Petite semaine de congés, enfin. Après tes quelques voyages par-ci par-là avec ton agence, il était difficile de trouver une destination pour te changer les idées : tout ressemblait à ton travail, et le repos y était impossible. Il restait bien quelques endroits en Austrée, qui n’avait pas encore vu ta présence, mais il s’agissait là de villages reculés ou peu accueillants, surtout pour la bourge citadine que tu étais. Mais qu’importe, tu tiras au sort. Rykaarde aurait l’honneur de voir l’angélique frimousse de Dahlila, s’ils savaient qui elle était.
Il devait être près de dix heures du matin lorsque tu arrivas à Rykaarde. Accompagnée de Loki, qui observait les alentours tout en te suivant, tu commençais à visiter le village. D’ailleurs, Ville ou Village, la limite était très floue. Disons ville, car elle te semblait bien grande. Ici, pas de débauche comme tu en avais l’habitude, ni de soirées déplorables à ruminer au bar : tu allais respirer un air frais, pur et campagnard, et en profiter pour réfléchir. Que de bonnes choses, n’est-ce pas ?
Ton Arcanin aperçut un Ecremeuh, dans un enclos. Il grogna après le pokémon. Un soupir passa tes lèvres, alors que tu empoignais le poil de ton pokémon.
« Laisse-le tranquille, il va rien te faire. »
Un grommellement de déception retentit. Loki était visiblement agacé que ce pokémon ne soit pas là pour se battre. Plus loin, des Tauros. Tu t’étais un peu renseignée sur ce pokémon, et sa valeur à Rygaarde. Tu t’approchas de l’enclos pour observer ces pokémons en silence.
Tu avais du mal à comprendre comment ce pokémon pouvait être « Sacré » et pourquoi les habitants l’aimaient tant. Aux yeux de Loki, il était une proie de plus, un combattant de choix, pour une bataille sans répit. Tu t’appuyas lentement sur l’enclos. Bon, il fallait avouer, les Tauros étaient assez massifs et puissants. Mais à choisir, tu préférais largement Loki. Un canin à la fois doux, duveteux et téméraire. Mh. Y’avait pas photo.
Loki bailla avant de s’asseoir. Ces Tauros étaient enfermés, et il ne pouvait pas les agresser. Quel ennui. Lui qui cherchait encore à s’entraîner, il fut bien déçu. Ce silence lui rappela bien des choses, quelques souvenirs doux parvinrent à se frayer un chemin dans le volcan de ses émotions. Quelque chose lui manquait, c’était certain, mais il ne la retrouverait jamais. Il te lança un regard attristé.
« Je sais à quoi tu penses Loki, mais on y peut rien, c’est comme ça. »
Un soupir passa à nouveau tes lèvres, alors que tu perdais ton regard sur les pokémons fermiers. Eh oui, vous n’aviez pas été gâtés par la vie, mais il en était ainsi. Tes yeux parcoururent l’enclos de droite à gauche, lentement, te perdant dans ce que tu voyais. Tu cherchais à te changer les idées.
Soudain, quelque chose attira ton regard. Même si tu avais pu croire à un mirage, tu te redressas brusquement, et Loki se releva : il l’avait vu aussi. Une chevelure rouge, un peu plus loin. Ce n’était décidément pas une femme, au vu de sa carrure. Cela aurait pu être n’importe qui, qui sait, mais à cet instant, ton cœur rata un battement, ton esprit s’embruma. Ce n’était pas le moment de pleurer. Ton cerveau était certain qu’une seule personne au monde existait tel quel.
Tes jambes agirent seules. Il n’était pas loin, il devait juste passer. Tu le rattrapas facilement, et ton Arcanin te suivait, il était bien moins sûr : quelque chose était étrange. Là. Quelques centimètres encore. Tu tendis la main, tu la fermas sur le poignet de ce mirage. Les mots sortirent seuls, tu ne contrôlais plus rien.
