S’il y a dix ans, on m’avait dit que je serai invitée à me rendre en Austrée pour donner une conférence sur la biodiversité si particulière de la Forêt des Sycomores, je ne l’aurai pas cru. Pas que je doutais de ma capacité à pouvoir conduire un exposé de deux bonnes heures sur le sujet, pas que je doutais de mes connaissances, de mon expertise sur le sujet –j’ai littéralement été élevé dans cette forêt... plutôt que j’avais déjà conscience à l’époque que ma ‘condition’ est encore malheureusement un frein pour ma carrière. A tort, évidemment. Est-ce que cela m’a empêché de continuer ? Absolument pas. J’ai persévéré, je n’ai rien lâché. Pas question d’abandonner, cela ferait trop plaisir à certains idiots. Le résultat ? Il est encore modeste, mais il est là. J’ai été invitée à me rendre à Derwoud, la ville siège de l’académie des Rangers –ce n’est pas rien !- parce que mon expertise les intéresse. Parce que mes écrits publiés durant plus de dix ans en mon nom –et pas en celui de Père- a eu un certain écho auprès de la communauté scientifique en charge de cet évènement. Flatteur ? Je mentirai en disant que non. C’est très flatteur. Ce début de reconnaissance ne pouvait pas mieux tomber. Quand j’ai ouvert ce courrier –il y a quelques mois, Père est si fier !-, je n’en croyais pas mes yeux... et pourtant, me voilà à Derwoud, au sein d’une forêt si différente de la mienne. Une ville nichée sous les frondaisons, bien à l’abri de la chaleur habituelle de l’Austrée. Si je n’avais pas eu une conférence à préparer, j’aurai bien joué les touristes... j’aurai vraiment bien aimé jouer les touristes, et me perdre dans ces rues. Me perdre dans cette forêt, y découvrir la flore et la faune locale, mais cela attendra. Non seulement je suis ici pour transmettre mes connaissances, mais mon voyage en Austrée est double puisqu’un collègue requière également ma présence à Solem.
Je me demande s’il ne peut pas attendre un ou deux jours de plus.
Le voyage s’est globalement bien passé, quoi qu’un peu long. Heureusement, j’ai eu tout le loisir de revoir mes articles pendant que Wins’ s’extasiait de voir le paysage défiler à si grande vitesse. Puis... il a désormais un nouvel ami... enfin une nouvelle amie ! J’ai capturé Lumila récemment dans la forêt des Sycomores... et je compte bien la présenter comme exemple des espèces bioluminescentes qui règnent dans ces bois. J’espère qu’elle ne sera pas trop stressée, même si je pense que dans ce domaine, personne ne peut battre Winston ! Evidemment, lui aussi m’accompagnera... surtout parce qu’il ne peut pas se détacher de moi plus de dix minutes avant de paniquer, ce qui est déjà un mieux pourtant !

Contrairement à une bonne partie du Septrion, Edelsten a la chance d’être bien desservie par les lignes de trains venant du sud du pays. Rien de plus facile pour planifier un voyage, il m’a suffi de réserver une place et le tour était joué. Je suis arrivée à Derwoud hier, en fin d’après-midi et n’ai pas attendu beaucoup attendu pour trouver un hotel... puisque quelqu’un m’attendait à la gare ! On aurait dit un film, avec un de ces guides qui a votre nom sur une pancarte toute blanche et qui vous cherche du regard. Je n’avais jamais vu ça ! Après une bonne nuit de repos, j’ai passé ma matinée à me préparer pour la conférence. Ma présentation a été programmée pour l’après-midi –soit dans une dizaine de minutes- et je ne peux pas être plus prête. Pour l’occasion, j’ai décidé de me montrer plutôt pro. Pas que je m’inquiète forcément de l’avis qu’on peut avoir sur moi à cause d’une tenue qui serait ‘trop courte’, mais disons que j’ai conscience que je peux ‘distraire’ certains de ces messieurs –et dames ! Mais c’est ce que j’espère-, et ce n’est pas le moment. Je veux qu’on se concentre sur ce que j’ai à dire, pas sur ce que je porte. J’ai conscience qu’invariablement, on en parlera, parce qu’étrangement dès qu’on parle d’une femme, on discute toujours en premier de son apparence ou de ce qu’elle porte, mais tant pis. J’ai décidé de la faire sobre : un chemisier blanc qui me met en valeur –mais pas trop-, un pantalon noir, des escarpins de la même couleur et évidemment ma longue blouse blanche –lavée et repassée pour l’occasion- que je porterai avec fierté. J’ai même tenté l’idée de la fine cravate noire... pour la petite touche masculine. J’ai également remonté mes cheveux en queue de cheval plutôt soignée

