HISTOIRE -

Tic, tac.

Les mains moites, la gorge serrée, Sharon lance un coup d'oeil angoissé à l'horloge accrochée au mur en face d'elle. Quatorze heure vingt-sept. Du bout des doigts, elle s'assure que son chignon est toujours aussi impeccable. Un coup d'oeil furtif dans la baie vitrée donnant sur la Grande Roue de Winscor lui renvoie une image d'elle tirée à quatre épingles : avec sa coiffure stricte, son tailleur noir et son maquillage dénué de la moindre fantaisie, Sharon a l'impression d'avoir prit dix ans. Tout en suivant la course de la trotteuse sur l'horloge murale, elle commence à jouer distraitement avec ses doigts, luttant contre son envie de ronger ses ongles. Cette manucure rouge ne lui plaît guère mais elle se doit d'être impeccable, irréprochable. D'ici quelques instants, elle sera reçu par monsieur Brooke, chargé de recruter de nouveaux commerciaux pour le compte de la WinDex Corp, entreprise récente mais fleurissante, spécialisée dans la conception et la distribution de Pokédex dernier cri à travers le monde entier.
Lorsque Sharon a envoyé sa candidature, elle était certaine de n'obtenir aucune réponse. Son dossier n'est pas le plus attrayant qui soit et tout le monde se bouscule au portillon pour intégrer cette étoile montante de Galar. Pourtant, deux jours plus tard, elle a retrouvé un e-mail au milieu de pub et de newsletters diverses, au nom de la WinDex : elle était attendue pour un entretien en fin de semaine, à quinze heure précise. Plus que la ravir, cette nouvelle l'a rendu malade d'inquiète. Durant les trois jours la séparant du rendez-vous, elle fut incapable d'avaler quoi que ce soit et faisait les cent pas dans sa chambre, se répétant en boucle des réponses types à fournir au recruteur. Telle une leçon apprise par cœur, elle listait ses qualités et ses objectifs d'une voix plate, sans émotion, comme provenant d'une machine bien réglée. Le par cœur, c'est ce qui l'a sauvé pendant toute sa scolarité. Sharon n'avait que ça pour se rassurer : compter sur sa mémoire et ses phrases toutes faites.
Il est quatorze heure cinquante neuf lorsque la porte du bureau du recruteur s'ouvre. Sharon bondit sur ses pieds, droite comme un i, ses documents pressés contre sa poitrine comme si elle craignait de les lâcher. Apparaît alors un homme à l'allure distingué, aux yeux clairs et à la barbe de trois jours, vêtu d'un pantalon noir et d'une veste de costume bordeaux. Un bel homme, pile dans les goûts de Sharon. Cette constatation manque de lui faire perdre pied, mais elle s'accroche, tendant sa main avec force, soutenant son regard alors qu'ils se saluent poliment. Lorsque le recruteur l'invite à s'asseoir sur le fauteuil en face d'elle, Sharon prend mille précautions, s'installant avec grâce, se tenant droite, un petit poli aux coins des lèvres. Dans sa tête, elle repense à tous les conseils qu'elle a obtenu de la part de ses parents : elle doit se montrer sûre d'elle, se vendre à la perfection, montrer qu'elle s'est renseignée sur l'entreprise … et surtout ne pas cacher ses mains. Elle doit avoir l'air détendue, parfaitement à l'aise – il ne faut pas que le recruteur devine son angoisse, son manque de confiance. Sinon, il passera à autre chose.
Mais malgré tous ces conseils avisés et les efforts de Sharon, l'entretien d'embauche est un véritable fiasco. La jeune femme bafouille, perd ses mots, joue avec ses doigts. Elle fuit même le regard du recruteur, fixant ses pieds, incapable de retenir ses gigotements de sa jambe animée par son stresse. Lorsqu'elle ressort du bureau, au bout d'une longue demi-heure de souffrance, Sharon est persuadée d'avoir tout raté. Et pourtant, le sourire que lui offre Melvyn Brooke en serrant poliment sa main réveille un elle un petit espoir, et l'envie d'y croire encore un peu.

Sharon reçoit l'appel de Melvyn trois jours plus tard : le poste lui est attribué. La signature du contrat se fait dans la foulée et la semaine suivante, Sharon commence son travail en temps que commerciale pour WinDex Corp. Une situation rêvée pour cette jeune fille sortant à peine de l'école et vivant encore sous le toit de papa et maman. Ce job de rêve en poche, elle commence à entrevoir un nouvel avenir et des perspectives excitantes. Malgré l'angoisse des premiers jours, Sharon s'intègre rapidement au sein de l'entreprise, copinant avec quelques collègues, commençant doucement à prouver son professionnalisme et son sérieux. Parfois, elle croise la route de Melvyn Brooke et rougit à ses sourires charmeurs. Ce serait un mensonge de dire que le bel homme ne lui a pas tapé dans l'oeil … mais jamais elle n'oserait tenter quoi que ce soit. Melvyn est son supérieur, son recruteur, ce serait mal venu de sa part de lui faire du rentre dedans. Et de toute façon, la jeune femme est bien trop timide pour s'y risquer.
