Il y a des jours où rien ne va, où rien ne fonctionne. Ceux-là, ils vous tombent dessus sans que vous ne puissiez trop rien y faire ; enrayer la malchance, c'est parfois impossible, et profondément désespérant. Mais qui dit malchance un jour dit peut-être bonheur les jours suivants…? Aucune hypothèse n'est à écarter, et d'ailleurs, il arrive que certaines formules de ce genre se vérifient de temps à autres. 

Ce soir-là, une terrible tempête s'était levée sur les monts enneigées de la chaîne des mille sommets. Pas que ce soit un phénomène particulièrement inhabituel – à vrai dire, on avait plus l'habitude des pluies torrentielles que du soleil, par ici –, mais cette intempérie-là semblait tout particulièrement puissante. Comme si l'ogre des montagnes s'était enfin levé d'un long et profond sommeil et semait la discorde sur le pays entier. 
Bien sûr, à ces histoires, on n'y croyait plus depuis longtemps. Ce n'était plus qu'une question de chance et de bulletin météo. On espérait pouvoir écouter les présentatrices à la télé ou les petits soleils dessinés sur le journal… 
Mais bon ; parfois, le temps demeurait capricieux et n'en faisait qu'à sa tête.
Et c'était le cas de ces gros flocons et de ce vent glacial qui lissaient les routes et faisaient frissonner les cœurs. Oh, il ne faisait pas assez froid pour pouvoir s'inquiéter de sa vie, mais assez pour grelotter de tout son corps, pour avoir le nez rouge et humide malgré le col en laine de moumouton remonté jusqu'à la moitié du visage.

Alexei, à leur départ du Café Gourmand – nom par ailleurs bien prétentieux – avait confié à son nouveau compagnon de route nombre de ses propres vêtements, y compris une énorme écharpe qui avait autrefois appartenu à sa mère et dont il s'était emparé sans dire un mot.
Désormais, sous son manteau, sa quadruple épaisseur, ses collants, son pantalon et son écharpe, Syrius ressemblait à un véritable petit montagnard.
Il aurait presque volé la vedette au natif de la région ! Le blond en aurait sans doute été un peu jaloux, mais bien heureusement, l’austrien avait cette peau bronze qui le mettait hors concours et hors contexte.
La première semaine passée ensemble avait été… Un peu compliquée. C’était le temps que chacun s’habitue à l’autre, et il fallait avouer qu’ils étaient très différents. Syrius, d’un naturel optimiste, calme et enjoué ne comprenait pas toujours le mauvais caractère de son compagnon de voyage. Aussi, lorsque Alexei haussait le ton pour lui dire d’accélérer ou le rabrouait lorsqu’il ne savait pas faire une chose simple et basique à ses yeux, le garçon le regardait avec des yeux un peu perdus, sans doute peu habitué à se faire disputer de la sorte. S’ils ne s’étaient pas encore méchamment embrouillé, le Venyysien n’avait pas forcément bien pris ses remarques quant à sa façon d’élever et de communiquer avec son Riolu. Sans doute le voyageur en herbe l’avait-il compris, car il n’avait pas réitéré ces reproches. Après tout, Alexei lui avait fait comprendre qu’il ne valait mieux pas en rajouter s’il ne voulait pas finir au fond d’un ravin.
Ici, c’était lui le guide, et, par conséquent, il commandait. Oui, ce n’étai écrit nulle part, mais si Syrius ne désirait pas que son Septrionien le largue en pleine montagne déchaînée, il était préférable qu’il se tienne à carreaux.
On aurait presque pu parler de dictature… Mais à ce régime, Alexei préférait l’empire : bien plus honorable.

Au matin du mardi de leur troisième semaine en binôme, un vent glacial les avait accueilli au sortir de la tente. Narcisse, qui avait été capturé l’avant-veille, avait gonflé son poil dès qu’il avait mis une patte dehors, lui-même ayant du mal à tolérer ce froid dévastateur. C’était Syrius qui lui avait proposé ce surnom lorsque Alexei était rentré de sa ballade avec sa seule et unique pokéball toute chaude, fraîchement utilisée. Si le blond avait trouvé ce nom inintéressant au premier abord, il avait suffi que l’austrien lui raconte le mythe de Narcisse pour qu’il l’adopte fièrement.
En très peu de temps le dresseur du Septrion était devenu complètement gaga de son nouveau compagnon. Visiblement, leurs caractères – un peu taciturne mais débrouillard et courageux – s’accommodaient parfaitement l’un à l’autre, et le petit Pokémon, très vite, avait trouvé une place de choix dans les bras tendres et délicats de son nouveau maître. Si Alexei avait enfin eu l’occasion de sourire et de se réjouir, Syrius lui avait reproché de faire trop de différence entre ses deux créatures. Le blond, l’ignorant, n’avait fait qu’accentuer ce fossé, laissant Lyon de côté.
Ce n’était pas par méchanceté : au contraire. Alex espérait qu’un changement positif se produire chez le Riolu. Il le savait très jaloux, même si l’objet de son envie ne correspondait ps du tout à ses aspirations habituelles, et il y avait de grandes chances pour qu’il s’adoucisse à son tout et pour que le relation s’arrange un tant soit peu.
Mais finalement, la haine qu’il avait pour Alexei l’emporta sur sa jalousie et son envie de caresses. Aussi préféra-t-il se blottir contre Syrius, auquel il faisait des mamours dès le premier jour. Si la Abo n’apprécia pas ce soudain rapprochement, sifflant tant qu’elle put, elle finit par abdiquer et par ne regarder le Riolu qu’avec une grande méfiance.

Bref. Ils passèrent une journée relativement intolérable après avoir replié leurs tentes, malmenés par les vents et flocons de la montagne. Et si Alexei avait annoncé au bout de deux heures de marche que le temps s’améliorerait sans doute dans l’après-midi, il fit fausse route sur toute la ligne.  À midi, la tempête s’intensifia et le blond commença à approuver beaucoup de difficulté à avancer. Ces derniers jours, il avait perdu du poids. Pas énormément, mais juste assez pour qu’il se sente plus faible. La fatigue pesait de plus en plus lourd sur ses épaules, et s’il essayait de ne pas le montrer, les gigantesques cernes qui s’étendaient sous ses yeux le trahissaient. Le matin même, par ailleurs, il éternua à plusieurs reprises. Un vilain rhume avait réussi à percer ses diverses couches de vêtements et s’était fermement installé. Peu à peu, un mal de gorge terrible se fit ressentir, et Alexei déclara avoir un peu de fièvre.
Aussi Syrius se débrouilla-t-il pour trouver une petite cavité dans la montagne afin de se reposer une petite heure, le temps de se ravitailler.
Le blond ne mangea rien, se recroquevillant contre la pierre, le regard dans la vide. Son goupix, qui avait tenu à marcher à ses côtés tout le long de la randonnée – contrairement à Lyov qui avait réclamé sa pokéball au bout d’une demie-heure – piailla d’inquiétude et se coucha à ses pieds, léchant doucement sa main sans gant.

L’après-midi fut encore plus terrible. Le vent soufflait si fort, les flocons fouettaient tant les visages qu’avancer devenait presque impossible. Il était vrai que peu à peu, les deux jeunes gens et leurs pokémon prenaient de l’altitude. C’était un passage obligé pour passer de l’autre côté de la chaîne et finalement rejoindre Belagora qui n’était plus qu’à quelques longs jours de marche.
Sans dire un mot et bien malgré lui, Alexei, éreinté, s’arrêta à de nombreuses reprises. Syrius l’aida à se relever plusieurs fois et marcha à ses côtés pour le soutenir en cas de chute.

Le soir venu, Alexei se laissa tomber dans la neige, bâillant à s’en décrocher la mâchoire, la tête brûlante et douloureuse.
Syrius commença à monter sa tente, proposant à son guide de l’aider à dresser la sienne ; bien évidemment,  le blond refusa.
Le vent avait encore redoublé d’intensité et, à peine Alexei eut-il fini de fixer sa toile que celle-ci s’arracha brutalement, l’embarquant dans son envol avec une violence inouïe et le faisant tomber deux mètres plus loin.
Cette tente n’était pas des plus solides ; Alexei avait acheté ce que ses économies avaient pu tolérer… Aussi ne put-il que crier de surprise et de douleur lorsqu’il s’écrasa dans la neige.
Il jeta un coup d’œil désespéré à ce qui restait de son abri pour la nuit et mit sa tête entre ses mains, n’ayant même plus la force de se mettre en colère.
La toile, elle, s’était déchirée à plusieurs endroits et avait glissé un peu plus loin.  Inutilisable.
Le jeune homme demeura immobile dans la neige, las, désespéré et profondément embêté, ignorant les glapissements angoissés de son Goupix qui finit par se carapater pour aller chercher Syrius, parti récolter des branches pour le feu du soir.  