Rykaarde. Y a-t-il vraiment plus ringard que cette ville de paysans, en Austrée ? Partout où James promène son regard, c’est le même genre de paysage. Des champs. Des fermes. Des cultures. Bref : rien d’intéressant, absolument rien. Et d’ailleurs, Jamie aimerait vraiment être autre part qu’ici, dans ce village de bouseux qui pue le Tauros. De sa main, il bat légèrement l’air en espérant disperser ce parfum de foin souillé, mais c’est bien inutile. La ville entière semble baigner dans cette odeur, et sûrement les habitants n’y font-ils même plus attention. Et dire qu’il considérait le port de Mésoé comme l’endroit le plus puant de Salva … il faut croire que les Tauros battent les Magicarpe, en terme d’odeur. Où est-ce seulement parce que, depuis le temps, James est vacciné de l’embrun marin et des fortes odeurs de port … ? Hm, c’est sûrement cela, oui. Toujours est-il que le rouquin n’apprécie pas cela et qu’il aimerait pouvoir vite prendre la poudre d’escampette. Mais voilà, il attend un collègue censé lui faire passer quelques … erm, quelques produits propre à son activité. En d’autres termes, de la drogue en provenance direct d’Unys, qu’il se fera un plaisir de revendre aux plus offrants dans les prochains jours. Prochaine étape : Solem et ses petits bourgeois crédules.
Pour l’heure, James est assit sur une vieille barrière en bois, un brin de paille entre les dents. A ses pieds, Gannet se tient droit comme un piquet et observe quelques Moumouton occupés à paître gentiment dans le pré voisin. Les yeux verts du loup orange suivent les quelques déplacements calmes du petit troupeau, comme s’il était prêt à bondir à tout moment. L’instinct du loup lui hurle sûrement de se faire les dents sur un Moumouton rondouillard mais Gannet, obéissant, refuse de céder. Sa grande queue touffue fouette l’herbe à chacun de ses aller retours, si bien qu’il en a couché quelques chardons poussant au pied de la clôture. Jamie le regarde faire sans piper mot, admirant le corps musculeux du loup. Gannet est une belle bête, c’est indéniable. Mieux bâti que ses parents, taillé pour le combat, pour le frisson. Et pourtant, ce n’est qu’un gros toutou pantouflard qui préfère le moelleux d’un canapé à la fraîcheur d’une herbe grasse. D’ailleurs, James distingue quelques boules de bardanes emmêlées aux poils oranges et blancs de son Pokémon. Ce dernier ne les a pas encore remarqué, mais lorsque ce sera le cas, il n’a pas finit de l’entendre !
Un petit soupir ennuyé échappe à Jamie alors qu’il lance un coup d’oeil à sa montre – un bijou rare, qu’il a volé récemment à un touriste sur le port de Mésoé. Son contact est en retard. Dix heures, avait-il dit. Quel petit menteur. Agacé, James saute de la barrière et dépose sa main sur le crâne de Gannet. Ce dernier lui lance un petit regard étonné, avant de pousser un long bâillement. Même lui commence à sérieusement s’ennuyer. Bon, tant pis – hors de question de poireauter ici plus longtemps. Jamie compte partir à sa rencontre, sûrement le gugusse s’est-il perdu quelque part. Au milieu de tous ces champs, ça paraît bien étonnant mais depuis le temps, James sait pertinemment que tous ne sont pas des lumières parmi ses contacts, loin de là même. Il crache donc son brin de paille et s’éloigne de la clôture, retrouvant bien vite le chemin de terre serpentant entre les champs. Le voilà donc qui remonte en direction du centre ville – si nous pouvons l’appeler comme ça – en espérant au moins trouver un bar ou un restaurant où prendre une bonne boisson fraîche. C’est que le soleil de l’Austrée, il est plus vicieux encore que celui de Thacie !
Il passe près d’un pâturage de Tauros lorsqu’une main de se referme soudain autour de son poignet. En bon chien de garde, Gannet grogne en montrant les crocs. Pourtant, lorsque Jamie fait volte-face, il découvre une belle demoiselle aux cheveux immaculés et aux yeux délicieusement rosés. Une bien belle bouille, trop belle pour être originaire d’ici, d’ailleurs. Elle s’appelle Aizen, mais James s’en fiche. Voilà qu’il a soudain bien envie de cueillir une belle fleur.
Pour vos beaux yeux, mademoiselle, je serais n’importe qui.