Les coulisses ressemblent à ce dont on peut s’attendre dans ce genre d’évènement... un peu vide, et les intervenants de l’après-midi pètent de trouille. Heh, il n’est pas toujours évident de gérer son stress avant ce genre de présentation. Mais je sais que ça ira, tout comme ça a été pour les autres. Mon collègue encore sur scène termine son programme et remercie l’assemblée. Une pause de quelques minutes le temps que je me mette en place est annoncée... c’est à mon tour. Avant toute chose, je rassure et explique une fois de plus le déroulé de ce que va se passer à Winston. Il restera –je l’espère- bien tranquillement dans sa poche favorite, mais je préfère toujours le prévenir, pour ne pas qu’il s’inquiète. Lumila est dans sa pokéball pour l’instant... Bien, ça va aller. Je jette un coup d’œil à l’assemblée et la trouve... surprenamment nombreuse. Pour un dimanche après-midi, il reste très peu de place vide. Le parterre se compose, comme souvent, de son lot de scientifiques discutant, prenant note, des extérieurs curieux, des assistants... assez peu d’étudiants, et ils se sont planqués dans le fond de la salle, évidemment. Rien de surprenant... oh, si, il y a un jeune au premier rang. J’ai failli le louper vu que sa tignasse argentée se fond dans la masse des cheveux grisonnant des anciens du premier rang. Amusante pensée. Je me demande pourquoi il n’est pas planqué avec les autres dans le fond.
Je m’avance et installe mes notes sur le pupitre. Je ne suis pas du genre à me cacher derrière mes feuilles et très franchement, je connais le sujet suffisamment par cœur pour improviser. J’aime que mes conférences soient plutôt dynamiques, histoire qu’on ne s’endorme pas. Mon sujet : Expliquer en à peine deux petites heures la dynamique et l’écosystème de la Forêt des Sycomores, notamment en présentant l’aspect unique des espèces endémiques. Deux heures, ce n’est pas assez, je pourrai discuter de ce sujet pendant des jours. Tant pis, ce sera une bonne introduction à mes travaux.

La pause se termine et l’annonceur prend la parole.

« Mesdames, messieurs... veuillez regagner vos places s’il-vous-plait » Il attend quelques instants que le parterre se calme et s’exécute avant de continuer. « Bien... Notre prochaine intervenante a fait le voyage depuis Edelsten pour présenter son sujet : ‘La biodiversité et espèces endémiques de la Forêt des Sycomores : état actuel’. Sujet qu’elle étudie depuis de nombreuses années et notamment son application dans le domaine médical. Merci d’accueillir Lucie Helm »

J’avoue, ça fait quelque chose d’être annoncée par un présentateur. Un mélange de fierté et d’excitation. Je le remercie et remercie évidemment l’assemblée d’être venue.

« Les légendes qui entourent la forêt des Sycomores sont nombreuses. On la dit sombre, dangereuse, impénétrable, remplie d’illusions... presque magique. Aux enfants d’Edelsten, on apprend à ne pas s’y aventurer. » Ce qui ne m’a pas empêché de désobéir de nombreuses fois. « Même en pleins jour, il y a règne une atmosphère que l’on pourrait qualifier de ‘sombre’. »

Puis, conformément à ce que j’avais discuté avec le régisseur, l’intensité lumineuse de la salle diminue. Pas au point de plonger tout le monde dans le noir, heureusement. Une petite mise en scène pour illustrer mon propos.

« Pourtant, la vie foisonne là-bas... comment, sans lumière ? Très simplement. »

Je décroche ma pokéball de ma ceinture et appelle Lumila. Petite comme elle est, je la garde dans ma main et la présente à l’assemblée. Dans la noirceur, elle s’éclaire doucement et naturellement d’un bel éclat bleuté. La Spododo ne semble pas très stressée, plutôt curieuse de ce qui se passe. Pour présenter la Bioluminescence... rien de tel qu’un exemple vivant, non ?

« Nombre d’espèces se sont adaptées à cet environnement en développant leur propre lumière, ou ont juste appris à s’en passer... »

Et c’est ainsi que j’ai décidé de débuter une présentation de deux bonnes heures sur ce sujet.


« Merci de votre attention ! »

Et... fini ! Parler pendant deux bonnes heures, c’est quand même assez fatiguant, mais je suis plutôt contente de moi ! Evidemment, je n’ai pas laissé la lumière quasi éteinte tout le long de la présentation. Juste pour la première partie. Je crois que j’ai bien mérité de moment de détente, c’est clair, mais la journée n’est pas terminée. C’est le moment le plus intéressant qui commence, celui où on rencontre les personnes et où on répond à leur question. Je range mes notes et sort de scène. Lumila a droit à de chaleureuses félicitations, tout comme Winston, pour son comportement exemplaire. Une bonne idée de l’avoir laissée se balader entre les rangées, elle semble aimer se percher un peu partout. J’apprends encore à la connaitre après tout. Je passe quelques instants en coulisses et échange quelques mots avec mes collègues avant de sortir pour rejoindre le parterre. La suite des évènements ? Sans doute que les organisateurs vont nous diriger vers une salle adjacente pour boire un verre ? Histoire de poursuivre la discussion. J’ai presque hâte, j’avoue.

