Cinquième clope de la matinée. De quoi apaiser ses nerfs tendus à bloc.
Alexei recracha la fumée blanche en un long et profond soupir, créant un petit nuage vaporeux qui se fondit peu à peu dans le ciel immaculé de cette matinée glaciale. Sa gorge lui brûlait, mais avec ce froid, c'était un réconfort incontestable. Un frisson parcourut son échine, l'amenant à plisser doucement les yeux. Les températures du Septrion, le blond les avait dans la peau. C'était bien rare qu'elles lui donnent la chair de poule : décidément, ce n'était pas une bonne journée.
Il fit volte face, se tournant vers son camp, qu'il avait dressé la veille à une heure tardive. Son Riolu, la fourrure ébouriffée pour lutter contre le froid, était encore en train de se réchauffer au coin du feu, quasiment éteint. Quelques braises, fumantes, brillaient au beau milieu des branches calcinées. De temps à autres, la créature, tremblante, soufflait doucement dessus pour essayer de refaire partir le brasier, en vain.
Un sourire en coin fleurit sur le visage d'albâtre du garçon : décidément, ce Pokémon ne valait pas un kopeck !

Quel idiot tu fais. Avec la flotte qu'on s'est pris cette nuit, t'es pas prêt de le revoir démarrer, ton feu.

Avec un malin plaisir, il donna un coup de pied insolent dans le nid des flammes, éteignant la dernière source de chaleur avec un petit rire sec. Lyov le dévisagea avec un profond mépris au fond des yeux, mais n'osa protester, de peur que la situation ne s'envenime. Son dresseur était de très mauvaise humeur depuis qu'il s'était levé. À vrai dire, ils n'avaient pas connu un temps favorable la veille : la pluie, terrible ennemie en ces longs voyages, s'était abattue sur eux dans la soirée et les avait trempé jusqu'aux os. Dans un élan de bonté, Alexei avait rappelé son Riolu dans sa pokéball, pour lui épargner le rhume qu'il avait lui-même attrapé et dont il se délectait dès à présent.
Seul, sous les trombes d'eau que déversait la montagne, il avait monté la tente, et seul, nu dans les couvertures sèches pour avoir bien chaud, il s'était endormi, le visage fermé.
La vie en solitaire, elle ne lui faisait pas peur. C'était presque grisant. Il avait toujours rêvé de cette liberté, de cette absence du regard assassin d'autrui. Mais dans ces moments difficiles où on se demandait dans quel état on serait le lendemain, les doutes revenaient à la charge et le torturaient inlassablement.
Était-il fait pour cette vie nomade ? Pour ce métier exigent ? Avait-il seulement un avenir là-dedans…? Les questions, elles venaient aussi vite qu'elle repartaient, sans réponse. Une mauvaise manie qu'il avait ; toujours se triturer l'esprit, toujours se dévaloriser. Se retrouver face à lui-même, jour et nuit, sans personne d'autre pour le distraire le traînait en réalité au devant de ses démons. Ses craintes les plus sourdes et dangereuses revenaient peu à peu à la surface. Idiot, mais pourtant réel. Et il ne pouvait rien y faire.
En épluchant les pommes de terre qu'il avait prises dans son sac, l'envie de se servir de la lame pour tracer quelques stries supplémentaires dans sa peau blanche et balafrée avait parcouru quelques instants son esprit. Un appel à la haine, mais aussi à l'abandon de soi. Tous ceux qui en étaient passé par là pouvait en attester : se faire du mal, c'était comme une drogue. On s'en sortait, tant bien que mal, mais l'envie était toujours là, rampante, tapie dans l'ombre. Elle resurgissait de temps à autre, harpie des moments solitaires… Et elle hurlait, susurrait à son oreille, longtemps, longtemps…

Et hop. Une autre cigarette.
D'une addiction à l'autre. À la limite, fumer était plus sain.

Alexei lâcha un long soupir, rappelant Riolu dans sa pokéball sans plus de discours et sans même le consulter auparavant. Son comportement était cruel ; il en avait conscience. Mais il n'avait pas du tout envie de se corriger. Pourtant, on lui en avait fait, des réflexions. Comme quoi il était un tortionnaire, un horrible garçon… Quoi ? C'était son Pokémon, non ? Qui donc outre lui-même pouvait décider de la façon de l'élever ? Personne.
Lyov était à lui, seulement à lui. Et il le connaissait mieux que quiconque. Il savait que s'il offrait la moindre possibilité à la petite créature, cette dernière lui boufferait le bras sans plus de remord. C'était une véritable sangsue, et il n'avait pas envie de se laisser faire. Surtout pas par lui.
Grommelant contre la toux qui s'intensifiait à chaque nouvelle cigarette, née du rhume qui s'était développé dans la nuit, il replia sa tente d'une main experte, maintenant parfaitement habitué.
Alexei avait toujours été très manuel ; cela faisait partie de ses grandes qualités, et il l'avait sans doute hérité de son père. S'il n'avait pas la force de ce dernier, il savait au moins se débrouiller convenablement. Couper du bois, faire à manger, dresser un camp… Autant de choses utiles à son voyage, qui lui simplifiaient grandement la vie.
Rangeait tout méticuleusement, manifestant là sa tendance à la maniaquerie, il prépara son sac à la hâte, observant le ciel de temps à autre et tirant doucement sur la cigarette pour l'économiser.
De plus en plus blanc, cette étendue qui s'étendait jusqu'à l'horizon ne lui disait rien de bon. Il connaissait ces ciels immaculés : impressionnants mais annonciateurs de terribles tempêtes de neige.
Lyov et lui devaient reprendre la route, et vite.

Il laissa échapper un petit couinement lorsqu'il remit son sac sur ses épaules endolories à force de jours de marche, mais ne plia pas, demeurant bien droit et solide.
Il reprit alors le chemin qu'il avait emprunté la veille, allant de l'avant, le regard franc et décidé.
S'ils ne sortaient pas des montagnes aujourd'hui, il leur faudrait néanmoins bien avancer pour rejoindre les plaines cristal dès le lendemain : c'était important, les vivres commençant à manquer malgré le stock qu'il avait refait à Edelsten.
Chaque fois que Lyov et lui avaient croisé un Pokémon sauvage, le Riolu avait dû le combattre. Et cet effort, dans les montagnes, à deux-mille mètres d'altitude, ça creusait considérablement. Aussi avait-il nourri le loup bleu à sa faim, ne lui refusant pas un seul bout de viande : il pouvait être dur, méchant, mais il n'avait rien d'un véritable tortionnaire.

