Un grand mouvement te tire de ta torpeur mélancolique. Tu ouvres les yeux difficilement et constate que tu t'es endormi dans le navire, toi qui pensais que tu ne pourrais pas fermer l’œil, de peur qu'un problème ne se produise. Voilà bien longtemps que tu n'avais pas rêvé, Oz. Tu te souviens de la dernière fois où cela t'était arrivé ? C'était un peu avant que ce drame ne se produise. Un drame comme n'importe qui peut en vivre dans sa vie. Mais voilà, malgré tout ce que tu peux te dire à ce sujet, la tristesse, le désespoir ne disparaît pas, loin de là. C'était il y a seulement six mois et étrangement, cela te semble bien plus lointain comme aussi bien plus proche. Ta conception même du temps est totalement étriquée, comme si tu avais cessé de vivre pour un temps. Comme lui. Emil était mort, Oz, fauché dans un accident de la route. Tu ne voulais pas y croire, tu refusais d'y croire. Puis tu as du t'y résoudre et survivre comme tu le pouvais. Jusqu'à ce que tu te souviennes de son rêve d'autrefois, de devenir dresseur dans sa région d'origine. Et la solution s'ouvrit à toi comme un livre. Bien sûr, cela ne t'a pas soulagé que de prendre ce chemin. Tu as toujours autant pleuré, seul chez toi. Tu as toujours autant haï le monde entier pour ce qui lui était arrivé à lui, et pas à toi. Tu es dans un gouffre, Oz. Un gouffre profond, noir et glacial. Tout autour de toi n'est qu'obsidienne, aucune lueur ne te parvient. Mais pour lui, pour Emil, tu as essayé de ne pas oublier tous les efforts que tu as accompli pour lui. C'est pour cela que, lorsque tu t'en es senti capable, tu as tout laissé tomber pour aspirer sa vocation. Ce n'est pas la tienne, loin de là. Mais c'est une façon pour toi d'honorer sa mémoire, ou plutôt de continuer de vivre à travers lui. Car sans lui, tu n'es plus rien, Ozymandias. Tu ignores si la voie que tu as choisi d'apportera un jour la lumière ou non. Tu sais, de ce qu'il t'a raconté de Salva, que cela risque d'être très difficile pour toi de vivre là-bas. Mais tu y parviendras. Sans rien changer à ta personne, à cette personne dont Emil était amoureux. Car ainsi, tu as l'impression de le faire vivre encore un peu. Ne serait-ce qu'un instant de plus. Les yeux rougis par les larmes, tu te lèves lorsque tu aperçois le port de Mésoé. Tu essuies une dernière fois l'ambre de ton regard et tu t'avances vers la passerelle du bateau. Cette nouvelle vie, elle est pour lui. Tu ignores s'il te voit ou non, mais qu'importe. Tu y parviendras, Oz. Tu réussiras à survivre à cette épreuve. Pour lui.