@feat Syrius Et c'est parti pour un pitit rp tout mimi  

Si l'envie de se relever de cette terrible chute était là, ses forces, elles, ne suivaient pas. En fait, elles étaient déjà parties depuis un bon moment et le froid, mordant, terrible, ne leur donnait pas envie de revenir habiter ce corps qui s'affaiblissait de seconde en seconde.
Après quelques minutes de lutte intense avec son esprit engourdi, Alexei finit par lâcher prise. S'il avait vu partir son Goupix en courant, il n'en avait rien pensé, ses réflexions demeurant embourbés dans une mélasse de fatigue et de douleur. Pourquoi s'embêter à rester conscient quand toute la souffrance ressentie disparaissait peu à peu dans cette sensation de froid intense…? Ses doigts, ses joues, ses pieds ne le brûlaient plus, et peu à peu, ses paupières se fermaient… Tout doucement… 
Le blond était soudainement gagné par une douce torpeur… Ses sens ne s'affolaient plus ; il se laissait peu à peu aller à sa fatigue, à ces pensées redondantes qui lui intimaient de dormir, dormir longtemps dans cet océan de neige, aussi moelleux qu'un matelas.
Un léger sifflement prit place dans ses oreilles. Il n'entendait plus rien du monde extérieur. Désormais, il n'y avait plus que lui, plus que ce monde dans lequel il s'enfermait petit à petit sans vraiment s'en rendre compte. Son esprit, qui avait jusqu'à présent lutté pour sa survie, se déconnectait de ce corps engourdi, incapable de se mouvoir, incapable de se lever et de se mettre à l'abri.
Alors, Alexei ferma les yeux, et tomba dans un état comateux, profondément agréable.
Il y avait du bon à lâcher du leste. Ne plus penser… Se laisser peu à peu emporter par ces pensées délicieusement suicidaires.

Le retour à la réalité lui fit plus drôle qu'autre chose. La truffe humide de Narcisse était venue se frotter contre sa joue, s'assurant qu'il n'était pas tout à fait mort. La créature, inquiète et soucieuse de l'état de son dresseur, lui avait ensuite donné de petits coups de langue et de museau pour le ramener à la surface.
Doucement, Alexei avait ouvert les yeux, se retrouvant avec une une vision floue, brouillonne.
Il lui sembla se rendormir quelques instants… Entendre des pas… Et puis… 
Et puis il y eut cette terrible douleur qui irradia toute sa jambe gauche, lui décrochant un petit couinement pathétique.
La chaleur d'un corps contre le sien, les pas maladroits qu'il fut contraint de faire le tirèrent de sa léthargie fiévreuse. Assez pour qu'il puisse reconnaître les halètements fatigués de Syrius et cette odeur qui lui était si caractéristique.
Trop épuisé pour dire quoi que ce soit, il se laissa porter jusqu'à la seule et unique tente qui leur restait, appuyant tout le poids de son corps sur ses épaules, sans le moindre remord.

Lorsque l'Austrien l'allongea, Alexei laissa échapper un petit râle douloureux, écoutant à peine ce que pouvait bien lui dire son compagnon de route, ne s'attachant qu'à la vision de ces couvertures qui s'empilaient peu à peu sur son corps meurtri.
Il finit par fermer de nouveau les yeux, sa respiration devenant rauque. Une quinte de toux secoua ses épaules et, sans même essayer de dire un mot, il se rendormit.

Ce fut un frisson glacé qui le réveilla une première fois. Tremblant, le crâne douloureux, la première chose qu'il vit fut le petit corps de Narcisse endormi à ses côtés. Il se redressa un peu, toussant à nouveau, le regard brouillé par des larmes de fatigue.
Malgré les couvertures, le blond mourrait littéralement de froid. Ses vêtements étaient imbibés de neige fondue et collait désagréablement à sa peau. Il rêvait de les enlever… De se retrouver nu sous ces polaires et de dormir tout son soûl. Et cette espérance devint peu à peu un fantasme fiévreux qui se répéta en boucle tel une litanie.
Doucement, ses mains tremblant désagréablement, il commença pas ôter son manteau. Ces gestes lui demandèrent beaucoup d'effort et d'énergie, mais il parvint à jeter sa doudoune au coin de la tente. Vint ensuite son pull, qui, pour une raison étrange, était le plus trempé de tous ses vêtements. Enfin, se laissant de nouveau aller sur son dos, il essaya de déboutonner son épais pantalon.
S'il parvint à en défaire les attaches et à ouvrir sa braguette, l'enlever fut plus compliqué. Le tissu collait plus que jamais à ses jambes, et la même douleur qu'un peu plus tôt irradia sa cheville gauche.
Il ne tarda donc pas à retomber inerte sur le coussin de Syrius, retombant dans un sommeil agité…

Lorsque Alexei émergea de nouveau, ce fut grâce à cette bonne odeur d'épice qui émoustilla ses narines. Le mal de crâne qui l'avait plus tôt assommé n'était désormais plus qu'un lointain inconfort. S'asseyant doucement, le Venyysien bâilla à s'en décrocher la mâchoire, plongeant sa tête entre ses mains et frictionnant ses joues pour finir de se réveiller. Il gratta alors son épaule et prit soudainement conscience de sa nudité. Il souleva les couvertures et constata qu'il n'avait plus que son caleçon ; le rouge empourpra ses joues. Si ses souvenirs étaient bons, il n'était pas parvenu à enlever son tee-shirt, et encore moins son pantalon… C'était donc… Syrius qui avait dû s'occuper de lui…?
La honte serra fort sa gorge, et il passa une main nerveuse dans ses cheveux emmêlés, les recoiffant doucement. Son regard s'arrête quelques instants sur les cicatrices qui barraient son avant-bras, et une envie de vomir serra fort sa gorge. Est-ce que… Est-ce que Syrius les avait vues…? Bien sûr que oui. Et pas que celles sur ses bras : les marques sur ses cuisses étaient d'ailleurs plus profondes et perturbantes.

▬ Et merde… Murmura-t-il finalement avant d'être repris d'une terrible quinte de toux.

Il massa un instant ses tempes avant de fouiller dans son gros sac à dos qui avait été rangé à ses côtés. S'il remarqua que la poêle et sa gourde avaient disparu, il n'y fit pas vraiment attention, préférant chercher quelques vêtements secs et chaud. Il mit la main sur un gros pull en laine qui lui était trois fois trop grand, d'un noir délavé, et sur un pantalon épais, doux et chaud.
Revêtant le tout, il mit enfin la main sur une grosse paire de chaussettes et enfila ses bottes encore trempes avant de s'emparer du premier plaid qui lui tomba sous la main, s'enroulant à l'intérieur.

Alexei bâilla de nouveau en sortant de la tente, vacillant sur ses jambes flageolantes. Sa cheville gauche lui faisait mal à chaque pas, et il pensa se l'être méchamment foulée sans que ce ne soit trop grave. Il était habitué : ses articulations étaient fragiles, et ce n'était pas la première fois qu'il se faisait mal aussi bêtement. Sans doute était-il mal tombé, tout à l'heure.
Bref. Ça passerait.

La tempête s'était visiblement calmée. Alexei frotta doucement ses yeux encore fatigués, et avisa le feu qui crépitait tranquillement, dévorant les branches récoltées par Syrius. Ce dernier était assis en tailleur et réchauffait ses mains. Il avait déblayé le coin, révélant une terre humide et de l'herbe gelée.
Frissonnant, le Septrionien vint s'asseoir en silence à ses côtés, un peu timide et particulièrement gêné. S'il se recroquevilla sur lui-même, muet comme un magicarpe, de longues minutes, il finit par s'éclaircir la gorge pour prendre la parole.
Il fut prit d'une petite quinte de toux, et ses joues se teintèrent d'un rouge profond :

▬ Hrrm, hrrrrm… Je… M-Merci. Sa voix était encore plus cassée que d'accoutumée, à peine audible. S-Sans toi, je crois que j'aurais pas fait long feu…

Il se tut de nouveau, baissant les yeux et enfouissant son nez dans le col de son pull, tout honteux. Il finit par tendre les mains, imitant ainsi Syrius et appréciant la chaleur du brasier qui s'insinua dans son corps malade, encore tremblant.
Son estomac gronda et Alexei se fit plus petit encore. Il mourrait de faim… Mais il n'oserait pas demander à Syrius s'il avait un peu cuisiné. D'habitude, c'était lui qui s'en occupait, et l'idée d'avoir causé autant de problèmes à son "client" ne le mettait pas à l'aise du tout.
Un sentiment de culpabilité s'était installé au creux de son ventre et sans doute serait-il difficile de le déloger.

