Depuis que tes parents ont pris leur retraite, te forçant à les suivre dans ces terres glacées en cours de développement, tu as croulé sous le poids des changements, ceux qui se sont immiscés dans ta vie sans que tu n’aies rien demandé et ont bouleversé les petits détails de ton quotidien. Même ceux auxquels tu tenais le plus. Tu as dû t’habituer à un froid tel que ta garde-robe ne suffit toujours pas à t’en protéger – mais ça, ce n’est rien à tes yeux. Rien, comparé au fait que le Haydaïm de ton enfance ne fleurit même plus quand vient le printemps : depuis combien te temps ne l’as-tu pas vu dans sa plus belle parure ? Alors, tu rêves de cette autre Salva, celle que tu n’as pas encore eu le temps de découvrir et qui te promets soleil et tropique, des paysages totalement distincts de ceux que tu peux contempler depuis ta chambre, à Belagora. Même si tu t’es fait une amie, même si la vie semble plus souriante que tu ne l’aurais cru en rejoignant un pays du Tiers-Monde, le climat te pèse un peu sur la peau.

Pourtant, c’est encore dans le Septrion que l’on t’emmène cette fois, tes parents étant vraisemblablement tombés amoureux des paysages glacés de la région – les randonnées qui se sont substituées aux dîners d’affaires, et à un emploi du temps très chargé s’étant substitué à ce qui s’apparentait plus à du repos et du tourisme. Ils sont à la retraite, après tout – et encore assez jeunes pour en profiter, de surcroît. Il n’y a que toi qui a ces obligations qui te pèsent, celles de cette éducation par laquelle tu côtoies Alina, mais cette éducation, aussi qui te terrorises. Parce que, quand on te laisse le temps de réfléchir, quand ton Marisson ne guide pas tes pas, ton esprit pense à tout ce qu’il ne peut pas dire – ce qu’il pouvait déjà à peine admettre avant, à Kalos. Ne pas être allée au collège, tu as toujours voulu transformer cela en opportunité, pouvoir l’assumer, mais tu es loin d’en avoir le courage – pas à Salva. Et les quelques jours que tu rates encore, ils te pèsent toujours lourd sur la poitrine – à cause des questions que tu as su éviter jusqu’à présent.

Alors, même si tu n’es pas heureuse d’aller encore une fois braver le froid et la neige en compagnie de ceux qui t’ont élevée, qui choisissent encore trop de choses pour toi à ton goût, tu es heureuse qu’ils se déplacent autant, qu’ils te fournissent des excuses – celle de riches excentriques qui emmènent de temps à autre leur fille, l’obligeant à rater des cours. C’est bien mieux que l’alternative – et une preuve, si tu en doutais encore, qu’ils t’aiment et pensent à toi. Qu’ils ne se sont pas enfermés ici pour esquiver ta présence, pour séparer l’industrie de ton père de cette Capucine qui n’allait pas, mais que - peut-être – ils cherchent aussi à te donner une opportunité, à te soutenir à ta façon. Ils sont tellement peu explicites avec toi, finalement, que tu ne sais jamais – sans doute attendent-ils que tu te décides à faire le premier pas.

Mais tes pensées retournent bien vite au moment présent lorsqu’un vent glacé te fait frissonner – le confort n’est pas au rendez-vous, lorsque l’on prend un Corvaillus pour un moyen de transport. Ça n’est en rien ce que dont tu avais profité jusque-là, un signe de ce qu’est cette région dans laquelle tu te trouves, d’un détail auquel tu n’avais jamais pensé avant de la découvrir : elle est au contact des Pokémons. Comme toi. Tu n’es pas avec ton Pokémon, mais tu aimes sentir la proximité de celui-ci, ses battements d’ailes – au point où, l’espace de quelques instants, le métier de taxi pourrait t’attirer. Mais tu ne te destines pas à celui-ci, et tu le sais – tu n’es comme cela que parce tu aimes ces Pokémons, cette proximité. Et donc, cette nature sauvage, cette population que tu pensais être en retard, en manque d’outils, tu la découvres peu à peu comme celle d’une image à laquelle tu serais fière d’appartenir – celle d’un lien fort avec les Pokémons.