Ouf, je meurs de soif. Parler pendant deux heures avec juste une petite bouteille d’eau, ce n’est clairement pas assez. Note à moi-même pour l’avenir, emporter une pleine gourde d’un litre à la prochaine conférence que je ferai... ‘fin, si prochaine il y a. J’ai donné mon maximum pour captiver l’audience, et j’avoue que j’espère bien avoir impressionné quelques-uns de ces crétins aux cheveux gris. Je ne suis pas dupe, je doute que ces chers messieurs, pontes de la recherche, se soient abaissés à m’écouter au-delà de mon introduction. Surtout pour ceux qui débarque directement du nord. C’est déjà un affront suffisant que je dirige un laboratoire dans une ville majeure comme Edelsten, c’est quasiment une insulte que je suis un minimum compétente dans mon domaine... alors apprendre quelques choses de nouveau de la bouche d’une femme ? Ah ! Jamais. Plutôt se crever les yeux et se boucher les oreilles... ou plus simplement, faire comme si je n’existais pas. J’ai hâte de rejoindre la salle adjacente pour échanger avec mes collègues, mais une partie de moi ne peut qu’appréhender. Je n’ai pas peur de leur parler, j’ai juste... je sais que je vais surtout être promptement mise de côté. Dans cette salle, à part pour les hôtesses et j’imagine les épouses de ces messieurs, je suis pratiquement la seule femme.
Je soupire à ce parterre qui pue la testostérone. Je regrette vraiment que Salva ne soit pas plus... progressiste. On est pourtant à Derwoud, en Austrée, et je suis encore la seule intervenante du beau sexe. C’est décourageant, et clairement rageant. Aller, un peu d’optimisme... peut-être que je pourrai trouver quelqu’un qui a apprécié ce que j’ai pu raconter. Je crève d’envie de partager mon savoir... et je crève aussi un peu de faim et de soif. Alors, quand une des hôtesses propose de passer dans la salle d’à côté, je ne me fais pas prier. Les doubles-portes s’ouvrent sur ce qui ressemble à une réception, sauf qu’à la place des invités en robes de soirée et costume trois pièces, on a une bande de scientifiques dont la moitié ne sortent du labo’ qu’une fois par semaine. Ouais... certains collègues sont étranges et bizarres socialement, alors que d’autres, rompu à l’exercice, prennent toute la place. Un grand buffet a été dressé le long d’un des murs couverts de drapés blancs. Dessus, on y trouve un peu de tout niveau nourriture, réduite à la une taille rendant plus facile la tâche délicate de manger, tout en circulant et en parlant. Ouais, je sais que c’est plus moderne qu’un diner assis, et surtout plus pratique pour circuler, mais je ne veux pas imaginer le calvaire de nettoyage quand tout sera fini. Un peu partout sont dressées des tables hautes alors que sur une scène en arrière, un groupe de quelques musiciens classiques commence un morceau lent et raffiné. Ah d’accord... carrément. Ce n’est pas un peu trop ? Je ne sais pas si c’est normal comme traitement, ou si je suis trop habituée au côté bourru du Septrion, mais je n’avais jamais vu une organisation pareille.

La masse de blouse blanche se répand dans la salle, alors qu’une petite armée de serveurs se pressent d’aller à la rencontre des groupes qui se forment avec leur plateau rempli de verre de bulles. Bien vite, les affinités se forment... presque connues d’avance. Il n’y a pas de groupes hétérogènes, ou très peu. Les quelques scientifiques Septrionniens préfèrent se masser ensemble... et pourtant je sais de source sûre que deux d’entre eux ne peuvent pas se piffer depuis des années. Ridicule. Mon estomac se réveille alors, attiré par les effluves chauds de la nourriture. Tentant, trop tentant, je me surprends à me comparer à Winston face à une de ses baies Stekpa préférée... sauf que je sais encore faire preuve d’un minimum de self-control ! En parlant de Winston... je me dis que lui et Lumila ont également mérité de gouter à ce buffet. Cette dernière s’est perchée dans ma poche de poitrine, curieuse de tout observer et globalement, juste adorable. Je regarde autour de moi... et je constate que personne n’a l’air intéressé par l’idée de m’aborder. Je suppose que je le ferai, comme toujours, mais après. En quelques pas, je rejoins la longue table. En chemin, j’emporte un verre de mousseux d’un de ces plateaux virevoltants. De nombreux feuilleté de toutes sortes, des mini-quiches, des toasts, il y a vraiment de tout. Je ne sais pas trop quoi choisir et prends une gorgée de boisson pour couper un peu ma soif. Finalement, mon choix se porte sur un canapé tomaté que j’engloutis en une bouchée. Une protestation double de la part de mes pokemon s’élève alors.