D'ailleurs, il ne tarda pas à permettre à nouveau à son petit compagnon de marcher à ses côtés et d'explorer les alentours. D'un naturel curieux, Lyov aimait gambader au devant de son dresseur, allant sentir les fleurs et s'amuser avec les pierres du sentier. Alexei, quant à lui, aimait le voir gambader de la sorte. Quelque part, cela lui donnait du baume au cœur, cette motivation nécessaire pour avancer.
Aller de l'avant, toujours aller de l'avant… Et éviter de regarder en arrière. C'était ce qu'il se répétait le plus souvent. Cet adage, il ne le suivait pas à la lettre, mas c'était un exemple qu'il tenait à toujours garder toujours en tête.

Lorsqu'il eut fini sa sixième cigarette, qu'il jeta par terre et écrasa sous son talon, il éternua à nouveau, commençant à doucement trembler. La température dégringolait ; il le sentait. Et le blanc du ciel devenait de plus en plus menaçant.
Il souffla, frottant ses yeux embués de larmes, craignant le froid, et rappela Lyov pour qu'il revienne auprès de lui.

T'éloignes pas trop. Ça va pas tarder à nous tomber dessus.

À peine eut-il achevé sa mise en garde qu'il sentit une goutte de pluie glaciale s'écraser sur son front. Il fronça le nez, vivement irrité. Un grommellement sourd fit vibrer sa gorge, tandis que d'autres petites gouttes d'eau tombèrent dans ses cheveux, sur la tête de Lyov qui couina à plusieurs reprises.
Ce fut bientôt une averse qui se déferla sur eux, violente, intraitable.
Par réflexe, le Riolu vint se coller à la jambe de son dresseur, qui tenta vainement de se débarrasser de lui en la secouant dans tous les sens.

Hé ! Tu sais que tu vas pas fondre ? Tu serais de type feu, encore, je comprendrais ! Lâche-moi !

Demeurant scotché à lui, le Pokémon fuit son regard courroucé, faisant comme s'il n'avait rien entendu.
Effectuant quelques pas avec la créature fermement accroché à son mollet, Alexei pesta fort, sa voix devenant un écho dans la montagne. Il finit par mettre sa grosse capuche fourrée de laine de moumouton, avant de s'arrêter de nouveau.

Fais gaffe : tu vas directement retourner dans ta pokéball si tu ne m'obéis pas !

Protestant par un petit gémissement, Lyov s'exécuta, les oreilles basses, marchant en silence à ses côtés.
Son poil bleu clair devint bien vite sale et dégoulinant, à tel point que son dresseur finit par être pris de pitié. Il s'accroupit sous la pluie et, dans un effort surhumain qui ne lui ressemblait absolument pas, il lui tendit les bras, lui proposant de le porter. Le grognement qu'il eut pour toute réponse finit de le mettre parfaitement de mauvaise humeur. Il lui jeta un regard noir, méprisant, et reprit sa route, décidant de tout simplement ignorer les plaintes de son Pokémon à l'avenir.

Ils marchèrent comme cela pendant de longues interminables minutes, la pluie se muant peu à peu en gros flocons de neiges qui rendirent leur champ de vision tout à fait trouble. Il ne voyait plus à dix mètres devant eux ; le monde entier se couvrait d'un linceul blanc. Un vent glacial se leva, comme pour parfaire le tout, cerise de la montagne de cette terrible matinée.
Décidant de prendre sur lui, Alexei bâilla fort, s'efforçant d'avancer, encore et encore, s'épuisant petit à petit, ses mains devenant de lourds glaçons maladroits.
Il s'apprêta à chercher un abri contre la paroi rocheuse qu'il longeait depuis plus d'une demie-heure, lorsque une voix et des piaillements de Pokémon attirèrent son attention.

Ils n'étaient pas bien forts, mais le blond ne rêvait pas : Lyon avait aussi dressé les oreilles, émettant un petit roucoulement de surprise.
Alors comme ça, ils n'étaient pas les seuls à profiter des joies de la grande et belle nature sauvage…? Gé-nial. Manquait plus que ça.
À mesure qu'ils s'enfonçaient dans la tempête de neige, la voix se précisait. Rauque, étouffée par une multitude de grognements irrités, puis plus douce et féminine. Que faisait une femme tout seule dans la montagne ?
Une inconsciente de l'Austrée, sans aucun doute. Dans ce sud de malheur, elle se sentaient toutes pousser des ailes !
Un soupir agacé franchit les lèvres livides du garçon, qui pressa un peu le pas pour rejoindre la source de tout ce vacarme.
Ne voyant plus à quelques pieds à peine devant lui, il ne parvint qu'à discerner une ombre grise dans l'écran blanc qui s'étendait devant ses yeux. S'éclaircissant la gorge, il leva un peu la voix, cette dernière se cassant comme à son habitude, douce mélodie froide mais terriblement charmante :

Hé ! Y'a quelqu'un ?

Bien sûr, qu'il y avait quelqu'un. Les bruits s'étaient soudainement tus !
Grognant fort, Alexei s'enfonça dans la neige, discernant petit à petit… Une tente. Encore fièrement dressée, couverte de blanc. Et à côté d'elle, se débattant, toute grelottante, une fille. Ses longs cheveux noirs tranchaient fort avec le paysage.
Le blond haussa les sourcils, découvrant deux pokémons, un petit et un plus grand, qui s'affairaient autour d'elle, peu à peu gagnés par la panique.

Non mais c'est quoi ce truc, encore…?

grommela Alexei, dévisageant l'inconnue qui l'observait elle aussi de ses grands yeux violine.

Il soupira, vraiment agacé, et sans un mot de plus, s'agenouilla à ses côtés dans la neige, grimaçant à son contact glacé contre sa peau, transperçant l'épais tissu de son pantalon. La poussant sans plus de ménagement, il examina la tente d'un œil critique. Encore une étrangère qui se prenait pour une aventurière et ne savait même pas replier son campement ! La bonne blague.
Mais où allait-on dans cette société décadente ?

Toujours mutique, il s'affaira rapidement, les mains tremblantes et pataudes, œuvrant au rangement de cette immense toile désormais complètement trempé.

Vous en avez pas marre, vous toutes…? grogna-t-il finalement, sans grand complexe. Vous affirmez que vous êtes aussi capables que nous, mais vous ne savez même pas replier une tente ! Comment ça allait finir, hein ? Vous alliez l'abandonner ?