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Toussant à nouveau, de petites larmes se mirent à perler au coin de ses yeux ; ce n'était pas du chagrin, juste la maladie qui poussait son corps à bout. Alexei avait la gorge en feu et rêvait d'un breuvage brûlant pour atténuer sa souffrance. Combattre le mal par le mal, c'était parfois la meilleur solution.
Il darda un regard fatigué sur son compagnon de route, et rougit de plus belle. Combattre le mal par le mal, hein…? Est-ce que… Est-ce que cette méthode marcherait aussi avec ces vilains sentiments qui étaient de plus en plus présents dans son cœur…? Il détourna les yeux de l'Austrien avant que ce dernier ne le surprenne et observa fixement les flammes qui brûlèrent bientôt sa rétine. Comment pouvait-il penser à ça maintenant ? La situation actuelle était bien assez complexe pour ne pas avoir à en rajouter.
Le blond secoua doucement la tête, au comble du malaise, un poids pesant lourd sur ses épaules. Il se sentait peu à peu partir à la dérive. De nouveau s'éloigner du droit chemin… Et c'était aussi excitant que douloureux. Un mélange de sensations paradoxales qui le perdaient, le noyaient complètement. Il ne savait pas quoi faire, ni comment se comporter. Son cœur lui disait d'ignorer ce qu'on lui avait appris toutes ces années, ce que lui-même s'était interdit… Mais son esprit, lui, de fer, refusait qu'il franchisse le pas.
Pourtant, l'idée de quitter Syrius d'ici une semaine, tout au plus, lui donnait la nausée. Un chagrin sourd, presque imperceptible, se cachait dans sa gorge, prêt à surgir au moment venu.
Il ne voulait pas le quitter. Il ne voulait pas le voir partir.
Et c'était plus fort que lui.
Est-ce qu'il était déjà perdu ? Ou est-ce que la situation pouvait encore être corrigée…? Ça, il l'ignorait. Il se sentait juste approcher dangereusement du point de non retour. Syrius s'ancrait doucement mais sûrement dans son cœur, et c'était presque qu'autant délicieux qu'effrayant.

Papillonnant des yeux, Alexei chassa toute l'eau qui s'y était accumulée à force de regarder fixement le brasier, et essuya les larmes qui coulèrent sur ses joues d'un revers de manche. Il observa Syrius positionner la casserole sur le feu, sentant monter une odeur de soupe particulièrement alléchante. Son estomac gronda de nouveau, et il massa son ventre de sa main droite pour le calmer. Lorsque l'Austrien lui tendit un bol, il le saisit avec délicatesse, le remerciant d'un signe de tête et osant quelques instants plonger son regard gris dans ses yeux émeraudes. Il eut tôt fait de baisser la tête pour rompre cet échange, fixant ses bottes encore trempes, ses joues se parant d'un rose pur, discret.
Il sourit lorsque le photographe évoqua Narcisse, encore endormi dans la tente. Il avait sagement veillé sur lui et Alexei lui en était très reconnaissant :

▬ Narcisse est un ange… J'aurais adoré commencer mon voyage avec lui. Il fut pris d'une nouvelle quinte de toux qui l'interrompit quelques secondes. Tout aurait été tellement plus simple.

Il leva les yeux, dardant un regard froid sur Lyov, qui, jaloux, l'ignorait royalement. Alexei l'avait fait rentrer dans sa pokéball au petit matin, le loup bleu refusant de faire un pas de plus dans ce paysage de neige particulièrement glacial. Seul Narcisse avait trotté sur ses talons toute la journée, ce qui n'était pas pour lui déplaire… 
Syrius avait dû le faire sortir, sans doute pour qu'il l'aide à déblayer la neige. Si cette constatation serra d'abord sa gorge de colère, il finit par s'apaiser : au fond, cela lui était égal. Il savait que le Pokémon s'entendait mieux avec son compagnon de voyage que lui… Et si c'était blessant au premier abord… Au final, il n'en voulait pas à l'Austrien. Il aimait voir son petit loup heureux avec lui, et même s'il ne l'admettrait jamais de vive voix, il lui en était presque reconnaissant.

▬ Je vois que tu as fait sortir Lyov…? Il passa une main distraite dans ses cheveux, les rejetant en arrière. Tu as bien fait. J'espère juste qu'il t'a écouté… Tu sais. C'est bien qu'il soit à l'aise avec toi. Ça me fait des vacances.

Il toussa encore, tendant son bol à Syrius lorsque celui-ci voulut le lui remplir. La vue de la soupe fumante lui donna encore plus faim, et il se jeta dessus, ignorant cette sensation de brûlure désagréable qui agressa sa langue et sa gorge à la première cuillerée. Il était bouillante mais cela lui convenait parfaitement : c'était la meilleure façon de se réchauffer lorsqu'on était gelé jusqu'aux os.
Il rit un peu lorsque Syrius s'excusa de la qualité du breuvage. C'était très bien ; il n'avait pas à se sentir coupable de quoi que ce soit. Le fait qu'il ait déjà préparé quelque chose touchait beaucoup Alexei, bien qu'il ne lui avouerait jamais de cette façon.
Aussi secoua-t-il doucement la tête, signifiant ainsi son désaccord, prenant une autre cuillère de soupe :

▬ C'est très bien. Ça me va.

Il soupira lorsque tout son visage lui parut s'être sensiblement réchauffé, son nez devenant un peu rouge. Il renifla un peu, fermant et rouvrant les yeux plusieurs fois pour chasser les larmes qui s'y étaient de nouveau logées sous l'effet de la chaleur.
Le blond se sentait bien mieux, et tout ça, c'était grâce à l'Austrien. Il lui adressa un léger sourire, encore un peu crispé, et rougit un peu lorsqu'il le surprit en train de le regarder fixement.
Ses yeux semblaient déborder de questions. Il le détaillait de la tête aux pieds, son esprit bouillonnant d'interrogations diverses et variées, et Alexei jeta de lui-même un petit coup d'œil à ses cuisses et ses avant-bras, dissimulés sous ses vêtements, finissant par fuir cet échange qui devenait un peu trop gênant à son goût.
Le Venyysien demeura silencieux de longues secondes, observant une petite marque blanche qui dépassait de la manche droite de son pull et barrait sa peau couleur porcelaine. Sans doute Syrius devait-il se demander ce qui l'avait poussé à se faire autant de mal… Et Alexei comprenait cette curiosité, bien qu'il ne sache pas vraiment comme y répondre. Il n'avait pas envie de s'étaler sur ce sujet, et la honte serrait désagréablement sa gorge.
Ses cicatrices, il les détestait, plus que tout au monde. Et que le photographe les ait aperçu le rendait malade. Il n'avait pas envie que ce soit désormais la première chose à laquelle l'Austrien pourrait penser en le vouant. Pas à ça. Surtout pas à ça.
Aujourd'hui, Alexei avait vaincu ce démon qui le poussait à l'époque à se faire toujours plus de mal pour apaiser cette douleur psychologique, ce chagrin terrible, irrépressible. Et ces marques étaient désormais le témoignage d'une faille, d'une faiblesse qu'il aurait préféré garder cachée.

Posant son bol presque vide à même le sol, il releva ses manches, lançant un regard noir à ses avant-bras striés de blanc. Il mordilla un instant sa lèvre inférieure avant de regarder Syrius droit dans les yeux, ses sourcils se fronçant légèrement, signe d'une contrariété qu'il était sur le point de faire taire en s'exprimant :

▬ J-Je sais que tu les as vues… Tout à l'heure. Il ne put soutenir le regard vert du photographe plus longtemps, baissant de nouveau les yeux sur sa peau blessée. J'aimerais… Q-Que tu fasses comme si ça n'existait pas, d'accord…? C-Comme si tu n'avais rien vu.

Il éclaircit sa gorge, cherchant ses mots pour continuer. Sa voix, qui avait été un peu dure, presque agressive, s'adoucit sensiblement.