Regard charmeur, main qui s’égare sur la joue … James sort le grand jeu et en comprenant le petit manège de son Dresseur, Gannet s’assoit et abandonne toute hostilité. Le rouquin ignore bien qui est ce fameux Aizen mais … est-ce vraiment si important ? Cette femme est belle comme un coeur, l’une des plus belles qu’il n’ait jamais vu, d’ailleurs. Si elle est égarée, le grand gentleman qu’il est se fera une joie de l’accompagner. Et qu’importe qu’il ne connaît rien aux alentours, toute excuse est bonne pour passer du temps avec elle. D’ailleurs, qui est-elle, cette jolie dame ? Comment a-t-elle échoué dans un endroit aussi minable ? Prenant doucement sa main dans la sienne, Jamie y dépose un baise-main, qu’il accompagne d’un clin d’oeil fripon.
Néanmoins, on me nomme Jamie. Et vous, ma belle ? Quel doux nom poser sur ce joli minois ?
Tu aurais dû t'en rendre compte, dès que tes yeux s'étaient posés sur cette chevelure. Tu aurais dû le savoir, impossible de le confondre avec un autre. Mais ton esprit était embrumé par les espoirs, et jusqu'au bout, tu y avais cru, à ce visage qui aurait dû t'être familier, car cela aurait pu, peut-être, être lui. Mais on ne refait pas le monde avec de si et des probablement. Non, ici il n'y avait rien de "probable", même "d'espoir". Il n'y avait rien Dahlila, il avait disparu, c'était tout. Ce. N'était. Pas. Aizen.
Avant même que cet inconnu parle, les larmes montaient déjà à tes yeux, sans pour autant s'échapper. Ses mots ne furent qu'un plus, un "ça aurait pu", un "ça sonne comme". La douceur. Il y avait quelque chose d'affreusement malsain dans cette situation, mais tu l'ignoras totalement. Les larmes perlèrent au coin de tes yeux. La fatalité était là, et tu te la répétait encore : ce n'est pas l'homme que tu attendais inconsciemment depuis si longtemps. Un coup de poignard de plus dans un coeur qui saigne déjà.
Aaah... Les larmes roulèrent sur tes joues, sans que tu ne puisses les retenir. A force de te répéter ainsi, tu te faisait mal, encore et encore. L'Arcanin en arrière plan, sentait que quelque chose n'allait pas. Les crocs dehors, il grognait sur l'inconnu, mais sans ordre de ta part, il ne pouvait rien faire. Le poignet de l'inconnu est déjà libéré, mais bien loin de rompre le contact, voilà qu'il saisit ta main et l'embrasse. Jamie. Un inconnu qui lui ressemble beaucoup. S'il y en avait un, il y en avait des millions. Et s'il y en avait un pour lui, il y en avait des millions comme toi aussi. Et s'il t'avait oublié, s'il s'en était retourné, comme toi tu avais essayé, mais que lui, avait réussi...? Ne fallait-il pas juste abandonner et oublier ce malheureux ? Mais Dahlila. Soyons franc : tu avais essayé. Pas assez fort peut-être ? Qu'importe. La douleur y avait été bien plus intenable. Comme à cet instant.
« Je... Suis désolée. je vous ai ... Confondu. »
Le dernier mot à du mal à sortir. Avouer ton erreur te fait souffrir bien plus que ce que tu n'aurais imaginé. Hélas, rien ne s'arrangea. Ton fardeau te donnait soudain l'impression d'étouffer, et tes jambes te lâchèrent. Ton corps se mit à frissonner et à trembler. C'était un état que tu avais souvent dénigré, une sensation que tu te complaisais à effacer. Tu avais un jour craqué, lorsque tu avais appris sa disparition, mais aujourd'hui, c'était comme le perdre à nouveau : insoutenable. Tu avais cette personne là, qui ne devait probablement rien comprendre, devant toi... Et toi... Là, désemparée, soudain vide de force et de pensées, sanglotant silencieusement, à bout de force, comme si on venait de t'annoncer la perte de la personne la plus aimée et chérie de ton coeur.
Loki voulut réagir et se mit à grogner, mais le Mateloutre sortit de sa pokéball pour l'arrêter. Il était confiant, et ils étaient quatre, au besoin, pour te porter secours. Il n'y avait rien à craindre pour l'instant, et si Loki était la force du passé et le maillon, le dernier maillon, de l'espoir de revoir son second maître et sa promise, Nasog était le renouveau, et voulait te voir heureuse, qu'importe avec qui. Et si ce... Jamie était un premier pas, alors soit. Même si pour cela, tu devais te détruire un peu plus.
