Jamais encore Syrius n'avait assisté à un si beau spectacle. La nuit est tombée sur la Belagora et, partout, les lampadaires s'allument, alignement de petites lumières guidant les piétons le long des rues. Les fontaines de la place font jaillir des gerbes d'eau dans les cieux, dans un clapotement si agréable que personne ne semble se lasser de les écouter. Au loin, des mélodies que jamais Syrius n'avait entendu auparavant résonnent et invitent à la fête. Une ambiance sereine et presque féérique anime la capitale du Septrion en cette fraîche soirée et le jeune garçon du Sud ne se lasse pas d'admirer les alentours, ses yeux pétillants d'un éclat ravi. Pourtant, bien que cette soirée soit magnifique, il y a une ombre au tableau. Il le sait : ce soir, c'est le dernier qu'il passe en compagnie d'Alexeï. Et cette seule idée suffit à lui tordre le cœur dans tous les sens. Ce serait mentir que de dire que cette perspective l'enchante guère. En réalité, Syrius aimerait que le garçon accepte de rester avec lui plus longtemps encore. Continuer son voyage à ses côtés et lui faire découvrir l'Austrée comme lui, il lui a fait découvrir le Septrion …

Et pourtant, Syrius sait très bien que ce ne serait pas une bonne idée. Au fil des jours, des sentiments pas si inconnus se sont développés dans son cœur. Alexeï ne le laisse pas indifférent, c'est peu dire. Et le choses vont crescendo depuis que le Venyysien a perdu sa tente, les forçant à coucher sur la même toile. Le sentir si proche de lui et pourtant si loin … c'est une torture aussi délicieuse que douloureuse. Plus d'une fois, Syrius a ressenti cette envie terrible de le prendre dans ses bras, de caresser sa peau, d'embrasser cette petite bouche bougonne mais terriblement attirante. Et les regards qu'Alexeï posent sur lui, lourds de sous-entendus et pourtant si pudiques, ne l'aident absolument pas à y voir plus clair et à dompter son cœur. Il est arrivé plus d'une fois que l'Austrien ressente cette envie irrépressible de se confesser, de lui communiquer son affection, de lui ouvrir son cœur et lui déballer ses sentiment sans cérémonie. Mais sa raison a toujours fini par le museler et la terreur du rejet lui a coupé la langue. Par ici, l'homosexualité est un crime. Jamais Alexeï n'accepterait de céder à ses avances.

Un soupir las échappe à Syrius tandis qu'il pénètre enfin sur la grande place de la capitale. Ici, quelques passants se promènent et bavardent dans une ambiance sereine et détendue. Quelques enfants se courent après en riant, des femmes discutent sur un banc et des Pokémon vont et viennent, suivant leurs Dresseurs comme leurs ombres. Syrius jette d'ailleurs un regard par dessus son épaule. Seth le suit, déjà bien agile sur ses pattes, sa petite queue en faucille battant joyeusement dans son dos. Lyla la surveille de près, nourrice autoproclamée veillant sur la nouvelle recrue de l'équipe comme une mère angoissée. Khenshit, comme à son habitude, a prit place sur les épaules de Syrius et défie du regard tous les malheureux qui osent poser son regard sur elle. Si quelques passants dévisagent longuement l'Austrien, ce dernier n'y prête pas plus attention que cela : il sait que la seule couleur de sa peau est une curiosité par ici, que les personnes du Sud ne courent pas les rues dans le Nord. Si certaines chuchotis parviennent à ses oreilles, ils ne sont pas tous bienveillants. Mais Syrius les ignore : à quoi bon ? Les plaies de la guerre n'ont pas encore toutes eues le temps de cicatriser …

Enfin, Syrius repousse toutes les pensées parasitant sa cervelle et concentre plutôt son énergie sur la recherche d'Alexeï. Ils se sont donnés rendez-vous sur cette place afin de profiter du festival de Belagora ensemble. Histoire de mettre un terme à leur collaboration sous les meilleurs auspices … Ignorant le pincement violent de son cœur, l'Austrien fait balader son regard à droite, à gauche, cherchant ce visage de poupée qu'il apprécie tellement. Il finit par l'apercevoir, assit sur le bord d'une fontaine, Narcisse dans les bras. Aussitôt, Syrius lui fait de grands signes de bras pour lui signaler sa position : Alexeï le repère aussitôt parce qu'il se lève sans attendre, et le Goupix tout blanc se hâte de venir l'accueillir. Riant de bon cœur, le Solemien tend la main pour caresser la fourrure duveteuse du renard qui glapit de plaisir, toujours aussi affectueux. Le Venyysien les rejoint aussitôt et Syrius constate aussitôt ses yeux rouges – il a pleuré … ? A un juger par l'intensité de son regard, c'est fort probable.

Aucun entrain dans sa voix. Seulement un filtre tremblant, qu'il n'a pas été en mesure de maîtriser. Voir Alexeï dans un tel état de détresse … c'est un crève-coeur. Et pourtant, Syrius ne sait absolument pas quoi faire, absolument pas quoi dire pour lui venir en aide. Il ignore la raison même de son chagrin : il a vu sa sœur en début d'après-midi, non ? A-t-il apprit une mauvaise nouvelle ? Est-il triste de la quitter ? Difficile à dire. Si le Venyysien lui a déjà parlé assez rapidement de son père, jamais encore il n'a abordé le sujet de ses sœurs. Syrius connaît seulement leur existence … et encore, seulement depuis récemment. Une pensée douloureuse traverse alors l'esprit du garçon. Lui, il n'a jamais parlé de sa famille à Alexeï. Pas un seul instant. Comment le Venyysien aurait-il réagit en apprenant sa noble lignée ? Syrius préfère ne pas y penser – ce n'est pas le moment. De toute façon … à quoi bon ? A la fin de cette soirée, ils ne se reverront sûrement plus. Autant limiter la casse et s'assurer qu'ils se quittent dans de bonnes conditions … même si le faible fait de continuer sans lui suffit à lui mettre les larmes aux yeux.

Syrius s'apprête à se mettre en route lorsque Seth vient se frotter contre ses jambes, à la fois curieuse et étrangement timide. Ses grands yeux jaunes observent Alexeï et Narcisse avec un certain intérêt et, pourtant, elle ne semble pas oser s'approcher davantage d'eux. Un petit sourire tendre étire les lèvres de Syrius alors qu'il s'abaisse au niveau de sa Rocabot, l'invitant à s'approcher un peu plus de Narcisse. Malgré une réticence première, la petite chienne bleue avance d'un pas, d'un autre, puis vient carrément se planter devant le renard blanc. L'instant d'après, elle plaque son torse contre le sol et relève le derrière, secouant vivement la queue et jappant avec plaisir. Une invitation au jeu qu'elle espère voir concluante – Narcisse va-t-il se laisser tenter ? Syrius ignore si cela est dans le caractère du Goupix, puisqu'il ne l'a jamais vu jouer avec Lyov. Cela dit, puisque le Riolu a son petit caractère, ce n'est pas si étonnant. Peut-être que l'entrain naturel de Seth suffira à éveiller l'instinct de jeu de Narcisse … ?

Pour toute réponse, Seth jappe joyeusement et commence à tourner en rond, chassant sa propre queue. Syrius ne peut retenir un petit rire à cette scène adorable, sous le charme de sa nouvelle recrue. Cette dernière se débat un instant contre sa propre queue avant de s'asseoir sur les pavés de Belagora, se grattant l'oreille avec un plaisir tel que sa petite langue rose s'échappe de sa gueule. Vu le numéro, Syrius est persuadé qu'il ne s'ennuiera pas avec elle ! Il est certain que ça lui change de Khensit et Lyla, beaucoup plus calmes et posées – ou même totalement trouillarde concernant la Sonistrelle. Les présentations faites, Syrius invite tout le petit groupe à le suivre, prenant la même direction que le gros des piétons pour rejoindre le festival. Bientôt, ils pénètrent dans une rue décorée de lampions oranges répandant une ambiance très tamisée. La musique traditionnelle bat de son plein et les premiers stands apparaissent au bout de quelques minutes de marche. Une délicieuse odeur de nourriture flotte dans l'air et Syrius sent son estomac accueillir ces effluves avec un intérêt certain. Ce n'est plus qu'une histoire de temps avant qu'il ne cède pour une petite spécialité locale …

Et la gourmandise de Syrius cède finalement à l'appel de beignets de légumes à l'odeur succulente. Derrière le stand, une petite dame bien en chair cuit la pâte dans une grosse casserole remplie d'huiles. Le crépitement et l'odeur de friture feraient presque saliver l'Austrien, qui observe les beignets avec un intérêt certain. Finalement, il fouille dans ses poches pour en sortir quelques pièces, commandant deux beignets. La femme échange la monnaie contre la nourriture emballée dans des serviettes blanches, et Syrius la remercie avant de tendre le beignet à Alexeï :

Un sourire charmant étire ses lèvres et avant de se laisser hypnotiser par les yeux gris orage de son compagnon, Syrius reprend la route en croquant dans son beignet. S'il se brûle un peu la langue, ça ne l'empêche pas d'apprécier le goût délicieux qui se répend dans sa bouche. C'est tellemet bon ! Pour peu, il ferait demi-tour pour en commander une petite dizaine mais … déjà, un nouveau stand lui fait de l'oeil. Aaah, s'il a perdu du poids pendant leur escale dans la montagne … il risque de tout reprendre en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire !

Une drôle de sensation agite les entrailles de Syrius depuis qu'ils ont quitté la place. Le regard désabusé d'Alexeï lorsque l'Austrien lui a présenté Seth … Il ne le comprend pas. Ne devait-il donc pas se réjouir de l'éclosion de son œuf ? N'avait-il pas le droit de faire les présentations ? Qu'avait-il fait de mal, au juste ? Alexeï semblait tellement en colère contre lui … mais en quel honneur ? Ils ne se sont pas vu dans la journée et c'est ainsi qu'il l'accueille ? Passer cette ultime soirée en sa compagnie serait-il une corvée qu'il s'impose … ? Syrius sent son cœur se serrer violemment dans sa poitrine. De toute évidence, la fin de leur collaboration ne semble que l'attrister lui, et pas son compagnon de route. Peut-il seulement lui en vouloir ? Après tout, Syrius a été un bon boulet les premiers jours, un gars paumé incapable de monter sa toile de tente et réclamant sans cesse des pauses pour ménager ses petits mollets fragiles. Mais au fil des jours, il s'est endurci, il a apprit et … il en venu à se considérer comme un compagnon efficace, une aide précieuse. Il se serait leurré, semble-t-il. Sûrement Alexeï attend-t-il avec impatience le moment où il pourra reprendre la route tranquillement, sans l'avoir dans les pattes …

Son esprit tourmenté semble s'apaiser un peu sous la lueur féérique des lampions. La rue ainsi décorée dégage une atmosphère sereine et la musique se jouant un peu plus loin à le bénéfice d'occuper ses pensées. Pendant un instant, il se perd dans la contemplation de ce décor de carte postale, avançant à son rythme, Seth sur les talons. De temps en temps, il jette un regard par dessus son épaule pour s'assurer que la petite chienne bleue le suit toujours. De toute façon, Lyla la garde à l'oeil et la rappelle dès que Seth s'éloigne un petit peu trop. Syrius sait qu'il peut faire confiance à sa Sonistrelle – ainsi, il la laisse gérer la nouvelle recrue, sachant pertinemment que la chauve-souris veillera sur elle comme sa propre mère. Alexeï, lui, est déjà un peu plus loin. C'est comme s'ils ne profitaient même pas de cette soirée tous ensembles, au final. Un arrière-goût amer semble imprégner la langue de Syrius, qui tente désespérément de repousser toutes pensées parasites de son cerveau. Inutile de se faire de la bile pour quelqu'un qui ne veut pas de toi, n'est-ce pas … ?