▬ Je ne veux pas que tu aies cette image de moi… T-Tout ça… Ça appartient au passé. Alors… Ne me regarde pas comme ça, d'accord…? Il coiffa ses cheveux sur le côté, le regardant de nouveau, une lueur un peu triste au fond des yeux. T'aurais pas une clope…? Je suis en manque. Ça calmera mes nerfs…

@feat Syrius Et c'est parti pour un pitit rp tout mimi  

Alexei réalisa seulement le sens de ses propos après avoir parlé ; rougissant, il fut pris d'une quinte de toux et récupéra sa soupe pour la finir et essayer d'ignorer cette honte qui s'emparait à nouveau de lui.
Les deux dernières cuillères brûlantes apaisèrent sa gorge sèche et douloureuse, mais ce n'était pas pour autant que le blond se sentait mieux. Il avait l'impression de s'être mis à nu, tout d'un coup… Et le pire, c'était que ce n'était pas forcément désagréable.
Le blond jeta un regard noir à ses cicatrices, soupirant doucement. Oui, parfois cela faisait du bien de lâcher un peu de leste… De se laisser aller à ses confidences. Cette armure, il la portait depuis trop longtemps sur ses épaules, et maintenant, il se sentait bien plus léger. Bien sûr, ce n'était pas sans point noir…
Il déglutit.
Maintenant, Syrius devait le voir tel qu'il était vraiment : un gamin fragile, faible et pleurnichard. Une loque. Tout ce que son père détestait ; tout ce que le Venyysien avait lui-même essayé de gommer. Et ça, ça ne l'arrangeait pas du tout.
Il observa l'Austrien à la dérobée ; lui qui avait l'air si fort, si stable et si bien dans sa peau devait bien se demander sur quel allumé il était tombé. Cette pensée remua quelque chose de désagréable dans son ventre. Sans doute une pointe de chagrin et d'envie, mélangés à quelque chose de plus profond… Et de parfaitement inavouable. Ce n'était pas seulement de la reconnaissance ; il y avait aussi une peur de décevoir. De le décevoir. Et ce sentiment était bien différent de celui qu'il éprouvait lorsque son père lui faisait ses remontrances. Il y avait vraiment autre chose. Une vilaine peur sans doute. La peur de ne plus l'intéresser.

Alexei ramena ses manches sur ses avant-bras nus et déposa son bol vide à ses côtés, sur cet énorme tronc que Syrius avait ramassé pour en faire un banc de fortune. Il s'apprêta à se lever pour attiser le feu lorsque une sensation étrange, oubliée depuis longtemps, le fit frémir de la tête aux pieds.
Était-ce… Vraiment la main de son interlocuteur qui caressait doucement ses cheveux…? Le rouge éclaboussa les joues du dresseur qui plongea son regard dans les yeux vert de Syrius, cherchant une explication à ce geste déplacé. Il n'eut pourtant pas la force de le repousser et se laissa faire, son cœur battant à la chamade. Il lui sembla qu'une myriade de papillons s'envolaient dans son bas ventre et il baissa bien vite le regard, embarrassé.
Lorsque l'Austrien délaissa ses cheveux pour passer son bras autour de ses épaules, Alexei retint un petit soupir de soulagement. Ses muscles qui s'étaient tendus se relâchèrent petit à petit, et il se laissa aller à la douceur de son compagnon de galère.

▬ Je vais essayer d’oublier. Excuse-moi. Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise. Juste … t’aider.

Le Venyysien hocha simplement la tête, souriant doucement. Il n'en doutait pas, et il était vraiment reconnaissant de tout ce que Syrius avait fait pour lui. S'il l'avait laissé dans ses vêtements trempés, le blond ne s'en serait pas aussi bien sorti. Aussi ne lui en voulait-il pas d'avoir vu ces blessures ; au fond… C'était comme un secret qu'ils partageraient, désormais, non…? L'Austrien était le premier à savoir pour tout ça… Enfin, à les avoir vues. Et il était rassuré de voir que Syrius ne le jugeait pas pour ces actes passés et feraient désormais en sorte de ne pas le mettre mal à l'aise. C'était vraiment le plus important.
Ce fut donc un regard doux et plein de reconnaissance qu'il lança au garçon.

▬ Je sais. Je ne t'en veux pas.

Ce dernier lâcha finalement son épaule, et il s'installa un court silence emprunt de non-dits. Alexei s'accroupit devant le feu et ajouta quelques branches, essayant de ne plonger dans le brasier que les plus sèches.
Lorsqu'il eut fini, il vint se rasseoir auprès de l'Austrien, réduisant la distance qu'il y avait précédemment entre eux et saisissant la cigarette qu'il lui tendait avec un petit hochement de tête. Le blond cala le petit cylindre entre ses lèvres et approcha son visage de Syrius pour que celui-ci le lui allume. Son regard se perdit une fois de plus dans celui du garçon et cet échange silencieux lui sembla durer une éternité. Ses pommettes s'enflammèrent et Alexei, muet comme un Magikarp, rompit cette œillade appuyée pour observer les silhouettes des arbres alentours, dévorées par la nuit.
La première bouffée de tabac lui fit l'effet d'une brûlure terriblement désagréable. Il toussa fort, grimaçant de douleur, puis fuma encore une fois pour habituer sa gorge malade.
Les battements de son cœur vrillèrent ses côtes aux mots de Syrius. Il laissa peser un regard indéchiffrable sur l'Austrien : il devinait la curiosité du garçon derrière cette main tendue… Et pourtant, il ne vit pas ces paroles d'un mauvais œil, bien au contraire. En fait, il était plutôt touché par l'attention que lui accordait son compagnon de route.
Quand il avait accepté de se lancer dans ce voyage à ses côtés, Alexei ne l'avait fait que pour l'argent – ou presque. Il ne roulait pas sur l'or, et quelques pokédollars en plus ne lui faisaient pas de mal. Mais à présent, il sentait qu'il y avait quelque chose d'autre entre eux. Sans doute une affection qui était née au fils des jours et qui les liait désormais.
Ces sentiments, ils le poussaient à s'ouvrir, et c'était la chose la plus agréable que le Septrionien avait ressentie depuis des lustres. Aussi, l'idée de rassasier la curiosité dévorante de Syrius ne le rebutait pas plus que ça, à sa grande surprise. Il avait toujours eu envie de se confier à quelqu'un, de raconter ce que c'était que cette terrible souffrance qui avait rythmée son quotidien un an durant.
Sa seule crainte était de rebuter le garçon à la peau mate. De lui faire peur, d'être pris pour un fou.
Aussi demeura-t-il quelques instants silencieux, le nez baissé, jouant avec ses doigts.

Finalement, il releva ses cheveux en un petit chignon lâche et dégingandé, les attachant avec beaucoup de soin pour dégager son visage. Reniflant, il finit par prendre la parole après avoir pris une énième bouffée de tabac et recraché une fumée blanche qui s'éleva dans le ciel noir, sautant ce pas qu'il avait refusé de franchir jusqu'à maintenant. Sa voix plus cassée encore que d'habitude se fit hésitante :

▬ C-C'est difficile d'expliquer ça à quelqu'un, tu sais… Alexei dévisagea Syrius avec un pauvre sourire. Il se détendit en l'avisant ouvert, visiblement pendu à ses mots. ▬ E-En fait… Je n'en ai jamais parlé à personne. Il n'y a que toi qui sait.

Il toussa à nouveau, grattant nerveusement le sommet de son crâne, faisant bien attention à ne pas défaire sa coiffure approximative.

▬ J'ai un peu honte, en fait. Donc… Hrm… Si j'accepte de t'en parler, c'est seulement parce que je te dois bien ça… Et comme tu auras toujours la question en tête, autant régler le problème tout de suite. Il prit une lourde inspiration, tournant son regard vers le feu. On ne fait pas ça par plaisir, tu sais… C-C'est plus fort que nous, en fait.

Alexei renifla de nouveau, s'interrompant quelques instants pour fumer un peu, cherchant ses mots et surtout par où commencer.
Il ne lui dirait pas tout, bien sûr… Il y avait certaines choses qui méritaient de rester secrètes, tues… Notamment une qu'il ne comptait jamais lui révéler.

▬ Le soir où on s'est rencontré… Je t'ai parlé des gens de Venyys, n'est-ce pas ? Il secoua la tête, amer. Mon père est un Venyysien pur et dur. Il a le cuir épais. Mon enfance n'a pas été des plus simples… J'ai perdu ma mère à mes onze ans. Mon père nous a délaissé un temps, et… E-Et j'ai eu d'autres problèmes, des blessures profondes… B-Bref. Ça n'a pas été facile. Sa voix s'était mise à trembler sur la fin de son discours. Il s'interrompit quelques instants pour reprendre son souffle et surtout tenter de calmer son chagrin.  Quand tu n'as personne à qui te confier, quand tu ne peux pas même exprimer ta souffrance en pleurant et que tu dois te cacher pour être triste… Tout devient noir. C'est à cause de ce trop-plein de sentiments négatifs, de cette impression d'étouffer que j'ai commencé. Et quand tu commences, tu arrives plus à t'arrêter. Ça devient addictif… E-Et pourtant, tu prends peur à chaque fois. Chaque fois t'as l'impression de mourir… Mais tu recommences, encore, encore, encore… Il y avait toujours cette petite voix qui m'encourageait à continuer. Qui me rappelait au combien je méritais d'avoir mal, e-et…

Le silence sembla dévorer la fin de sa phrase. Alexei baissa la tête, essuyant rapidement ses yeux au coin desquels s'étaient mis à perler quelques larmes.
Ces souvenirs, ces ressentis qu'il s'efforçait de raconter à Syrius étaient douloureux. Il se souvenait de la dernière fois, celle où ses plaies ne s'arrêtaient plus de saigner. Il avait eu si peur. Rien que d'y repenser, il sentait l'angoisse, la terreur serrer fort sa gorge. Il s'efforça de respirer profondément pour calmer les battements de son cœur et laissa quelques larmes supplémentaires couler sur ses joues avant de les éponger avec son pull.