A peine la jeune fille apparaît-elle qu’elle commence déjà à pleurer. Zut alors – ce n’est pas vraiment ce qu’attendait Jamie. Il veut bien comprendre sa déception, mais tout de même ! Au point d’en pleurer ! Il n’est quand même pas si vilain, si ? Ou alors réalise-t-elle que son Aizen n’a absolument rien à lui envier ? Ah, à ça, Jamie veut bien y croire – mais il sait se montrer réaliste et il se doute bien que le propos est tout autre. Il entend d’ailleurs l’Arcanin de la jeune fille grogner, prêt à lui sauter à la gorge au moindre geste de travers. Heureusement, Gannet veille au grain et le Lougaroc grogne à son tour, les crocs dévoilés, les oreilles couchées sur son crâne. C’est qu’il ferait peur, quand il est en colère. Ce brave toutou ne laissera jamais personne toucher à un cheveu de son cher maître et, pour cela, Jamie lui fait une confiance aveugle. Ce Lougaroc, il l’a vu naître et grandir – il est, en quelque sorte, son troisième parent. Alors s’il y a bien quelqu’un à qui il confierait sa vie sans la moindre hésitation … c’est à ce brave Gannet. Bref, pour le moment les deux Pokémon préfèrent se regarder en chien de faïence plutôt que se jeter au cou : tant mieux, car ça pourrait vraiment vite déraper.
James peut donc rendre toute son attention à la demoiselle qui se décompose progressivement devant lui. Hrm, voilà une situation à laquelle il ne s’attendait pas. Ce n’est généralement pas cet effet-là, qu’il fait aux filles. Soit elles l’envoient sur les roses, soit elles se jettent à son cou. Mais pleurer ? Jamais ! Bon, il a peut-être déjà fait pleurer quelques donzelles qui espéraient vivre avec lui une belle histoire d’amour … sornette ! Jamie ne croit pas à ce genre de chose – sa liberté vaut mieux qu’une femme au sein de son foyer. Une femme ou un homme d’ailleurs, parce que pour lui c’est du pareil au même. Tout ça pour dire qu’il n’a rien d’un prince charmant à la recherche du grand amour, mais plus … du grand méchant loup en quête d’un chaperon pour une nuit. Néanmoins, ce n’est visiblement pas auprès de cette belle fleur qu’il trouvera satisfaction. Du moins, pas dans son état actuel. Deux solutions s’offrent donc à lui : la laisser là, dans son malheur et ses larmes … ou bien s’en occuper gentiment, sécher ses jolis yeux et espérer, qu’en retour, elle s’occupera également de lui. D’une toute autre façon.
Bon ! Quitte à être venu dans ce bled pourri pour rien, autant essayer d’inverser la tendance et de rendre cette journée plus … agréable. Alors James se pare de son sourire le plus rassurant, et vient doucement caresser la joue de la jeune femme. Il a bien vu son Mateloutre, mais ce dernier ne semble pas vraiment menaçant. De toute façon, Jamie ne compte pas faire le moindre mal à la demoiselle, loin de là. D’ailleurs, en gage de sa bonne foi, même Gannet cesse de grogner et se rassoit gentiment, les oreilles bien droites. Il espère ainsi convaincre l’Arcanin de se calmer également, afin d’éviter toutes échauffourées. Inutile de céder à la violence, parce qu’aucun mal ne sera fait à qui que ce soit. Sentant la jeune femme fébrile, James l’aide doucement à s’asseoir sur le bord d’une clôture, le temps qu’elle reprenne peu à peu ses esprits. Jamie ignore bien qui est ce fameux Aizen avec qui elle l’a confondu mais, de toute évidence, il a le pouvoir de la mettre dans tous ses états d’un claquement de doigt ! Est-il son frère ? Un ami ? Un amant perdu ? Hmm, Jamie aime bien cette troisième hypothèse. Les histoires d’amour douloureuses, ce sont souvent les plus à mêmes d’apporter un petit quelque chose d’intéressant.