C'est donc Melvyn qui fait le premier pas, quelques mois après l'embauche de Sharon. Cette dernière prenait sa pause près de la machine à café lorsqu'il est venu engager la conversation. Malgré quelques premiers mots confus, Sharon s'est détendue au rythme de la conversation, réceptive aux manières douces et respectueuses de son interlocuteur. Melvyn avait beau avoir cinq ans de plus qu'elle, il demeurait accessible et agréable, le genre à ne pas se prendre la tête ou à s'embarrasser d'étiquette. Se retrouver à la machine à café à la pause de dix heure est devenu un petit rituel pour eux. Ils discutaient de tout et de rien – parfois de travail, parfois de vie personnelle. C'est comme cela que Sharon apprit que Melvyn était issu d'une famille très nombreuse, et qu'il était le cinquième enfant de la fratrie parmi les sept au total. Un choc pour Sharon qui ne possédait qu'un frère, faux jumeau de surcroît. Le sujet de la famille abordée, ils découlèrent rapidement sur le sujet des relations en règle générale. Le moment idéal que Melvyn a su saisir pour inviter Sharon au restaurant.
Ainsi débuta leur histoire d'amour. Les premiers rendez-vous furent simples et parfois même plutôt courts. Sharon, timide et peu sûre d'elle, préférait prendre son temps et laisser les choses venir sans forcer le destin. Ce que Melvyn comprenait et acceptait. Il ne pressa Sharon à aucun moment, préférant la savoir à l'aise, appréciant la voir prendre confiance au fur et à mesure. Ils échangèrent leur premier baiser un mois après le début de leurs rendez-vous, alors que Melvyn raccompagnait Sharon chez elle. La jeune femme en resta d'ailleurs toute guillerette, se rappelant la douceur des lèvres de son petit-ami, une fois seule dans la chambre de son adolescence. Ils officialisèrent leur relation quelques jours plus tard, que ce soit au travail ou auprès de leur famille et de leurs amis. Leur complicité était touchante, presque émouvante. Melvyn faisait attention à Sharon sans être envahissant et jaloux, permettant à cette dernière de s'affranchir de ses angoisses tenaces et de s'ouvrir davantage aux autres. De son côté, Sharon offrait à Melvyn une attention toute particulière qu'il n'avait jamais vraiment connu, habitué à toujours devoir partager au sein de son noyau familial. Les représentations aux familles furent d'ailleurs rapidement planifiées, Sharon rencontrant l'immense fratrie de Melvyn, Melvyn rencontrant l'unique frère de Sharon. Des familles complètement différentes, mais dans lesquelles chacun d'entre eux fut accueilli avec beaucoup d'amour et de joie.
C'est au bout de trois ans de relation que Melvyn demanda finalement Sharon en mariage. Ils dînaient à leur restaurant favori à Skyfford lorsqu'il a mit un genou à terre, présentant à la jeune femme un anneau argent sertie de petites pierres roses. Une bague de fiançailles tout en simplicité et en finesse, comme les aimait Sharon. Bien évidemment, cette dernière céda à ses émotions, pleurant de joie en s'accrochant à son cou, murmurant un oui tremblant au creux de son oreille. S'en suivirent toutes les préparations, auxquelles les sœurs de Melvyn prirent part avec beaucoup de joie, aidant les fiancés dans leurs recherches et leurs démarches. C'est donc le printemps suivant qu'ils s'unirent par les liens du mariage, accompagnés dans ce bel évenement par leurs familles et leurs amis, lors d'une cérémonie pleine d'amour et d'émotion. Dans la foulée, ils achetèrent une belle maison à Kickenham, dans l'espoir de pouvoir prochainement y fonder leur propre famille.
Et cela arriva plus vite que prévu parce que moins de six mois après leur mariage, Sharon commença à ressentir des symptômes propres à la grossesse. Un test et une prise de sang plus tard, les résultats étaient formels : Sharon était enceinte. Si elle songea d'abord à organiser un petit quelque chose pour partager la bonne nouvelle à Melvyn, elle fut incapable de contenir sa langue. A peine avait-il passé la porte d'entrée qu'elle lui sautait au cou, répétant en boucle « je suis enceinte, je suis enceinte ! », mettant des larmes dans les yeux de son mari qui vivait-là l'un des plus beaux moments de sa vie.