« Mais oui, je vous en donne »

Je me saisis d’un feuilleté aux légumes, le sépare en deux morceaux équivalents et le donne à mes deux petits affamés. Ils dévorent le tout dans leur poche, sans demander leur reste. Petits gloutons. Des éclats de voix soudains m’arrachent à ce spectacle tout bonnement adorable. Je tourne la tête sur ma droite... Il s’emblerait d’un étudiant soit aux prises avec un des intervenants de la journée... oh, vu la tâche pourpre sur sa blouse, je pense comprendre ce qu’il s’est passé. A la voix grasse et la barbe touffue de l’homme bourru, je le reconnais directement. Ivor Standov... c’est bien ma veine. Comment dire que je ne le porte pas dans mon cœur depuis le jour où j’ai accompagné Père à une de ces conférences et qu’il m’a proposé de le raccompagner pour que j’apprenne à connaitre ce qu’est « un vrai professionnel ». Je crois que c’est la baffe la plus mémorable que j’ai pu donner de ma vie... jusqu’à celle de l’autre jour sur ce blondin qui m’a manqué de respect, évidemment. Je roule des yeux à la rudesse du personnage. L’étudiant se tourne alors vers moi... Hey, c’est celui du premier rang ! Il a pris note littéralement de tout ce que j’ai dit... est-ce qu’il voulait venir me parler ?

Quand il se dirige vers la sortie, je prends ma décision. Tant pis, ma réput’ est déjà celle d’une mégère alors...

« Ivor, t’as pas mieux à faire que d’emmerder ton monde encore ? Il s’est excusé » L’homme barbu tique immédiatement, mais je passe à côté de lui pour rattraper le jeune homme. Je me fous s’il veut commencer quelque chose, j’ai mieux à faire. « Attends ! Jeune homme ! »

Quelques-unes de ses feuilles sont tombées par terre, je les ramasse et les parcours pendant quelques instants. C’est... il a vraiment écrit tout ce que j’ai pu raconter. Même des détails pourtant insignifiants. Au moins une personne m’a écoutée durant cette conférence, hm ?

« Impressionnant... il y même mes remarques sur les enzymes productrices des protéines bioluminescentes. » Je lui souris, et lui tends ses feuilles pour qu’il les récupère. « Je crois que tu as quelques questions, non ? Je serai ravie d’y répondre... et ne t’inquiètes pas pour certains gros lourds du coin. Tu as le droit d’être ici. »

Croire que tout le monde dans la communauté scientifique est ouvert et accueillant serait une erreur. Malheureusement. Comme je vois les choses, nous avons trois missions principales : contribuer à faire avancer le niveau de connaissance de notre espèce sur le monde qui nous entoure, venir en aide au public, notamment aux dresseurs et enfin, aider la population à comprendre de quoi on parle. Soyons sérieux, pas la moitié des blouses blanches ici ne sait vulgariser son savoir, le rendre attractif pour le plus grand nombre. Parce que soi-disant, ‘ça fait intelligent’ quand personne ne te comprend... Parce que posséder le savoir, c’est également posséder le pouvoir d’une certaine manière. En empêchant le plus grand nombre d’accéder à la connaissance, on se place sur un pied d’estale, on est perçu comme ‘supérieur’, on est traité avec déférence. C’est idiot. Et ce genre de conférence ne devrait pas être restreinte à la seule communauté scientifique. Malheureusement, ce que je raconte, je le hurle dans le vide. Peu de mes pairs sont de mon avis, et préfère se complaire dans cette fausse supériorité qui les fait se sentir plus important qu’ils ne sont, je suppose. Chose, que je n’ai pratiquement jamais connu, puisque dès mes débuts, on m’a très bien fait comprendre que je n’aurai jamais de vraie place, que je ne serai jamais considérée comme les autres.
Comment peux-tu oser affirmer être un expert dans ton domaine, si tu ne sais même pas l’expliquer sans utiliser des termes que littéralement personne en dehors de ton labo’ a même déjà entendu ? Utiliser des mots compliqués ne te rend pas plus intelligent, t’en as juste l’air, jusqu’à ce qu’on comprenne qu’en vérité, t’as rien compris.

Est-ce étonnant ? Ivor est de ceux qui adore s’écouter parler et voir la lueur d’incompréhension dans le regard de son interlocuteur. C’est le genre de type qui te parle... mais il ne discute pas avec toi. Il veut juste une audience et une caisse de résonnance pour entendre le son de sa propre voix. Le genre de voix profonde et grave que tu ne peux jamais vraiment ignorer et qui lui donne un certain charisme, certes, mais ça reste très épuisant de l’entendre pendant des heures et après te rendre compte que tu aurais pu t’éclipser, rien n’aurait changer à cette ‘discussion’. Est-ce rare comme comportement ? Dans le Nord, pas vraiment, mettons ça sur la fierté mal placée et l’envie de se sentir important dans son travail. Le Résultat ? On l’a là, un type qui dès qu’il voit quelqu’un qui ne semble pas « à sa place », il rabroue et se comporte comme un mufle. Rien de nouveau.
Une de mes philosophies, c’est de pouvoir transmettre mon savoir au plus grand nombre... pour peu que l’on m’écoute. Passons sur la seconde partie, j’y travaille, encore et encore. Le fait est que s’engager dans un débat scientifique avec moi peut être à double tranchant... parce que je ne compte pas m’arrêter de parler avant d’avoir transmis tout ce que j’ai à transmettre... et comme mon sujet est largement méconnu –ou inintéressant, je sais-, ça peut prendre du temps rien que pour couvrir les bases.
Heureusement, du temps, j’en ai toujours à revendre... particulièrement dans ce genre de conférence, puisque je peine toujours à me mêler à mes pairs sans être confondue pour la serveuse... ou pire. Forcément, dès que j’ai l’occasion de répondre à des questions, je saute dessus et cette fois-ci, j’ai justement cette occasion, offerte par un étudiant qui a failli être mis à la porte à cause de ça. Ignorons le gorille couvert de jus pourpre, et laissons parler la science. Mon passionné du jour s’appelle donc Rohann. Je m’en serai voulue un bon moment si je ne l’avais pas empêché de passer cette porte, surtout qu’au vue de ses notes, il semble vraiment intéressé par le sujet. Difficile d’intéresser des gens sur le sujet d’une forêt étrange donc la moitié du Septrion est persuadée qu’elle est juste hantée ou maudite... du coup, pourquoi s’encombrer ?  Si l’Austrée est aussi ouverte que je le pense, ce genre d’interaction pourrait se reproduire... à condition de venir plus souvent. Je m’en serais aussi voulue si j’avais laissé ce balourd d’Ivor lui briser le moral avec ses grosses paluches. Comme je le présentais, Rohann a bien quelques questions pour moi... auxquelles je réponds par un léger rire, histoire de détendre l’atmosphère.