▬ P-Pardon. J-Je n'ai jamais été quelqu'un de solide, tu sais. Je pleure pour un rien. C'est ridicule.

@feat Syrius Et c'est parti pour un pitit rp tout mimi  

Alexei se souvenait de ces longues et terribles tirades que son père avait pris l'habitude de débiter lorsqu'il voyait son fils pleurer. Une fillette, une pédale… Voilà comment il l'appelait. Quand le visage du blond était humide de larmes brûlantes, alors son fils n'était plus cet homme qu'il espérait voir grandir et devenir fort. Seulement une midinette de bas étage. Une traînée qu'il aurait pu jeter sur le trottoir et servir en pâture à tous les monstres qui peuplaient Venyys… Certains d'entre eux se seraient sans doute amusé à le casser. Finir de le briser, de le rompre à la dureté du nord.
Et ces insultes résonnaient encore dans la mémoire du jeune homme qui, reprenant une bouffée de tabac, préféra fuir le regard de l'Austrien, pris d'une honte sourde et soudaine. Fixer le feu comme il le fit ne fit qu'empirer l'état de ses yeux, déjà rouge vif. Il laissa échapper quelques larmes de plus, qui roulèrent doucement sur sa peau d'albâtre, et passa une main lasse dans ses cheveux, ramenant quelques mèches devant ses yeux.
Se cacher, disparaître… C'est tout ce qu'il avait envie de faire en ce moment-même. Pleurer devant Syrius était clairement la pire chose qu'il avait pu faire jusqu'à maintenant. Passer pour un taré, c'était une chose… Mais pour un faible…?
Il renifla amèrement, ses épaules se trouvant secouées d'un lourd sanglot qu'il refoula comme il put. Un petit sourire tordu vint alors étirer sensiblement ses lèvres, emprunt d'un chagrin profond. On pouvait y lire une haine, une rancœur indicible contre lui-même et le monde entier.
La fumée qu'il recracha eut des allures d'exutoire. Panache nerveux, colérique, qui s'éleva dans le ciel étoilé et le libéra de quelques sentiments noirs, négatifs qui polluaient son esprit.
Alex secoua doucement la tête, cassant son poignet avec la cigarette pour le laisser négligemment pendre dans le vide. Quelle vie de merde. Et dire qu'il ne pouvait s'en vouloir qu'à lui-même.
Car les réflexions de son père, il ne pouvait que les boire et les assimiler, les tenir directement pour vraies. D'ailleurs, il n'avait pas tord, n'est-ce pas…?
Alexei n'était rien de plus qu'une sale pédale. L'état dans lequel il se trouvait lorsque Syrius se tenait aussi près de lui et le touchait comme il osait le faire ne faisait que confirmer cette hypothèse.
Un frisson terriblement désagréable le parcourut de la tête aux pieds. Rien que l'odeur, ce parfum enivrant que le sudiste portait toujours sur lui, le faisait se sentir tout chose. Et tout à l'heure, quand il avait passé sa main dans ses cheveux… Il sentait encore l'empreinte de ses doigts sur son cuir chevelu, douces caresses qu'il refusait d'oublier. Et cette voix, cette voix douce qu'il avait aimé dès les premiers jours passés ensemble. Même ses défauts passaient pour des qualité : cette ingéniosité, il l'aimait, il la chérissait même s'il lui arrivait de la lui reprocher. C'était ce qui le rendait si touchant, si attachant et doux.
Oui, il l'aimait énormément. Et cette envie de rester à tout jamais proche de lui semait une terreur profonde dans son petit cœur de jeune adulte qui ne savait pas trop où il allait.

Aussi, lorsque l'Austrien laissa tomber son bol encore plein pour venir le prendre dans ses bras, Alexei manqua de s'étouffer avec sa cigarette. Toussant sèchement, il eut un petit mouvement de recul qui ne servit à rien, Syrius enlaçant tendrement sa taille et l'attirant contre lui. La cigarette dans une main désœuvrée, son autre bras coincé entre leurs deux corps, le Venyysien ne sut pas comment réagir à cette étreinte surprise. Il n'avait jamais été aussi proche de quelqu'un si ce n'était de sa mère ou de sa petite sœur. Et encore, l'affection, cette affection débordante qu'il ressentait à cet instant précis, elle n'avait rien à voir avec celle qu'avait pu lui donner cette mère qui n'était désormais plus qu'un vieux souvenir.
Son cœur se mit à battre fort, le sang pulsant dans ses oreilles. Et s'il fut tenté de s'échapper à ses bras dégoulinants de sentiments et de bienveillance, les mots de Syrius l'encouragèrent à rester collé contre lui :

▬ Je suis terriblement désolé. Je … Je ne voulais pas te rappeler de mauvais souvenirs. Pardonne-moi. J'ai été indiscret et indélicat.

Une sensation étrange s'éveilla dans le bas ventre d'Alexei qui frémit de tous ses membres. Lorsque Syrius accentua son étreinte, toute volonté d'en échapper se volatilisa, et il se laissa aller contre lui, quelques larmes supplémentaires coulant sur ses joues. Son bras libre vint l'enlacer et il plongea à son tour son visage au creux de son cou.
Qu'est-ce qu'il faisait, là, au juste…? C'était de la folie… Laisser parler ses sentiments, comme ça, sans filtre, sans pudeur… Dangereux, terriblement dangereux.
Mais toutes ces tentatives qui visaient à la ramener à la raison demeuraient vaines… Et il ferma les yeux, se laissant emporter par la douce odeur de son compagnon de voyage…

Ils demeurèrent de longues secondes ainsi, enlacés, l'un contre l'autre… Et Alexei ne put s'empêcher d'apprécier ce moment de chaleur humaine, ces doigts fins qui courraient sur sa nuque frêle, rendue douloureuse par le chagrin.
Il sentit même son bas-ventre s'agiter anormalement… Ou plutôt… Comme ces nombreuses fois. Ces fois où il pensait à quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui avait été si cher à ses yeux, et qui lui avait fait tant de mal.

Au fond, il aurait pu rester pendu à son cou une heure entière, collé à lui comme si sa vie en dépendait. Après tout, il se sentait bien dans ses bras, sous ses douces caresses… Et même si rien n'était normal dans cet échange, même s'il ne devait pas se laisser prendre en otage par ses propres émotions, il trouvait bon de lâcher prise.
À vrai dire, il ne l'avait jamais fait. Jamais de sa vie encore… Et c'était tout autant douloureux que libérateur.

Il ne fallut qu'une seule chose pour le tirer de cette rêverie aigre-douce. Une seule chose. Toujours la même. Terrible.
Alexei ne détesta jamais Lyov autant qu'à cet instant précis. Jamais.
L'entendre glapir d'étonnement le glaça jusqu'au sang. Il rouvrit les yeux, et tout de cette étreinte, absolument tout lui laissa un horrible arrière-goût. De l'amertume. Mais aussi une peur terrible.
Syrius le serrait fort, beaucoup trop fort et Alexei en eut presque la respiration coupée. Et puis… Ce souffle qui réchauffait sa peau depuis tout à l'heure le fit désagréablement frémir, tout comme la caresse de ses doigts dans son cou.
Il croisa enfin le regard apeuré du Riolu qui se cacha lorsque son dresseur l'avisa d'un œil sombre. Et ce fut comme un choc électrique.

D'abord une quinte de toux qui surprit l'Austrien et le fit un peu desserrer son étreinte. Puis, dans la foulée, le blond se débattit, s'exclamant d'une voix brute :

▬ Lâche-moi.

Comme son ordre ne fit pas directement effet, Alexei devint brutal, l'obligeant à se reculer, s'écarter et rétablir une distance respectable entre eux. Il se répéta alors, d'un ton plus froid encore, horriblement cassant :

▬ L-Lâche-moi. Je te pardonne. Ce n'est pas grave… Juste… Lâche-moi. Je n'ai pas besoin de ta tendresse.