Tout ne fut alors qu'un tourbillon d'émotion à l'état pur. Les trois premiers mois passés et la viabilité de l'embryon assurée, ils annoncèrent la bonne nouvelle à leurs proches, qui l'accueillirent avec une joie inégalable. Au fur et à mesure que le ventre de Sharon s'arrondissait, la l'impatience des futurs parents enflait. Lorsque vint le temps de connaître le sexe de bébé, ils organisèrent une gender-reveal, pendant laquelle ils percèrent ensemble un ballon noir duquel s'échappa une nuée de paillettes bleues. C'est donc un petit garçon qui les rejoindrait très bientôt, au plus grand bonheur des futurs parents. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que bébé était un grand pressé. Près d'un mois avant le terme, il décida que l'heure était venue. Heureusement, Melvy était avec Sharon que le travail se déclara. Il l'emmena aussitôt à la clinique où elle fut prit en charge par l'équipe de la maternité. Jamais ces derniers n'assistèrent à un accouchement si rapide : bébé se présenta avant que l'anesthésiste n'ait le temps de poser la péridurale, venant au monde de la façon la plus naturelle qui soit.
Le petit Rohann naquit ainsi au beau milieu d'une belle journée d'été, en parfaite santé, prêt à offrir à ses parents les joies d'une nouvelle aventure parentale.

Les premiers mois de vie de Rohann ne furent cependant pas des plus roses. A cause de sa naissance prématurée, le bébé rencontrait divers problèmes, tel que son incapacité à attraper le sein de sa mère ou sa difficulté à prendre du poids. Ayant quitté trop tôt le ventre de sa mère, le petit garçon avait besoin d’assistance médicale pour se réchauffer et s’alimenter, ce qui provoqua énormément d’angoisse chez Sharon. Heureusement, Melvyn prit son rôle de père et de mari très à coeur, soutenant sa femme et leur enfant dans ces premières difficultés. Voir son bébé, minuscule, dans une couveuse ne fut pas l'expérience la plus agréable que leur parentalité, mais ils n'avaient pas le choix de se passer par cette étape pour le bien-être de leur bébé. Il fallut bien deux semaines au petit Rohann pour prendre du poids et être considéré totalement hors de danger - un séjour pénible pour les jeunes parents inquiets, mais qui se terminait sur une note très positive. Enfin, ils pouvaient sortir de l’hôpital et retrouver leur chez-eux avec leur nourrisson. Sa petite chambre aux murs peints en vert d'eau n'allait pas servir avant quelques mois, mais Sharon s'était beaucoup amusée à la décorer, adoptant des tons doux pour créer un petit univers poétique et chaleureux.
Et le moins que l’on puisse dire c’est que Rohann ne manqua pas d’amour. Mère-poule, Sharon veillait sur lui aussi intensément qu’une Lougaroc, s’assurant de répondre au moindre besoin de son enfant. Au grand bonheur de la jeune mère, son allaitement finit enfin par se mettre en place, lui permettant d’offrir à son enfant tous les bienfaits du lait maternel. Suivant des principes d’éducation basés sur la bienveillance et l’écoute, Sharon et Melvyn s‘assuraient que Rohann ne manque jamais de rien, se relayant pour s’occuper de lui et lui offrir tout l’amour qu’il méritait. La petite famille pratiquait ainsi le co-dodo, permettant à la jeune mère de donner plus facilement le sein à son enfant et surtout, de garder une certaine proximité avec lui.
Cependant, demeurait dans le coeur des jeunes parents une certaine inquiétude - les débuts de vie de Rohann ont été si difficiles … et tous deux craignaient une rechute. Pour la jeune mère, il était impossible de reprendre son activité à la fin de son congé parental … elle prit alors la décision radicale de démissionner de son travail - choix que Melvyn accepta, rassuré de savoir sa femme constamment auprès de leur enfant. A lui seul, il gagnait suffisamment pour subvenir aux besoins de leur famille - et de toute façon, Sharon avait droit au chômage pour quelques temps, leur permettant de conserver une situation stable malgré sa démission. Bien évidemment, ce ne fut pas évident pour Melvyn de retourner au travail après quelques semaines passées à profiter pleinement de son bébé, mais il fallait bien ramener de l’argent à la maison … pour lui offrir le plus beau des avenirs.