Finalement, le Venyysien s'arrête un instant, et chaque pas qui le rapproche de lui fait douloureusement battre le cœur de Syrius. Il ressent déjà, malgré lui, l'impression que quelque chose est en train de changer. Que cette distance qui s'est creusée entre eux l'espace de quelques instants ne sera pas la dernière, qu'elle promet une séparation plus difficile encore. A la fin de cette soirée, le fossé sera définitivement creusé et ils se retrouveront sur deux rives différentes. Un soupir secoue les épaules de Syrius et, pendant un instant, il sent ses lèvres trembler, comme s'il s'apprêtait à pleurer. Pourtant, il ravale sa tristesse, sa rancoeur et toutes ces émotions conflictuelles quand il arrive à la hauteur d'Alexeï, répondant à ses quelques mots par un petit sourire forcé et un hochement de tête approbateur. Oui, la rue est jolie. Mais Syrius n'arrive pas à se concentrer sur cette beauté et cette atmosphère particulière. En vérité, chaque pas lui coûte – il a l'impression d'avancer sur des charbons ardents. Cette soirée, finalement, il ne veut pas la vivre. Ce qu'elle représente lui fait beaucoup trop mal. Mais il est trop tard pour faire demi-tour, maintenant.

Alors pour tromper son malaise, Syrius essaie de s'intéresser à un peu tout. En avisant les beignets, il caresse l'espoir d'apaiser un peu la situation en proposant de quoi manger à Alexeï. Et pourtant, lorsque l'Austrien lui tend la nourriture, tout sourire, le Venyysien refuse aussitôt. Un peu déçu, Syrius s'apprête à prendre la parole lorsque Alexeï lui coupe l'herbe sous le pied – et l'appétit en prime :

Une boule se forme dans la gorge de Syrius et avaler sa bouchée de beignet lui retourne l'estomac. Pourquoi Alexeï agit-il comme ça … ? Qu'a-t-il donc fait de mal ?! Une colère sourde remue ses entrailles, mais le Solemien se garde bien de dire quoi que ce soit. Au lieu de quoi, il s'agenouille pour partager les deux beignets entre les quatre Pokémon présents : il aurait apprécié en donner un petit bout à Lyov mais … le pauvre Riolu n'est pas de la partie. Sûrement est-il encore enfermé dans sa Pokéball, privé d'une soirée qu'il aurait peut-être apprécié vivre, lui aussi. Pendant un instant, Syrius a envie de crier à l'injustice. Mais une fois encore, il préfère tenir sa langue. De toute évidence, ce n'est pas le moment de chercher des puces à Alexeï. Alors l'Austrien se relève, muet comme un Magicarpe, et reprend sa progression, marchant dans les pas de son guide qui ne s'arrête pas un seul instant, ignorant les stands de nourriture ou de boisson dont les odeurs donnent des haut-le-coeurs à Syrius. Une envie de vomir agite son estomac et le peu qu'il a mangé du beignet semble prêt à lui remonter le long de la gorge. Une légère grimace déforme ses traits alors qu'il souffre en silence, slalomant entre les passants et veillant toujours sur ses petites protégées de temps à autre. Seth marche dans les pas de Narcisse, le suivant à la trace, couinant joyeusement pour inviter au jeu. Mais visiblement, le Goupix préfère garder un œil sur son Dresseur, comme conscient d'une chose qui échappe totalement à Syrius …

Finalement, le petit groupe quitte la rue bien animée et débouche sur une grande place enneigée où sont exposées quelques cultures. Le regard curieux de Syrius s'attarde sur plusieurs réalisations, notamment celle d'un Galopa en pleine ruade. Quel talent … ! Jamais encore il n'a eu l'occasion de voir une chose pareille et le garçon en reste bouche bée. Pourtant, un coup d'oeil à Alexeï suffit à faire retomber son enthousiasme comme un soufflé. Le Venyysien s'est assit sur un banc, comme si faire le tour des sculptures ne l'intéressait pas le moins du monde. Pourtant … c'est le but de la soirée, non … ? Quelque peu déboussolé, Syrius finit par venir s'asseoir à côté de lui. S'il a envie de lui dire mille et une choses, rien ne parvient à s'échapper de ses lèvres pincées. Bien vite, il sent un poids grimper sur ses genoux : Seth s'est couchée sur lui, visiblement éreintée et en recherche d'affection. Le garçon laisse un instant ses doigts courir sur sa fourrure bleue, caractéristique de son gène chromatique. Lyla vient ensuite se poser sur sa tête, se faisant une place entre les mèches blanches. Il doit avec l'air fin, ainsi entouré de tous ses Pokémon. Et pourtant, sentir leur présence lui met un véritable baume au cœur. Quoi qu'il puisse arriver … il sait que ses Pokémon seront toujours à ses côtés.

Alexeï vient finalement mettre un terme au silence pesant régnant entre eux :

Chacun de ses mots est une épine qui s'enfonce dans le cœur de Syrius. Bien prendre leur séparation ? Boire un verre pour fêter ça ? Il est sérieux ?! Et puis, cette voix méprisante, comme s'il crachait du venin poisseux … Quel message tente-t-il donc de lui faire passer ? Que Syrius se fiche de tout cela ? Que leur séparation, plus proche que jamais, ne l'atteint absolument pas ? Que, pire, il s'en réjouit ?! Un frisson de colère agite un instant l'Austrien et l'envie folle de lui hurler ses quatre vérités au visage manque de lui faire perdre tous ses moyens. Néanmoins, Syrius arrive à se reprendre, prenant une grande inspiration pour calmer ses nerfs mit à rude épreuve. Ce n'est pas l'endroit idéal pour faire une scène. Il y a du monde, beaucoup de monde autour d'eux et, malgré sa colère, Syrius n'a absolument pas envie de courir Alexeï de honte. Étant donné le personnage, ce serait comme signer son arrêt de mort – chacun le leur, en fait. Alors plutôt que s'énerver, Syrius prend une grande bouffée d'air frais. S'il a l'impression que ses poumons brûlent, il ignore cette douleur et darde plutôt son regard émeraude sur son compagnon de route :

Si son ton est maîtrisé, sa voix tremble un peu, emprunte d'une émotion forte que le garçon ne parvient pas à contrôler. Pendant un instant, il a l'impression que les larmes lui montent aux yeux, mais il les retient du mieux qu'il le peut. Ce n'est pas le moment de pleurer, loin de là. Alors il reprend la parole, déglutissant pour faire passer la boule bloquant sa gorge :

Pendant un instant, Syrius a l'impression d'en avoir trop dit. Cependant, il ne le regrette pas. Il musèle ses sentiments depuis suffisamment longtemps, tout ça pour épargner Alexeï. Mais de toute évidence, ce dernier a décidé de ne prendre aucune pincette avec lui alors … pourquoi ne pas faire pareil ? Certes, l'Austrien ne compte pas lui jeter son amour naissant au visage, mais il aimerait au moins que Alexeï comprenne que Syrius tient à lui, sincèrement. Et sûrement bien plus que le garçon ne veut bien le croire …

Sans attendre une réponse de sa part, Syrius attrape délicatement Seth toute ensommeillée dans ses bras et prend la direction du premier stand proposant de l'alcool. Il dégote sans mal une place au bar et se juche sur l'un des tabourets inconfortables, commandant un bon alcool typique de Belagora dont il a entendu parler pendant la journée. Syrius regarde son compagnon s'asseoir à côté de lui, une lueur infiniment triste dans le regard. Pourtant, une détermination nouvelle brûle dans les entrailles de l'Austrien.

Il a laissé partir le garçon qu'il aimait une fois. Il en refera pas la même erreur.

Las, Syrius a soudain bien froid, comme si l'air s'était rafraîchi. Un frisson dégringole le long de son épine dorsale alors qu'il sert davantage le petit corps chaud de Seth contre lui. La chaleur que dégage naturellement la Rocabot est un véritable baume au cœur, et l'odeur humide de son pelage le console un peu. La petite chienne vient à peine d'éclore et, pourtant, elle lui apporte déjà un réconfort sans nulle autre pareil. Peut-être bien parce que les Rocabot sont des Pokémon originaires de l'Austrée, et qu'en posséder un lui rappelle la douceur de sa terre natale ? Parfois, Syrius se plaît à fermer les yeux et à imaginer le soleil baigné sa peau d'une chaleur familière. Si son voyage dans lui Septrion lui plaît, ce serait mentir que de dire qu'il ne ressent pas un petit mal du pays. En avisant ses mains gantées et sa grosse écharpe, il se demande bien quand il pourra enfin s'en débarrasser et dépouiller son corps de ces nombreuses couches de vêtements. Pas avant longtemps, songe-t-il en se rappelant tout ce qui lui reste à accomplir dans ces contrées enneigées. Il n'a pas encore décroché le moindre badge, alors comment espère-t-il retrouver les paysages familiers de l'Austrée si vite ?

Il avance, cependant. Prochaine étape, Edelsten et son Champion, Martial. Un expert du type Fée, de ce qu'il a pu entendre depuis le début de son voyage. Si Syrius était impatient de le rencontrer, sa motivation s'est progressivement amenuisée, comme de la neige fondant au soleil. En fait, la simple idée de ne pas pouvoir partager ses réels début en tant que Dresseur sans Alexei suffit à lui saper toute impatience. Syrius en vient même à se demander s'il a réellement envie de collectionner les badges. Si tout ce qu'il a entreprit n'est en réalité qu'un caprice qui lui a finalement passé. En vérité, la solitude qui l'attend dès le lendemain matin est le véritable problème. Maintenant qu'il a goûté à la compagnie d'Alexei, il n'a pas envie de continuer sans lui. Comme si, au final, son voyage n'avait réellement commencé qu'à sa rencontre avec ce petit gars de Venyys et qu'il ne désirait le voir se poursuivre sans lui. Alexei lui a apprit tellement de choses en quelques jours à peine … et si Syrius se sait parfaitement capable de se débrouiller seul à présent, il sait d'avance que la compagnie du blond lui manquera énormément.