La toisant d'un regard mauvais, de la tête aux pieds, il eut un petit rire moqueur.

Tu parles d'une voyageuse. Mais vu tes fringues, après tout, la perdre ne t'aurait pas vraiment dérangée. T'en aurais sans doute achetée une autre.

@feat Astrid Une super ouverture pour un super rp, je n'en doute pas ~

À Venyys, les femmes étaient souvent considérées comme plus faibles et moins intelligentes que les Hommes. Elles pleurnichaient pour un rien, et surtout, elles n’avaient pour la plupart pas assez de force pour travailler à la mine. Alors, les pères apprenaient à leur fils qu’il ne fallait certainement les voir comme leurs égales : le sexe masculin était toujours supérieur, que ce soit par sa puissance ou sa virilité ; car, en effet, la virilité, chacun la brandissait fièrement. C’était la marque de son appartenance au genre supérieur, à celui qui dominait et dominerait toujours le monde.
Alexei n’avait pas échappé à ces idées reçues – comme à bien d’autres, d’ailleurs –. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir été entouré par la gente féminine : en soit, ils n’étaient que deux hommes dans la famille. Du reste, le jeune homme avait trois sœurs, deux grandes et une petite, sa chère Alina. Avec sa mère défunte à ses dix ans, elles étaient quatre ; presque une honte dans ce monde d’hommes fiers et valeureux.
Car Grisha Kireïev en avait longtemps voulu à sa femme de ne lui avoir donné que des filles. Lorsque Alex était venu au monde, le père de famille avait été le plus heureux du monde ; d’ailleurs, nourrisson, il avait choyé son fils et lui avait prédit un grand avenir. Alexei, le petit Alexei prendrait le chemin de son père : beau et costaud, il se marierait avec une belle femme – celle de son choix s’il le méritait – et aurait de beaux héritiers. Il seconderait son vieux père à la mine puis il reprendrait l’affaire familiale. À cette époque, tout était réglé : absolument tout.
Ce refrain, le blond l’avait entendu un bon nombre de fois. Néanmoins, lorsque sa petite sœur était née, il n’avait pas été étonné du peu de considération que lui accordait leur père : elle n’était bonne qu’à marier, alors on espérait qu’elle ait un comportement décent et qu’elle soit un minimum agréable à regarder.
Il avait toujours été élevé dans cette optique : il ne fallait pas lui en vouloir.
Au fond, être né garçon n’était pas plus simple. Ils avaient aussi leur part de responsabilité, de boulets à traîner derrière eux toute leur vie. 
Bien sûr, Alexei aurait pu changer sa façon de voir les choses en grandissant… Mais à vrai dire, bien d’autres choses l’avaient inquiété : la cause féminine lui était passée inaperçue sans qu’il ne le veuille vraiment. La découverte traumatisante de son homosexualité avait occupé son esprit de longues années et avait éclipsé tout le reste. D’ailleurs, sans doute sa quête de cet idéal masculin qu’on lui demandait d’être depuis tant d’années l’avait encouragé à se comporter comme un parfait goujat avec les demoiselles. Aimer les hommes, ça n’avait rien de très viril, dans le nord. Tout juste pouvait-on déclarer avoir un vermicelle entre les jambes.
Une situation difficile pour un adolescent à qui on avait prédit tout un avenir auquel il ne s’identifiait plus.
Alors, pour se donner une contenance, pour tenter d’être ce qu’il ne serait jamais, Alexei avait adopté un comportement parfois misogyne ; une façon parmi tant d’autres de s’affirmer comme étant le sexe fort, de se persuader qu’il n’était pas qu'une pauvre tarlouze dont se moquaient les hommes des bars, autour d’une bonne chope de bière.

Au fond, cette gamine, il s’en foutait. Il aurait pu tout aussi bien l’aider à replier sa tente sans commentaire. Mais l’occasion était toujours bonne pour écraser et dominer. Une habitude devenue manie, source d’oxygène pour ce garçon qui avait parfois l’impression de suffoquer.
Alors, après l’avoir toisée de longues secondes de ce regard profondément méprisant, il s’était plus simplement intéressé à la tente ; un nouveau modèle sans doute, dont il ne connaissait pas encore tous les secrets. Celle qu’il possédait était de bien moins bonne qualité, et voir un si bel objet devant lui le rendait jaloux. Ah ! Parce qu’il y avait ça, aussi. Apparemment, l’inconnue n’était pas une simple paysanne d’Edelsten. Ses vêtements, son attitude, et même ses pokémon disaient tout le contraire. Et puis ce n’était pas n’importe qui qui pouvait se payer une tente pareille : aussi grande, aussi spacieuse et résistante aux intempéries extérieures. Autant dire que cette voyageuse avait tout pour lui déplaire : ayant toute sa vie vécue dans la misère, Alexei avait beaucoup de mal à apprécier des personnes qui n’avaient connu qu’abondance et richesse. À l’entendre, c’était une question de principe : ils ne venaient pas du même monde et ils ne pourraient jamais se comprendre. Tout ce qu’il avait pu vivre étant enfant, le blond ne le souhaitait à personne : la pauvreté était une chose terrible ; l’isolement plus encore.
Ceci expliquait donc cela : voir une jeune femme de bonne famille ne pas savoir replier sa tente, c’était du pain béni pour lui : une ouverture à la revanche. L’accabler de reproches le soulageait énormément.

Il se tut pourtant lorsque le Pokémon de la demoiselle commença à franchement lui grogner dessus.
Alexei lui lança un regard noir, montrant bien qu’il ne se laisserait pas intimider par une carpette comme ce vilain matou. Il entendait sa fourrure doucement grésiller ; sans doute l’animal craignait-il pour sa maîtresse ? Oh, il n’avait pas à s’inquiéter : cela faisait bien longtemps que le garçon ne se savait plus de ce bord. Il observa tout de même de longs instants la créature ; la couleur de sa fourrure lui rappelait celle de Lyov, bleu clair, parfois électrique. Il n’en avait jamais vu de telle à Venyys et partout ailleurs où il avait pu mettre les pieds. Il ne pensa pourtant pas que ce Pokémon pouvait venir de l’étranger : ayant vécu toute sa vie dans sa ville perdue dans la tundra, Alexei ne savait que très peu de choses sur sa belle et grande région. Aussi pensa-t-il que la jeune femme avait dû capturer la bête dans le sud, au cœur de contrées qui n’attendait qu'à être découvertes.