« Tout de suite, tu me poses une colle, c’est un test ? » Je tourne mon verre encore à moitié plein de mousseux dans ma main, chipant une gorgée avant de donner ma vraie réponse. « De ce qu’on en sait, la bioluminescence des Spododo est bien un résultat de l’évolution, donc de leur environnement. Cependant... prends Lumila par exemple... » La spododo, à l’entente de son nom, sort sa tête couverte de champignon de ma poche de poitrine. Elle s’en extirpe pour mieux observer le l’inconnu. « Depuis que je l’ai capturée, elle est plus souvent dans un environnement éclairé. Elle n’a pas perdu sa capacité à produire la lumière pour autant. De mon point de vue, si on introduit des spododo dans une forêt plus éclairée, leur comportement changerait pour s’adapter, et ils seraient plus actifs de nuit. Rien de tel qu’un peu de lumière pour attirer ses proies, le phénomène existe chez plusieurs espèces des fonds marins. »

C’est comme ça que les spododo chassent, si on peut appeler ça chasser. Ils ne sont ni très rapides, ni très forts, mais ils se confondent avec leur environnement... et si on ne fait pas attention, on peut se retrouver couvert de Spododo qui se feront un plaisir de ponctionner notre énergie avec leurs racines. Adorable... mais aussi creepy quand on y pense. Heureusement, ça reste assez rare, puisqu’ils préfèrent se planter dans le sol pour récupérer leur nutriment. Lumila, bien perchée sur mon épaule, dodeline du champignon avant de partir en vadrouille le long de mon bras, intéressée par le verre translucide et ce qu’il contient. Dire que je me fais littéralement marcher dessus par mes pokemon... ce n’est pas loin de la réalité. Mais je préfère ça à l’idée de les laisser pourrir dans leur pokeball, aussi confortable soit-elle.

« L’espèce existe également sur les continents d’Alola et de Galar, mais j’ai du mal à trouver des données sur leur comportement là-bas. L’idéal serait que je puisse m’y rendre, mais ce n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant. » Je termine alors mon verre, veillant à ne pas trop bousculer la spododo au passage, et le garde en main, en attendant de trouver un serveur pour qu’il m’en débarrasse. « C’est assez rare de voir un étudiant se passionner pour ce genre de sujet... tu viens de l’académie de Ranger ? Ou une carrière scientifique t’intéresse ? »

Je l’avoue, je suis curieuse de savoir comment il a pu se retrouver au milieu des autres grincheux... et en parlant de grincheux, je sens –et j’entends, en arrière-plan- que Ivor commence à s’exciter dans mon dos. Il n’est pas proche... mais mon sixième sens à lourdaud commence à se réveiller. Quand il aura fini de se plaindre à... à peu près tout le monde, je sens qu’il ne va pas nous laisser sans revenir à la charge. Oh, well, je l’accueillerai comme il se doit alors.

