C’est toujours étrange de revenir dans la ville qui t’a vu grandir. Et pourtant, ce n’est pas bien étonnant. En tant que capitale du Septrion, Belagora est un lieu assez prisé lorsqu’il s’agit de l’organisation de concours et autres grands évènements. En tant que coordinateur, ce n’est donc pas une grande surprise que tu reviennes y faire un tour occasionnellement. Et en toute honnêteté, ça te rend nostalgique d’arpenter ces rues que tu as emprunté mainte et mainte fois dans un passé pourtant pas si lointain. Tu te souviens de toutes ces heures de jeux passées avec ton frère, à rire et à te perdre dans le froid. Mais Alistair est parti. Il s’est lancé dans un voyage à travers tout Salva et à l’heure qu’il est, il pourrait être n’importe où. Et toi, tu n’en saurais rien. Et c’est pour cette raison que tu te sens étrange. Sans ton frère à tes côtés, comment pourrais-tu arriver à considérer Belagora comme étant ton chez-toi?


En regardant le ciel, tu remarques qu’il a commencé à s’assombrir, annonçant ainsi le début de la soirée. Pourtant, tu ne te sens pas plus pressé que ça. Tu sais déjà que tu iras passer la nuit chez ton père donc tu n’as pas à te soucier de savoir si tu auras un endroit où dormir ou non. Ce qui ne veut pas pour autant dire que tu meurs d’envie de le revoir. Même que ce moment, tu le redoutes. Entre choisir de flâner dans le froid et de te prendre les remarques mesquines de ton père, ton choix est vite fait.


Ce n’est pas particulièrement désagréable considérant que tu n’es pas seul. Amy semblait bien décidée à ne pas rentrer dans sa pokéball et à te suivre à pied quoi qu’il en coûte. Ce qui avait pour effet de t’obliger à ralentir un peu la cadence considérant qu’elle est beaucoup plus petite que toi. De toute façon, rien ne pressait et entendre les cris joyeux du pokémon était bien assez pour te mettre de bonne humeur. Néanmoins, tu as l’impression qu’elle prend vraiment son temps depuis un moment déjà. Lorsque tu te retournes, tu réalises qu’elle est distraite par quelque chose qui traîne au sol. Tu t’approches d’elle en te penchant pour voir de plus près, mais la Mimiqui s’en empare avant toi.


- Amy… Tu me laisses voir ce que c’est?.... Non?.... D’accord…


Tu soupires, puis le pokémon, prenant pitié de toi après un instant d’hésitation, fait rouler un bonbon à tes pieds. Devant toi, Amy secoue fièrement le sachet de confiseries vide. Celui que tu croyais plein et à l’abri du pokémon dans ton sac. Un doute fait soudainement apparition dans ton esprit et te force à retirer ton sac à dos pour vérifier tes biens. Tu fais bien attention à extirper doucement l’oeuf de pokémon du sac avant de tout vider le reste par terre comme si c’était la chose la plus intelligente à faire. C’est avec un pincement au coeur que tu réalises que tout est là à l’exception de ta peluche préférée. En bonus, ton sac a même un trou qui est apparu en guise de compensation pour la peluche disparue.


La pensée de l’avoir perdue pour de bon te brise le coeur. Tu sais que si ton père était là, il trouverait ça drôle. Qu’il dirait que c’est bien fait pour toi et qu’il fallait bien que tu grandisses un jour ou l’autre. Parce qu’apparemment c’était stupide qu’un garçon de ton âge trimballe encore ce genre de choses. Tu n’y peux rien, toi, si tu es autant attaché à tes souvenirs d’enfance. C’était un présent de la part de ta mère, qui n’est plus dans ta vie depuis de nombreuses années maintenant. À tes yeux, elle est donc irremplaçable. Tu ramasses donc tes affaires éparpillées sur le sol, résolu à faire le chemin inverse pour la retrouver. Devoir tenir ton sac dans tes bras de manière à ce que rien ne tombe rend les choses un peu plus compliquées , mais tu ne peux pas te permettre de perdre autre chose ou encore d’échapper ton précieux oeuf. Avec un peu de chance, elle n’est pas bien loin.