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Ce fut presque douloureusement qu'Alexei se sépara de Syrius pour se laisser glisser à une distance respectable de lui et de sa tendresse. Le visage plus fermé que jamais, ses joues demeurèrent pourtant rouges et mirent du temps à reprendre leur couleur porcelaine, froide et presque morbide.
Terminant sa cigarette, le Venysien fixa de nouveau son regard sur les flammes qui faiblissaient petit à petit. Quelques larmes, signe d'un chagrin intérieur qu'il n'aurait su expliquer, se pressaient au coin de ses paupières, et il les refoula comme il put, se concentrant sur la sensation de brûlure qui se répandait dans sa gorge et son œsophage chaque fois qu'il prenait une bouffée de tabac. Les petits nuages opaques et gris qu'il recrachait disparaissaient bien vite dans l'obscurité, plus épaisse que jamais.
Il devait être tard ; cela faisait déjà bien longtemps qu'ils étaient plantés là, sur leur tronc renversé, devant ce feu qui ne réchauffait que les corps et laissaient les cœurs dans un carcan de glace.

Une fois sa cigarette consumée, Alexei la jeta à ses pieds et l'écrasa presque rageusement sous sa chaussure. Il cala alors sa tête contre sa main droite, s'appuyant sur ses genoux. Son coude, planté dans ses muscles, lui faisait mal, mais la douleur était supportable comparée à tout ce qu'il pouvait ressentir. Ses sentiments filaient dans tous les sens. La colère, le chagrin, l'incertitude, la culpabilité et la honte… Autant d'états d'âmes qui le laissaient comme paralysé, incapable de traiter de façon efficace toutes ces informations qui l'envahissaient à cet instant précis.
L'étreinte avec Syrius avait réveillé une émotion sourde au plus profond de lui. Une émotion qu'il s'efforçait de garder enfouie jusqu'à présent et ce depuis quelques mois. Un an tout au plus. Une manière de se préserver parmi tant d'autres.
Mais chassé, le naturel revenait toujours au galop. Rien ne pouvait le brider éternellement.
Et cette seule pensée aurait dû le rassurer : oui, c'était naturel. Oui, cela s'imposait à lui, et il n'y pouvait rien.
Pourtant, il continuait de croire à une influence maligne, un péché qu'il ne pouvait expier. C'était ce qu'on lui avait appris, c'était ce qu'il avait toujours pensé. Et l'idée même qu'il puisse se passer quelque chose entre lui et Syrius l'effrayait, le mettait dans un état d'angoisse indicible qui pesait lourd sur ses frêles épaules.
Alors, s'il fallait le fuir, il le fuirait. De tout façon, dans moins de deux semaines, ils ne seraient plus ensemble. Ils reprendraient leur route chacun de leur côté.
C'était le meilleur qui pouvait lui arriver.

Et pourtant… Pourtant il sentait cette peine qui le prenait à la gorge à cette pensée. Une envie terrible qui le poussait à vouloir continuer son voyage avec lui, à ne jamais le quitter.
Coulant un regard vers l'Austrien, Alexei le découvrit tête baissée à quelques centimètres de lui, visiblement perturbé par tout ce qui venait de se passer. Il évita de croiser son regard et retint à peine un petit soupir las. Et maintenant ?

Et maintenant il était tant d'aller se coucher. Laisser cette terrible journée derrière eux, tenter de reprendre des forces. Le blond toussa alors qu'il observait Syrius s'activer, récupérant leurs bols et éteignant le feu en jetant de la neige sur les braises. Il bâilla à s'en décrocher la mâchoire et renifla avec beaucoup de difficulté, ne remarquant même pas que son compagnon de galère était revenu à sa hauteur. Ses joues se teintèrent d'un rose délicat lorsqu'en s'étirant, l'Austrien laissa apparaître un bout de ventre. La nudité, Alexei la détestait. Il n'était vraiment à l'aise avec, et sa pudeur naturelle le poussait à être gêné lorsqu'on découvrait un bout de peau sous ses yeux :

▬ Allons nous coucher. Nous devons être en forme pour demain.

Il leva les yeux vers Syrius et s'apprêta à râler, prétextant qu'il n'était pas fatigué et qu'il ne voulait pas dormir avec lui, mais le jeune photographe fut plus rapide, agrippant son épaule et le forçant à se lever. Un peu faible, Alexei se laissa faire avec lassitude. À quoi bon protester ? Sa tente était en charpie ; il n'en restait plus qu'une. le jeune homme n'avait plus vraiment le choix, et si dormir avec Syrius devait lui sauver la vie, alors il le ferait, même si l'idée était loin de le ravir.
Bien heureusement, l'abri de l'Austrien était plus grand que feu le sien. Sans doute une tente deux places assez chère qui était assez pratique pour voyager avec. Syrius avait déjà déployé son fin matelas gonflable, et Alexei, sans un mot, s'avança tête baissée jusqu'à son sac pour un sortir son sac de couchage, un peu humide.
Il soupire, embêté, mais n'en fit pas tout un plat, préférant garder sa colère et son exaspération pour lui. Lorsqu'il se retourna pour demander à Syrius s'il lui restait une couverture sèche à lui prêter, il fit tout aussitôt volte-face après l'avoir découvert complètement nu, portant seulement son caleçon.
Ok. Passer les prochaines nuits avec lui allait être très compliqué.
Il respira profondément pour calmer les battements idiots de son cœur et se contenta de ses affaires actuelles, bien décidé à ne plus lui adresser la parole pour le reste de la soirée.
Alors, il se glissa dans son sac de couchage après avoir enlevé ses chaussures, et, une fois couché sur le côté, tournant le dos à son hôte, ne tarda pas à s'endormir, sombrant dans un sommeil fiévreux et agité.

Se réveiller avec l'odeur de Syrius collée à la peau fut plutôt agréable. Sans doute trop pour que cela ne dure. Bien au chaud, Alexei se blottit contre ce coussin particulièrement confortable, tentant de replonger dans ce sommeil réparateur qui l'avait tenu comateux toute la nuit…
Mais une quinte de toux, déchirante, le tira de sa léthargie en un claquement de doigt, le ramenant à une réalité nettement moins agréable. Une douleur irradia d'abord sa gorge, et son nez complètement bouché se rappela à lui. Il toussa de nouveau, ouvrant difficilement ses yeux collés par le rhume, et, déboussolé, chercha quelques repères d'un œil épuisé.
Lorsqu'il réalisa qu'il n'était pas appuyé contre un coussin mais contre Syrius lui-même, il eut un petit sursaut mais ne s'écarta pas pour autant, paralysé par ce regard vert posé sur lui. Son visage dût sans doute s'empourprer et la honte eut tôt fait de le prendre à la gorge.
Il se redressa doucement, passant une main nerveuse dans sa tignasse de lion :

▬ Désolé… Maugréa-t-il enfin, encore tout somnolant et englué par sa gêne. J'ai beaucoup bougé, je crois… T-T'aurais dû me pousser…

Le regard doux du jeune homme fit monter une terrible décharge électrique le long de sa colonne vertébrale et il détourna bien vite les yeux, plongeant sa tête entre ses mains et frottant vigoureusement ses joues pour tenter de se réveiller.
La soif avait asséché sa gorge ; sans doute avait-il dormi la bouche ouverte toute la nuit. Un état bien peu séduisant qui ne méritait certainement pas d'être observé par le bel Austrien :

▬ M-Merde… T-T'aurais pas de l'eau, par hasard…? J'sais plus où est ma gourde…

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Alexei bâillait à s'en décrocher la mâchoire. Il s'était effondré comme une masse la veille, et même s'il avait dormi d'un trait – au point même de se réfugier contre le torse chaud de Syrius –, il sentait que cette nuit ne lui avait pas apporté le repos nécessaire. Sa gorge était douloureuse, son nez pris, et son regard brouillé par des larmes de sommeil. Non, il n'avait pas bien dormi. Ce genre de sommeil fiévreux n'était pas très agréable.
Il posa une main sur son front, finissant par hausser doucement les épaules avant d'être secoué d'une toux grasse qui ébranla tout son corps. Il était difficile de savoir s'il avait de la fièvre ; cela aurait été plus efficace si Syrius avait lui même pris sa température, mais le blond refusait catégoriquement de le lui demander. Il s'en était déjà servi d'oreiller : hors de question que leurs rapports deviennent plus intimes.
Grognant doucement, il chercha un élastique autour de son poignet et releva ses cheveux emmêlés en un chignon désordonné : voilà, autant afficher sa sale tête plus franchement. Un bon répulsif.
Il laissa échapper un petit soupir et accueillit la gourde de Syrius avec un petit hochement de tête, son "merci" se perdant dans une nouvelle crise de toux.
L'eau lui sembla insipide et il regretta bien vite d'envoi bu tant la sensation de picotement dans sa gorge s'éveilla au contact du froid.
Finalement, il posa le récipient à côté de son sac à dos et s'étira faiblement, ramenant les pans de son sac de couchage sur ses jambes tremblantes. Il faisait froid, et malgré leur chaleur corporelle qui avait établi un climat plus appréciable au sein de la tente, il frissonnait sans pouvoir s'arrêter. Sans doute était-ce également dû à son état, mais Alexei ne faisait plus la différence. Il rêvait désormais de descendre de cette foutue montagne et de retrouver le confort d'un centre pokémon.