Ma pauvre dame, ne pleurez pas. Ces larmes gâchent votre beau visage.
ames plonge sa main dans la poche arrière de son pantalon pour en tirer un petit paquet de mouchoirs. Il n’en reste plus beaucoup et ils sont un peu écrasés mais … ils feront largement l’affaire. Vivement, il en tire un de l’emballage plastique et le tend à la jeune femme dont il ignore encore le prénom. Son visage lui rappelle vaguement quelque chose d’ailleurs mais … impossible de se rappeler d’où lui vient ce souvenir. Cela dit, James croise tellement de personne chaque jour qu’il n’est pas impossible qu’il l’ait déjà croisé dans la rue, où que ce soit à Thacie ou en Austrée. Si ses pas l’ont parfois mené jusqu’aux terres glaciales du Septrion, ce n’est pas son terrain de jeu favori, loin de là même. Physiquement pourtant, la demoiselle pourrait correspondre aux caractères du Nord mais ce n’est pas Jamie qui va se fier à ça. Lui-même n’a absolument rien d’un Thacien, et c’est pourtant au sein même de l’île qu’il est né et qu’il a passé l’entièreté de sa vie. Le soleil insulaire n’a pas eu raison de ses origines malgré vingt-cinq années d’exposition. Ah, les gênes septrionniennes et galariennes ne s’effacent pas si facilement, malheureusement ! Bah, cela dit, ce n’est pas comme si ça le dérangeait vraiment … qu’importe d’où il vient. Ça ne change rien à ce qu’il est.
Il tend donc le mouchoir à la demoiselle, l’invitant ainsi à sécher ses larmes disgracieuses mettant à mal son beau minois. Inutile de pleurer, ça ne changera rien à la situation. Autant qu’elle reprenne des couleurs, elle sera bien plus agréable à regarder. Aux pieds de Jamie, Gannet se couche gentiment dans l’herbe, même s’il ne lâche pas les deux Pokémon inconnus des yeux. Sait-on jamais, s’ils leur prenaient l’idée de faire quelque chose de dangereux … mais pour l’heure, aucune menace ne semble planer sur Jamie. Si ce n’est celle d’avoir perdu du temps pour rien du tout !
Tu étais dans un bien bel état, dis donc, Dahlila... Tes pokémons s'étaient détendus lorsque les pokémons de James se détendirent. A vrai dire, trois loups, c'était assez intimidant...
Ce bel inconnu, qui avait faussement été familier à tes yeux, semblait s'adoucir de minutes en minutes. Ses paroles étaient douces à ton esprit, tellement que tu baissais petit à petit ta garde. Tes sanglots s’atténuèrent, les tremblements se calmèrent, mais, malgré tout, tu te sentais encore horriblement faible. Depuis combien de temps enfouissais-tu cette douleur au plus profond de ton âme sans jamais lui faire face...? Tu savais désormais, ce n'était pas la solution. Garance avait raison, comme toujours... Enfin, souvent, plutôt, mais que pouvais-tu faire ?
Après avoir été si gentiment escortée jusqu'à une place où tu pouvais t’asseoir, tu saisis le mouchoir que le rouquin te tendit, et tu le passas lentement sur ton visage. S'il avait raison sur un point, c'est bien que les larmes n'étaient pas attirantes, surtout sur un visage comme le tien. Les marques laissées par les larmes étaient toujours assez mauvaises pour ton image. Les yeux rouges, les paupières gonflées, l'air fatigué... C'était pas bon pour ton métier.
Tes pokémons surveillaient tout ce qui se passait, sans pour autant être sur leurs gardes. Tu avais beau être faible à cet instant, ils savaient qu'en cas de problème, tu saurais réagir. Et franchement, Loki ne pouvait pas s'opposer à Nasog.
Tu laissas passer quelques secondes, le temps de retrouver tes esprits. Naturellement, tes yeux fuyaient ceux de James, autant que son visage ou ses cheveux. Il te mettait mal à l'aise, ou plutôt, il faisait remonter des souvenirs que tu voulais oublier. Tu baissas les yeux, fixant les rares brins d'herbes écrasés par les passages répétitifs des animaux. tu murmuras :
« Merci... Je... Je m'appelle Dahlila. »
Tu affichas un léger sourire, malgré l'allure dérisoire que tu avais. Mais en croisant le regard du jeune homme, ton sourire s'effaça, et tu détournas de nouveau les yeux. Pas facile de faire face à son passé, n'est-ce pas ? Pourtant, il n'avait rien fait de mal.
