son nouvel ennemi. Là où il se trouvait encore, une créature étrange se délectait des restes qui LUI étaient destinés. Quel toupet ! Le chien se mit à grogner férocement, ce à quoi la voleuse fut imperméable, ne prenant pas au sérieux la menace qu'était la victime du vol. Mais le Septrien, lui, savait qu'il valait mieux intervenir avant que la nouvelle arrivante ne se fasse déchiqueter. Il s'interposa, attrapant le chiot, qui se débattit et mordit son dresseur avant de réaliser son erreur. Il cessa de remuer et couina, désolé, mais pas moins fâché de s'être fait siffler son dessert.

Un homme arriva, essoufflé et semblant un peu paniqué. Probablement le propriétaire de la chapardeuse. C'est en tout cas ce que supposa le jeune garçon. Il s'arrêta effectivement auprès d'eux, s'excusant en balbutiant :

Désolé... j'étais en train de lui faire prendre l'air et elle a fui à la vitesse de l'éclair, je n'ai même pas réussi à la tenir...

En effet, la monstresse portait un harnais. Si beaucoup de Pokémon de compagnie étaient libres aux pieds de leurs maîtres, il arrivait que les plus dissipés aient besoin d'être contenus sous peine de faire trop de bêtises. Là, la laisse avait été complètement arrachée tant elle avait dû forcer en sentant la nourriture du petit groupe.

Elle est encore très jeune et a beaucoup d'énergie, trop même...
Je vois bien, oui ! répondit le brun, amusé par la boule de nerfs bicolore, Ce n'est pas la peine de vous excuser, elle est juste adorable. Elle a peut-être besoin de combattre plus pour être calme, c'est le cas pour mon Rocabot en tout cas.

King se reconnut, il lorgnait la scène de loin, toujours pas remis de l'agression et se retenant d'attaquer uniquement par respect pour son maître. Autrement, il aurait fait de la chair à pâté de la ratonne.

C'est probable, mais malheureusement, je ne suis pas dresseur. Juste famille d'accueil. Certains Pokémon se portent très bien sans se battre, mais ils sont plus âgés et plus mâtures.
Famille d'accueil ? Vous êtes de la SPP ?

L'inconnu répondit par l'affirmative. Ulrich sourit légèrement. Il admirait cette association, bien qu'il n'ait pas eu l'occasion de la rejoindre. Chez ses parents, on ne lui en avait pas donné le droit. Maintenant, il était trop mobile pour pouvoir prendre soin de créatures avant de leur trouver un adoptant. De plus, il craignait de s'attacher trop vite à ses protégés. Voir l'un d'eux partir devait être aussi émouvant que désolant.
La petite voleuse avait fini de se repaître. A présent, elle était encore plus énergique. Comment était-ce possible ? Arceus lui-même l'ignorait. Trop dense pour réaliser qu'il lui en voulait, elle partit rejoindre le chien, espérant sûrement jouer avec lui. Cependant, King n'était pas aussi réceptif. Il n'agit pas, mais gronda tandis qu'il se faisait tourner autour par la frénétique bestiole à rayures, évitant son regard autant qu'il le pouvait.

Vous êtes dresseuu..r ? hésita le bénévole, un peu confus par les traits fins et les cheveux longs du jeune garçon, en opposition avec sa tenue masculine. Voyant qu'il n'avait pas été corrigé, il continua : J'ai vu que vous aviez réussi à calmer votre Rocabot, merci beaucoup, d'ailleurs, je ne sais pas ce que j'aurais fait si Crazy avait été blessée sous ma surveillance...
Oui, j'ai King depuis que je suis petit, j'ai l'habitude de devoir le calmer quand il se met dans tous ses états. Ça va mieux depuis que je voyage, heureusement.
Crazy aurait bien besoin d'un dresseur capable de la canaliser, justement. Vous ne seriez pas intéressé par une adoption à tout hasard ?

D'abord dubitatif, Newman regarda son interlocuteur, confus. Il ne s'attendait pas vraiment à recevoir de compliment de la part de cet inconnu, encore moins sa confiance aussi vite. Il se sentait presque comme un élu à ces mots. Il gonfla la poitrine, fier, avant d'accepter, peut-être en haussant trop la voix à défaut de savoir réguler ses propres émotions :

Bien sûr ! Ce serait un plaisir !

Le Rocabot ne semblait pas ravi d'entendre ces mots. Il n'était pas du genre à contester les choix de son humain, en revanche. Il se contenta de suivre ce dernier en silence tandis que le gardien du Zigzaton lui expliquait les manœuvres d'adoption. Pour l'instant, il serait patient, mais si elle s'avisait de trop lui mener la vie dure, il devrait agir physiquement.
Ulrich lui accorda un regard mi-désolé, mi-joyeux par dessus son épaule. Cela ne l'étonnerait pas des masses que son cabot lui fasse des crises de jalousie pendant quelques jours, voire quelques semaines, mais ça ne durerait pas une éternité : il finirait par la tolérer et sûrement même, l'apprécier comme il appréciait Joséphine, bien que leurs caractères soient terriblement différents. Il savait, qu'au fond, il ne regretterait pas d'ajouter ce nouveau membre à son équipe, qui manquait d'une fonceuse écervelée, quelque part.