Le jeune homme finit par venir à bout de la tente, récalcitrante, et passa une main dans ses cheveux et sur son visage pour en chasser la neige fondue. La tempête semblait s’être très légèrement calmée, mais le vent glacial fouettait toujours désagréablement sa figure. 
Alexei jeta un coup d’œil derrière lui, apercevant Lyov à quelques mètres, grelottant de froid, la fourrure gonflée pour se tenir chaud. Il soupira, brandissant sa pokéball pour rappeler sa créature. Le petit loup s’aperçut de la manœuvre et prit ses jambes à son cou, s’éloignant le plus loin possible pour ne plus être à la portée de son dresseur.
Alexei retint un grognement courroucé : ce Riolu le rendrait fou, un jour. Il secoua la tête, exprimant ainsi sa frustration, et se releva en époussetant son pantalon, complètement trempé.

La jeune femme, quant à elle, avait rassemblé toutes ses affaires, et si le garçon s’attendait à des remerciements, il fut bien déçu :

▬ Merci pour la tente. Bien sûr, jusqu'ici, tout avait bien commencé. Alexei en aurait presque souri… Mais la suite allait gâter ce début pourtant prometteur. Et oui, je ne sais peut-être pas ranger une tente, oui j’en aurai peut-être racheté une autre mais au moins je m’occupe bien de mes Pokémon, contrairement à quelqu’un d’autre.

Cela faisait deux fois en une semaine qu'Alex s'entendait dire une telle chose. Et ça faisait mal, terriblement mal.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il ne pouvait pas le nier. Lyov le détestait et lui, malgré son âge qui le menait peu à peu à une plus grande maturité, ne l'aimait pas beaucoup non plus.
Ce n'était pas pour autant qu'il maltraitait son pokémon : en réalité, le Riolu aimait se faire du mal tout seul : refuser l'abri de sa pokéball, les bras de son dresseur… S'exposer aux colères de la nature et lui désobéir délibérément dans l'optique de se faire fâcher.
Être plaint, inspirer la pitié… C'était le quotidien de la créature qui appréciait tout particulièrement rendre fou son maître et se faire câliner par d'autres sous son nez.
Alex, au fond, ne lui en voulait pas. Il savait qu'il n'avait pas assuré dès leur rencontre. Et puis, comme on lui avait un jour dit, il fallait d'abord se remettre en question soi-même avant de critiquer les autres… Et c'était ce qu'il faisait, quotidiennement. Bien sûr qu'il n'était pas fier de sa relation avec Lyov. Bien sûr qu'il s'inquiétait quant à son avenir de dresseur… Mais c'était plus fort que lui. Aimer cette petite boule de poil lui était tout simplement impossible.
Il avait d'ailleurs plusieurs fois pensé à s'en débarrasser. Le donner au premier venu que le pokémon apprécierait, l'échanger à un autre challenger… Bon. C'était une possibilité.
Mais depuis qu'il avait son œuf dans son sac, une nouvelle vague d'espoir était née en lui : peut-être qu'avec un second compagnon, tout irait mieux…?
Possible.

Alexei essaya de paraître détaché, imperturbable, mais son regard vacilla. Lui qui avait soutenu celui de la jeune femme sans grande difficulté baissa les yeux presque automatiquement, honteux.
Il ne chercha même pas Lyov dans le brouillard et la neige épaisse pour lui lancer un coup d'œil profondément méprisant.
Non. Il reprit juste son sac à dos, un peu abattu, le serrant dans ses bras comme pour réchauffer l'œuf qui devait avoir bien froid dans ces contrées difficiles.
Il aurait pu lui répondre d'une manière cinglante, comme il l'avait fait quelques jours plus tôt avec la chercheuse d'Edelsten, mais sur le coup, il n'en avait pas eu le courage.
Aussi observa-t-il d'un œil froid l'inconnue s'éloigner, ne pipant mot, plantant seulement ses ongles dans son bras droit pour réfréner sa colère.

▬ Sur ce, au revoir

▬ Hmm. Un grognement pour seule réponse, manifestation de son malaise.

Le feulement du gros Pokémon qui la suivit le fit frissonner de la tête aux pieds. Un frisson de rage, sans doute, et de vengeance non assouvie. Il détestait ce sentiment qui l'envahissait dans ces instants précis : celui d'avoir été vraiment ridiculisé en peu de mots.

Alexei se remit finalement sur la route, encore plus fatigué qu'auparavant, et tira une autre cigarette de sa poche pour faire passer sa mauvaise humeur. Luttant quelques longues secondes pour l'allumer, la première bouffée de fumée fut comme une délivrance. Il crapota un peu, puis lança des coups d'œil hagards autour de lui : où était passé ce maudit sac à puces ?

▬ Lyov ! Lyov, viens ici ! T'es parti où ?!

Un roucoulement ravi lui répondit. Le blond laissa échapper un long et profond soupir : voilà, qu'est-ce qu'il disait ? Ce Riolu aimait le ridiculiser. Il avait couru derrière la voyageuse et réclamait désormais des câlins, jouant de tous ses atouts charme auprès des deux autres compagnons de la donzelle.
Hésitant un instant, le cœur battant, Alexei avança d'un pas lent vers l'inconnue qui sans doute flattait le petit pokémon de quelques gestes tendres.

▬ Je… Hum… J'aimerais récupérer mon Pokémon, si cela ne vous dérange pas. Il nous reste encore de la route.Grommela-t-il, au comble du malaise.

Sans doute la jeune femme allait se délecter de ce moment de faiblesse et de désobéissance.
Une véritable honte pour un dresseur pokémon.

@feat Astrid Pardonne-moi pour le délai   j'espère que ça va te plaire    

Alexei laissa échapper un long et douloureux soupir, restant planté là, les bottes fermement ancrées dans la neige, fumant sa cigarette qui réchauffait son corps et surtout son petit cœur blessé.
Quelle humiliation d'être obligé d'appeler son Pokémon à ses pieds parce qu'il préférait aller se faire câliner par une autre. La jalousie, la haine qu'il ressentait à cet instant précis étaient cuisantes. Il serait sorti de ses gonds si fumer n'aidait pas à l'apaiser. Il aurait fait un esclandre, aurait crié à s'en faire peur.
Mais la brûlure que laissait la fumée du tabac derrière elle dans sa gorge l'encourageait à garder son calme, même si l'amertume était bien là, prête à se métamorphoser et à surgir à tout moment.
Les roucoulements de son Pokémon lui étaient insupportables, et pris par ses pensées négatives, il n'accorda aucune attention à la tempête qui se remettait à souffler fort, si fort qu'il avait dû mal à rester droit, solide sur ses points d'appuis. Le froid était mordant, ses joues rouges, irritées, et la neige tombait à flot. Mais rien ne pourrait le faire changer d'avis : il repartirait avec Lyov et atteindrait l'objectif qu'il s'était fixé : ils avaient déjà perdu assez de temps comme ça, tous les deux… Et il avait un œuf à surveiller.