C’est donc entouré d’un amour inconditionnel que Rohann grandit, épaulé par ses parents dans les différentes étapes de sa vie d’enfant. Petit à petit, il apprit à se redresser tout seul, puis à se lever en s’accrochant à la table basse du salon. Ses parents, croyant aux bienfaits de la motricité libre, laissaient leur enfant expérimenter, prendre conscience de son corps et de l’espace afin qu’il demeure à l’aise dans tout ce qu’il pouvait entreprendre. Bientôt, il prononça ses premiers mots, fit ses premiers pas - et à chaque fois qu’une nouvelle bougie s’ajoutait à son gâteau d’anniversaire, il gagnait en maturité, en responsabilité. Vif et intelligent, il se prêtait volontier à toutes les activités que sa mère prenait plaisir à lui inventer. Il développait ainsi sa motricité fine, apprenait à reconnaître les lettres, les couleurs, les objets en règle générale ... Il démontra d'ailleurs très vite un attrait particulier pour le dessin - Rohann pouvait passer des heures entières à gribouiller avec ses pastels gras, s’autorisant même le plaisir de recouvrir les murs de sa chambre d’arabesques colorées. “Un petit artiste en herbe” comme aimait l’appeler ses parents, qui gardait précieusement chacune de ses oeuvres en souvenir. 
Et arriva sa toute première rentrée des classes. Si Rohann semblait curieux et même plutôt impatient, c’est Sharon qui mourrait d’inquiétude. Après trois années à veiller sur lui toute la journée durant, le laisser ne serait-ce que la matinée à l’école lui faisait tout drôle. Cependant, en revenant le chercher à midi, elle ne pouvait qu’être heureuse de le voir entouré d’amis et si heureux dans son nouveau quotidien. Au fond, il était temps pour elle de couper le cordon et de laisser son fils faire sa vie sans elle. Bien sûr, ça ne sera pas demain la veille qu’il quittera définitivement le cocon familial mais … le voir grandir était plus difficile qu’elle ne l’aurait jamais cru. Son bébé devenait un peti garçon … et avant qu'elle n'ait le temps de dire ouf, il sera déjà un homme.
En tout cas, cette nouvelle situation permit à la jeune mère de reprendre une activité professionnelle. Plus en tant que commerciale, parce qu’elle estimait avoir fait le tour de ce métier, mais en tant que secrétaire de son propre mari. Ainsi, elle l’épaulait dans ses tâches et lui permettait de pouvoir rentrer plus tôt du travail, afin qu’ils puissent passer leurs soirées en famille. De ce fait, Rohann avait la chance de pouvoir profiter pleinement de ses parents dès la sortie de l’école. La plupart du temps, ils se promenaient au parc ou goûtaient à l’extérieur, sur la terrasse d’un café de Kickenham. Un quotidien à trois qui leur convenait parfaitement et dans lequel chacun d’entre eux se sentait heureux et épanouis.
Mais ce que Rohann appréciait encore plus, c’étaient les visites chez ses cousins et cousines, et plus particulièrement les enfants de la petite-soeur de son père : Leo, Gaston et Christine. Les enfants ayant quasiment son âge, il se sentait naturellement plus proche d’eux et partageait plus facilement leurs jeux. Puisqu’ils habitaient Motorby, Rohann avait très souvent l’occasion de les voir et de passer du temps avec eux. Parfois, ils partaient se promener dans les Terres Sauvages et le petit garçon admirait sans cesse les différentes espèces vivants librement dans ces contrées à la météo si changeante. S'il était déconseillé de s'y rendre seul – et surtout sans Pokémon capable de nous défendre – la petite famille comptait sur la présence du Rhinastoc du père de Melvyn, qui veillait sur la marmaille d'un œil attentif et amusé ...
Un jour cependant, à l’aube de ses sept ans, Rohann s’aventura seul sur les Terres Sauvages dans le but d’impressionner son cousin Leo. Echappant à la surveillance de ses parents, il s’était faufilé hors de la maison de son oncle pour rejoindre les terres par delà les portes de Motorby. Une terrible tempête de sable secouait les Terres Sauvages ce jour-là - Rohann aurait dut faire demi-tour, laisser tomber ce pari stupide. Mais la seule idée de se faire traiter de poule mouillée le poussa à continuer, s’aventurant plus loin encore dans la tempête. C’est alors qu’il entendit un bruit bizarre, comme un râle de douleur. Il eut beau épier les environs, la tempête l’empêchait de voir à moins d’un mètre. Alors il essaya de déterminer la provenance du bruit, se guidant aux sons seulement, jusqu’à tomber sur un Corvaillus gisant au sol, son aile coincée sous un arbre. Les vents violents l’avait déraciné, piégeant l’immense volatile. Incapable de rester insensible à la souffrance du Pokémon, Rohann s’était rué à son secours, poussant de toutes ses forces sur l’arbre pour le déloger. Au bout de longues minutes de dur labeur, il parvint finalement à faire bouger le tronc, suffisamment pour que le Corvaillus achève le travail et réussisse à se libérer. Il s’apprêtait à s’envoler lorsqu’il a avisé le petit garçon complètement éreinté, les mains pleines d’échardes. Ainsi décida-t-il de s’allonger au côté de l’enfant, le protégeant du vent de sa grosse aile métallique, jusqu'à ce que quelqu'un vienne le chercher ...