Sillonnant la tente d'un œil hagard, il chercha quelques instants ses pokéballs avant de mettre la main sur celle de Narcisse. Sans doute Syrius avait-il pris celle de Lyov et l'avait-il rappelé à l'intérieur.
Se tournant vers l'Austrien, il l'observa se changer en vitesse ; son regard se perdit sur la ligne que traçait sa colonne vertébrale sous sa douce peau caramel. Il lui semblait que Syrius avait un peu maigri, mais il restait bien en chair. On devinait aisément une fine couche de gras sous cet épiderme mat, et son dos appelait à de douces caresses, lisse et sans imperfection. Le rouge mordit les joues d'Alexei qui ne réussit pourtant pas à détourner le regard de ce corps qu'il trouvait terriblement séduisant.
Il ne baissa bien vite les yeux que lorsque l'Austrien se tourne vers lui pour saisir son écharpe avant de sortir à l'extérieur.
Une fois seul, le Venyysien prit une grande inspiration : qu'est-ce qu'il venait de faire, au juste ? N'était-il qu'un animal ?
Il planta douloureusement ses doigts dans son épaule gauche. Ce spectacle silencieux avait réveillé de terribles sensations et une envie profonde dans son bas-ventre. Il secoua vivement la tête, jurant à demie-voix, et se chaussa rapidement, bougon.

L'air extérieur le fit trembler de tout ses membres. Il éternua à plusieurs reprises et renifla difficilement. Il faisait très froid, mais un soleil timide s'était invité en ce début de matinée. La neige, qui avait repris sa place même sur les zones que Syrius avait déblayées, brillait de mille feux.
À peine fut-il sorti de la tente que son compagnon de route l'encouragea à prendre un nouveau bol de soupe pour faire le plein d'énergie. Alexei, un peu gêné d'être couvé comme ça, laissa seulement échapper un petit "ok" discret.
Il vint alors s'asseoir à ses côtés, libérant Narcisse de sa pokéball. Le Goupix d'Alola s'étira de tout son long et sauta sur les genoux de son dresseur pour tendrement s'y lover.
Un léger sourire étira les lèvres d'Alexei : ce petit renard parvenait toujours à le mettre de bonne humeur. Il vint gentiment caresser sa fourrure duveteuse, se délectant des ronronnements apaisés du Pokémon.

Alexei dévisagea finalement Syrius et après s'être éclairci la gorge, prit la parole avec sa voix plus cassée que jamais :

▬ Merci pour les médicaments… Mais ça ira. Je suis dans un tel état que ça ne fera rien. Autant les garder pour toi.

Prenant les devant, il demanda doucement à Narcisse de quitter ses jambes pour s'allonger sur le tronc, et alla remuer lui-même la soupe qui fumait gaiement. Prenant le bol de Syrius, il le remplit généreusement et le lui tendit. Son récipient fut quant à lui gâté de deux petites louches ; la faim ne tiraillait pas ses entrailles, loin de là. S'il avait pu sentir son estomac gronder à son réveil, découvrir sa proximité avec l'Austrien lui avait instantanément coupé tout appétit.
Il revint donc s'asseoir sur leur banc de fortune, aux côtés de Narcisse, et sirota son petit déjeuner en silence. Il avait le moral dans les talons et l'angoisse torturait son estomac fragile.
Qu'est-ce qu'il craignait au juste…? Il ne parvenait pas à mettre des mots sur son trouble, et pourtant, il était certain que tout avait à voir avec l'Austrien.

Le silence plein de non-dits qui régnait entre eux le mettait encore plus mal à l'aise.
Une fois sa soupe finie, il mordilla un moment sa lèvre inférieure, hésitant à lui poser une question pourtant bien simple :

▬ T-Tu… C'est toi qui a rappelé Lyov dans sa pokéball, hier soir…? Il osa à peine le regarder dans les yeux, ses joues se parant d'un rouge discret. Je me suis endormi très vite. J'étais épuisé.

Ses doigts vinrent s'entortiller doucement et il se redressa un peu, continuant d'une voix tremblante.

▬ Pardon pour… Pour ce que je t'ai dit avant d'aller se coucher. Alexei déglutit difficilement… Il cherchait quoi au juste ? Cette envie de se justifier était forte et l'accablait d'une terrible culpabilité. Il se souvenait maintenant de ses paroles injustes, et en avait honte. C-C'était nul. Mais… J-Je… Je ne sais pas. Ça m'a fait bizarre d'être aussi proches, je ne suis pas habitué à tant de… Tant d'attention, je pense. E-Et… Pareil pour ce matin. Tu aurais dû me pousser.

Un peu tremblant, il fuit son regard, fixant bêtement ses pieds. C'était ce qu'il ressentait, ce qu'il déduisait de son malaise… Mais n'aurait-il pas dû garder ces émotions silencieuses…?

N’avait-il pas trouvé agréable ce contact fugitif ? Ce peau contre peau qui avait un instant réchauffé son âme avant de le glacer de la tête aux pieds…? Il lui semblait que ce n’était pas lui qui avait décidé de repousser Syrius, mais que c’était le fait d’une puissance maligne et cruelle, impitoyable. Il se souvenait avoir croisé le regard étonné de Lyov qui revenait d’une petite ballade nocturne ; ses prunelles sanguines, brillant à peine dans la pénombre, lui avait fait l’effet d’une brûlure particulièrement désagréable. Un coup de fouet qui lui avait rappelé sa juste place et l’attitude qu’il devrait toujours adopter, même lorsque son cœur lui disait le contraire. Car l’affection qu’il ressentait pour ce garçon, ce garçon qui lui avait offert ses bras dans un silence entendu, le poussait à franchir des limites pourtant cruciales.
Contre lui, il s’était laissé aller à des sentiments qu’il s’était jusque là interdits, qui insufflaient à chaque fois une peur panique dans sa poitrine, au côté d’une émotion violente, d’une envie de l’étreindre encore plus fort et de ne plus jamais le lâcher.
Car sentir tout doucement sa respiration dans son cou, comme une caresse muette, s’imprégner de ce parfum qui finissait pas le rendre fou, complètement accro, était une activité fortement agréable à laquelle il ne devait pas s’adonner. Le désir était là, plus fort de jour en jour… Et si Alexei faisait l’effort de le brider, il ne pensait pas pouvoir tenir éternellement. Un jour, il éclaterait au grand jour. Il ferait des siennes, et alors le blond aurait tout perdu. Sa dignité, son contrôle de soi… Tout, en un claquement de doigt.
Et que dirait-il à son père lorsqu’il lui reparlerait de mariage ? S’il fuyait cette fatalité, il savait que comme dans toute bonne tragédie qui se respecte, cette dernière le rattraperait tôt ou tard.
On n’échappait pas à son destin aussi facilement… Ou alors il fallait lutter, lutter jusqu’à l’épuisement, jusqu’à une victoire amère qui aurait coûté bien des efforts et des sacrifices.
Le Venyysien savait parfaitement que s’il se refusait à écouter les désirs de son père, ce dernier le mettrait définitivement à la porte. Grisha n’avait pas d’état d’âme ; une seule conduite valable. Si on s’écartait un tant soit peu du droit chemin, on était bon pour la débauche.
Il préfèrerait sans doute voir son fils dépravé à la rue que chez lui. Sinon, qu’en penseraient les voisins ?

Cette pensée le fit frémir d’horreur ; ses pensées se heurtaient douloureusement. D’un côté, il y avait ce qu’il devait faire pour fuir ce destin funeste… De l’autre, ce que son cœur lui dictait. Bien sûr, ce camp était bien plus alléchant, même s’il l’effrayait. Et glisser un regard pudique vers son compagnon de route remuait quelque chose de fort, de puissant en lui.
Se débarrasser de ces mauvais sentiments ne serait pas chose aisée. Il avait déjà commencé à prendre une autre route, un chemin dangereux et semé d’embûche. S’il était toujours tant de faire marche arrière, ce ne serait certainement pas simple et cela lui demanderait un effort surhumain.
Un crève-cœur, voilà ce que serait leur séparation définitive.
Étrangement, ne plus pouvoir contempler son visage d’ange tous les matins lui paraissait tout bonnement impossible… Et pourtant, il était temps de s’habituer à cette idée aussi saugrenue semblait-elle.