Ce fut après avoir tiré une nouvelle fois sur sa cigarette qu'Alexei grogna en voyant son Riolu rebrousser chemin, se léchant les babines. Il avait bien vu la jeune femme lui donner une baie dans la paume de sa main ; le brouillard était opaque, mais il devinait toujours ce genre de petites attentions, même si elles demeuraient floues à ses yeux. Quel intérêt de gâter un Pokémon qui ne le méritait pas ? Lyov ne méritait qu'une éducation dure, assez dure pour qu'il change très vite de comportement. Car Alexei le savait : il ne pourrait supporter cette situation plus longtemps… Cette situation et le regard impérieux des autres dresseurs qui trouvaient toujours bon d'y aller de leur petite réflexion.

Ce fut donc sans scrupule que le garçon rappela son Pokémon dans sa pokéball, sans un mot, sans un regard. Il l'avait cherché, et c'était assez. Assez de se ridiculiser devant ces midinettes qui se croyaient reines des neiges et des Hommes.
Non : il ne valait pas moins qu'un autre ! Assez de penser ça de lui. Ça l'avait bouffé, tant d'années, tant de fois. Et ces blessures, ces plaies qu'il avait tracées dans sa peau au couteau… C'était de la faute de cette culpabilité, de cette terrible impression d'être le plus nul, le pire fils du monde. D'être un déchet, une ordure. Un raté.

Assez, assez, assez de tout ça ! Il était temps pour lui de se respecter : de montrer qui il était vraiment. Un homme solide, bien loin de cette petites bonnes femmes.

Aussi décida-t-il de mettre ainsi fin à cette rencontre des plus négatives, reprenant sa route d'un pas décidé.
Une bourrasque ébranla tout son corps et lui fit plisser les yeux ; il ralentit puis reprit sa marche… Jusqu'à ce qu'une gerbe de neige fouette violemment son visage. Il éternua à s'en écorcher les poumons.

▬ Je vous conseillerais de ne pas continuer sauf si vous voulez finir gelé.

Alexei s'arrêta et darda un regard noir sur la jeune femme. Car bien évidemment elle le pensait incapable de survivre comme un grand dans les montagnes ? Des temps comme celui-là, il en avait déjà connus, et plus d'un. Ce n'était qu'une formalité.
Pourtant, lorsque la tempête refit violemment des siennes, il se surprit à rebrousser chemin.

▬ …Et pour aller où…? Grommela-t-il finalement.

▬ Je connais un endroit où l'on pourrait s'abriter le temps que la tempête passe.

Un endroit à l'abri ? Oh. Alexei voyait tout à fait de quoi elle voulait parler. À l'aller, il était tombé sur une grotte où tombait continuellement une eau tiède et qui était relativement préservée des aléas extérieurs. Il était vrai que la cavité en question n'était pas très loin d'ici. Quelques minutes de marche et ils seraient au sec, avec une eau potable et la possibilité d'allumer un feu.
L'idée d'enfin pouvoir se reposer charma le Venyysien, mais il avisa la jeune femme d'un œil mauvais : était-il vraiment prêt à passer une partie de son temps avec elle ? Cette gamine était tout bonnement insupportable. Et sa condescendance lui donnait clairement des envies de meurtre.
Grognant, il la rejoignit tout de même, ignorant le feulement courroucé de son Luxio qui marchait encore à ses côtés.

▬ Vous parlez de la grotte…? Avec les bassins…? Je sais où elle est, moi aussi. Il renifla avec mépris. Ça me tue de dire ça, mais vous avez raison. On ferait mieux d'y aller : le temps ne s'arrange pas. Je vous suis.

Emboitant silencieusement le pas à la jeune femme, il détailla ses longs cheveux ébènes qui étaient malmenés par le vent. Il n'aimait pas les brunes. Ou du moins, s'il ne trouvait aucune femme à son goût, il leur préférait tout de même les blondes. Elles étaient bien souvent beaucoup moins présomptueuses et plus discrètes ; c'était une chose essentielle.
Aussi, tout grognon qu'il était, il trouva bon d'ajouter après un long moment de silence :

▬ Ne vous méprenez pas. Ce n'est pas pour vos beaux yeux que je vous suis, mais bel et bien pour ma propre survie. Vous ne m'intéressez absolument pas. Les gamines dans votre genre, riches, gâtées pourries… Il n'y a rien à en tirer.

@feat Astrid Encore une fois, pardon pour le temps de réponse ! J'étais dans la v2 et tout et tout   J'ajoute aussi que je t'aime bien, hein :') prends pas les insultes d'Alex personnellement. Il est chiant ce gosse mdr    

Grommelant dans sa barbe, Alexei chercha distraitement son paquet de tabac à rouler dans ses poches de pantalon. Il avait maintenant pris l'habitude de rouler des cigarettes le soir, avant de se coucher, pour s'épargner la galère d'en préparer une avant de fumer dans la journée. Il n'avait pas de temps à perdre dans son avancée ; le temps se dégradait de jour en jour, ici, dans les montagnes, et il tardait au Venyysien de redescendre. Perdre un peu d'altitude lui ferait beaucoup de bien. Le manque d'oxygène le fatiguait énormément. Patauger dans la neige, faire toujours attention à ne pas glisser dans un précipice était éreintant.
C'était dans ces moments qu'il se rendait compte de ce que signifiait partir en voyage. Cette vie, il allait l'avoir pendant des mois et aujourd'hui, il ne pouvait s'empêcher de douter.
Certes, Alexei avait toujours mené une vie difficile. Il s'était occupé de sa petite sœur lui-même à treize ans, savait cuisiner, tenir une maison seul… Mais… Serait-il capable de survivre à une si longue aventure ? Rien de moins sûr.
Néanmoins, il se voyait mal revenir chez lui maintenant, après seulement une semaine et demi de voyage. Dire à son père qu'il abandonnait. Le vieux Grisha rirait bien, et le blond passerait sans doute pour un trouillard.
Aussi tiendrait-il bon. Il se le promettait. Et cette carrière qu'il s'offrait à lui, il la voulait, il en avait besoin. Viscéralement.
Depuis qu'il était sur les routes, certes il ne se ménageait pas, certes il était épuisé, mais il se sentait revivre.