Les parents de Rohann ne le retrouvèrent qu’une bonne heure plus tard, endormi à côté du Pokémon, sain et sauf. S’il s’est fait disputer pour son imprudence, le garçon n’a retenu de cette leçon que le regard reconnaissant du Corvaillus avant qu’il ne s’envole. Ah, comme il était plaisant de venir en aide aux autres … !

La vie de Rohann prit néanmoins un tout nouveau tournant quelques jours après cet accident. Il dessinait tranquillement sur la table basse du salon lorsque son père est rentré du travail, un large sourire aux lèvres et une bouteille de champagne à la main. Melvyn avait obtenu une promotion, devenant le directeur commercial de WinDex Corp. Si Rohann ne comprit absolument pas la discussion qui s’en suivi entre sa mère et son père, il comprit que quelque chose de nouveau se tramait en avisant les cartons s’accumulant dans toutes les pièces de la maison. La notion de déménagement était encore floue pour lui, jusqu’à ce que ses parents ne lui expliquent qu’ils allaient habiter ailleurs, dans une autre région. Le jeune Rohann a beaucoup pleuré suite à cette nouvelle, triste de quitter sa maison, son école et ses amis. Mais ses parents lui promirent qu’il se ferait plein de nouveaux copains à Kanto, et qu’il n’avait pas à s’en faire. Rohann leur a fait confiance et il est vrai que leur arrivée à Safrania ne fut pas si terrible. En tant que petit nouveau à l’école, il fut accueilli en grande pompe et se fit très rapidement de nouveaux amis. Kanto était une belle région et le petit garçon avait l’occasion de rencontrer de très nombreux Pokémon qu’il n’avait encore jamais vu à Galar. Cependant, les cousins et cousines de Rohann lui manquait énormément et plus d’une fois, il s’est mit à pleurer au beau milieu de la nuit, seul au milieu de son lit. Kickenham lui manquait, il avait tellement hâte de rentrer … mais de toute évidence, le retour pour Galar n’était absolument pas prévu pour tout de suite.
En effet, après une première année passée à Kanto, la petite famille déménageait pour Hoenn. A peine Rohann s’était-il habitué à sa nouvelle vie que déjà il devait repartir et quitter tout ce qu’il avait finit par apprécier. Ils s’installèrent dans un charmant pavillon de Lavandia, où Rohann pouvait profiter d’une chambre immense et d’un grand jardin gazonné. Mais rien qui ne puisse tarrir la profonde tristesse de Rohann. Sa nouvelle école était différente - les enfants étaient nombreux, issus de grandes familles, fermés à toute nouvelle amitié. Alors il passait ses journées seul, assit à l’écart, à gribouiller sur des feuilles blanches, l’esprit ailleurs. Vivant cette difficulté d’intégration comme un véritable échec, Rohann refusait d’en parler à ses parents, préférant feindre des amitiés et de bons moments passés. Pourtant … l’air de Lavandia ne convenait absolument pas au jeune garçon. Il s’y sentait mal, comme oppressé. Lorsqu’il tomba malade une première fois, ses parents crurent un virus dans l’air. Mais la maladie revint. Une fois. Deux fois. Trois fois. Il était sans arrêt secoué de violentes quintes de toux, il faisait de la fièvre et vomissait tout ce qu’il mangeait. Sharon et Melvyn, inquiets quant à la santé de leur fils, décidèrent alors de déménager pour Bourg-en-Vol, éloignant Rohann de la pollution de la capitale. Là-bas, le garçon se plut davantage - il sympathisa rapidement avec ses voisins, des enfants de son âge qui étaient heureux de se faire un nouvel ami - et surtout, il n’était plus autant malade, bien qu’il continua à faire quelques fièvres inquiétantes. Néanmoins, Rohann aperçu l’espoir que les choses s’arrangent, que ce mal de pays allait enfin passer. Ce fut le cas, d’ailleurs : il se plaisait davantage dans sa nouvelle école et appréciait beaucoup Bourg-en-Vol. Mais bien sûr, le travail de son père les appelèrent ailleurs, le déracinant une nouvelle fois de tout ce qu’il appréciait, tout ce qui l’aidait à se sentir mieux bien qu’il soit loin de sa belle Galar…

Et les voilà arrivés pour Unys, à Janusia plus précisément. Malgré la ville chargée d’histoire, Rohann s’y sentait tout aussi mal qu’à Lavandia. La mort dans l’âme, il ne prenait même plus la peine de défaire ses cartons, se contentant de sortir le strict nécessaire aux moments venus. Ces chambres qu’il habitait le temps de quelques mois, il n’arrivait plus à leur donner une personnalité, à les considérer comme son espace à lui. Il n’essayait plus de combler les étagères, de remplir les placards - les murs demeuraient bruts, impersonnel, comme si la pièce était inhabitée … La solitude pesait lourd sur les épaules du jeune garçon qui souffrait de plus en plus de ces déplacements mais qui n’osait pas en parler à ses parents. Ils travaillaient si dur pour qu’il ne manque de rien … Il n’avait pas le droit de se plaindre. Cependant, malgré tous ses efforts, suivre le programme de l’école devenait de plus en plus compliqué. Si les enseignements étaient sensiblement les mêmes, ils n’étaient pas abordé de la même façon, ou dans un tout autre ordre. Garder la tête hors de l’eau n’était pas évident, mais Rohann redoublait d’effort, passait des heures entières sur ses devoirs pour ne pas perdre pied. Il devait bien ça à ses parents qui en faisaient tant pour lui ... 