Tu refais le même trajet à reculons pendant un long moment. Plus le temps passe et moins tu as l’espoir de la retrouver. C’est peut-être stupide, mais t’aurais presque envie de pleurer. Dans ton moment d’inattention, tu n’as pas remarqué les deux gamins courant vers toi sans regarder. Un t’évite de justesse en échappant presque les poffins qu’il tenait, puis s’en va sans s’excuser en criant à son ami qu’il avait vraiment fait l’affaire du siècle en troquant une vieille peluche contre des confiseries. L’idée que quelqu’un l’ait trouvé avant toi te mortifie complètement et tu te retrouves contraint à t’arrêter net en plein air de jeux. Tu te dis que tu es arrivé trop tard et qu’il ne te reste plus qu’à rentrer maintenant.


Tête baissée et t’apprêtant à partir, tu remarques du coin de l’oeil une silhouette assise sur une balançoire. Tu n’es pas certain de ce qu’elle est entrain de faire et honnêtement, tu n’y aurais pas prêté attention normalement. Seulement, Amy avait un projet différent du tien et n’avait pas perdu une seconde pour s’élancer vers la jeune fille.

- Pssst… Reviens ici!

Et juste comme ça, en rattrapant ton pokémon, tu te retrouves devant l’inconnue. Tes yeux rivés sur ta peluche que tu croyais perdue. Dans un silence franchement gênant.

À cet instant précis, c’est fou à quel point tu aurais aimé simplement pouvoir t’emparer de ton pokémon et partir avec elle sous le bras sans jamais te retourner. Seulement, avec ton sac troué dans tes bras, ce n’est pas possible et tu doutes que la Mimiqui ait présentement envie de te suivre, têtue comme elle est. Et puis, même si tu aurais voulu partir, tu as l’impression que tes jambes ne t’auraient pas laissé faire. Probablement par refus de laisser ta peluche derrière. Après tout, c’est bien pour récupérer ce simple jouet que tu t’obstines à braver le froid.

Figé sur place, tu ne sais pas vraiment ce que tu es supposé dire ou faire dans cette situation. Alors tu les regardes en alternance. L’inconnue. La peluche. Encore l’inconnue. Jusqu’à temps que ton regard croise le sien sans faire exprès. Si seulement tu avais la capacité de pouvoir lire dans les pensées des gens, rien que pour savoir ce qu’elle peut bien se dire mentalement à force de te dévisager comme ça. Tu as dû la surprendre, sans doute. Mais les secondes passent sans que le moindre mot soit échangé. Se dit-elle que tu as un air bizarre? Est-ce que tu lui fais peur? Un homme de ta taille qui arrive comme une fleur et qui se plante devant une jeune fille, alors qu’il n’y a personne dans les environs, il y a définitivement quelque chose d’angoissant dans cette situation. Ou peut-être que tu as simplement quelque chose sur le visage et que ça te fait paraître stupide. Vraiment, pourquoi te regarde-t-elle ainsi?

Commencer par la saluer serait probablement une bonne idée, histoire de briser la glace et de mettre fin à ce moment de malaise général. Seulement, au moment où tu te décides enfin à ouvrir la bouche, la jeune femme a la même idée que toi et te salue. Et toi, pris par surprise, tu te contentes de la regarder sans oser rien dire, de peur de lui couper la parole. Seulement, elle n’en rajoute pas, te sourit et tu remarques enfin qu’elle était en pleine activité couture. Prise deux. Essaie de dire quelque chose avant d’aggraver le malaise. Trop tard, elle reprend la parole.

- Vous vous demander sûrement "Hey, mais que fais cette jolie étrangère, seule, à martyriser une peluche Mélofée ?". Quoi ? Vous ne me trouver pas jolie ? Ahah, bon, c'est personnel... Donc..

Tu tiques sur le mot ‘’jolie’’ un court instant. Pas que tu ne la trouves pas jolie! Au contraire, elle l’est totalement! C’est juste qu’avouer ce genre de choses à voix haute? Tu n’oserais jamais. Est-ce ton silence qui la pousse à croire que tu ne partages pas cet avis? Ah bravo! Tu l’as vexée à coup sûr!

- Je..Quoi.. Non… C’est pas ce que je voulais.. dire..? Ah..