L'insulte de ce dernier résonne dans son dos lorsque Syrius va s'asseoir à l'un des hauts tabourets du bar éphémère. Un con ? Il n'a peut-être pas totalement tord, en fin de compte. Mais l'Austrien est-il l'unique fautif dans cette histoire ? C'est Alexei le premier qui a proposé de boire un verre pour fêter la fin de leur collaboration. Comme s'il voulait savourer cette libération longtemps attendue, lui donner la forme d'une célébration quelconque. Syrius aurait préféré qu'il lui demande de continuer avec lui. Que ce soit de façon détournée ou avec des mots durs, qu'importe tant que le sens y était. Mais force est de constater que les garçons ne sont pas sur la même longueur d'onde. L'Austrien souffre de devoir se trouver là, à ce festival pourtant féérique, à consommer de l'alcool pour fêter une chose qui ne le réjouit pas le moins du monde. Il sent quelques larmes se presser aux coins de ses paupières, mais il les ravale et commande un verre au hasard, comptant sur l'alcool pour brouiller ses pensées et museler ses sentiments l'espace de quelques instants. Le temps que le point final ne soit apposé sur cette histoire et qu'un tout nouveau chapitre se lance pour lui.

La première gorgée est douloureuse, brûlante. Ici, l'alcool est servi pur, brut. La vodka l'entête et l'étouffe – pourtant, Syrius fait mine de rien, contrôlant au mieux les grimaces de dégoût qui s'enchaînent sur son visage. Dans l'Austrée, l'alcool est mêlé à des cocktails de fruit, noyé dans des boissons sucrées pour amortir le coup de masse. Syrius lui-même est particulièrement friand de punch, son palais sucré se délectant des fruits exotiques composant ce mélange sirupeux. L'Austrien se visualise soudain une longue table de banquet typiquement solemiennes, où s'alignent fruits colorés, légumes croquants, viandes épicées et boissons sucrées. Rien de ce qu'il retrouve ici, dans le Septrion, où l'on déguste davantage des pommes de terre et de mets en sauce, lourds et consistants pour tenir longtemps à l'estomac. Décidément, le choc est culture est presque aussi assomant que ce verre que Syrius parvient à terminer. A ses côtés, Alexei avale l'un de ses shots cul-sec – a-t-il apprécié ? A en juger sa figure, le Solemien se permet d'en douter un peu.

Syrius se contente d'un léger mouvement d'épaule, tandis que le barman rempli son verre à nouveau. Il n'a pas demandé la permission mais, de toute évidence, tant que l'Austrien restera perché sur ce tabouret au siège dur comme de la pierre, il poussera à la consommation. Est-ce vraiment si grave, en soi ? Alexei avale déjà son deuxième shot. Syrius se saisit alors de son propre verre, avisant un instant la teinte limpide de son contenu – s'il avait eu le nez davantage bouché, il aurait pu croire qu'on lui avait servi de l'eau. Après une fraction de seconde d'hésitation, Syrius porte le verre à ses lèvres et boit une nouvelle gorgée de vodka. Dégoûtant. Tout simplement dégoûtant. Il fronce le nez, tousse un peu. La sensation de brûlure dans sa gorge est plus intense encore. Khensit lui jette même un petit regard inquiet, à laquelle Syrius répond d'une oeillade rapide. Sur ses genoux, Seth se redresse pour renifler le verre et l'effluve de la vodka lui arrache un éternuement, tant et si bien que la Rocabot se hâte de détourner la tête, l'enfouissant dans le manteau de son Dresseur pour y roupiller sagement.

Tout en buvant, Syrius essaie de comprendre les mots d'Alexei. Qu'essaie-t-il donc de lui dire ? Les pensées déjà un peu embrumées, l'Austrien soupire, observant le fond de son verre avec une lassitude profonde. Son cerveau a du mal à fonctionner, ce soir. Comme s'il avait conscience que quelque chose d'important se jouait et qu'il ne voulait pas prendre part à ce fiasco. Syrius a conscience qu'une bombe a été dégoupillé et qu'il va être important de choisir le moindre de ses mots pour éviter qu'elle n'explose. Il n'a cependant pas le temps d'ouvrir la bouche que Alexei enchaîne :

En réponse, Khensit pousse un sifflement menaçant, auquel Syrius met un terme en administrant une légère tape sur le museau du reptile. Rien qui ne puisse lui faire mal, bien entendu, mais plutôt un énième rappel à l'ordre. Quelque peu vexée, la Abo vient se dissimuler dans sa capuche, disparaissant de leur vue. Lyla, perchée sur la tête de Syrius, ne semble pas comprendre la situation puisqu'elle se met à gazouiller, comme si elle riait. L'Austrien, lui, laisse tomber son regard émeraude sur la Rocabot endormi sur ses genoux. Alexei serait-il … jaloux ? Jaloux de l'attention et de la tendresse dont Syrius gâte constamment ses Pokémon ? Ses yeux dérivent en direction de Narcisse, roulé en boule sur les genoux d'Alexei. Ne pourrait-il pas en dire autant ? Surtout en constatant, chaque jour, les différences qu'il fait entre Lyov et Narcisse ? Oui, Syrius aime ses Pokémon et est très heureux en leur compagnie. Parce qu'il sait que, quoi qu'il puisse arriver, ils lui seront toujours fidèles, eux. Que jamais, ô grand jamais, ni Khensit, ni Lyla, ni Seth ne le laisseront tomber. Que chacune d'elle l'aimera pour toujours, qu'importe les aléas de la vie. Chose dont ne sont pas toujours capable les êtres humains …

Malgré sa promesse de ne jamais mettre le sujet Lyov sur la table, Syrius ne peut s'y tenir plus longtemps. Il faut que ça sorte, qu'il témoigne de cette injustice, qu'il la pointe du doigt une bonne fois pour toute. Alors pour se donner du courage, le fils Al'Shams termine son verre d'une seule gorgée, déglutissant à plusieurs reprises pour éteindre le feu dans sa gorge.

L'abcès est percé. Néanmoins, il est trop tôt pour s'arrêter en si bon chemin. Le regard émeraude de Syrius, accusateur, se plante dans les iris orageuses d'Alexei. L'Austrien sait pertinemment qu'il est en train de marcher sur des œufs, mais s'ils sont bel et bien en train de passer leur ultime soirée ensemble … autant en profiter pour libérer les non-dits.

Du bout des doigts, Syrius caresse la petite tête duveteuse de Lyla, puis le museau noir de Seth. Même si ses trois Pokémon sont différents, il les aime tous pareil. De la plus ancienne à la plus récente de ces recrues, elles méritent toutes la même considération. Certes, Lyov ne fait absolument rien pour arrondir les angles auprès de son propriétaire. Aussi têtus l'un que l'autre, le Venyysien et le Riolu semblent se mener une guerre froide perpétuelle. Néanmoins, tant qu'il n'y avait que Lyov, Alexei n'avait pas d'autres choix que de le solliciter, permettant au petit loup bleu de vivre quelques petites expériences. Mais dès lors que Narcisse a rejoint Alexei … Syrius ne l'a plus vu aussi souvent. Dès que le Riolu faisait preuve d'un peu de zèle, le Venyysien le rappelait dans sa Pokéball illico presto. Depuis qu'ils ont mit les pieds à Belagora, Syrius ne l'a pas revu une seule fois. Certes, il n'a pas passé l'après-midi avec Alexei mais il est persuadé que Lyov est resté confiné dans sa Pokéball toute la sainte journée, pendant que Narcisse profitait gaiement de la ville … Et même maintenant, alors qu'il pourrait laisser Lyov vagabonder sur la place, le petit loup n'est nulle part en vu.

Un soupir échappe à Syrius, tandis qu'il passe une main las dans sa chevelure blanche. Lorsque le barman s'approche à nouveau de lui avec sa bouteille de vodka répugnante, l'Austrien le chasse d'un mouvement de la tête. C'en est fini, de ce breuvage infâme. S'il continue d'en boire, il va faire de sa cervelle un marshmallow gluant, et ce n'est pas ce qu'il veut. Certes, l'alcool a la réputation de délier facilement les langues et Syrius se sait un petit peu plus bavard avec une barre dans le nez. Mais il aimerait pouvoir garder le contrôle de ses mots et de ses pensées, afin de pouvoir en communiquer la sincérité à Alexei. Il est important de mettre les points sur les i et les barres sur les t. Alors discrètement, il vient saisir la main d'Alexei, serrant doucement ses doigts dans les siens. Installés comme ils le sont, personne ne peut assister à cette étreinte légère mais pas moins intime, que l'Austrien rend plus sensuelle en caressant doucement sa paume du bout de son pouce.

A sentir les doigts d'Alex noué aux siens, Syrius se sent étrangement … apaisé. Comme si cette petite main froide dans la sienne suffisait à consoler son esprit tourmenté et à lui promettre des lendemains meilleurs. L'Austrien veut Alexei à ses côtés, aussi longtemps que possible. Pourquoi pas pour la vie ? L'affection qu'il ressent à son égard, elle n'a rien d'une simple amitié. Il a beau se fourvoyer, la réalité est ainsi. L'amour qui s'épanouit dans son cœur est encore timide, délicat – il n'en reste pas moins sincère. Syrius sait reconnaître ces choses-là, maintenant : depuis Leith, sa perception de l'amour a évolué. Tout ce qu'il a pu ressentir auparavant n'étaient en réalité que des attirances fugaces, des désirs dictés par son corps d'adolescent en quête d'affection. Avec du recul, Syrius s'est senti frappé par l'évidence : il n'a aimé aucune des filles avec lequel il est sorti. S'il a ressenti des sentiments à leur égard, ce n'était rien d'aussi fort, rien d'aussi enivrant. Rien qui ne puisse être comparé à la vague puissante qui l'a submergé en embrassant Leith pour la toute première fois. Et après lui, plus jamais Syrius ne s'est senti capable d'aimer qui que ce soit. Du moins, pas autant. Pourtant, les filles de la noblesse solemienne se pressaient à sa porte, toutes désireuses de le voir leur passer la bague au doigt. En vain, cependant.

Pour Syrius, le mal était fait. Il avait laissé partir le seul qu'il n'a jamais aimé et jamais personne ne pourrait combler le vide dans son cœur. Et puis un jour … il a mit les pieds dans une auberge perdue au milieu d'une vallée enneigée. Il y a rencontré un garçon qui lui a plu à l'instant même où il l'a vu. Pour le Solemien, Alexei représente toute la beauté et la délicatesse du Nord. Un visage fin, au teint de porcelaine, des joues rosies par le froid, une allure quelque peu fragile et frêle … et pourtant, un caractère rude, froid, fier - aussi droit et impétueux que la montagne, aussi glacial et imprévisible que la neige. C'est cette dualité entre le corps et l'esprit qui fait d'Alexei ce garçon si unique, si charmant aussi. Ce qui charme Syrius au point de pardonner tous les travers et toutes les humeurs de ce garçon blessé, battu, abîmer par la vie. Et désormais, depuis ce jour où Alexei est tombé malade dans la montagne, le Solemien ressent ce besoin, cette envie de prendre soin de lui, de le combler comme jamais personne auparavant n'en a été capable. Il veut le soulager des fardeaux qui pèsent lourds sur ses épaules, il veut panser les plaies de son cœur, celles de son corps aussi. Les cicatrices barrants son corps, vestiges d'une souffrance inimaginable … Syrius aimerait les combler de baisers, les guérir à jamais – et s'assurer qu'aucune autre ne les rejoignent.