Ils ne sont restés à Janusia que six petits mois - peut-être Rohann l’avait-il ressenti, parce qu’il n’avait même pas essayé de se faire des amis. Leur arrivée à Kalos se passa donc de la même façon que leurs précédents déménagement. Le jeune garçon ne défit pas ses cartons, pas plus qu’il ne tenta de sympathiser avec qui que ce soit. A quoi bon se faire des amis, en sachant qu’il ne s’attarderait pas ? C’était trop d’effort pour pas grand chose, au final. Il préférait encore rester tout seul - au moins, il n’avait plus à vivre la difficulté des séparations. Certes, Kalos était belle et agréable mais ce n’était pas chez lui. Ce n’était pas sa belle Galar, ses Terres Sauvages s’étendant à perte de vue, son défi des arènes restransmit sur tous les écrans du pays … Et surtout, Leo, Gaston et Christine lui manquaient horriblement - c’est à peine s’il les voyait pour Noël et le garçon en souffrait horriblement. Il se sentait seul, tellement seul qu’il pleurait souvent, à l’abri des regards, pour que jamais personne ne soit témoin de son mal être. Il se répétait en boucle que les choses finiraient forcément à s'arranger, que ces déménagements cesseraient … sans jamais y croire une seule fois.
Lorsque Sharon lui annonça, un beau matin, qu’il allait devenir grand-frère, Rohann bondit de joie. Enfin ! Enfin il allait avoir de la compagnie, un petit-frère ou une petite-soeur avec qui il pourrait passer du temps, avec qui partager mille et une aventures. Mais mieux encore : ils retournaient vivre à Kickenham. Ni Sharon ni Melvyn ne voulaient prendre le risque de voyager dans ces conditions, afin revinrent-ils habiter leur belle maison Galarienne. Rohann retrouva avec un bonheur immense la chambre de son enfance, ainsi que son école et ses cousins. Jamais il n’aurait cru que ce jour viendrait et il avait bien du mal à cacher sa joie. Sa morosité semblait s’être envolée et il reprenait du plaisir à étudier, sans avoir à y passer des heures et des heures. 
Galar était vraiment la région de sa vie. Si beaucoup lui enviait ses voyages à travers le monde, Rohann ne comprenait pas comment on pouvait souhaiter pareille vie. Il est tellement plus agréable d'avoir un chez-soi fixe, des habitudes qui rassurent, un environnement qui plaît … Bien plus que de déménager encore et encore, sans jamais avoir le temps de se sentir à l'aise où que ce soit. Non, vraiment, rien ne valait Galar à ses yeux ...
Charlie naquit au beau milieu de l’hiver et Rohann passa des heures entières à l’admirer, penché au dessus de son berceau. Malgré la déception première d’avoir une petite-soeur plutôt qu’un petit-frère, il s’était finalement fait à l’idée et aimait sincèrement le petit poupon tout roux. Bien évidemment, il ne pouvait pas encore jouer avec elle, puisque Charlie était beaucoup trop petite, mais Rohann aimait imaginer tout ce qu'ils pourraient faire ensembles plus tard. Des parties de cache-cache infinies, des batailles de polochons endiablées … ou même la construction d'une cabane sous la table de la salle à manger, faites de couvertures et d'oreillers ! Bien sûr, ce n'est pas pour tout de suite mais … de toute façon, il était tellement heureux d’être de retour à Galar que rien ne pouvait saper son moral. 