King n'avait pas apprécié l'arrivée surprise de Crazy, c'était un fait indéniable, qui avait même failli causer la perte d'une ou plusieurs pattes à cette dernière. Si, au moins, le Pokémon brun avait eu un dresseur capable de le calmer, il n'en était visiblement pas de même pour le nouvel adversaire. Un hamster surgit de nulle-part, surprenant les trois monstres et l'humain, confus de cette attaque, qui semblait n'avoir aucune raison d'être. La Zigzaton, qui malgré sa vitesse, n'avait pas pu esquiver la charge, frappée par derrière, poussa un glapissement avant de s'écraser un peu plus loin, pas amochée mais un peu sous le choc. Son nouveau dresseur se précipita pour l'aider à se relever. Ce n'était pas le genre d'assistance dont avait besoin le Rocabot, mais il avait déjà dû aider le manchot de cette façon à ses débuts. La bestiole rose était encore jeune et inexpérimentée, elle ne pourrait pas se battre sans aide.

Tu vas bien, Crazy ? demanda Ulrich, avant de recevoir comme réponse un petit cri énergique. Vraisemblablement, elle était prête à riposter.
N'attaque pas tout de suite, commence par lui courir autour, puis utilise Charge quand il te tournera le dos.

La Galarienne s'exécuta. Galoper dans tous les sens, elle savait faire : c'était l'essence-même de son espèce. Quand elle se jeta sur le Dedenne, celui-ci fut vite surpris par la façon dont se déplaçait l'ennemi, s'attendant à une trajectoire droite et simple visant à la charger à son tour. S'il se croyait prêt à esquiver ou encaisser l'attaque, il se retrouva déstabilisé par les foulées zigzagantes de Crazy. Pour tenter de la suivre des yeux, il devrait tourner sans cesse. S'il devait continuer, il aurait bien vite le tournis. Mais c'était ça ou prendre le risque d'être taclé par derrière.

Modération:

La stratégie d'Ulrich, bien que simple, sembla suffisante. Devant la trajectoire chaotique de la Zigzaton, le hamster était complètement déboussolé. Tantôt elle était à sa gauche, tantôt à sa droite... ses yeux roulaient d'un côté à l'autre de ses orbites sans une seconde de répit, qui ne prit pas fin tandis que son ennemi se dirigeait vers son dos, espérant caser une attaque. Le temps de se retourner vers elle, il avait déjà l'air à deux doigts de totalement perdre l'équilibre. Pas fou, le rongeur comprit qu'il ne servirait à rien de chercher à suivre du regard la folle créature. Il ferma les paupières, essayant sûrement de se fier au son pour attaqu-...
Non, pas vraiment. Sa première capacité Electrique loupa l'adversaire, et de large. L'éclair frappa le sol à plusieurs mètres de sa cible originelle. Ainsi que la seconde, qu'il lança dans son dos alors que Crazy lui faisait face. La troisième, à son tour, atterrit dans le vide. La Galarienne sembla confuse par cette attitude, mais son dresseur, tapant du poing dans la paume de sa main, lui fit signe d'attaquer quand même. Elle s'exécuta, percutant les côtes du loir jaune de tout son poids, tête la première, envoyait le Pokémon sauvage voler avec elle. Même s'il avait pris de bons dégâts, Dedenne ne laissa pas cette opportunité se perdre. Il gonfla son pelage d'électricité, qu'il déchargea dans la bestiole rose. Cette dernière cria de surprise.

Elle n'avait pas souffert de cette attaque, assez faible puisque le monstre n'avait pas eu le temps nécessaire pour la préparer, mais ses muscles étaient encore tremblants suite au coup de jus reçu. Sa fourrure, quant à elle, crépitait. Le jeune garçon se doutait que s'il y touchait, il prendrait une décharge semblable à celle échangée sur le champ de bataille. Pauvre bête. Si elle ne bougeait pas vite, elle serait à la merci de la prochaine offensive.

Essaie de bouger au moins les pattes arrière pour utiliser Jet de Sable quand Dedenne arrivera ! Courage ma grande...

Le Septrien avait de la peine pour sa créature de poche, pourtant encore en forme malgré sa paralysie. Il la voyait déjà martyrisée par le monstre des rues et s'il n'avait écouté que son instinct, il aurait sauté se battre à sa place. Non. Il fallait que la ratonne apprenne à combattre par elle-même, même si les débuts seraient difficiles. Il était rarissime que des combats entre petits Pokémon tournent mal. C'était juste son bon vieux côté surprotecteur qui refaisait surface.