Il toussa un peu et joua de ses doigts gelés pour ouvrir le petit paquet en carton qu'il avait tiré de sa poche. Piochant dans sa réserve, il glissa une cigarette entre ses lèvres et remisa de nouveau l'enveloppe dans son pantalon. Il chercha cette fois-ci dans son manteau et en tira son briquet, tentant à plusieurs reprises d'allumer la cigarette entre ses mains, le froid et le vent n'aidant en rien.
Finalement, le bout du petit rouleau prit feu, et le garçon put tirer une première bouffer de tabac, sa gorge et ses poumons brûlant délicieusement.
Il soupira pour laisser échapper un petit nuage qui s'éleva dans le ciel trop blanc. Son regard d'un gris tempétueux se perdit dans cette étendue immaculée et il frissonna de tout ses membres, prit d'une vague de froid.

Le rire d'Astrid ne fit que le glacer d'avantage. Rougissant un peu, il lui jeta un regard noir et fuma à nouveau, baissant la tête sur ses pieds, recouverts de neige fondue :

▬ Quoi ? Grogna-t-il sur un ton menaçant. Ça te fait rire ?

Décidément, il ne comprenait pas cette fille. C'était quoi, son problème, au juste ? En temps normal, une fille n'appréciait pas qu'on la rejette d'un bloc comme il venait de le faire. Il lui avait quand même dit qu'elle le laissait totalement indifférent – bon, ce n'était pas franchement étonnant, mais cela, Alexei l'oubliait souvent.
Bref. Il ne comprenait pas. Il ne comprenait rien à ce qu'elle pouvait lui dire.
Et ses justifications lui passèrent par-dessus la tête. À quoi bon ? Il n'était pas là pour socialiser. Juste pour sauver sa peau.
Le vent soufflait de plus en plus fort. La neige fouettait leurs visages. Il devenait de plus en plus difficile de progresser.
Aussi n'allait-il pas perdre de temps à l'écouter et à s'offusquer de ses propos. Ils ne s'aimaient pas, au moins c'était clair. Très clair même. Et Alexei aurait même voulu la rassurer : ils n'étaient pas près de s'apprécier ; elle n'avait pas de souci à se faire…

Malheureusement, il n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit, la jeune femme reprenant finalement la parole, désireuse de remettre les pendules à l'heure. Si ce qu'elle avançait semblait lui tenir à cœur, ses mots eurent l'effet contraire.
Était-elle en train de lui dire que la vie en milieu aisé était difficile ?
Cette fois-ci, ce fut au tour d'Alex de rire un bon coup. Mais son rire était grinçant, amer. Ces riches, décidément, n'avaient aucune conscience du monde extérieur. Ils avaient grandi dans un carcan d'argent et ne se rendaiten pas compte des réalités du bas peuple.
C'était terriblement triste. Terriblement rageant, même.

Il n'osa pas la reprendre, son rire se noyant dans les hurlement déchirants de la tempête. Il était fatigué ; trop fatigué pour lui prouver qu'elle se trompait. Que sa vie à lui, cette vie qu'il détestait, serait toujours bien pire que la sienne.
Il se tut donc et marcha en silence, arrivant bien vite aux abords de la grotte.
S'enfermant définitivement dans son mutisme, Alexei pénétra à l'intérieur, ignorant la trêve proposée par cette fameuse Astrid :

▬ Peu importe comment je m'appelle. De toute façon, tu ne te souviendras pas de moi. Ou du moins pas de la bonne façon.

Tirant sur sa cigarette, il baissa la tête pour ne pas se cogner à la paroi rocheuse. L'intérieur de cette petite grotte semblait bien silencieux, tout à coup. Les entrailles de la montagne étaient immunisées contre le vent ; même lorsque ses sommets étaient en proie à de terribles tempêtes. Néanmoins, le froid, lui, était bel et bien présent.
Alexei frissonna, ses dents claquant par réflexe, et alla s'asseoir contre une pierre après avoir posé son sac à ses côtés. Il se recroquevilla sur lui-même, enfouissant son visage entre ses bras et essayant tant bien que mal de recoiffer ses cheveux emmêlés.

Ses yeux froid finirent par se poser sur la jeune femme qui était restée debout, flanquée de ses pokémons, et gardait elle aussi le silence.
Il détailla les traits de son visage qui, sans cet écran de neige, lui paraissait plus clairs. Si sa tignasse sombre n'était pas non plus en très bon état, le garçon trouva néanmoins qu'il avait exagéré.
Astrid était plutôt jolie. Objectivement, du moins.
Il rougit un peu à cette pensée et détourna aussitôt le regard, préférant fixer bêtement ses pieds.

▬ Assieds-toi. Tu me stresses à rester debout. Et crois-moi, je suis assez à cran comme ça.

Se redressant, il remua doucement ses doigts encore gelés et fouilla finalement dans son gros sac de voyage pour en sortir un morceau de pain quelque peu rassi mais encore comestible.
Laissant échapper un dernier nuage de fumée, il écrasa la cigarette consumée sous sa chaussure et cassa la miche de pain en deux, tendant négligemment un bout à la demoiselle :

▬ Tu dois avoir faim. C'est sec, mais on peut encore le manger sans problème. T'en veux ? Il eut un petit reniflement méprisant. Surtout, si ça te dit rien, ne te sens pas obligée d'accepter. Je m'en porterais très bien.