Mais ce bonheur ne dura que deux ans : en effet, à l’instant même où sa petite-soeur reçu son passeport, la famille s’en alla à nouveau, direction Johto … 

Rohann venait de fêter son treizième anniversaire lorsque sa famille et lui s’installèrent à Alola. Le garçon entrait doucement dans l’adolescence, son corps changeait, ses besoins aussi. Parfois, il se surprenait lui-même à lorgner sur les torses des hommes lorsqu’ils allaient à la plage. Chose que ses parents remarquèrent, bien évidemment, sans faire le moindre commentaire. Ils attendaient le bon moment pour parler à son fils de sexualité, estimant qu’il était encore un petit peu trop jeune pour s’y intéresser autant. Néanmoins, jamais ils ne virent la probable homosexualité de Rohann comme quelque chose de mauvais - ces choses-là n’ont jamais été tabou chez eux, afin que leur fils grandisse dans le respect des autres. Et le fait que leur propre enfant semble préférer les hommes aux femmes ne changeait absolument rien. Tant que Rohann ne ressentait pas le besoin de parler de tout ça, Sharon et Melvyn s'aborderaient pas le sujet. Histoire de le laisser appréhender sa sexualité à son rythme, sans le perturber.
A Alola, Rohann se plut bien plus que partout ailleurs. Il appréciait la façon de faire des gens des îles et la beauté de leur culture. S’il parvint à sympathiser avec quelques adolescents, il demeurait cependant assez solitaire. Les écouteurs enfoncés profondément dans ses oreilles, à écouter les vieux titres des Ruthless Ixon, il préférait s’isoler et dessiner des heures entières. Au fil des années son style s’était fait plus propre, plus fin. Dessiner, c’était sa façon à lui de s’évader, d’oublier sa solitude et de passer le temps. Charlie était définitivement trop petite pour être la compagnie dont il avait besoin et étant donné les années qui les séparaient, jamais ils ne pourraient partager quoi que ce soit avec elle. Pourtant, cette solitude lui pesait de plus en plus et Rohann broyait souvent du noir, seul dans son coin.
Ce fut par le plus grand des hasards qu’il rencontra Cynder pour la première fois. Rohann se rendait à pied à l’école, comme tous les matins, lorsqu’il aperçut un Flamiaou à l’aspect famélique, occupée à faire les poubelles dans une ruelle. Touché par la maigreur alarmante du Pokémon, l’adolescent lui avait cédé une partie de son goûter, composé de diverses baies. D’abord méfiante, la Flamiaou avait fini par s’approcher, chapardant les fruits pour les dévorer ailleurs. Le lendemain, la minette était encore là. Ainsi que le surlendemain. Au fil des jours, la Flamiaou se remplumait et devenait de moins en moins sauvage. Bientôt, Rohann pouvait la caresser et la prendre dans ses bras. Mais la minette tenait à sa liberté, faussant compagnie au garçon dès que son envie l’appelait ailleurs. Leur rituel demeurait cependant le même, bien que la chatte ne souffrait absolument plus de la faim. Son poil était d’ailleurs devenu brillant et lisse, la débarrassant de cet air négligé et sale. Parfois, elle suivait Rohann quand il allait s’installer pour dessiner, et dormait à ses côtés, appréciant sincèrement la compagnie de ce garçon qui ne la forçait jamais à rien. Leur relation était certes un peu spéciale … mais elle leur convenait sincèrement. 
Avec la Flamiaou, Rohann avait enfin l’impression d’être moins seul. Certes, il ne pouvait pas discuter avec elle comme il le ferait avec un être humain mais la seule présence de la chatte à ses côtés suffisait à lui mettre du baume au coeur. La créature féline l’attendait désormais à la sortie du collège, faisant la route avec lui jusqu’à sa maison. Et lorsqu’il s’arrêtait quelque part pour dessiner, elle restait avec lui, comme si elle veillait sur ce petit humain solitaire. Rohann ne pouvait que lui en être reconnaissant, parce que la chatte représentait pour lui la seule amie qu’il ait jamais eu durant ces dernières années. Leur drôle de petit manège dura trois mois - trois longs mois pendant lesquels l’adolescent et le Pokémon semblaient inséparables, comme s’ils se connaissaient depuis toujours.
Et puis, comme d’habitude, à chaque fois que Rohann semblait apercevoir un rayon de bonheur et d’espoir, ses parents annoncèrent un énième déménagement. Ils repartaient pour Johto d’ici la fin du mois, où une nouvelle opportunité attendait son père. C’est la mort dans l’âme que l’adolescent reprit le chemin de l’école, le lendemain de la nouvelle. Lorsque la Flamiaou vint ronronner à ses pieds, se frottant contre ses jambes, Rohann fondit en larmes. La voix chevrotante, il expliqua la situation à la créature qui semblait l’écouter d’une oreille attentive. Elle sembla comprendre la gravité de la situation et surtout le désespoir de Rohann car dès lors, elle refusa de le quitter. Elle l’accompagnait en classe et se faufilait pas la fenêtre de sa chambre, se blottissant contre lui alors qu’il était profondément endormi. C’est en venant réveiller Rohann un matin que Sharon découvrit la minette roupillant auprès de son fils, complices même dans leur sommeil. Elle en parla à son mari qui, évidemment, accepta sans hésitation d’accueillir la petite chatte sauvage dans la famille… à la plus grande joie de Rohann, qui n’aurait jamais supporté faire ses adieux à sa nouvelle meilleure amie.