Tu ne sais pas parler aux filles. En fait, oublie. Filles ou garçons, tu ne sais pas parler aux gens tout court. L’inconnue se lève d’un bond


- En réalité, cette peluche était prisonnière de deux petits garçons ! Grâce à mon ingéniosité et mon sens des affaires aiguë. Je l'ai récupérée, car moi, Lana Strauss, je suis une fervente protectrice et représentante du type fée !

Ça explique les deux gamins que tu as croisé un peu plus tôt. Seulement.. Si cette Lana a récupéré la peluche en troquant ce qui lui appartenait, est-ce que ça veut dire qu’elle compte la garder pour elle et que tu peux lui faire tes adieux maintenant? Si elle est une justement une ‘’protectrice’’ du type fée comme elle le dit, alors sûrement qu’elle compte te reprocher ton manque d’attention envers la pauvre peluche et qu’elle la garderait histoire de te punir de ne pas l’avoir traitée avec plus de soin! Tu ne vois pas comment il en serait autrement. Ici, dans le Septrion, c’est souvent chacun pour soi. Tu es tiré hors de tes pensées par un mouvement de la peluche. Tu jettes un curieux regard vers la fille en rose, alors qu’elle se lance dans une performance des plus étranges.

- Lana est gentille, elle a réparée mes déchirures, m'a donné de l'attention et de l'amour ! Je la recommande pour tous les type fée !

Tes yeux suivent avec attention la peluche qui se dandine soudainement devant toi. Pour sa part, Amy a toujours été du genre bon public. Suffit que quelqu'un lui fasse un show pour qu'elle se mette à pousser des cris remplis d'enthousiasme. Face à ce spectacle, la Mimiqui tente de bouger au rythme de chaque balancement de la peluche. Et toi, tu te retrouves à la regarder avec de grands yeux écarquillés, la bouche grande ouverte avec un air ébahi comme si la jeune fille venait de t'hypnotiser et qu'elle venait de t'ordonner de te prendre pour un Magicarpe.

- Han, Mélofée, tu es si gentille...

Et d’un coup, devant la tournure et l’absurdité de toute cette situation, c’en est trop pour toi. Tu te surprends à entendre un gloussement peu gracieux franchir tes lèvres sous le coup de l’amusement. Tu t’efforces du mieux que tu peux à taire ton rire, mais tes lèvres tremblent et menacent de te trahir à tout moment. C’est presque dommage quand elle s’arrête, tu étais si près de lui sourire comme un idiot.

- Est-ce que... Tu es d'ici ? Tu sais à qui appartiens cette peluche ? Est-ce la tienne Mimiqui ?

Elle t’a posé une question. Dis quelque chose. N'importe quoi. Le premier truc qui traverse ton esprit. Allez. Elle va finir par penser que t'es débile si tu continues à la fixer sans rien dire. Déjà qu'elle doit te trouver bien étrange par ton silence obstiné. Si ça se trouve, elle tente seulement de te faire la conversation parce que tu la rends mal à l'aise et qu'elle cherche à se distraire en attendant de pouvoir se sauver de cette situation. Tu ne lui en voudrais pas si c’était le cas, ce serait même plutôt normal à force de la laisser parler toute seule.

- C'est la mienne.

Voilà qui est direct et qui a au moins le mérite d'être clair. Seulement, ta voix paraît plus sèche que tu ne l'aurais voulu, toute trace d’un possible sourire soudainement disparu. N'a-t-elle même pas droit à un simple petit bonjour de ta part? Ou même d’une quelconque présentation, ton nom, par exemple? Elle s’est déjà présentée, en faire de même serait la moindre des choses, tu ne crois pas? Vraiment, quel grand maître de la conversation tu fais. Tu restes figé sur place, ne sachant où regarder en réalisant ce que tu venais d’affirmer. Amy n'aide en rien. Il t'arrive d'oublier qu'elle a ‘’mains’’ puisqu’elle les dissimule sous son costume la majeure partie du temps. Mais en ce moment, tu n'en as jamais été aussi conscient tandis qu'elle te pointe, comme pour confirmer ce que tu venais de dire. Tu soupires, cette situation est un véritable désastre. Tu viens de faire une bien pauvre première impression, n’est-ce pas?

