« Soie ! Reviens par ici ! »
Si le Minidraco avait entendu l'appel de sa dresseuse, il l'ignorait superbement, trop occupé à se rouler dans la couche de poudreuse qui s'étalait le long de la route menant à l'A-Pic, envoyant des gerbes de flocons vers le ciel.
Sarah le suivait quelques mètres en arrière, surveillant d'un œil attentif ses déplacements pour ne pas le perdre de vue. Même s'il était désormais loin le temps où Soie s'échappait de la maison pour découvrir le vaste monde, l'étudiante continuait à éprouver une sourde appréhension à quache fois qu'il s'éloignait un peu trop. Elle n'avait pourtant pas de réelles raisons de s'inquiéter : le petit serpent connaissait les lieux aussi bien que l’intérieur de la poche où il vivait, à force d'y être venu se balader des heures durant lorsque Sarah était déprimée ou énervée.
C'était d'ailleurs toujours pour les mêmes raisons qu'elle se trouvait là alors que le soleil amorçait sa descente dans le ciel. A deux bonnes heures de marche d'Isslot, le bout des pieds mouillés dans ses bottes, sa fidèle écharpe remontée devant son visage pour faire barrage au vent froid qui s'engouffrait entre les montagnes. Les paroles d'Isabelle revenaient en boucle dans sa tête, alimentant tout à la fois son anxiété et sa contrariété.
« Et tu vas être payée ? »
Sa jumelle avait attendu qu'elles soient seules pour l'interroger, évitant ainsi les réprimandes de leur mère : « Laisse ta sœur tranquille, elle n'en est pas encore là ».
Pour l'instant, la fortune familiale assurait à Sarah une solide rente chaque mois, de quoi pourvoyez convenablement à l'ensemble de ses besoins. Mais même si cette situation était plutôt habituel pour une étudiante loin de chez elle, la jeune fille en retirait une certaine culpabilité. Elle coûtait de l'argent à sa mère alors que sa jumelle bénéficiait déjà d'un emploi salarié en travaillant dans l'élevage d'Arcanins de leur grand-mère. Dépendre ainsi de l'argent obtenu par d'autres la rendait mal à l'aise, et quoi qu'elle fasse, elle ne se sentait pas légitime. Si Isabelle n'avait sûrement pas posé cette question dans le but de la mettre mal à l'aise, elle évoquait tout de même un sujet sensible auquel Sarah n'avait clairement pas envie de penser.
« Non. C'est juste un stage d'observation.
Et tu ne pouvais pas le faire directement à Belagora ? »
Impossible. Si Sarah avait passé les deux dernières semaines à envoyer des lettres de motivations et des CV à travers tous Salva, c'était justement pour s'éloigner le plus possible de la capitale septentrionnienne et fuir l'atmosphère angoissante qui y régnait. Revenir à Isslot ce week-end avait été une excellente excuse, mais il lui en fallait une beaucoup, beaucoup plus grosse pour lui permettre de quitter la ville un long moment. Elle n'avait pas parlé de ses crises d'angoisses à sa mère et sa sœur pour ne pas les inquiéter, alors que celles-ci se faisaient de plus en plus fréquentes et violentes. Il fallait absolument qu’elle prenne le large, qu'elle relâche la pression et qu'elle respire. Le stage qu'elle s'était trouvé à Edelsten semblait tout indiqué pour cela : un laboratoire de campagne, juste à côté de la Forêt des Sycomores, un endroit où Sarah avait depuis longtemps envie de retourner. Elle voulait retrouver l'ambiance féerique de son enfance, essayer de mieux se rappeler les années qui avaient précédé l'accident. Peut-être pourrait-elle revoir leur ancienne maison ? Et la pierre tombale plantée sous les saules, au fond du cimetière...
« Tu vas nous manquer. Tu ne passes déjà pas souvent... »
Sarah secoua vivement la tête, libérant ses cheveux du col de son manteau. Rien ne servait de ressasser, pas vrai ? Isslot, bien que rassurante, lui donnait l'impression d'être enfermée entre deux montagnes dès qu'elle y remettait les pieds, et faisait repartir ses envies d'émancipation à la hausse. Elle avait voulu partir, et manifestement, Belagora ne lui avait pas suffit. Alors qu'importe qu'elle ne voit sa petite famille que pendant ses congés, qu'importe qu'elle vive grâce à un argent qu'elle n'avait ni gagné ni mérité, si c'était pour pouvoir finalement se débrouiller toute seule. Elle avait impérativement besoin d'air, et elle avait les moyens de le saisir. Il suffisait simplement qu'elle s'y autorise.
Sarah pesta, se rendant soudain compte qu'elle avait perdu son pokémon de vue. Une jolie preuve que cogiter ne lui réussissait pas. Excédée, elle tapa plusieurs fois du talon sur le sol, dans l'espoir que le Minidraco perçoive les vibrations.
« Soie ! Viens par ici ! On fait demi-tour, j'aimerais rentrer avant qu'il fasse noir !
Avec la tombée de la nuit allait se multiplier des pokémons sauvages potentiellement agressifs que Sarah n'avait aucune envie de croiser.