Modération:

Crazy eut bien de la chance de réussir à se mouvoir un tantinet malgré la paralysie. Il s'en fallut de peu, puisque le hamster lui fonçait dessus, prêt à la charger, jusqu'à qu'elle réussisse, dans une ruade, à envoyer une poignée de poussière dans ses yeux. Le rongeur piailla, recula de quelques pas et tomba sur ses fesses, essayant de se débarrasser des débris qui lui brûlaient la rétine, tant bien que mal. Pendant ce temps là, il oubliait la ratonne. Cependant, cette dernière ne se déplaçait pas plus facilement. Elle parvenait à ramper grâce à ses pattes arrière mais l'avant-main ne suivait pas. La pauvre bête grognait de frustration, pas habituée à être restreinte de cette façon, adepte du grand air et des galopades. C'en était assez pour pousser son dresseur à agir. Il n'allait pas encaisser les coups à sa place mais il pouvait au moins l'aider. Il se saisit d'un flacon dans son sac à dos et s'approcha de son Pokémon tandis que l'autre s'affairait encore avec son problème de mirettes.

Cela laissa au Septrien le temps d'utiliser son total soin. En quelques pressions du spray jaune, la Zigzaton reprit peu à peu contrôle de ses muscles. Dans sa toute naïveté, elle se contenta de glapir de joie face à son humain, oubliant qui se trouvait derrière elle. Une seconde attaque Tonnerre, plus puissante cette fois, frappa la queue de la bestiole à rayures. Elle recommença alors à courir dans tous les sens, n'aidant pas la cause du Dedenne, qui devait s'être réjoui de la paralysie de son ennemie. Pourquoi n'avait-il pas lui aussi un de ces bipèdes pour l'aider ?
Toujours aveugle, il cherchait à mitrailler.

Malheureusement, au vu de sa faible constitution actuelle, Crazy ne pourrait pas encaisser un Tonnerre supplémentaire, ou alors de très peu... s'il voulait qu'elle l'emporte, il ne pouvait pas la laisser se faire toucher. Il faudrait pourtant plusieurs attaques Charge pour venir à bout de la boule de poils jaune. Il réfléchit, tandis que le chaos incarné se déroulait devant lui.

Evite de l'attaquer de face, il risque de te toucher comme tout à l'heure, frappe-le plutôt de dos ou sur le côté, et ne t'arrête pas de courir !

En effet, c'était là son principal talent. Et puis, pas facile de placer un coup sur l'échine, la rongeur était trop sur la défensive. En revanche, il serait peut-être possible de le percuter par le flanc. De plus, s'il perdait l'équilibre, ses capacités électriques seraient de moins en moins précises, songea le jeune homme.

Modération:

Crazy était-elle plus intelligente qu'elle n'en avait l'air ? Ou son nouveau dresseur l'avait-il simplement bien cernée en moins d'une heure ? Dans tous les cas, son attaque fut couronnée de succès : de son propre flanc, elle bouscula violemment le pauvre Dedenne sur le sien, alors qu'il luttait encore avec les déchets qui lui brûlaient les yeux. Sans résistance et sans avoir pu riposter avec la moindre étincelle, il partit s'échouer non loin, propulsé par la force de la charge. C'en fut trop pour lui. Blessé et effrayé par ce Pokémon qui combattait comme un cinglé, il préféra fuir en poussant des petits cris plaintifs semblables à des pleures.

Ulrich fut émotionnellement partagé. Il avait beau ressentir la joie et la fierté d'avoir mené la ratonne à la victoire - et qui paradait avec orgueil malgré ses blessures et son pelage frisé par toutes les décharges qu'elle avait subies, il se sentait mal pour le monstre sauvage qui manifestement, n'avait pas attaqué pour le plaisir. Maintenant que le dresseur avait fait son devoir de protéger et éduquer son propre Pokémon, il se sentit endetté envers celui qu'il avait vaincu. S'il était parti avec un air provocant ou en attaquant lâchement un autre membre de l'équipe, il n'aurait sans doute pas eu cette compassion de la part du Septrien. De ce que voyait ce dernier, c'était sûrement une pauvre bête des rues qui avait voulu des miettes de sandwich comme l'avait fait la Zigzaton. Seulement, lui n'avait pas la chance d'avoir des humains pour prendre soin de lui.
Le brun soupira, un peu frustré par l'idée d'avoir perdu la moitié de son pique-nique pour les beaux yeux des adorables monstres de poches mais quelque part, c'était pour ce genre d'aventures qu'il avait décidé de prendre la route. Il ne lui restait plus qu'un quart de ce qui était autrefois un appétissant casse-croûte. Il sépara le pain de la viande, laquelle fut partagée entre le chien et la pingouin après quelques supplications et le premier fut posé à terre, devant la ruelle ou s'était caché le rongeur. Il s'éloigna en plus, faisant mine de ne pas se retourner. Évidemment, avec quelques regards discrets, il put apercevoir le hamster sortir le bout de son nez le temps de ramasser le croûton et repartir aussi vite. Ulrich sourit niaisement. Il aimait se sentir utile.