@feat Astrid Et voilà un Alex de bonne humeur, comme d'hab ! J'espère que ça va te plaire ~   

Le froid qui régnait dans cette caverne était tout simplement glaçant. Alexei n'avait jamais autant tremblé que dans ces montagnes : là-haut, exposé aux tempêtes, aux bourrasques qui se faufilaient entre les monts, on avait l'impression de geler sur place. Le moindre coup de vent passait à travers les mailles des pulls, le lourd cuir des manteaux et mordait la peau, impitoyable. Même les pieds du blond étaient douloureux, désormais ; au-delà des longues heures de marche dans la neige qui les fatiguaient, ses orteils avaient quelques engelures particulièrement désagréables. Progresser dans ce paysage polaire était devenu une souffrance de tous les instants.
Alors, le Venyysien appréciait toujours ces moments de calme. Ces instants de repos où, à l'abri de la roche ou de sa tente, il prenait le temps de se restaurer et de penser à l'avenir, à l'auberge qu'il rejoindrait bientôt.
Il y en avait plusieurs sur la route… Une, un peu plus loin, était d'ailleurs plus un refuge qu'une auberge. Pas de cuisinier ni de groom… Juste une maison vide, battue par les intempéries de la montagne, prête à accueillir quelques voyageurs en péril.
Il tardait à Alexei de redescendre et d'enfin retrouver les plaines cristal. Ces vastes steppes, souvent recouvertes d'une neige épaisse, étaient synonyme de maison, pour lui. Il y avait toujours vécu et supportait beaucoup mieux d'y progresser que de voyager sur les sommets du Septrion. Le froid y était… Différent. Et on y trouvait également une végétation plus danse. Des forêts de pin, quelques prairies aux herbes gelées…
Ah… Les plaines cristal. Aussi magnifiques que mortelles. Nombreux étaient les hommes qui les avaient sous-estimées et qui s'en étaient mordus les doigts…
Aujourd'hui, peu s'y aventuraient. Les services de taxi volant, le train qui allait jusqu'à Belagora… Autant de moyens qui permettaient à la population de faciliter les déplacements dans ce terribles nord qui effrayait autrefois les Austriens. Si la chaîne des Mille Sommets n'avait pas encore reçu de chemin de fer, un Corvaillus aguerri pouvait aisément la survoler ou la contourner… Il suffisait d'aligner les pokédollars.
Alexei avait hésité à se payer un taxi volant pour aller jusqu'à Edelsten… Mais l'appel de la nature l'en avait dissuadé. On était dresseur ou on ne l'était pas. S'il commençait à sauter des étapes, à fuir l'effort… Alors il ne rencontrerait jamais de Pokémon digne de ce nom et ne progresserait pas. On apprenait à combattre en pleine nature, pas seulement avec d'autres êtres humains. Et puis… Il lui fallait profiter de ce voyage, non ? Plus longtemps il durerait, mieux ce serait. Un excellent moyen d'échapper aux plans de son père et de ses sœurs…

À cette pensée, il soupira et jeta un petit coup d'œil à Astrid. Elle avait accepté le pain, non sans lui rappeler qu'elle n'était pas la petite princesse qu'il croyait… Silencieuse, elle grignotait cette croûte sèche, insipide, sans plus de commentaire.
Si sa petite pique l'avait agacé ? Très certainement. Le blond n'aimait pas qu'on lui tienne tête… Sans doute l'un des très nombreux défauts de l'orgueil Septrionien. Se faire rabattre le caquet par une femme n'était pas forcément bien vu. Pourtant, à bien la regarder… Il voyait bien qu'elle ne lui mentait pas. Les semaines de voyage se lisaient sur dans ses yeux et sur son visage. De larges cernes s'étendaient sous ses paupières et son regard était dur, fier, bouillonnant de souvenirs. Ses pokémon, quant à eux, semblaient être désormais habitués à ses pérégrinations… Sans doute Astrid était-elle d'ailleurs partie depuis plus longtemps que lui ?
Un instant, il se surprit à observer avec admiration ses longs cheveux noirs qui rappelaient le poil sombre de sa Luxio. Un duo étonnant qui semblait lié par une amitié profonde.
Une pointe jalouse serra douloureusement sa gorge. Lui aussi aurait aimé trouver un compagnon de route aussi dévoué, aussi fidèle… Mais jamais Lyov ne serait ce partenaire…
La jeune femme avait dû le juger, penser qu'il était un mauvais dresseur, comme cette femme d'Edelsten qui s'était permis de le lui dire sans détour. Alexei mourrait d'envie de prouvait ce qu'il valait… Mais avec son Riolu, c'était chose impossible.
Il croqua rageusement dans son pain et le broya vivement, avec amertume. Il n'était pas rendu… Et dire qu'il lui fallait passer par Belagora avant de revenir à Edelsten pour décrocher son badge… Une excellente idée de sa sœur. Et il n'avait rien pour payer un taxi. Sans doute que la route des montagnes serait la plus courte… 
Oh, il n'était pas idiot. S'il n'avait pas voulu se rendre dans la capitale, il ne l'aurait pas fait. Mais un festival célèbre s'y tiendrait d'ici quelques semaines et il mourait d'envie de se gorger de cette ambiance de grande ville. Belagora était l'endroit qui l'avait fait le plus rêver petit, et le visiter à nouveau lui tardait énormément.

D'ailleurs, Astrid devait venir d'une grande ville. Elle n'avait pas des manières de fille de Venyys. Non ; elle était plus raffinée, même pour une petite bourgeoise. À Venyys, même les plus riches se comportaient avec rudesse.
Quelle chance avait-elle eu de grandir dans un cadre aussi propice que Belagora. Alexei en aurait rêvé. Sans doute sa vie aurait-elle été bien différente.

Perdu dans ses pensées, son regard toujours fixé sur cette voyageuse qui lui était encore tout à fait inconnue, Alexei remarqua à peine l'ombre qui avançait derrière elle… Tapie sur un rocher, elle progressait doucement… Et ce fut un temps trop que le jeune homme s'apprêta à crier gare :

▬ Astrid, attention ! Derrière to…

Son cri, qui résonna entre les murs de la grotte, se perdit dans le feulement tonitruant de la Luxio qui avait déjà repéré le danger : bondissant, la créature percuta le Pokémon qui voulait s'en prendre à sa dresseuse et l'envoya valser sur le sol froid et terreux de la caverne. Ce fut alors tout crocs dehors qu'elle se positionna entre lui et la jeune femme, encore un peu abasourdie parce qui venait de se passer.
Alexei, lui aussi surpris, observait la scène avec des yeux d'enfants : la combattivité du pokémon de sa partenaire de fortune était tout simplement incroyable. Ses réflexes étaient eux aussi excellents : elle avait réagi au quart de tour. Jamais Lyov n'aurait fait une chose pareille.

Il finit pourtant par sortir de sa torpeur et se leva comme Astrid, s'écartant un peu pour se mettre à l'abri de tout éclair perdu  :

▬ Et bien, il est téméraire celui là ! S'exclama la jeune femme avant de sourire au Luxio. Kyria.