Quand les Corvaillus touchent terre, c’est pour vous laisser au milieu de nulle part – dans l’un de ces paysages trop enneigés à ton goût, que tu es pressée de quitter, mais qui commencent à te réchauffer un peu le cœur, à te toucher, comme toute cette région. Ils te laissent, toi et tes parents, après quelques échanges entre avec ces derniers – toi, tu te tais. Ils viendront vous rechercher plus tard, alors tu songes à tenter ta chance à ce moment-là, ce moment où tu pourras gaffer sans jamais les revoir par la suite, où tu te sentiras plus en confiance. Tu sens bien que ta mère te jette un petit regard, mais tu n’en as cure – tu es ce que tu es, elle est ce qu’elle est, et ni l’une ni l’autre ne savent lire les esprits, donc tu ne vas pas t’avancer, pas lui prêter des intentions négatives. C’est encore l’anxiété qui te parle qui te fait douter, douter de ta propre famille, alors là même que ton père t’a récemment offert un œuf pour te récompenser de tes efforts – cette anxiété qui, en ce moment précis, t’emplis de honte.

Sans dire un mot, tu cliques une Pokéball, faisant sortir le Marisson qui t’accompagne partout, et qui s’empresse de te sauter dessus, de fêter le fait d’être à nouveau à l’air livre. Et qui t’arrache un rire lorsqu’il se met à grelotter un peu – le pauvre ne s’étant pas non plus habitué à ces températures. La scène arrache un sourire à ton père, qui intime à Soleil de venir le voir, conduisant celui-ci à rouler et se réchauffer alors que ton paternel l’esquive dès qu’il s’’approche d’un peu trop près. La scène te fait te sentir mieux – c’est souvent comme ça, les émotions qui vont et viennent avec toi, mais ton père qui sait y faire. Tu es infiniment heureuse qu’il soit là – lui. De ne pas être née à Salva, de ne pas avoir eu la famille de ton amie. Mais tu ne le lui diras jamais, tu n’oses toujours pas – à cause de ces années qui vous séparent, de cet air qu’il a toujours eu quand tu étais petite, un être inaccessible, qui faisait attention à sa présentation, toujours accompagné, toujours avec ce monde qui t’empêchait de trop montrer ton affection, et qui te laisse aujourd’hui dans un entre-deux, même seuls.

Tu fais ton possible pour discuter un peu, de tout, de rien. Tu as appris à le faire, à te mettre en confiance – tu voudrais même croire avoir toujours su le faire. Tu regrettes qu’Alina ne soit pas là, pour partager la randonnée à tes côtés, alors tu le mentionnes, parce que tu en es fière quand même. Ton amie, celle pour laquelle ta voix s’emballe un peu et, même si tu évites de dire n’importe quoi, tu es toujours confortée quand tu en parles – le sujet passe bien, il montre que tu progresses, que tu sais te reprendre, que tu n’es pas condamnée à rester au fond du trou, mais que tu peux te sortir de la solitude. Et, comme à l’accoutumée, tu t’empresses de leur dire que tu es quand même contente d’être là, avec eux, avant de regarder ailleurs et d’espérer que la conversation change.

Et elle change, encore et encore, au fil des pas.

Tes pas sont assurés – il faut dire que tu as pour toi la fougue de la jeunesse, cette énergie que tu partages avec ton Marisson et qui vous conduit à surmonter les obstacles, à ne pas faire attention aux portions les plus rocailleuses du chemin, alors même que tes parents et leur Haydaim ont plus de difficultés. Tu avances plus qu’eux, alors tu tues le temps en bougeant un peu plus encore, en faisant en sorte de continuer de te dépenser – pour repousser le froid, celui qui te serre la peau, et arrache à tes lèvres des filons de buée. Tu pourrais bien prendre quelques instants pour te réchauffer en câlinant un peu le Pokémon Saison et sa crinière blanche, mais tu n’en ressens pas le besoin. Soleil est pareil, même s’il s’était empressé de sauter sur celui-ci lorsqu’il est sorti de sa Pokéball – il s’est émancipé et a pris en assurance, même si on voit toujours que le froid n’est pas son ami, comme pour nombre de Pokémon Plante. Ou, en tout cas, un originaire de Kalos.