Ce garçon est d’un… rafraichissant. Je suis largement habituée à être la plus jeune professeure, et donc la plus jeune personne, à trainer dans ce genre de colloc’ et à être vraiment intéressée par ce genre de sujet. Ça me rappelle l’époque où je collais mon père partout il allait, à en devenir une vraie petite assistante, juste dans l’espoir d’en savoir un peu plus, d’en apprendre un peu plus… ou plutôt pour l’idée de pouvoir vraiment passer du temps avec lui. Il faut dire que le départ d’Erik nous a bien foiré, lui et moi, et toute la dynamique familiale avec. Mais sans ça, jamais Père ne m’aurait laissé devenir une scientifique digne de ce nom, encore moins son assistante, encore moins la professeure qui reprendrait le flambeau du laboratoire d’Edelsten. Cette ‘révolution révoltante’ est le fruit du hasard, parce que si mon cher frère n’avait pas pété les plombs et tourné les talons à tout jamais… Heh, j’imagine que c’est moi qui l’aurais fait, tôt ou tard. C’est étrange quand j’y pense. Je dois évidemment ma présence en ces lieux, la gestion de mon laboratoire avant tout à mon travail et à mes efforts constants dans mon domaine de recherche, mais je ne peux pas nier qu’être née directement avec une éprouvette dans les mains m’a pas mal aidée. Comme le fils d’un boulanger est plus enclin à reprendre la boutique familiale et à devenir boulanger à son tour. Ce n’est pas si étrange que ça, si on met de côté que mon seul ‘défaut’ est de ‘manquer’ d’un certain service trois pièces si important pour nombre de ces messieurs qui trainent dans cette salle.
Mais Rohan, il n’est pas comme ça. Déjà parce que sinon, il ne me parlerait pas avec une telle déférence et un tel respect. Rafraichissant. Une carte blanche qui n’est pas encore souillée par les principes, mes mœurs et idioties qui règnent encore dans le monde scientifique. Tout ça pour dire que… ça manque cruellement de meufs. Et je ne parle pas des potiches qui sont contraintes de nous servir à boire, ou celles qui n’ont pas eu grand choix dans la vie que de se marier et pondre une chiée de marmots. Qu’il reste ainsi, va, ça lui va bien. Il n’y a rien de plus terrible que de voir quelqu’un se forcer à se conformer à la pression d’autrui… Oui, je pense largement à mon ex, là. Sans doute -ce n’est qu’une supposition, un idéal- parce qu’il n’est pas originaire des grandes plaines glaciales du Nord. Sans doute parce que le Sud reste, et restera de ce que j’en ai vu, une terre bien plus accueillante.
Je digresse, et tire des plans sur la comète. A moins que ma moitié Austrienne ne se réveille enfin après quelques jours passés au soleil. Ah, je vais plutôt blâmer l’alcool, soit un trop plein, soit un manque flagrant de bulles dans mon verre. Ça détend et délie les langues, plus encore quand on a avalé que le strict minimum. Je vais mettre ça aussi sur le compte de mon âge qui avance. Je suis loin d’avoir des cheveux gris, et de pouvoir me la jouer grand sage, mais je ne peux m’empêcher de trouver la curiosité, les questions de ce jeune homme presque… nostalgiques. De me voir, plus jeune, avoir cette soif de connaissances. J’espère juste qu’il ne le fait pas pour avoir de l’attention d’autrui. La Science pour la beauté de la recherche, c’est tout ce qui compte. La Science pour le service à la population, c’est la vraie réponse à ce que nous faisons. Le reste, la gloire, les paillettes, l’amoralité, de l’esbrouffe qui n’a pas grand intérêt. Indigne de la droiture du Nord.
Oui, je pense au gorille qui s’excite dans mon dos, rabrouant certainement un serveur pour avoir une blouse de rechange. Ou sans doute sa femme, puisqu’elle a la même fonction à ses yeux.

J’avoue, l’idée de prendre un jeune aussi curieux à mes côtés ne me déplairait pas. Je manque cruellement d’aide, et mon ‘grand âge’ me dicte de commencer à penser à transmettre ce que je sais. Malheureusement, ce n’est pas pour maintenant, car comme je le pressentais, Rohan est un étudiant Ranger. Etonnant. Difficile de le voir autrement que le nez dans ses bouquins, mais moi-même, je suis plus souvent en extérieur qu’à mon labo’, selon les périodes. Je me demande si ce n’est pas cette image d’ermite reclus dans sa caverne toute blanche que dessert la profession… On a plus d’action que ce que le commun des mortels imagine… Surtout quand son sujet de recherche est en lien avec des espèces de pokemon dangereuses. Enfin, je garde mes plantes, et mes spododo pas si inoffensifs que ça. C’est vrai que je l’imagine très bien avec une blouse blanche, mais si le capstick est sa vocation, je suis mal placée pour l’en dissuader. Un ranger avec de la cervelle n’est pas pour me déplaire… je dois bien avouer que ceux qui foncent dans le tas avec leurs gros sabots et leur bouche en cœur en bramant leur amitié avec tout ce qui rampe dans la forêt me laisse assez de glace. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer le moment où une petite troupe de Zorua va les faire tourner en bourrique, juste pour la beauté de regarder un humain tourner en rond pendant des heures et des heures.
Oui, c’est déjà arrivé. Et oui, c’était assez drôle.