Un petit soupir tremblant franchit la prison de ses lèvres qui frémissaient désormais sous le coup de l’émotion. Si quelques larmes se seraient aisément frayé un chemin jusqu’à ses joues, il les retint en mobilisant toute les forces qui lui restaient. Il était impensable de se remettre à pleurer devant lui. Le blond n’était pas une fillette ; si Syrius le voyait de nouveau s’effondrer, alors le prendrait-il sans doute pour un lâche.
Alexei ne voulait pas qu’il le perçoive comme une pauvre petite créature fragile en manque d’affection ; son ego, si tel était le cas, en prendrait un coup.
D’ailleurs, contrairement à ce qu’affirmait l’Austrien – sans doute pour le rassurer –, crier à l’aide comme il l’avait fait la veille était un signe de faiblesse des plus écœurants. Il s’était lui-même fait pitié et en tirait une honte mordante, terriblement désagréable. Aussi secoua-t-il la tête à la négative lorsque Syrius eut fini de parler, n’ayant pourtant pas la force de s’opposer à ce point du vue qu’il jugeait bien trop naïf.
Alexei était un être faible, trop sensible, trop plaintif, et il le savait pertinemment. C’était ce que son père lui avait reproché toute son enfance, ce qu’ils avaient essayé tous les deux, autant d’un côté que de l’autre, par maintes et maintes violences, d’endiguer.
Désormais, après seulement quelques semaines de voyage, les barrières érigées tantôt sautaient les unes après les autres. C’était un phénomène effrayant auquel Alexei ne voulait plus assister. Il essayait désespérément de colmater les brèches, mais à mesure que les jours filaient, le jeune homme avait de plus en plus l’impression de devenir une cruche ébréchée dont le contenu coulait à grands flot par des plaies qui s’étaient rouvertes.

Fébrile, il chercha frénétiquement son tabac dans les poches de son pantalon. Le paquet était presque vide ; il allait bientôt devoir rationner ou quémander quelques recharges à son compagnon de route. D’une main experte, il roula une cigarette, ses doigts fins et agiles collant la feuille légère et transparente avec exactitude.
La première bouffée de tabac fut comme toujours un instant de plaisir intense. Il avait commencé à fumer à ses treize ans. Depuis, tous les jours nécessitaient un nombre défini de cigarettes qu’il fumait avec toujours autant de délice. Le tabac était terriblement mauvais, son goût immonde… Mais la sensation qu’il lui procurait l’avait rendu accro. Avoir une cigarette prise en étau entre ses doigts, coincée entre ses lèvres, c’était bénéficier d’une compagne fidèle qui serait toujours là quand il n’y aurait plus personne. Une éventualité à laquelle le jeune homme prenait le temps de s’habituer quotidiennement. Un jour, tout pourrait s’effondrer ; les fondations étaient fragiles, et son monde, au moindre petit séisme, s’écrouleraient avant même d’avoir le temps de dire « ouf ».

Il souffla un nuage de tabac en observant Syrius se resservir de la soupe. Son propre estomac, malgré le peu de nourriture ingéré, demeurait désespérément silencieux. Au fond, ce n’était pas pour lui déplaire ; la moindre cuillerée supplémentaire l’amènerait sans doute à vomir derrière un buisson – autant s’abstenir. Il n’y avait rien de pire que rendre de la bile avant de reprendre la route ; ça coupait les jambes, puisait dans les dernières forces du corps et vous laissait complètement éreinté pour le reste de la journée.
De tout façon, il était bien connu que fumait trompait la faim. Alors Alexei tirait inlassablement sur sa cigarette, le regard dans le vide, fixé sur ce feu qui crépitait et lui redonnait un peu de courage.

Finalement, ce fut les mots de Syrius qui le tirèrent une fois de plus de ses pensées grises, marquées par une lassitude profonde.
Il lui lança un regard interrogateur, le temps de comprendre ce qu’il voulait lui dire :

▬ Tu veux donner à manger à Narcisse et à Lyov ? Je vais nourrir Khensit et Lyla. Mais dans la tente, il fait bien trop froid pour elles pour manger dehors.

Le blond haussa les épaules alors que Narcisse, qui s’était momentanément assoupi, s’étira de tout son long sur leur banc de fortune.

▬ Ah, oui. Euh… Je vais faire ça ici ; je reviendrai ranger mes affaires. Merci.

Paroles froides, pincement au cœur. Pourquoi s’efforcer à établir cette terrible distance, entre eux ? Comme s’ils étaient encore de parfaits inconnus…?
Une fois que Syrius s’en fut retourné dans la tente, Alexei secoua doucement la tête, profondément attristé, son Goupix lui remontant néanmoins le moral en venant frotter son museau contre ses jambes.
Le garçon lui adressa un petit sourire chancelant et, après avoir éteint sa cigarette dans la neige, s’accroupit devant la marmite où il restait encore un petit fond de soupe. Dans la poche de son manteau, un reste de biscuits pour Pokémon ; à peine de quoi tenir la journée. Bah, ils s’en contenteraient… Malheureusement, le blond n’était pas aussi bien lôti que son camarade dresseur et faisait avec ce qu’il avait. Toujours lui réclamer ce qui lui manquait avait fini par lui faire plus de mal qu’autre chose – sans doute une blessure d’ego – et il préférait désormais faire avec ce qu’il avait.

Lyov sortit bientôt de la tente, sans doute envoyé par Syrius qui avait conservé sa Pokéball. Le petit loup cobalt bâillait encore à s’en décrocher la mâchoire et Narcisse l’accueillit d’un glapissement enthousiaste. Le petit renard polaire se réjouissait toujours de ces repas frugaux et Alexei, qui détestait se voir restreindre les portions qu’il accordait à ses pokémon, trouvait cette gaité tout à fait bouleversante.
Il offrit à ses compagnons d’aventure deux parts égales de biscuits et sépara aussi le reste du bouillon en se servant de son propre bol et de la marmite.
Le Riolu vint s’asseoir sur le tronc et Alexei lui tendit le récipient à moitié plein avec un léger sourire – il s’efforçait de rester un minimum correct avec Lyov, bien que l’envie de l’ignorer et de le laisser se débrouiller tout seul ne manquait pas. Comme à son habitude, le pokémon lupin ignora ses bonnes intentions et saisit le bol sans un regard.
Narcisse, quant à lui, vint se frotter contre les jambes de son maître et laper le fond de soupe avec un plaisir évident.

Pendant ce laps de temps, le blond décida de retourner dans la tente, accueilli par les sifflements désagréables de Khensit et les salutations adorables de Lyla. Il esquissa un petit rictus bienveillant et rassembla toutes ses affaires en silence, les empaquetant rapidement dans son sac qui, une fois prêt, fut sorti et posé négligemment dans la neige.
 Alexei avait pris l’habitude de contrôler son œuf matin, midi et soir et l’enroulait dans des couvertures chaudes qui l’épargnaient grandement du froid glacial de cette contrée.

Il rappela finalement Lyov qui grelottait déjà dans sa pokéball et, après l’avoir soigneusement rangée à sa ceinture, attendit avec Narcisse que Syrius veuille bien les rejoindre.
Le blond ne put retenir un petit rire affectueux lorsqu’il vit l’austrien peiner à replier sa tente et le rejoignit pour lui donner un coup de main :

▬ Tu oublies toujours cette étape, regarde. Patiemment, il lui montra comment dompter leur abri de fortune. Le regard que le jeune homme posait sur lui le déstabilisa un peu et lui fit monter le rouge aux joues. E-Et du coup… Ça se plie tout seul, tu vois…?

Passant une main nerveuse dans ses cheveux, il se releva et s’éloigna rapidement, laissant Syrius ranger sa tente pliée, le cœur battant à la chamade.
Alors, lorsque l’Austrien les rejoignit, lui et Narcisse, fin prêt, Alexei osa à peine le regarder dans les yeux, un trouble profond et reconnaissable entre tous modulant sensiblement les traits de son visage :

▬ On y va ? La route est encore longue, mais on approche du but.

Pas un mot de plus, tout dans le regard, dans cette longue œillade échangée qui parlait d’elle-même et ne cessait de transmettre des sentiments silencieux qu’ils ne se diraient sans doute jamais de vive voix.
Le Venyysien lui tourna le dos et, s’arrachant à ce contact visuel aussi troublant que plaisant, reprit la route d’un pas décidé.
Bientôt ils arriveraient à Belagora. Bientôt le calvaire prendrait fin… Et contrairement à ce qui clamait son cœur, c’était sans doute pour le mieux.

@feat Syrius Et voilà ma conclusiooooon   En espérant que ça va te plaire ~