Et si tous les mots d'amour du monde se pressent à ses lèvres, Syrius ne peut les laisser lui échapper. Pas ici, pas maintenant. Un peu plus tard dans la soirée peut-être, assit sur le rebord d'une fontaine à observer les étoiles. Ou alors, juste un tout petit peu plus loin, afin d'échapper aux oreilles curieuses de ce barman qui ne cesse de leur attribuer des oeillades curieuses depuis qu'ils se sont installés. En attendant, le garçon se contente de caresser tendrement la paume de sa main, espérant ainsi lui transmettre toute l'affection qu'il ressent à son égard. Son cœur bat si vite dans sa poitrine qu'il a l'impression qu'il compte lui échapper à tout instant. Si l'alcool embrouille légèrement son champ de vision, Syrius avise facilement le rideau de cheveux blonds qui cachent le visage d'Alexei. Ce dernier est d'ailleurs étrangement silencieux … comme si la demande formulée par Syrius n'avait, en fait, jamais franchit la barrière de ses lèvres. Il s'apprête à réitérer sa proposition lorsque Narcisse bondit des genoux de son dresseur, comme soudain bien effrayé. L'Austrien aurait du se rendre compte de ce signal … mais trop tard. Le rire d'Alexei, notes démentes dans l'air apaisant, sonne dans ses oreilles comme un glas funeste. Il est trop tard pour réagir. Le sort en est jeté.

La main d'Alexei lui échappe avant même qu'il ne s'en rende compte et, l'instant d'après, une terrible odeur d'alcool le prend au nez. Un cri de surprise lui échappe alors que Khensit siffle de rage et que Seth quitte ses genoux avec précipitation. Le Venyysien vient de lui jeter son dernier shot d'alcool dessus, imprégnant son manteau de cette effluve forte, piquante. Le regard à la fois surpris et courroucé de Syrius rencontre celui envahi de larmes d'Alexei, qui saute de son tabouret pour se saisir de son sac à dos. Les mots qu'il crache, semblable à du venin, frappent l'Austrien de plein fouet. La peine et la déception du Venyysien lui saute au visage avec une telle violence qu'il vacille un instant sur son tabouret, les mains tremblantes. Finalement, Alexei décroche difficilement la Pokéball de Lyov de sa ceinture et la lui jette sans ménagement – si Syrius arrive à l'attraper in extremis, elle manque de lui échapper tant la tristesse l'accable. Sentir toute la haine de Alexei déferler sur lui est une torture, une douleur comme il n'en existe peu. Le fils Al'Shams a beau ouvrir la bouche pour se justifier, rien ne vient, comme soudain privé de sa voix. Alexei, de son côté, n'en manque malheureusement pas :

Et le voilà qui disparaît dans la foule, ignorant les regards curieux et accusateurs braqués sur lui. A l'instant même où Alexei échappe aux yeux de tous, Syrius devient la cible de tous les questionnements. A ses pieds, Seth pousse un petit gémissement misérable en voyant Narcisse disparaître avec son Dresseur. Khensit, elle, s'enroule à nouveau autour de la nuque de son jeune maître, dans une tentative maladroite de le consoler. Hébété, figé, l'Austrien reste immobile de longues secondes, complètement interdit. Jamais encore qui que ce soit ne l'avait traité de cette façon. Et soudain, une colère sourde, violente, secoue son cœur. Comment a-t-il osé ?! L'humilier ainsi publiquement, le traiter de connard devant une telle foule... Quelle mouche l'a piqué ? Qu'a-t-il dit de mal ? Quoi, il n'accepte pas que Syrius remette en question ses méthodes d'éducation ? Qu'il le mette face à cette réalité, qu'il ose lui dire les choses que jamais personne n'a osé faire avant ? Quelle honte ! Syrius est un prince ! Du sang bleu coule dans ses veines – si Alexei l'avait su, il aurait réfléchi à deux fois avant de l'humilier de la sorte !

L'instant d'après, Syrius bondit de son tabouret et s'éloigne du bar après avoir laissé une poignée de pièces sur le comptoir, maugréant dans sa barbe inexistante. Seth sur les talons, il prend la direction opposée à Alexei, remontant la petit rue aux stands pour regagner la place principale de la ville. Il n'y a plus personne aux alentours : tout le monde semble profiter du festival. Las, l'Austrien se laisse tomber sur le rebord d'une fontaine, frottant frénétiquement son visage pour se remettre les idées en place. La Pokéball de Lyov sur ses genoux semble s'agiter et le garçon se hâte de le libérer. Le Riolu semble bien étonné de se retrouver face à Syrius et non face à Alexei, tant qu'il reste immobile plusieurs secondes. C'est le moment que choisi Seth pour lui bondir dessus, japant à tue-tête avant de courir le visage de Lyov de coups de langue amicals. Si le loup bleu réussi à échapper à la petite chienne, il se hâte de se cacher derrière les jambes de Syrius. Ce dernier, néanmoins, ne semble même pas réaliser ce qu'il se passe sous son nez tant ses pensées sont occupées par Alexei. Il ne comprend pas ce qu'il lui est arrivé et a beau retourner la situation dans tous les sens, le Solemien ne trouve aucune raison à son comportement.

Syrius avise alors l'auréole tâchant son manteau. L'odeur de l'alcool lui donne la nausée : heureusement que les Centres Pokémon proposent un service de lessive gratuit pour les détenteurs d'une Carte Dresseur, sinon il aurait payé une petite fortune à la laverie du coin. S'il ne faisait pas si froid, il se serait même débarrassé de son manteau illico presto ! Sentant une nouvelle vague de colère le secouer, Syrius fouille dans son sac pour en sortir la pipe de son grand-père ainsi que son tabac solemien. Voilà longtemps qu'il n'en a pas fumé – le garçon veillant sur ses faibles réserves – mais aux grands maux les grands remèdes, comme on dit. Il bourre alors sa pipe d'un geste expert, craquant une allumette pour mettre feu au tabac. L'instant d'après, Syrius prend une grande bouffée, appréciant le goût âpre et épicé qui brûle un instant sa langue. Néanmoins, cela ne suffit pas à évacuer totalement son mécontentement. Alors il se lève, et commence à faire les cent pas sur la place. En rang d'oignon, Khensit, Lyla, Seth et Lyov le regardent faire, tous étrangement calmes et silencieux. La tête basse, le regard fermé, les doigts crispés sur sa pipe, Syrius tourne en rond comme un Némélios en cage, les méninges tournant à plein régime.

Quand est-ce que tout a dérapé ? Qu'a-t-il donc dit pour éveiller à ce point la colère d'Alexei ? Son regard tombe sur Lyov, quelque peu perdu au milieu de cette équipe qu'il connaît sans être la sienne pour autant. Et là, Syrius comprend. Il est là, le problème. Le Riolu a toujours été un sujet sensible pour le Venyysien. Comme s'il représentait quelque chose de particulier, quelque chose qui échappe totalement à Syrius. Alexei avait besoin de réconfort – et Syrius le lui a refusé, préférant lui faire la morale. Maintenant qu'il y pense, maintenant qu'il se repasse le fil de la conversation, il réalise sa propre bêtise. Alexei n'a jamais voulu continuer sans lui – à ses côtés, il semblait ressentir une sensation de liberté, un petit quelque chose de spécial. Il a bien essayé de lui dire, avec des formulations plus discrètes, plus timides. Et Syrius n'a pas su les comprendre à l'instant T. Ce n'est que maintenant, loin de toute agitation, que tout devient clair, limpide. La réaction d'Alexei est justifié … il a vraiment agit comme le dernier des cons. Les dents de Syrius se contractent un instant sur sa pipe. Mais quand même ! Etait-il obligé de le traiter de cette façon ? D'être si véhément ? Un grognement agacé s'échappe de sa gorge, attirant l'attention des quatre Pokémon face à lui. Lyov lui jette un regard un œil déconfit, Lyla une oeillade triste, Seth esquisse une moue peinée et Khensit siffle d'agacement. Une belle brochette de petits regards jaugeurs !

Pour toutes réponses, les quatre Pokémon se contentent de le regarder. Vraiment ? C'est vraiment lui, et lui seul le problème ? Syrius sent une honte écrasante s'abattre sur lui. Il ne voulait pas causer le moindre tord à Alexei. Bien au contraire ! Il voulait lui ouvrir les yeux sur une réalité concernant sa relation avec Lyov. Mais oui, il est vrai : ce n'était pas le moment pour ça. Pas alors que le garçon osait s'ouvrir à lui et jouer carte sur table. Un soupir échappe à Syrius, alors qu'il se laisse mollement tomber sur le rebord de la fontaine. Alex n'a pas tord finalement : il est un vrai connard. Un abruti incapable de faire preuve d'un minimum de jugeote. Et maintenant … le garçon qui fait battre son cœur s'est enfuit, Arceus sait où. Syrius a détruit leur dernière chance de reprendre leur voyage ensemble, piétiner les sentiments d'Alexei comme un tas de feuilles mortes. Et il s'en veut énormément. Cependant, comment recoller les morceaux ? Il est trop tard, maintenant. Quelques larmes se pressent aux coins de ses yeux alors qu'il prend une énième bouffée de tabac. Le goût des épices semblent apaiser son cœur torturé. Pendant un instant, il se revoit dans les jardins de sa maison à Solem, assit sur un banc de pierre aux côtés de son grand-père. Il revoit Madhi tiré sur cette même pipe en lui répétant encore et encore de ne pas s'inquiéter. Que tout ce qui se casse à la possibilité d'être réparé. Il suffit pour cela de ne jamais abandonner.

Fort de cette volonté, Syrius bondit sur ses jambes. Non, ce n'est pas trop tard ! Il peut encore tout arranger. Ou du moins … encore essayé. Hors de question de rester les bras ballants comme il l'a fait avec Leith, quelques années auparavant. Il tient à Alexei, sincèrement – et il ne le laissera pas partir si facilement. Néanmoins … comment le retrouver ? Belagora est immense, et il a eu le temps de s'enfuir n'importe où. Face à sa détresse, Seth jape, l'air déterminé. Un sourire vient fleurir sur les lèvres de l'Austrien. Oui … avec eux, il le retrouvera. Ni une ni deux, il attrape Khensit pour l'installer sur ses épaules et se dirige en courant vers l'allée menant au lieu du festival. Il doit commencer les recherches par là, puisque c'est ici qu'il a vu Alexei pour la dernière fois. Sur ses talons, Seth et Lyov hument l'air, la truffe en l'air. La chienne se dirige d'ailleurs directement au niveau du bar, retrouvant le tabouret du Venyysien, encore imprégné de son odeur. L'instant d'après, elle semble avoir une piste car la voilà qui part en courant, suivi de près par Lyov et Lyla – Syrius se hâte de les poursuivre, le cœur tambourinant dans sa poitrine. La Rocabot le guide jusqu'à l'autre bout de la place, où il ne semble y avoir aucune âme qui vive … si ce n'est une silhouette recroquevillée au pied d'un arbre mort.