« Tu sais que je ne passe pas me vie cloitrée dans mon labo’… mais je comprends ce que tu veux dire. L’appel des grandes étendues est difficile à ignorer »

Quelque part, si je n’avais pas la relève de Père, qui sait si moi-même, je ne serais pas devenue Ranger ? Ce n’est pas une carrière désagréable, et surtout, l’idée de quitter le train-train quotidien pour crapahuter dans les terres sauvages a quelque chose de très séduisant, même pour moi qui n’ait pas si souvent que cela quitté Edelsten. Un regret que je ne compte pas garder très longtemps.  
La mention de Galar de la part de Rohann allume une nouvelle flamme curieuse dans mon regard. Un regain d’intérêt, un peu comme si j’avais présenté un buffet de baies sucrées à Wins’. Non que lui transmettre ce que je sais soit ennuyeux, plutôt qu’apprendre directement par les mots de quelqu’un qui s’est rendue dans cette terre sacrée est diablement meilleur ! La forêt de Corrifey et celle d’Edensten présente des caractéristiques similaires, des espèces semblables… Et je mentirai en disant que je n’ai pas envie d’y mettre les pieds. Réaliser une étude comparative des environnements, des espèces qui s’y trouvent et de leur comportement… ! Je n’ose même pas rêver des espèces de plantes exotiques et étranges qui doivent y pousser !

Traduction ? Je dois en savoir plus !  

« Rohann… tu avais mon attention, maintenant, tu as tout mon intérêt ! »

Réveiller la soif de connaissance d’un chercheur, d’un professeur n’est pas toujours une bonne idée… A moins d’avoir quelques heures de libre devant soi. Une mine d’information, une personne qui n’est pas coincée dans les mœurs débiles de Salva ? Oh, pincez-moi… ! D’un autre genre, et c’est autour d’un diner que nous aurions pu discourir pendant des heures !
Je n’oublie pas l’idée du dîner, mais si je m’éclipse avec un mineur, ça va encore jaser dans les chaumières.
Quoique… j’en ai un peu rien à foutre, non ?

« La forêt de Corrifey est une référence pour tous ceux qui ont étudié de près ou de loin celle d’Edensten ! J’espère que t’as du temps, parce que je ne vais pas te lâcher avant que tu m’aies dit tout ce que tu sais à ce sujet ! T’as un couvre-feu ou je te ramène à l’académie quand je veux ? »

Une serveuse passe à portée, et je dépose mon verre sur son plateau sans même y penser. Lumila, encore accrochée à mon bras, est un peu secouée, mais surtout très amusée par ses montagnes russes improvisées. On retrouve aussi des Verpom à Galar, si je me souviens bien… je parie qu’il peut aussi m’en parler si je lui demande. Gheez, pas assez de temps, trop de questions en tête. D’abord, calme, tester la fiabilité de sa source et la profondeur de ses connaissances…

« J’ai lu que cette forêt est si sombre, qu’on ne sait jamais s’il y fait jour ou nuit… Sais-tu si cela perturbe les habitudes des espèces qui y vivent ? Oh… attends, qu’en est-il des champignons géants qui y poussent ? Ont-ils des propriétés médicales particulières ? »

Finalement, la réponse est là. Si je me fond si bien dans cette carrière, malgré un certain esprit rebelle qui détonne, c’est surtout à cause de ce que je ressens à cet instant précis. La soif, la faim d’informations. La passion de se plonger dans un sujet jusqu’à pas-d ’heure, quitte à en perdre le sommeil. Qui a besoin de dormir, quand on a l’esprit entièrement noyé dans les dernières études du professeur Magnolia, du professeur Chen ou du professeur Sorbier, trois grands pontes de la profession dont le nom et la prestance doivent facilement mettre nos ‘meilleurs’ scientifiques Septrionnien sur la touche. Ah, mon royaume pour une discussion de quinze minutes avec la professeure de Galar… ! Sa plume et sa passion se lit même au travers de son plus obscur papier. Le fait qu’elle soit une femme d’un âge plus que respectable n’est pas tout à fait étranger à mon respect pour elle. Une véritable inspiration pour chaque petite fille qui est un jour confrontée au sexisme ambiant. Elle est une véritable scientifique, une véritable professeure et ne doit pas son travail à son époux qui est d’ailleurs… un illustre inconnu. Qui a dit que les femmes ne pouvaient pas se lancer dans une carrière scientifique ? Parce que les mathématiques sont ‘pour les garçons’ ? Parce que les sujets complexes n’ont ‘pas la place dans une cuisine’ ? Ah, de la merde, voilà tout.  Un état de fait contre lequel je vais et je me dresserai toujours contre.
En fait, c’est de cela dont j’ai besoin. Plus d’un assistant aussi rafraichissant que peut l’être Rohan, j’aurai besoin d’une assistante ! Discrimination positive, tiens. Je ne peux qu’imaginer les réponses que j’aurai reçu de la part de ces crétins qui vocifèrent dans cette salle si j’avais du donner leur donner ma candidature. Puis, essayer de me lancer dans des études, être entourée 24/24 d’une marée de mecs sur les bancs d’école ? Wow, merci, mais non merci. Je ne suis pas misandre, c’est cette société à contre-sens qui me pousse à réagir ainsi.

Ne pas avoir vraiment suivi d’études supérieures n’est pas un si grand désavantage que cela, finalement. Je manque de contacts et de liens, mais peu importe. Je peux me faire mes propres opinions et me foutre de celle des autres. Un peu comme toujours.