Huh?
Pour être honnête, ce n’est pas exactement le genre de réaction auquel tu t’attendais. Alors là, pas du tout. Pendant un moment, t’as cru avoir fait quelque chose de mal juste en voyant la tête qu’elle faisait, mais maintenant, en te risquant à jeter un rapide coup d’oeil en sa direction, tu la surprends de nouveau à sourire. Peu importe ce que tu as vu juste avant puisque tu l’as sans doute imaginé. Son sourire n’est ni moqueur, ni forcé, juste teinté de sincérité, sans aucune méchanceté et sans aucun jugement. Un sourire comme on en voit rarement ici dans le Nord, authentique et qui te met du baume au coeur.

- Super !! Elle est jolie votre peluche ! J'en ai une aussi chez moi.

Pas bien surprenant, après tout, Mélofée a toujours été un modèle de peluche populaire. Même s’il faut avouer qu’en général, ce sont les jeunes filles qui se trimballent avec ce genre de truc, alors que toi t’es un homme adulte de vingt-quatre ans. À chacun ses goûts, t’en peux rien si t’aimes les trucs mignons.

Tu osais à peine espérer qu’on te rende la peluche, mais voilà qu’elle est tendue juste devant toi. D’un geste rapide, tu déposes ton sac troué à même le sol. Premièrement parce que t’as peur qu’elle change d’avis sur sa décision de te rendre ce qui est à toi et deuxièmement, t’as les bras morts. Tu tends la main timidement pour récupérer la cause de toute cette histoire et tu la ramènes vers toi doucement en réalisant que la fille ne va pas t’en empêcher et te l’arracher des mains. Tes doigts caressent le tissu un moment, elle est un peu sale, mais recousue à merveille. Mélofée retrouvée, quête accomplie?

- J'aurais aimé la laver avant, mais je n'ai su que la recoudre...

Ah. Rien que ça. Si ç’aurait été toi qui aurait tenté de la recoudre, ça aurait fini en véritable carnage. Tu peux facilement t’imaginer la scène, avec la pauvre Mélofée rapiécée, réduite à un destin de chiffon rose crasseux et toi, les doigts couverts de band-aid parce que t’es un désastre en couture et que tu ne devrais en aucun cas être autorisé à manipuler du fil et une aiguille pour ta propre sécurité. Il y a de quoi te faire grimacer.

- Merci de l’avoir retrouvée.. Et d’avoir pris le temps de la recoudre. C’est pas grave pour le reste. Juste… Merci..

Elle semble bien plus calme d’un coup. D’un côté, tu te demandes si ton manque de réaction a entraîné sa baisse d’énergie soudaine et si tu devrais t’en inquiéter. Mais de l’autre, c’est rassurant, moins intimidant. Tu n’avais pas réalisé à quel point tu étais tendu jusqu’à maintenant et peu à peu, tu te détends. T’en auras mis du temps à réaliser que celle qui se trouve devant toi ne te veut aucun mal. Des flocons de neige se mettent soudainement à tomber et ceux qui entrent en contact avec ta peau fondent immédiatement. Ça te rappelle des temps plus simples, quand toi et ton frère passiez votre temps dehors à jouer dans la neige avec cette insouciance propre aux enfants. Justement, à ce moment même, t’avais carrément oublié que tu te trouvais dans une aire de jeux pour enfants. Amy, n’ayant plus l’attention de Lana posée sur elle, en a profité pour piquer sa place sur l’un des sièges de balançoire, réclamant qu’on la regarde elle et non la neige.

- Elle s’appelle Amy. Tu marques un moment de pause, avant de reprendre en panique pour te présenter une bonne fois pour toute. Moi c’est Pierce. Si jamais… Tu voulais savoir..?

La Mimiqui tentant tant bien que mal de se balancer toute seule, tu voles à sa rescousse en la poussant légèrement pour son plus grand plaisir.

- J’espère que ça ne t’as pas trop dérangée. De recoudre la peluche, je veux dire.

Qui sait pour combien de temps elle est restée dans le froid à coudre? Tu lui es reconnaissant, mais tu t’en voudrais si elle attrapait froid par ta faute.