Le petit groupe s'arrête à quelques mètres d'eux. Syrius, haletant, paraît hésiter un instant. Mais il se reprend vite, plus déterminé que jamais. C'est à lui de réparer ses erreurs, maintenant. Se penchant doucement vers les quatre Pokémon, il leur offre à chacun une caresse délicate sur le sommet du crâne avant de les rappeler de leur Pokéball respective. Il n'y serait peut-être jamais arrivé sans eux mais … la suite, il doit doit s'en occuper seul. Il attache donc les quatre sphères à sa ceinture et s'approche doucement d'Alexei, croisant le regard de Narcisse qui semble bien peiné. Syrius lui adresse un petit sourire désolé avant de se laisser tomber à côté du garçon, les épaules secouées par les sanglots. Doucement, l'Austrien vient passer son bras autour des épaules du garçon, lui offrant une étreinte légère mais consolatrice. Il s'en veut tellement de lui avoir fait du mal qu'il ne sait absolument pas par où commencer. Finalement, il décide se laisser ses mots venir sans chercher à les contrôler :

Syrius renforce un peu son étreinte, rapprochant davantage Alexei de lui. Pendant un instant, il est tenté de lui laisser un baiser sur sa joue froide et mouillée, mais s'y refuse. Ce n'est sûrement pas le bon moment pour ça. Alors il se contente d'enfouir son visage dans son cou, passant son autre bras autour de son ventre pour lui offrir un câlin tendre, sincère. Sentir le corps d'Alexei dans ses bras fait remonter quelques frissons dans le dos de Syrius, et ses joues semblent s'embraser d'un feu ardent. Ah, comme il aimerait lui offrir toute la tendresse qu'il mérite.

Doucement, il vient attraper le menton d'Alexei afin de le regarder dans les yeux. Puis, tendrement, il essuie ses joues ravagées par les larmes et ose finalement lui déposer un baiser sur le front. Il aurait préféré l'embrasser ailleurs mais … non, vraiment, c'est trop tôt pour ça.

La culpabilité pèse lourd sur le cœur de Syrius. Voir Alexei dans un état pareil … c'est un véritable crève-coeur. Il voudrait pouvoir sécher la moindre de ses larmes et faire disparaître toute trace de peine sur les traits délicats de son visage, mais il sait pertinemment que ça ne sera pas si facile. Le Venyysien s'est livré à lui et Syrius n'a rien trouvé de mieux que le blesser. Si l'Austrien s'en veut énormément, il a également conscience que se lamenter sur son propre sort n'est absolument pas la bonne solution. Ce qu'il doit faire, c'est s'assurer de consoler Alexei … Au moins un petit peu. Et si c'est possible, se faire pardonner, aussi. Certes, son jeune compagnon de route s'est emballé un peu violemment au bar mais Syrius ne peut absolument pas lui jeter la pierre. Se confier comme il l'a fait a du beaucoup lui coûter. Pendant un instant, le Solemien se souvient à quel point Alexei s'est senti mal de devoir dépendre de lui, les jours où il a été malade dans la montagne. Malgré ses airs de poupée de porcelaine, le blond est fier, orgueilleux. Avouer qu'il puisse être mal, avouer ce qu'il peut avoir sur le cœur … ce n'est pas quelque chose d'aiser pour lui, bien au contraire. C'est même l'équivalent de se livrer en patûre aux autres. Et, en quelque sorte … une preuve de confiance.

Et Syrius ne l'a pas compris. Syrius a ignoré les efforts d'Alexei et s'est permit de le juger sur Lyov, alors que ce n'était absolument pas le propos. En exposant sa jalousie pour les Pokémon et cette notion de liberté perdue, le Venyysien a voulu faire passer un message pourtant bien clair : il éprouve une certaine affection pour Syrius. Une affection qu'il a du mal à avouer, qu'il a du mal à communiquer aussi. Les traits chagrinés de son visage, lorsqu'ils se sont retrouvés sur la place … Ils auraient du mettre la puce à l'oreille du fils Al'Shams. Ils auraient du lui faire comprendre que le moment n'était pas choisi pour se goinfrer à un stand de beignets, par exemple. Ou même pour lui présenter Seth, malgré sa certaine impatience. Ces choses auraient pu attendre. Attendre qu'ils trouvent, l'un comme l'autre, le courage de se confier sans avoir à faire passer des messages subtiles, ou nécessiter quelques verres pour se désibiner. Mais surtout, Syrius aurait du se montrer attentif et compréhensif, il aurait du prendre le temps de savoir ce qui chagrinait autant son compagnon de route. Faire la part des choses, en quelque sorte. Mais tout ça, il ne l'a pas fait. Loin de là.

Pour autant, Syrius ne considère pas que tout est perdu. Il ne jetera l'éponge qu'après avoir tout essayé : hors de question qu'il laisse partir Alexei comme il a laissé partir Leith. Alors, sur le moment, la seule solution qui lui ait venu à l'esprit a été de l'enlacer. S'il n'est pas toujours très doué avec les mots, Syrius s'en sort bien mieux avec les gestes. Avec cette étreinte, il veut faire comprendre à Alexei tout la force de son affection, toute sa culpabilité aussi. En sentant ce petit corps frêle s'abandonner à son embrassade, le garçon sent quelques larmes lui picoter les yeux. Il les ravale cependant : son devoir est de sécher celle d'Alexei, pas de libérer les siennes. D'ailleurs, les sanglots qui secouent les épaules du Venyysien sont difficiles à supporter. Le voir dans un tel état, c'est beaucoup trop dur pour Syrius. Il préfère lorsque Alexei le traite d'imbécile et fait la moue. Cette petite grimace adorable, cet air de Snubbull qui le rend si craquant. Bien sûr, son véritable trésor réside dans son sourire mais … Syrius aime le considérer comme un joyeux précieux. Un petit quelque chose qui ne trouve sa valeur que dans sa rareté. Ca ne le rend que plus beau encore.

Finalement, après quelques tentatives vaines, Alexei parvient à repousser un peu Syrius. Si ce denrier a toutes les peines du monde à se défaire de leur étreinte, les mots du Venyysien le pousse à retirer ses bras. Honte d'eux ? Mais pourquoi ? Syrius est néanmoins interrompu dans ses questionnements internes par Narcisse qui, protégeant son Dresseur bec et ongle, le repousse en poussant quelques glapissements. L'Austrien, ayant bien compris le message, commence déjà à reculer lorsque Alexei se saisit de son Goupix, l'éloignant et l'intimant de rester tranquille. Finalement, et malgré les plaintes de la petite créature blanche, il le rappelle dans sa Pokéball, les laissant définitivement seuls, dans le moindre Pokémon aux alentours. Chose à laquelle Syrius n'est absolument pas habitué, Khensit ne quittant quasiment jamais ses épaules depuis des années maintenant. Néanmoins, pour le bien de leur conversation, il vaut mieux qu'ils ne restent que tous les deux, sans personne pour s'immiscer dans leur conversation.

Un silence pesant s'attarde entre les deux garçons. Finalement, c'est Alexei qui reprend la parole :

Syrius accueille ces mots en silence. Cette fois-ci, hors de question de réagir ou de dire quoi que ce soit sans un minimum de réflexion au préalable. Néanmoins … il pense avoir saisit le message, du moins les grandes lignes. Ce qui est en train de se créer entre eux effraie Alexei, d'une certaine façon. Les sentiments qui, petit à petit, se développent et empruntent un chemin qui n'entre absolument pas dans les critères de Salva – et encore moins ceux du Septrion. La sexualité de son guide, Syrius s'en doute depuis le premier jour. Les regards qu'il peut parfois lui lancer, certaines de ces mimiques appuyées … l'Austrien n'aime pas vraiment considérer quelqu'un à partir de quelques clichés, mais, cette fois-ci, ils étaient empreints d'une certaine vérité. C'est bien pour cela que Syrius s'est laissé charmer petit à petit. Jamais il n'aurait commencé à s'imaginer des choses s'il avait su Alexei parfaitement hétérosexuel. Il n'est pas stupide à ce point – et sans vraiment vouloir se vanter, Syrius sait désormais reconnaître une personne qui le regarde simplement … et une personne qui le regarde avec insistance. Et dans ce second cas, c'est très souvent parce qu'il intéresse … son sang bleu plus que lui-même, dans la plupart des cas.

Mais cela ... Alexei l'ignore. Il ne connaît ni sa famille, ni ses origines. Jamais encore Syrius n'a abordé le sujet avec lui. Sûrement parce que, chez le Venyysien aussi, c'est un sujet sensible. Le plus qu'il a pu lui dire de son père ne dresse pas un portrait très glorieux. Et ses sœurs … s'il en a visité une ce matin, l'Austrien n'a pas plus de détail. Il ne sait même pas comment ça s'est passé. Bien, mal … ? Difficile à dire. Il n'est pas toujours facile de lire en Alexei : il affiche souvent le même air froid, renfrogné - il ne veut pas laisser transparaître ses émotions. Bien sûr, il y a des ratés … souvent. Du moins, Syrius a pu le constater à plusieurs reprises. Par sa faute, peut-être … ? S'il perturbe Alexei autant qu'il le laisse penser, ce n'est pas étonnant que ses émotions s'en retrouvent sans dessus dessous. Lui-même sent qu'il perd facilement le contrôle, concernant Alexei. Pourtant, Syrius a toujours su gérer ses émotions, du moins dans la limite du raisonnable. Lorsque l'on naît Al'Shams, il faut apprendre à se tenir. Apprendre à ne rien laisser paraître. Et surtout pas ses faiblesses. Sinon … sinon, c'est salir son nom. Et Syrius n'avait plutôt pas intérêt à ternir la réputation de sa famille.

Les doigts crispés autour de sa pipe, Syrius prend une bouffée de tabac, le regard levé vers le ciel piqué d'inombrables étoiles. Le goût âpre du tabac pique un instant sa gorge, alors qu'un nuage blanc s'élève dans la nuit. Finalement, il tend sa pipe à Alexei :

Syrius lui cède sa pipe sans vraiment attendre une réponse de sa part. Si jamais il n'en veut pas, tant pis : il n'aura qu'à la lui rendre. Il ne le prendra pas mal, même s'il aimerait que Alexei goûte ainsi un petit bout de chez lui. L'Austrien se passe ensuite une main dans les cheveux, réfléchissant à ce qu'il va bien pouvoir lui dire pour ne pas le froisser, le blesser … ou l'énerver. Il y a tellement de chose qu'il aimerait lui dire … mais tant de tabous qui ne doivent être abordés. Finalement, un petit soupir secoue les épaules de Syrius. La tâche s'annonce bien plus compliqués que prévu mais il ne compte pas abandonner. Loin de là.

Ce qu'il sous-entend ? C'est qu'ils peuvent voyager ensembles sans être la cible de quelque soupçon. Combien de personnes partent en voyage en duo, afin de s'épargner de la solitude ? Afin d'avoir quelqu'un sur qui compter, à qui parler ? Bien évidemment, Syrius ne considère pas Alexei comme un passe-temps, un animal de compagnie pour s'occuper sur le chemin. Il est plus, bien plus. Mais ça, personne ne peut le savoir. La frontière entre l'amitié et l'amour est fine, parfois à peine perceptible. Et puis … peut-il seulement parler d'amour, à ce stade ? Il pense comprendre qu'il plaît à Alexei mais pour le reste … ce serait présomptueux de se considérer comme l'être unique occupant ses pensées. Bien évidemment, Syrius en serait très flatté mais là n'est pas la question. Evitons de mettre la charue devant les Tauros : les choses, si elles doivent arriver, arriveront à leur rythme. Le but n'est pas de précipiter les choses, loin de là. Pour le moment … tout ce que désire Syrius, c'est pouvoir continuer son voyage avec Alexei. C'est ce qui le rendrait vraiment, vraiment heureux.