Loki s'approcha de toi et poussa une de tes mains de son museau, pour te forcer à lui accorder une caresse. Ce que tu fis, sans hésiter, laissant ta main glisser sur son crâne. Il était inquiet plus que protecteur, actuellement... Ce qui n'était pas plus mal...
Allons bon. A cette allure, Jamie est encore là demain matin. La demoiselle essuie doucement ses larmes, mais évite de le regarder. Quoi, il est vilain c’est ça ? Pourtant, la majorité de ses conquêtes l’ont toujours considéré plutôt beau et attirant. Un charme quelque peu sauvage, malicieux aussi, qui trouve grâce au sein de nombreuses personnes. Mais cette fille-là ne semble guère intéressée par le joli minois de Jamie. Sûrement pense-t-elle trop à cet … Aizen ? Bah, encore une histoire d’amour, sûrement. Une affection stupide qui vous laisse mains et pieds liés, empêchant tout écart. Qu’est-ce que ça peut être ennuyant ! Vraiment, James a bien du mal à comprendre comment les êtres humains peuvent se promettre amour et fidélité jusqu’à la fin de leurs jours. Arrivera forcément un moment où la lassitude se fera une place dans le ménage, poussant les envies à évoluer et à rêver de nouveaux horizons. Vivre avec la même personnage jusqu’à la fin de sa vie … ? Ça relève plus de la torture que du rêve pour lui. Tout ce sentimentalisme, très peu pour lui. James préfère sa façon de faire : aller là où le vent le porte. Suivre ses envies, satisfaire ses besoins et ne jamais regretter d’être égoïste. Après tout, il n’a qu’une vie. Et il ne compte pas la gâcher pour répondre aux diktats !
La demoiselle s’appelle donc Dahlila. Ok. D’accord. Super. Mais encore ? Rien ? Jamie lève les yeux au ciel. Ça risque d’être long, cette histoire. Elle pourrait en dire un peu plus, quand même. Entretenir la conservation. Lui faire quelques compliments. Flatter ses manières de preux chevalier. Bref, un petit quelque chose au moins ! Mais non, et même Gannet ne semble pas savoir comment réagir à tout ça. Il pose sur son Dresseur un petit regard désabusé, comme s’il lui conseillait de ne pas s’attarder en vain. C’est que le Lougaroc le connaît bien, et qu’il a déjà compris le fond de sa pensée. Mais abandonner si tôt ? Ce serait mal connaître James, pour sûr ! Alors le rouquin s’adosse à la barrière, juste à côté de la jeune femme, et scrute l’horizon un moment. Si elle est en plein chagrin d’amour, il faut la réconforter. Lui sortir l’habituel speech du « mais ne t’en fais pas, tu verras le prochain amour est toujours meilleur, et puis tu es encore jeune, tu as la vie devant toi » - bref, ce blabla habituel terriblement stupide qui ennuie profondément Jamie. Néanmoins, il faut bien reconnaître que ça marche du tonnerre chez les filles. Moins chez les gars – eux, il faut flatter leur égo. Généralement, il suffit de quelques compliments de bonhomme pour que ces messieurs reprennent du poil de la bête. Et Jamie est plutôt expert en la matière.
Distraitement, il observe la grosse tête touffue de l’Arcanin qui vient réclamer des caresses à Dahlila. Une bien belle bête, il faut bien se l’avouer. Ils sont plutôt répandu en Austrée, comme une grande majorité des Pokémon Feu. Ils trouvent leurs comptes dans cette région désertique, où le climat leur sied tout à fait. Jamie lance un petit regard en direction de Gannet. S’il n’est pas né en Austrée, ses parents en sont originaires. Il est en quelque sorte chez lui, lui aussi. Et pourtant, il semble de loin préférer les températures plus humides de Thacie. Question d’habitude, certainement.
Dahlila donc. Quel charmant prénom.
James cueille distraitement une brindille qu’il vient caler entre ses dents. Il doit agir lentement, étape par étape. Pas de précipitation – ça pourrait mettre ses efforts en l’air. S’il va trop vite en besogne, Dahlila découvrira le pot-aux-roses et il pourra faire une croix sur sa petite soirée romantique. Or, il n’est pas encore prêt à faire une croix dessus. Il lui faut bien une raison pour avoir mit les pieds dans ce trou paumé ! Une lapin suffit bien, inutile de lui en coller un deuxième.