C’est donc l’esprit un peu plus léger que la famille s’envola pour Johto. Si la Flamiaou, renommée Cynder par son jeune propriétaire, s’entendait à merveille avec ce dernier, elle gardait des habitudes de chat sauvage rendait la cohabitation compliquée avec le reste de la famille. Elle crachait sur la jeune Charlie dès que la petite fille s’approchait trop près et prenait un malin plaisir à grimper aux rideaux, trouant le tissu fin à plusieurs reprises. Il lui arrivait également de voler la nourriture sur la table ou de fouiller les poubelles. Bien heureusement, Rohann parvint à lui faire comprendre que son comportement n’était pas acceptable et Cynder cessa ses méfaits du jour au lendemain, au plus grand bonheur de Sharon. Si elle n’était pas un Pokémon exemplaire, Cynder était importante pour Rohann, et c’était tout ce qui comptait.

C’est lors du Noël précédent ses quatorze ans que Rohann eut sa toute première véritable discussion concernant son homosexualité. Il discutait avec ses cousins dans le grenier aménagé en salle de jeu quand Gaston a commencé à parler de sa petite copine, se moquant gentiment de son grand-frère qui, lui, était un éternel célibataire. Et ce fut sans gêne aucune que Leo avoua préférer les garçons et qu’il avait d’ailleurs des vues sur l’un de ses camarades de classe. Cette discussion eut l’effet qu’un déclic dans la tête de Rohann. Lui non plus n’avait jamais été attiré par les filles et s’était surprit, plus d’une fois, à admirer quelques garçons en se demandant si, eux aussi, pouvaient le trouver beau. Il fut cependant incapable d’en parler à Gaston, constatant que ce dernier ne prenait absolument pas les préférences de son frère au sérieux. Alors il attendit le moment opportun pour prendre Leo à part et en discuter avec lui. Son aîné de deux ans accueilli la nouvelle avec beaucoup de compréhension et les deux cousins en parlèrent des heures durant. Rohann n'eut aucun mal à partager ses peurs et ses doutes à son cousin, qui prit le temps de le rassurer, de le consoler. Rohann ne devait pas se considérer comme un déviant ou comme un monstre … parce qu'il ressentait était tout à fait naturel. La vie était faite ainsi : certains naissaient en aimant les hommes, d'autres les femmes … voire même les deux, ou aucun des deux. Si Rohann avait conscience de ces choses-là grâce à diverses interventions sur le sujet à l'école, jamais il n'avait parlé de sa propre situation et, de toute évidence, se confier à Leo lui fit un bien fou, parce qu'il se sentait désormais parfaitement en accord avec ses sentiments et ses préférences, rassurer de ce savoir « normal ». Avant que Rohann et sa famille ne repartent, Leo offrit cependant un drôle d’ouvrage à son cousin … un manga traitant d’homoromance, censé l’aider à comprendre sa sexualité et la façon dont les choses se passaient entre deux hommes. Si l'adolescent se montra dubitatif, il remercia tout de même son cousin, se demandant bien quel Bombydou avait pu le piquer ...
Et pourtant, ce fut une véritable révélation pour Rohann qui découvrait pour la première fois les dessous d’une relation homosexuelle. Le premier manga terminé, il usa de son argent de poche pour s’en procurer d’autres. A son âge, il commençait à ressentir de nouvelles envies qu’il était néanmoins incapable d’assouvir. Et surtout, il manquait cruellement de documentation concernant son orientation sexuelle. Ces mangas furent donc de véritables sauveurs à ses yeux. Il ignorait tout entendu qu'il ne renseignait de la pire des façons, mais il n'avait pas le courage de chercher sur internet, de peur de tomber sur des sites étranges et des vidéos dégoûtantes. Bien évidemment, il ne fut pas capable de cacher ses mangas plus longtemps aux yeux de ses parents et, pour la première fois, ils eurent une longue discussion sur le sujet. Pas seulement concernant l’homosexualité, mais sur l’amour et le sexe en règle générale. Cela fit un bien fou à Rohann qui remercia chaleureusement ses parents pour leur compréhension, n’hésitant même plus à leur demander de l’argent supplémentaire pour se procurer davantage de manga - et ses parents acceptaient, préférant savoir leur fils en phase avec ses préférences plutôt que mal à l’aise. S'ils avaient cependant prit le temps d'étudier davantage le contenu, peut-être en auraient-ils décidé autrement … !

QUI ES-TU DERRIÈRE TON ÉCRAN ?-

Un joli sobriquet ? Ici, on m'appelle Syrius, Sysy pour les intimes

Combien de printemps ? 25 ... orf, ça fait seulement 4 jours mais ça pique

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