Un drôle de sentiment agite le cœur de Syrius lorsqu'il avise la pipe de son grand-père entre les lèvres d'Alexei. Cet objet représente énormément à ses yeux. Il lui rappelle l'époque doucereuse où les tracas du quotidien n'existaient pas, pour lui. Il n'était qu'un enfant insouciant, qui accueillait chaque jour nouveau sans penser au lendemain. Personne n'attendait quoi que ce soit de lui … si ce n'est qu'il continue de grandir, à son rythme. A chaque fois qu'il jouait dans les grands jardins de sa famille, entouré des Arbok de son grand-père, ce dernier le veillait depuis l'un des nombreux bancs, sa pipe calée au coin des lèvres. L'odeur âcre de son tabac collait même à ses vêtements et quand Syrius se blottissait contre lui, les épices de Solem toute entière envahissait ses narines. En grandissant, la curiosité l'a poussé à bourrer la pipe et à l'allumer en cachette – sa première bouffée l'a fait tellement tousser qu'il a attiré l'attention de son grand-père. Ce dernier ne l'a pas grondé, cependant. Il lui a seulement conseillé de ne jamais commencer. Et Syrius s'y est tenu de nombreuses années. Jusqu'à ce que Madhi décède et hérite de sa belle pipe.

Les panaches de fumée recrachés par Alexei s'élèvent dans le ciel et le parfum des épices imprègnent un instant l'air. Subtilement, un léger sourire étire les lèvres de Syrius. Le simple fait qu'il ait accepté sa proposition lui fait chaud au cœur. Certes, ça ne veut rien dire mais, pour lui, c'est un joli pas en avant. Lorsque le Venyysien lui restitue la pipe, l'Austrien la caresse du bout des doigts, appréciant les arabesques ouvragés gravés dans le bois précieux. Il suffit de quelques mots de sa part, peut-être un peu maladroit, pour que Alexei la lui prenne à nouveau. Le Solemien lui cède sans hésitation, conscient depuis le temps que le tabac est presque salvateur pour le Venyysien. Alors s'il peut l'aider à se sentir un petit peu mieux, alors il lui la laisse de bon cœur. Ses réserves sont basses, certes, mais ce n'est absolument pas ce qui l'inquiète pour le moment. De toute façon, s'il a besoin de fumer, il peut s'acheter du tabac local – il n'est pas aussi bon, mais il lui suffit largement.

Pourtant … reste une angoisse. L'angoisse d'avoir définitivement tout brisé entre eux. L'angoisse que Alexei le rejette une bonne fois pour toute. Néanmoins, si tel est son désir, Syrius s'y pliera sans insister. S'il refuse de le laisser partir comme il l'a fait pour Leith, il ne mènera pas une guerre vaine pour autant. Si Alexei refuse de continuer avec lui, de reprendre là ils se sont arrêtés, alors … l'Austrien fera avec. Son cœur se brisera, c'est une certitude. Mais il préfère encore souffrir dans son coin et s'assurer que Alexei se sent mieux plutôt que lutter comme un beau diable. D'autant plus que … ce serait égoïste, très égoïste. Bien sûr, Syrius espère de tout cœur que ce terrible scénario n'aura jamais lieu. Il a envie de croire que les sentiments qu'Alexei entretient à son égard suffiront à recoller les morceaux entre eux et leur permettre de repartir sur des bonnes bases. Des bases un peu plus saines, lavées de certains non-dits. Tout ne sera pas parfait, certes. Mais elles ne le sont jamais, de toute façon.

Discrètement, Syrius coule un regard en direction d'Alexei. Étonnamment, ce dernier le regarde : ses yeux rougis serrent davantage le cœur du Solemien, qui fait de son mieux pour garder la face. Cependant, le rouge mord les joues du Venyysien qui vacille, prenant une énième bouffée de tabac en silence. Les mots qui suivent ce geste plongent Syrius dans une sorte de torpeur inhabituelle. Un monstre ? Est-ce ainsi qu'il se considère ? Diaboliser autant ses préférences … Syrius sait ce que c'est. Lorsqu'il a réalisé son affection pour Leith, il s'est maudit d'éprouver de tels sentiments pour un homme. Quelqu'un de normal ne peut accepter une telle déviance dans son esprit. Pendant quelques jours, il a pensé qu'il était malade, ou juste complètement fou. Et puis il s'est abandonné aux bras de Leith et … toutes ces sombres pensées l'ont quitté. Après tout, pourquoi nier notre nature profonde ? Pourquoi ne pas accueillir ce que la vie nous réserve et apprendre à les apprécier ? Pourquoi se plier à des jugements extérieurs alors que la vie est si courte … ?

Le Solemien s'apprête à lui exprimer le fond de sa pensée lorsqu'Alexei se lève. Il passe une main dans ses bons cheveux blonds, les ramenant en arrière et dégageant ainsi son front. S'il vacille un peu, il est stable sur ses jambes et charge son sac sur ses épaules d'un geste étonnamment sûr. Syrius le garde à l'oeil, cependant – à tout moment, le sol peut se dérober sur ses jambes et l'envoyer par terre. Mais au lieu de ça, le jeune homme blond lui tend une main qui se veut ferme. Syrius esquisse l'ombre de sourire. Il faut croire que … Alexei accepte ses excuses ? Ou est-ce trop utopique d'y croire ? Veut-il mettre fin à leur collaboration avec une poignée de main ? Une boule se forme dans la gorge de Syrius, qui se surprend à craindre les mots qui s'apprêtent à quitter la barrière des lèvres d'Alexei :

A ces mots, Syrius ne sait pas vraiment quoi répondre. D'un côté, il a envie de lui promettre mille et une merveilles. De l'autre, il estime qu'il ne vaut mieux pas risquer de rejeter de l'huile sur le feu. Ce qu'il doit comprendre, c'est que Alexei compte continuer son voyage avec lui. Et cette simple idée suffit à lui mettre du baume au cœur. Un sourire tendre étire ses lèvres et, sans hésiter, il attrape cette maison qui lui propose de l'aide. En vérité, Syrius s'aide du petit rebord de son assise pour se propulser en avant histoire de ne pas tirer sur la main d'Alexei mais ça … le principal concerné n'est pas obligé de le savoir. Juste, l'Austrien ne veut pas prendre le risque de précipiter son ami par terre. Parce qu'il peut le considérer comme un ami maintenant, non ? Et plus seulement comme son guide. Maintenant, ils sont tous les deux dans cette histoire. Et c'est un Syrius rassuré qui se dresse sur ses jambes, bien plus à l'aise qu'au début de leur conversation. Ils reprennent la route ensemble. Leurs chemins ne se sépareront pas ce soir. Peut-être même ne se sépareraient-ils jamais … ? C'est tout ce que Syrius espère, en tout cas.

Donc, Alexei veut aller faire un tour ? Pas de souci, voilà une façon idéale de s'aérer un peu l'esprit et permettre à leur corps de se débarrasser de l'alcool ingurgité. Syrius n'en a pas autant bu que le Venyysien mais il doit avouer que la douleur vrillant son crâne commence à devenir très agaçante. Une petite balade ne lui ferait pas de mal, c'est une certitude. L'air frais de Belagora va lui rafraîchir les idées, c'est une certitude. Alors à son tour, le Solemien se penche pour se saisir de son sac à dos, le jetant sur son épaule en souriant. Depuis que l'oeuf a éclot, il est tellement plus léger que les épaules de Syrius sont soulagées. Certes, il risque de vite combler cet espace vide avec de nouveaux objets mais … au moins, il n'aura plus autant besoin de faire attention. Pas que Syrius soit du genre négligeant, loin de là, mais quand vient le momet de se débarrasser de son sac, la tentation de juste le laisser tomber par terre est vraiment forte. Il ne se l'est pas permit tout le temps où il possédait l'oeuf mais maintenant que Seth gambade d'elle-même … fini les milles et une précautions !

Un léger sourire, et voilà que Syrius se met en marche, prenant la direction de la petite rue menant à la place. Il entend encore la musique jouée par un petit groupe local, ainsi qu'un brouhaha de conversations mêlées. Pendant un court instant, il est tenté de lâcher ses Pokémon pour les laisser profiter de la soirée, mais abandonne vite cette idée. Cette soirée, il veut la passer en tête à tête avec Alexei. Sans personne pour se mettre entre eux et compromettre ce petit quelque chose qui croît lentement dans leurs cœurs. Syrius veut croire que les choses s'arrangeront petit à petit. Que, en sa compagnie, Alexei parvienne à s'accepter tel qu'il est, sans se considérer comme un monstre ou une abomination. Il espère ne plus jamais voir son beau visage ravagé par la tristesse par sa faute. Le Solemien veut prendre soin de lui, lui apporter la chaleur qui lui manque cruellement. Être, en quelque sorte, son petit rayon de soleil à travers les nuages. Cela peut paraître prétentieux … mais c'est ainsi que Syrius aime voir les choses entre Alexei et lui.

Ainsi les deux garçons regagnent la place principale, où il y a toujours autant de monde. Un coup d'oeil furtif au bar lui permet de constater que les hommes attablés plus tôt ne sont plus là. Il s'assure d'ailleurs que personne ne les dévisage – Syrius ne pourrait supporter d'être juger par des curieux ou des voyeurs. Néanmoins, les regards ne sont destinés qu'aux sculptures et l'Austrien lui-même se surprend à les admirer un instant. D'un geste de la main, il invite Alexei à le suivre et le voilà qui le guide en face qu'une magnifique réalisation d'un Galopa cabré. La finesse de la sculpture est impressionnante et Syrius se demande bien comment un être humain peut posséder la patience nécessaire pour créer un tel chef d'oeuvre. Cependant, le garçon ne compte pas admirer les réalisations jusqu'à la fin de la soirée, loin de là. Il espère bien discuter un peu avec Alexei, lui délier la langue. Cela peut sembler un peu vil, parce que Syrius peut avoir l'air de profiter de la situation. En vérité, il cherche seulement à aider Alexei. Et s'il a besoin de quelques verres dans le nez pour s'ouvrir alors … n'est-ce pas l'occasion ? Il lui a dit lui-même après tout : il ne sera plus aussi loquace demain. Alors autant battre le fer quand il est encore chaud.

Du coin de l'oeil, il aperçoit une mère entourée de ses quatre enfants, partageant équitablement une unique gaufre entre eux. Chaque bambin ne reçoit au final qu'une petite portion, mais ils semblent si heureux. A leur place, il aurait eu cinq gaufres juste pour lui. Ces petites choses de la vie paraissent si normales lorsque nous grandissons dans la richesse et l'opulence. Et si la misère existe dans le Sud aussi, elle est dissimulée par le temps clément, le soleil radieux, la bonne humeur générale des Austriens. Le tableau n'est pas aussi joyeux dans le Nord. S'il y a bien quelques privilégiés, la vie ne sourit pas équitablement à tout le monde. Avec un léger pincement au cœur, il revoit Alexei nourrir Lyov et Narcisse quelques matins plus tôt, avec des morceaux de biscuits secs. A côté de cela, Syrius distribuait allégrement de la nourriture copieuse à Khensit et Lyla. Parfois, en soupesant ses bourses pleines d'or, Syrius culpabilise. Tout cet argent, ce n'est même pas le sien. Ce n'est pas celui de ses parents non plus. Ce sont, en quelques sortes, l'argent de Solem toute entière. L'argent des impôts. Des taxes. De toutes ses lois qui incitent le petit peuple à donner à la famille royale, quand bien-même ils ne régnent plus en tant que telle depuis des années.