Si je peux me permettre … qui est cet Aizen qui paraît tant me ressembler ? Votre fiancé ? Ou bien un ex-petit copain ?
Ton état était déplorable, il ne serait jamais suffisant de le rappeler, car c’était ce que tout le monde pensait, et toi avant tous les autres. Actuellement, c’était certainement cette barrière de campagne, salie et usée par le temps, qui te retenait de t’écrouler à nouveau. Si tu reprenais doucement tes moyens, il te faudrait encore un peu de temps avant de retrouver ton air naturel et neutre. Beaucoup de temps. Et pas facile avec ce Jamie, dont le visage te rappelait tant ce que tu voulais oublier.
Voilà que les choses, si bloquées jusqu’alors, semblent doucement se débloquer. Jamie vient se poser à côté de toi contre la barrière. Tiendra-t-elle seulement vos deux poids, avec tout ce temps passé à tenir des bovins agressifs… ? Dieu seul le sait. Jamie essaya de reprendre la conversation, et répéta ton prénom. Sa remarque te fit doucement sourire. Beaucoup de gens te l’avait déjà dit. Assez atypique, très original, peu utilisé, tu avais eu une perle en guise de nom, qui sied à ton apparence, en quelques sortes. En parlant d’apparence… Tu sentais les larmes monter à nouveau. Tu fermas les yeux, tu inspiras un bon coup, une inspiration qui fut troublée par un léger hoquet sanglotant. Tu te repris. Heureusement.
Et vint la question. LA question que tu n’aurais jamais voulu entendre, mais qu’on te posait à chaque fois. Toujours quelque part, même lorsque les mots n’y étaient pas. Partout, elle te suivait. Tu lâchas un long soupir.
« C’est… Compliqué… »
Tes mains passèrent de tes joues à tes genoux, puis entre tes cuisses. Tu fis mine de t’étirer. Tu ne pouvais pas vraiment fuir et puis, à bien y repenser, peut-être que Garance n’avait pas tort … ? Peut-être fallait-il que tu en parles, que tu y fasses face, au moins une fois, un bon coup, quitte à te briser contre un mur bâti il y a des années, pour t’en libérer… ? Un nouveau soupir passa entre tes lèvres, tes yeux glissèrent sur le sol, et tu commenças à parler :
« Ex-fiancé. On s’entendait bien… Plus que bien… On était jeune et… Disons qu’on a fait une bêtises… Presque rien à notre âge… Mais… Il a été déshérité… Et je me suis retrouvée seule… Du jour au lendemain… ? »
Tu relevas les yeux vers Jamie sur tes derniers mots. Aaaah, les larmes remontaient. Ca faisait mal d’en parler, horriblement mal. C’était le plus gros échec de ta vie… Mais pas le seul… Tu essuyas tes larmes d’un revers de la main, grossièrement.
« J’ai tout perdu... Pour un stupide caillou… Et après… J’ai… Déconné, et j’ai perdu… Mon père m’a répudié. Et… Voilà… »
A l’évocation de la Pierre Feu, Loki baissa les oreilles et laissa échapper un couinement désolé, sans s’en rendre compte. Il savait bien de quoi tu parlais… S’il avait su, il s’en serait certainement empêché, mais il ne savait pas à l’époque, comme toi, comme lui. Triste histoire. Presque risible. Et tu racontais ça à un inconnu, pour peu qu’il te rappelait des souvenir. Mais il valait mieux que cela tombe dans l’oreille d’un sourd -ou d’un inconnu- plutôt que dans l’oreille mal avisée d’une connaissance, n’est-ce pas… ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Jamie n’est pas vraiment doué pour consoler les gens. C’est même … tout le contraire. S’il sait jouer habilement des mots pour obtenir quelques faveurs, du moment que ça touche au sentimental … il a déjà plus de mal. Et puis, surtout, il se fiche bien des états d’âmes des autres. S’il les écoute, c’est principalement d’une oreille distraite, et juste pour passer pour un gentil garçon. Ah oui, c’est vraiment chiant pour lui d’écouter cette jeune femme qui s’est fait larguée pour une bombasse … mais souvent, le jeu en vaut vraiment la chandelle. De nos jours, ce que les gens recherchent plus que tout, c’est la compassion, l’empathie. Une oreille pour écouter les moindres de leurs petits soucis. Et cela, Jamie l’a très bien compris, et sait s’en servir pour parvenir à ses propres fins. Certains diraient qu’il agit vraiment comme le dernier des connards. Et quelque part, sûrement n’ont-ils pas totalement tord. Mais pour sa part, Jamie estime que la fin justifie les moyens. Et qu’il ne faut jamais rater une belle occasion de se faire mousser.