Le rythme lent auquel vous avancez te rend plus excitée qu’autre chose, t’encourage à bouger, et en vient même à te frustrer lorsque tu veux observer quelque chose, mais que tu dois attendre que l’on te rattrape – tu ne souhaites pas trop t’éloigner. Tu sais que tes parents s’en voudraient s’il t’arrivait quelque chose, et même si cela reste peu probable… - tu t’en voudrais s’il leur arrivait quoi que ce soit aussi. La randonnée a su te sortir de ta torpeur initiale, en descendant du Corvaillus, et le petit comité t’aide à gagner en entrain, alors tu commentes de plus en plus ce qui vous entoure, toutes ces petites merveilles que la route réserve à ceux qui savent prendre le temps de les voir, prendre le temps de la suivre. Ce ne vaut pas l’image que tu te fais du reste de Salva – des parties de la région qui ne donnent pas l’impression d’être recouvertes d’un linceul blanc – mais c’est quelque chose que tu es heureuse de découvrir, d’autant plus lorsque ton petit compagnon montre un intérêt à l’exploration des crevasses rocheuses à coup de Fouet Lianes.

Lorsque vous vous arrêtez finalement pour prendre un petit repos, près d’un bosquet de cèdres entouré d’une épaisse pellicule blanche que vous auriez été bien incapables de traverser avec aise sans être aidés par des raquettes mais qui, fort heureusement, ne couvrait ni le chemin, ni le coin où vous abritez tranquillement, une discussion que tes parents ont entamés un peu plus tôt et dont tu as déjà décroché devient un peu trop fort pour toi – donc tu décroches, tu reportes ton attention sur les alentours, et tu t’aperçois bien vite que la Grêle qui vient te déranger n’est en rien naturel, mais te rappelle ton Marisson lorsqu’il t’apporte quelques rayons de soleil. Te relevant brusquement pour déterminer la source de ce changement, tu t’aperçois que ton Marisson est devenu la cible d’un Stalgamin qui a décidé de s’en prendre à vous malgré le Haydaim qui vous accompagne.

Alors, tu réagis plus vite que tu ne l’aurais pensé, ne prenant pas le temps de réfléchir avant d’intimer à ton Pokémon de combattre, ne pensant plus vraiment ni au Pokémon Saison, ni à tes parents qui vous accompagnent, et se retrouvent vite à t’observer sans dire mot, à regarder comment tu te débrouilles face à cette menace somme toute mineure. Mais, surtout, face à un évènement constructif, un qu’ils savent important dans la vie de la plupart des dresseurs, mêmes ceux n’en faisant pas un métier, même ceux ne se destinant pas aux batailles entre titans – un premier combat.

« - Débarrasse-toi de la Grêle avec Zenith, à pleine puissance ! Et éblouit-le, tant que tu y es. »

Le soleil de plomb qui s’installe à la suite de ton ordre, et qui te réchauffe brusquement, faisant l’effet d’un vrai coup de fouet – un auquel tu es habitué, mais dans des proportions plus douce – aura vite fait de déstabiliser le Stalgamin, que son attaque ait touché le Pokémon Bogue ou non. Tu n’as après tout pas entrevu la moindre trace de glace, juste une charge dont tu ne connais pas le sens – mais tu crois en la défense de ton Marisson, le soleil te prouvant bien que tu peux avoir confiance en lui pour agir, avoir confiance en lui pour répliquer, une fois au moins. Sans perdre de temps, tu passes à l’offensive, avant de réévaluer la menace qui s’est présentée.

« - Roulade. »

Un simple mot. Sans fioritures, sans ces fantaisies que tu affectionnes tant, ces belles paroles que tu ajoutes lorsque tu aides Alina et son Goupix à se préparer à un concours – ou plutôt à tenter de comprendre comment coordonner une mise en scène couplant acteur et Pokémon, mise en scène dont tu es parfois toi-même actrice. Cette simplicité, elle te conduit à être sereine, à mettre de côté l’espace d’un instant tout le trac que tu subirais si l’adrénaline venait à chuter, et que tu prenais conscience de ce qu’il se passait. Elle te conduit aussi à intimer au Haydaim l’ordre de ne pas bouger lorsque tu te rends enfin compte qu’ils sont tous là à tes côtés – à partager ce moment avec toi. Mais tu n’as pas le temps de t’en soucier, parce que les choses s’enchaîneront sans toi si tu te laisses distraire. Tu veux voir l’issue du combat – voir si tu peux compter sur toi-même, si tu es un poids.

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