Lentement, Syrius se tourne vers Alexei, lui adressant un léger sourire. Il aurait encore tellement de chose à lui dire sur lui. Parfois, il ressent le besoin de lui avouer sa filiation noble. Et puis … l'idée de demeurer incognito, d'exister pour lui-même seulement balaie ces idées-là. Syrius aime n'être « que » Syrius pour Alexei. Pas un Al'Shams. Pas un prince. Juste … lui.

Par de très nombreuses fois, Syrius s’est demandé comment il aurait été, s’il était né ailleurs. Certains diront qu’il est bien tombé : naître au sein de la famille royale de Solem, c’est être certain de ne jamais manquer de rien tout le long de sa vie. Même si ses parents ne sont absolument pas des exemples, ils ne lui ont jamais rien refusé, jamais rien boudé. Certes, ils l’ont laissé à son grand-père sans aucune vergogne mais … il n’était pas malheureux - au contraire ! Ses géniteurs ne lui auraient jamais accordé autant d’attention que Madhi, c’est une certitude. Il aurait été une fille que tout aurait été différent mais … cela n’a pas été le cas et sa mère a dû se faire à l’idée qu’elle ne pourrait pas l’offrir à un riche noble de la capitale. Au final, il n’y avait pas grand chose à retirer de ce troisième fils, surtout avec des aînés si prometteurs. Qu’est-ce que Syrius pourrait donc accomplir d’aussi illustre que devenir le chef de fil de l’Austrée ou le Champion de Solem ? A priori, rien - alors pourquoi dépenser son énergie dans une cause vaine ? Tant que Syrius ne leur cause pas de tord - et qu’il obéit sagement - alors monsieur et madame Al’Shams s’en contenteront … Peut-être l’auraient-ils façonné différemment pas de Madhi s’ils avaient prit la peine de l’élever eux-mêmes. Peut-être en auraient-ils fait un parfait petit noble équipé de toute sa panoplie de clichés. Un être exécrable, sûr de lui, considérant tout comme acquis … Nous sommes bien loin du compte, pas vrai ?

Et dans le Septrion, qu’est-ce ça aurait donné ? Aurait-il le même genre de caractère qu’Alexei ? Fier au point de dissimuler le moindre signe de faiblesse, au point de fuir ce qui le ferait dévier du “droit chemin” ? Syrius doute qu’il y serait arrivé - cela dit, difficile de s’imaginer ce genre de choses en étant certain qu’elles se seraient déroulées comme ci ou comme ça. Même en se basant sur ce qu’il a pu observer au cours de son voyage, le garçon sait pertinemment que chaque personne a son vécu, son histoire qui forge son caractère. Il refuse de croire que tous les Septronniens sont des personnes froides, peu avenantes, fières et orgueilleuses. Alexei lui-même n’est pas comme ça - du moins, pas sur tous les plans. Et les nordistes qu’il a croisé sur sa route depuis le début de son voyage étaient tous différents, uniques. Les êtres humains sont peut-être créés dans le même argile mais … à chacun ses subtilités, à chacun ses aspérités, ses défauts, ses qualités. Nous pouvons suivre une pensée générale tout en se forgeant ses opinions, son vécu. Au lieu de quoi … Syrius serait bien différent ! Et cela concerne autant les gens du Nord, du Sud, de Thacie - de partout ailleurs, aussi. Un être, à moins d’être parfaitement formaté, trouvera toujours un moyen de forger sa propre opinion … et de s’y confronter avec plus ou moins de facilité.

En tout cas, Syrius est sincère dans le moindre de ses mots. Il s’estime égoïste de profiter d’une fortune qui n’est pas la sienne, d’avoir osé se plaindre à plusieurs reprises malgré sa vie confortable, d’avoir osé froncer le nez en avisant des plats peu ragoûtant, de s’être plaint de l’inconfort de son sac de couchage ou du froid s’infiltrant dans sa tente. En quittant le grand manoir de sa famille, il n’avait pas conscience de la réalité de la vie, surtout dans le nord glacial. Et dire qu’il osait s’estimer humble, ah ! La bonne blague. Syrius a bien honte de s’être, un jour, considéré comme un garçon large d’esprit, compatissant, réaliste. Le monde est différent lorsqu’on le regarde à travers sa fenêtre - une fois dans les rues, dans les faubourgs, au contact de la population … ce que nous pensions pas si terrible se révèle être odieux. Voir des enfants crever la faim aux portes de son manoir, des familles mourir de froid aux premières neiges du Septrion, des hommes lutter jour et nuit pour leur survie … que de visions terribles, affligeantes, déroutantes qui forcent Syrius à reconsidérer sa vie chaque jour. Si seulement le monde était meilleur … si seulement tout le monde pouvait s’entraider pour s’offrir un confort de vie plus agréable. Mais les vieilles rancoeurs sont tenaces et d’aucun préfèrent crever qu’accepter une main étrangère.

Alexei accueille ses mots en écrasant sa cigarette sous sa chaussure et en désignant un banc tout près - Syrius comprend sa proposition silencieuse et marche dans ses pas, s’asseyant à ses côtés sur le bois légèrement humide. L’intensité du regard du blondinet donne au Solemien des frissons agréables, délicieuses caresses invisibles qui le consolent et le rassurent. Pour autant, demeure au fond de ces prunelles orageuses une certaine pudeur, mêlée à un émoi adorable, attendrissant. Jamais encore Syrius n’a ressenti pareille envie de caresser un visage, d’embrasser une joue … Alexei l’attire comme un aimant : l’envie de s’y accrocher et de ne jamais s’en défaire est terriblement tentante, envoûtante … mais absolument pas prudente. Pour l’heure, du moins.

Un léger rire secoue les épaules de Syrius. Donc, quoi qu’il advienne, il n’aurait jamais été mieux qu’une désagréable épine plantée dans son talon ? Sûrement quelqu’un d’autre que l’Austrien l’aurait mal pris - mais Syrius, lui, en rit. De la part d’Alexei, il considère cela comme un compliment. Et d’ailleurs, ses arguments sont pertinents : les choses auraient été très différentes entre eux s’il avait également grandi dans le Nord. Et l’inverse fonctionne aussi : un Alexei à la peau brune et aux émotions guillerettes ne l’auraient sûrement pas autant attiré. Sûrement même Syrius n’aurait-il jamais croisé sa route. Par ailleurs, l’Austrien aime penser que ce qui les unie est, au début, né de leurs différences. Parce qu’il faut dire les choses telles qu’elles sont : Syrius et Alexei sont différents, tels le yin et le yang. Là où le Septrionnien est pudique, fier et peu loquace, l’Austrien est bon vivant, blagueur et bavard comme un Pijako. Certains aiment dire que les contraires s’attirent … Syrius n’y a jamais cru auparavant. Et pourtant, ça lui saute désormais aux yeux comme l’évidence-même. En vérité, retrouver quelqu’un de semblable à lui serait tomber sous le charme d’un autre Leith. Et ce n’est pas ce que recherche Syrius. Que recherche-t-il, d’ailleurs ? Rien de particulier. L’amour, il ne pensait plus jamais en entendre parler. Puis Alexei est entré dans sa vie, et tout a changé. Un chamboule-tout mental qui n’a pas fini de le perturber.

Cela dit … ce n’est pas si désagréable, d’être ainsi bousculé dans ses habitudes, dans son train de vie, dans ses pensées. Et aux côtés d’Alexei, tout porte à croire que cela risque de continuer. D’ailleurs, voilà qu’un nouveau problème se présente aux garçons …

Les yeux de Syrius s’écarquillent, son souffle se coupe. Le mariage …? Voilà un sujet qui a tendance à lui faire dresser les poils sur les bras. Bien évidemment, ses parents ont plus d’une fois abordé le sujet avec lui. Parfois, en rentrant de la fac, il retrouvait une jeune fille dans son salon, aux côtés de sa mère. Et alors, il savait qu’il allait passer une mauvaise soirée. Cela dit … jamais aucune de ces rencontres n’ont mené à quoi que ce soit. Sûrement les pères de ces demoiselles attendaient qu’elles épousent l’un de ses aînés. Ayman et Shaïm sont de bien meilleurs partis que lui, aux yeux des nobles. Le troisième fils d’une famille, il ne vaut pas tripette. La part du lion reste l’aîné : le futur chef de famille, c’est un trophée que beaucoup veulent s’arracher. Et pourtant, malgré sa trentaine bien entamée, Ayman est un éternel célibataire. Ni épouse, ni fiancée - même pas une petite amie. Ou alors, il la dissimule habilement. Quant à Shaïm … s’il n’est engagé avec personne, Salva toute entière le voit déjà au bras de Laureleï. Est-ce que leur histoire est-elle réelle, Syrius lui-même ne saurait le dire. Son frère est très doué pour brouiller les pistes … au grand damne des paparazzis.

En vérité, Syrius doit son célibat actuel à ses deux frères : s’ils étaient engagés, il aurait dû en faire de même. Mais puisque Ayman et Shaïm ont le devoir de se marier en premier, le garçon possède ce sursie bienvenue. Et puis, quand bien même ses parents lui proposaient la main d’une demoiselle, Syrius refuserait. S’il a aimé les femmes pendant son adolescence, elles ne sont plus le centre de son intérêt désormais. Et puis … se marier, avoir des enfants ? Trop peu pour lui. Devenir l’époux parfait, ce n’est pas dans ses plans de vie. Syrius se considère comme un électron libre : il veut pouvoir faire ce qu’il veut, quand il veut, sans se coincer dans les limites d’un quelconque engagement. Ainsi ne s’imagine-t-il pas du tout la bague au doigt. Ce serait l’équivalent de se passer la corde au cou ! Alors … qu’importe les projets que ses parents potassent pour lui. S’ils voulaient qu’il entre gentiment dans le moule, ils n’avaient qu’à l’éduquer eux-mêmes. Ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-même, et leur égoïsme écoeurant. Hors de question que Syrius rentre dans le moule pour eux - sa vie, il compte bien la mener à sa façon.

Syrius sent soudain la main d’Alexei glisser le long de son bras et s’échouer sur sa main. Sa voix tremble d’une émotion toute particulière : un mélange de peur et de honte, si caractéristique de ce pauvre Alexei.