Ainsi donc, s’il pousse Dahlila à s’expliquer, c’est seulement pour passer pour ce bon samaritain qui écoute patiemment les problèmes d’autrui. Bien évidemment, il n’en est rien et Jamie se fiche vraiment d’en apprendre davantage sur ce Aizen, ou sur la relation qu’il entretenait pour la jeune fille. A tous les coups, c’est une histoire d’amour gâchée par les aléas de la vie, ou une bêtise du même acabit. Tout ce que Jamie trouve parfaitement ridicule, mais auquel il est fréquemment confronté. Autant chez les femmes que chez les hommes, d’ailleurs. Et la plupart du temps, les mâles souffrent davantage de la séparation que les femmes. Elles ont plus tendance à se remettre et à aller de l’avant. Alors que les hommes avalent difficilement la pilule, et mettent davantage de temps à se redresser. Bien sûr, il existe une multitude de profils différents, mais si Jamie devait faire une moyenne … les femmes supportent bien mieux que les hommes. Aussi étonnant que cela puisse paraître.
Dahlila commence son histoire, mais reste étonnamment flou et et évasive. Voilà qui est assez inhabituel, Jamie s’attendait davantage à l’entendre se plaindre de la cruauté de la vie. S’il ne comprend pas vraiment toute l’histoire, il saisit bien évidemment le domaine familial particulièrement compliqué. Ca, c’est quelque chose qu’il a eu la chance de ne jamais connaître. Ses parents adoptifs l’ont toujours traité comme un petit prince et aujourd’hui encore, leurs rapports sont vraiment très bons. Bon, ils le seraient peut-être moins s’ils apprenaient que Jamie était un vilain contrebandier mais ça, ils ne sont pas vraiment obligés de le savoir. Officiellement, il travaille dans l’import de marchandise étrangère. Ils n’ont juste pas besoin de savoir que l’import est parfaitement illégale, et que la marchandise se révèle être de la drogue. Non, vraiment. Ca tient du détail minime, ce genre d’informations. Invoquons plutôt le secret professionnel.
Revoilà des larmes dans les yeux de Dahlila. Décidément, elle en a gros sur la patate, la petite dame. Et à en juger par la tournure que prennent les événements, James commence à se croire qu’il se bat pour une cause perdue. Elle est encore totalement mordue de cet Aizen, malgré leur histoire qui semble remonter à des années. ll ne risque pas de lui faire oublier son chagrin d’amour avec un sourire et un battement de cil. Mais … autant essayer le tout pour le tout. Il est temps de lui sortir les phrases bateau que tout le monde utilise pour rassurer une personne qui a subi un échec amoureux. Ce n’est pas original du tout mais … la plupart du temps, ça fonctionne plutôt bien ! Reste à savoir comment Dahlila y sera réceptive. Selon les personnes, soit leur état s’améliore considérablement et ils peuvent vite passer à autre chose, soit il s’empire et dans ce cas … Jamie fuit avant de devoir supporter une énième crise de larmes.
Il n’y a rien de moins disgracieux qu’un visage chagrin ! Les yeux rouges, les joues trempées, le nez qui coule … non vraiment, niveau glamour, on est à ras les pâquerettes, et c’est bien peu de le dire !
Allons, allons. Pas besoin de se mettre dans tous tes états ! Je comprends que ce garçon a été très important pour toi à une période de ta vie. Mais tu es jeune, tu as la vie devant toi ! Et surtout, mille occasions de faire de nouvelles rencontres. Ce serait dommage de passer à côté d’une belle histoire à cause d’un passé duquel tu n’arrives pas à te défaire … si ?
Les dés sont jetés. Reste à savoir ce que Dahlila répondra à ça …!
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