À peine eut-elle prononcé son nom que la créature s'élança sur ce qui semblait être un Kabuto particulièrement agressif… Son pelage crépitant et luisant d'éclairs fous, le pokémon sauvage se tint prêt à esquiver une attaque qui lui coûterait cher… Dans les ténèbres de cette grotte, le capacité électrique semblait illuminer les parois rugueuses…

Si Alexei aurait bien voulu savoir la finalité de cette offensive, il n'eut pourtant pas cette chance. Des grattements étranges le firent se retourner sur un deuxième Kabuto, visiblement moins téméraire que le premier. Plus gros, néanmoins, il grogna à son encontre, perché sur un rocher.
Soupirant, le blond recula un peu et s'empara de la pokéball de Lyov, traînant dans la poche de son manteau :

▬ Aaah mais y'en a partout de ces saletés ! Grogna-t-il avant d'actionner la pokéball de son partenaire. Lyov apparut sur le sol de la grotte, baillant à s'en décrocher la mâchoire. Il avisa l'ennemi avec un petit soupir blasé. Allez Lyov ! Je vais avoir besoin de toi… Sinon… Tu risques de ne pas remanger d'un moment ! Ces petits malins voleront sans doute nos provisions !

Bien que peu charmé par l'idée de devoir combattre, la perspective de ne plus pouvoir manger à sa faim alarma le Riolu qui se mit en position, prêt à donner le meilleur de lui-même pour continuer à avoir le ventre plein.
Désespéré par les efforts purement intéressés de son pokémon, Alexei l'envisagea avec un certain mépris avant de lui donner un premier ordre.
Sur son rocher, le Kabuto semblait attendre qu'on l'approche avant de se lancer lui-même dans un duel serré… Bien décidé à engager les hostilités, Alexei se positionna derrière Lyov et s'exclama d'une voix autoritaire :

▬ Utilise Vive-Attaque ! Et fais gaffe, il t'attend ! Il risque d'esquiver ou de te contrer. Ne te laisse pas surprendre !

Lyov, hochant à peine la tête, n'attendit pas la faim des paroles de son dresseur pour foncer à son tour sur l'ennemi ; le Kabuto, se réjouissant presque de cette offensive, se mit en position pour recevoir comme prévu le Riolu…

Résumé des évènements:

@feat Astrid Et voilà un Alex de bonne humeur, comme d'hab ! J'espère que ça va te plaire ~   

Combattre avec Lyov n'était pas une mince affaire ; Alexei se méfiait. Chaque fois qu'il donnait un ordre au Riolu, ce dernier n'en retenait que ce qu'il en voulait. C'était d'ailleurs assez usant, à la longue… 
Un petit soupir lui échappa en passant une main dans ses cheveux, fébrile. Il en devenait nerveux : la peur de perdre et de se ridiculiser, c'était quelque chose qui le hantait depuis les débuts de sa carrière de dresseur.
Lyov n'était pas un bon élément. Pas non plus un bon combattant ; ce pokémon n'était pas fait pour cette discipline. Pas assez de calme dans ses actions, pas assez réfléchi… Il agissait sous le coup de pulsions ravageuses… Et d'ailleurs, le blond parierait presque qu'il s'imaginait le frapper lorsqu'il se lançait à l'assaut de l'adversaire.
De toute façon, tant qu'ils n'établiraient pas une relation un tant soit peu correcte et harmonieuse entre eux, rien de bon ne pourrait leur arriver. Ce n'était pas comme ça que le Venyysien allait décrocher ses badges et il en était parfaitement conscient.

Observer la complicité d'Astrid avec ses Pokémon était assez… Douloureux. La jeune Septrionienne dirigeait les opérations d'une main de maître et ses compagnons, eux, n'allaient pas à son encontre. Non, ils étaient dociles et l'écoutaient sans rechigner.
D'ailleurs, un simple coup d'œil permit à Alexei de constater qu'à deux et avec un travail d'équipe concluant, ils n'étaient déjà pas loin de mettre en déroute leur ennemi. Quelle efficacité ! Dans une autre situation, le blond en aurait pâli de rage et de jalousie… Actuellement, il ne pensait qu'à donner le meilleur de lui même et lui montrer ce qu'il valait à son tour, malgré ce piètre combattant qui partait à l'assaut du Kabuto sans avoir un tant soit peu réfléchi.
De ça, Alexei s'en rendit bien vite compte. Vive-Attaque, il avait compris : foncer comme une fusée, tête la première ne le dérangeait pas… Mais le reste… Il ne fallait pas en espérer beaucoup.

Le Kabuto, comme prévu, évita cette offensive qu'il avait attendue, et le Riolu, qui aurait voulu répliquer en utilisant Ruse, rata lamentablement son attaque. Ce fut donc une créature ennemie particulièrement fière d'elle qui s'éloigna un peu et qui attendit que son adversaire fut assez proche pour lui faire la peau.
Alexei essaya bien d'avertir le loup bleu, mais beaucoup trop tard, Lyov lançant déjà une seconde Ruse sans même attendre l'assentiment de son dresseur…

Évidemment, ce fut une véritable catastrophe. Le Venyysien avait bien vu le Kabuto se contracter et rassembler tout son énergie : il eut juste le temps de crier le nom de son Pokémon que celui fut déjà assailli par une gerbe glaciale.
Le blond s'en tira presque les cheveux, jurant sous la colère : mais qui lui avait refourgué un empoté pareil !? C'était certain que le Kabuto l'attendait pour répliquer !

Il se précipita néanmoins vers son Pokémon et constata son état déplorable. Tremblant de froid, Lyov avait perdu sa fougue et semblait incapable de faire le moindre effort supplémentaire.
Le Kabuto se rapprochait quant à lui dangereusement.
Prenant le Riolu dans ses bras, Alexei lui lança un regard mauvais :

▬ C-C'est bon ! Il a eu son compte ! Va-t-en maintenant ! Nous aussi, on va pas tarder à repartir. Il recula un peu à mesure que le pokémon sauvage, inquiétant, avançait, grognant. Serrant fort son compagnon dans ses bras, il lui adressa quelques mots avant de le rappeler dans sa Pokéball. T'es complètement gelé, mon pauvre. Je m'occuperai de toi plus tard…

Astrid, qui observait la scène, lui parut soudain comme étant la solution parfaite. Mettant toute sa fierté de côté, Alexei, qui se retrouva dos à la paroi rocheuse, le Kabuto bien décidé à lui faire la misère et sans Pokémon pour se défendre, jeta un regard un peu affolé à la jeune femme :

▬ Hey ! Au lieu de rester plantée là, tu peux venir m'aider ? Je suis pas très bon en combat rapproché, moi !

Résumé des évènements:

@feat Astrid Et voilà un Alex de bonne humeur, comme d'hab ! J'espère que ça va te plaire ~