L’émotion sert violemment le coeur de Syrius. Le Venyysien lui rappelle tellement le garçon qu’il était lui-même, il y a quelques années. Un garçon effrayé à l’idée d’être différent, de décevoir. Un garçon qui veut suivre sa propre route mais qui ne veut faire de tort à personne, et surtout pas à sa famille. Doucement, le Solemien mêle ses doigts aux siens. Etreinte discrète, timide, mais pas moins sincère. ll tient à le consoler, à le rassurer. A trouver les bons mots pour dissiper ses pensées parasites perturbant son esprit. Le fils Al’Shams comprend mieux l’état dans lequel il a retrouvé Alexei, en début de soirée. La visite chez sa soeur s’est mal placée, lui a jeté une nouvelle cargaison de doute et de peur en pleine figure. Elle a semé de nouvelles graines malignes dans son esprit, au point de le plonger dans un état compliqué. Pendant un quart de seconde, une colère sourde monte en Syrius. L’envie de visiter cette soeur et de lui cracher ses quatre vérités au visage est tentante, très tentante. Mais … de quel droit ferait-il cela ? D’autant plus qu’à part couvrir Alexei de honte, ça ne changerait absolument rien. Difficile de faire flancher un esprit battu au fer blanc d’idées arriérées … ce serait dépenser beaucoup d’énergie pour obtenir bien peu de résultat.

Doucement, Syrius pose sa main sur la joue d’Alexei pour l’encourager à le regarder. S’il a envie de l’enlacer, il se retient - il a compris que ce genre de proximité dérange énormément son compagnon et son but n’est pas de le mettre mal à l’aise, au contraire. Ainsi éloigne-t-il sa main dès que le regard du Venyysien s’accroche au sien. Un sourire tendre étire les lèvres de Syrius :

Syrius recule un petit peu la tête, prenant une bouffée de tabac en tirant allégremment sur sa pipe. Malgré l’odeur âcre qui s’élève dans l’air, le garçon ne paraît pas dérangé outre mesure. D’ailleurs, tout le tabac est consummé maintenant, il ne reste plus que quelques feuilles rabougries qui refusent de brûler. Syrius dépose finalement sa pipe sur ses genoux, feignant un air détaché pour donner à Alexei une impression de sérénité. Puisqu’il désire le rassurer, il ne doit pas dévoiler son propre trouble - ce ne serait que l’inquiéter davantage et, forcément, ce n’est absolument pas le but.

Jamais Syrius n’a ressenti plus agréable sensation que celle de la main d’Alexei dans la sienne. Le coģntact de sa main froide contre sa paume chaude est apaisant, annonciateur d’une belle histoire. Bien évidemment, le Solemien a conscience que rien ne sera facile. Etant donné l’état d’esprit d’Alexei, il peut plus ou moins prédire que le pire reste encore à venir. Malgré tout, Syrius tient à profiter de cette étreinte à sa juste valeur. Sentir les doigts du Venyysien se mêler aux siens est un bonheur immense, sincère. Il ne peut d’ailleurs retenir un petit sourire ému - depuis combien de temps rêve-t-il d’un contact doux et chaleureux entre eux ? Depuis le tout début, sûrement. Bien évidemment, Syrius ne se voyait pas l’emballer et le mettre dans son lit aux termes de quelques jours. Dès le premier jour, il a su que son attirance pour Alexei n’avait rien à voir avec une passion soudaine, motivée par une quelconque attraction éphémère. Certes, le joli minois d’Alexei est tout à son goût mais Syrius ne se fit pas qu’au physique. Dès les premiers mots échangés, il a apprécié ce caractère bien trempé, cette fierté toute Septrionienne. Et puis … au fil des jours, son attirance s’est affinée. D’une bûche, elle est devenue un bloc de bois taillé, puis une belle oeuvre d’art. Désormais, le garçon a parfaitement conscience de ses sentiments, et est heureux de voir qu’ils sont partagés. Reste à voir où tout cela les mènera.

Mais … pour l’heure, le futur importe peu à Syrius. Il tient à se concentrer sur le présent, à en profiter pleinement. Alors il admire les traits du visage d’Alexei, les émotions qui s’y enchaînent, les couleurs qui s’y invitent. Le rose poudré qui se répand sur ses pommettes est une invitation aux baisers et le fils Al’Shams a toutes les peines du monde à se bouder ce plaisir. Néanmoins, ce n’est ni le moment, ni l’endroit pour ça. Il a promis à Alexei de faire attention, de respecter sa pudeur. Alors Syrius se contente de leurs mains mêlées - et ce contact-ci le comble déjà de bonheur. Bien évidemment, il adorerait prendre le garçon blond dans ses bras et couvrir son visage de baisers tendres. L’intensité de son regard orageux ne lui rend pas la tâche facile, et jamais une bouche ne l’a autant tenté. Ses lèvres entrouvertes, légèrement gercées, étirées en un très léger rictus soulagé … Il aimerait les rougir sur ses baisers, les sceller aux siennes et les dévorer encore et encore. Et en réponse à ces envies, son coeur se met à battre comme un fou dans sa poitrine, si bien qu’il le sent pulser jusque dans ses tempes. Il n’entend plus que ça d’ailleurs : un “boum boum” irrégulier, couvrant les voix, la musique. Comme enfermé dans une bulle de sentiments, Syrius s’est absenté du monde extérieur, en créant un autre juste pour Alexei et lui.

Le Solemien sent d’ailleurs son coeur se gonfler d’émoi en entendant la promesse d’Alexei. Le simple fait qu’il accepte d’essayer de vivre pour lui-même … c’est déjà beaucoup, surtout venant d’un garçon tel que lui. Bien évidemment, Syrius a conscience qu’il n abattra pas toutes les barrières du jour au lendemain, et il vaut mieux par ailleurs que ce soit progressif. Si les contes pour enfant tel que “Le Laporeille et le Chartor” lui ont appris, c’est qu’il ne vaut mieux jamais se précipiter. A quoi bon se lancer pour s’essouffler au bout de quelques foulées ? Alexei ne supporterait pas de changer sa façon de voir et de faire du jour au lendemain. Le choc sera trop dur pour qu’il y trouve la moindre satisfaction. Mais quoi qu’il arrive, Syrius compte bien rester à ses côtés et lui apporter toute l’aide dont il pourra avoir besoin. Il n’est peut-être pas le meilleur exemple du monde mais … il fera tout son possible pour le soutenir du mieux qu’il le pourra. Le tout sera de s’assurer que ses démons ne le rattrapent pas … et pour cela, Syrius espère bien que sa présence lui suffira. Quoi qu’il puisse advenir, il n’abandonnera pas Alexei, c’est une promesse qu’il se fait à lui-même. Maintenant qu’il l’a dans la peau … impossible de se détourner de lui et de l’oublier. Impossible de l’abandonner à son sort sans avoir tout donné pour l’aider. Et quand bien même Syrius serait à court d’idée … il demeurera auprès de lui. Aussi longtemps que Alexei voudra de lui.

La caresse que Alexei lui offre du bout du pouce arrache un frisson appréciateur à Syrius. Le fait qu’il lui rende ainsi sa tendresse est terriblement plaisant et le garçon manque de perdre ses mots. Heureusement, il parvient à lui décrire un peu plus sa propre situation familiale sans laisser sa voix partir dans des trémolos pouvant trahir ses émotions. Bien sûr, il passe encore beaucoup de choses sous silence et pour autant … une partie de lui aimerait que Alexei comprenne. Pas qu’il veuille apparaître comme le petit prince de Solem à ses yeux, loin de là - mais il est arrivé à un point où il désire être totalement transparent auprès de lui. Mais, à chaque fois qu’il le veut … Syrius n’y parvient pas. Il a tellement peur que son nom éclipse tout le reste, que Alexei prenne peur … Ce serait une déchirure. Et ce n’est pas maintenant, alors que les choses tendent à s’arranger, qu’il va prendre le risque de tout gâcher. Pourtant, il aimerait que le garçon le sache avant qu’ils ne défient Martiel à Edelsten. Parce qu’il est certain que le Champion, plus ou moins proche de Shaïm, reconnaisse Syrius. Et ce dernier ne veut pas que Alexei l’apprenne de la bouche d’un autre. Ce serait le pire des scénarios. Mais quand, dans ce cas ? Quand le bon moment se présentera-t-il …? 

Certainement pas maintenant, songe-t-il en sentant Alexei se laisser aller doucement contre son épaule. La fatigue commence à rattraper le Venyysien, et l’alcool qu’il a ingurgité ne l’aide pas à lutter efficacement contre ses paupières lourdes. Il l’avoue lui-même : les premières nausées apparaissent, couplées à une bonne migraine. Pour autant, il semble … soulagé d’avoir pu converser de tout ça avec Syrius. Ce dernier l’écoute religieusement, pressant doucement ses doigts, lui transmettant toute son affection par ce simple geste. Finalement, le Venyysien se redresse et plonge son regard orageux dans celui émeraude du jeune photographe :


Si ces quelques mots lui coûtent un peu, Syrius sait pertinemment que c’est ce qu’il y a de mieux pour eux d’eux. Eviter de remettre leur discussion sur le tapis pour permettre à Alexei de commencer sa longue transition, c’est très sûrement la meilleure chose à faire. Bien évidemment, le fils Al’Shams se doute bien qu’ils n’allaient pas repartir demain matin main dans la main, fous amoureux et prêts à piétiner les préjugés. Ce n’est déjà pas ce qu’il souhaite lui-même, donc ça ne risquait lui-même. Néanmoins … Une partie de lui craint que Alexei nie et fasse une choix sur tout cela. Ce n’est pas que Syrius ne lui fait pas confiance, bien au contraire. Mais … sa situation est telle qu’elle est. Difficile, destructrice. A lui de veiller que … tout se passe bien. Alors Syrius lui adresse un petit sourire rassurant. Dès à présent, il sera muet comme un Magicarpe. 

Sensible quant à l’état d’Alexei, Syrius lâche sa main à contre-coeur et se lève du banc. Ils feraient mieux de rentrer se reposer au Centre Pokémon s’ils ne veulent pas reprendre la route trop tard demain. Et puis, il faut absolument que le jeune garçon du Nord se repose après une telle journée riche en émotion. Le photographe lui propose sa main pour l’aider à se relever, bien décidé à devenir son pilier à partir d’aujourd’hui - et peut-être même pour toujours ?

Dès que la main d’Alexei rejoint la sienne, Syrius l’attire doucement vers lui, l’aidant à se remettre sur pied et veillant à ce qu’il ne tangue pas. Doucement, les deux garçons se mettent en route, prenant la direction du Centre Pokémon. Malgré l’heure, il y a encore du monde dans les rues et un soudain vivat lui apprend que le vainqueur du concours de sculpture a été désigné par le jury. Syrius ne s’en préoccupe pas, cependant : au final, ce festival est passé au second plan avec tous ces événements. Il ne considère pas cela comme une défaite cela dit, bien au contraire. Il est ravi d’avoir pu discuter autant avec Alexei, d’avoir pu le comprendre un petit plus. Bien évidemment, il a encore beaucoup de chose à apprendre et il n’est sûrement pas au bout de ses peines, mais pourquoi s’en préoccuper ? Syrius est prêt à marcher sur des charbons ardents toute sa vie si c’est le prix à payer pour s’être amouraché de ce beau garçon du Nord.

Ils arrivent aux abords de leur destination lorsque Syrius se souvient d’un petit détail. Portant la main à sa ceinture, il s’apprête à en décrocher la Pokéball que Lyov … avant d’abandonner l’idée. Non, il ne veut pas en parler maintenant. Pas après tout ça. Peut-être, demain ?
Oui, demain, ce sera parfait.