Est-ce un hasard que Rohan soit justement originaire de Galar ? Un hasard ou un petit coup de pouce du destin. Je ne m’attends pas ce qu’il puisse répondre à toutes mes questions, mais chaque parcelle d’information qu’il pourra me donner abreuvera le puit sans fond de mes connaissances. Tout est bon, et rien de tel qu’un autochtone pour m’apprendre ce que des livres ne peuvent pas faire. Les recherches sont une chose, le travail de terrain en est une autre. Une autre extrêmement importante, je ne cesserai pas le souligner. A une future assistante, peut-être ? Transmettre ma manière complètement dingue de travailler ? Je suis mariée à mon métier, après tout. Peu de temps pour autre chose, peu d’envie pour autre chose.

Mais revenons à notre source d’informations si précieuses, visiblement plutôt content de pouvoir discourir d’égal à égal avec moi. Heh, je fais ce que l’on ne m’a jamais réellement accordé et si ça déplait à certain -suivez mon regard assassin-, alors tant pis. L’étudiant Ranger me confirme que la forêt qui entoure Corrifey est très perturbante, car il y fait nuit en plein jour. Les arbres y sont apparemment si denses et si haut qu’ils bloquent tous les rayons du soleil. Je l’imagine sans mal plus sombre que celle d’Edelsten, qui comporte tout de même, ça et là, quelques trouées et clairières. La ville elle-même est plongée dans une nuit éternelle ? Non seulement les pokémons y résidant doivent être fascinant à étudier, mais les humains aussi ! Comment articuler sa journée, ou se caler sur un certain rythme si on est incapable de voir la différence entre midi et minuit ? Un certain instinct ? J’imagine qu’il existe chez les pokémon, je l’imagine moins chez les humains. Je ne vais pas mentir, je bois ses paroles. Pas à la manière d’une plante verte qui cherche à séduire un potentiel époux, mais me concentrer sur ses mots est plus intéressant que tout ce qui peut bien nous entourer. On entend qu’il a déjà mis les pieds dans cette forêt, même si je doute qu’il ait résidé à Corrifey… Ce serait trop beau ! J’ai bien envie de m’imaginer dans le sous-bois entièrement sombre, déambuler à la lumière de Lumila ou des spododo qui y vivent.
Visiblement, tout comme la forêt des Sycomores, celle de Lumirinth accueille nombre d’espèces de type fée, spectre et psy. La mention du ponyta à la crinière étincellant dans la nuit m’interpelle, car cette espèce est étrangère à Salva. Nous avons des ponyta à la crinière enflammée, pas ceux qui sortent d’un… conte de fée !
Malheureusement, plutôt comme j’aurai dû m’en douter, il ne peut rien me dire de plus sur les fameux champignons géants qui éclairent le lieu. Dommage, mais je m’y attendais un peu. Il va falloir que je m’y rende de moi-même, hm ? Un petit défi de plus à ajouter à mon agenda, même si je crains ne pas pouvoir m’y rendre avant plusieurs années.

« Fascinant… Les ponyta de Galar ne sont pas courant à Salva, mais j’imagine que ce spectacle est superbe ! »

De temps en temps, quelques espèces de ponyta de Galar migrent à Salva pour une courte période. Dans la forêt des Sycomores, justement où ils semblent très bien s’acclimater. Dommage qu’ils ne restent guère très longtemps. J’ai une l’occasion d’en apercevoir un demi-troupeau une seule et unique fois dans ma vie, alors que j’étais encore l’assistante de père et… il a raison. La crinière rose-bleutée de ce pokemon semble provenir d’ailleurs. Un enchantement… et un mystère pour la science ! Autant je peux concevoir la crinière en flamme d’un ponyta ‘régulier’, mais… De quelle substance se compose celle de l’espèce de Galar ? Est-ce un feu également ? Juste une combustion différente ? Pas du carbone, mais du lithium ? Un lien avec leur alimentation ? Avec le sol de Galar ? Peut-être avec ces fameux champignons géants justement ?

Ah ! toutes ces questions et pas une réponse… un vrai casse-tête !

Rohan poursuit son récit et me décrit les espèces qui vivent autour de Corrifey. Fée, spectre et psy… Beaucoup d’espèces que je connais uniquement dans des manuels. Qu’on ne s’y trompe pas, aussi fascinante que cette forêt semble être, celle d’Edelsten aura toujours une place privilégiée dans mon cœur… puis, se renseigner, ce n’est pas tromper que je sache ? Je remarque qu’elle compte bien plus d’espèce de type fée, et… aucun zorua ? Ces petits farceurs sont la mascotte de ma région, et ce n’est pas pour rien ! Je ne compte plus el nombre de voyageurs et dresseurs qui ont été pris dans leurs illusions plus vraies de nature ! Voila sans doute un gros point de différence… La forêt d’Edelsten est trompeuse, pas parce qu’elle est sombre, mais parce qu’elle semble être mouvante et presque vivante.

Merci à ce petit pokémon à la houppette rouge de nous faire tourner en rond pendant des heures !

« La forêt d’Edelsten compte un peu plus d’espèces de type plante, je dirai. On y retrouve des mystherbes, des spododo -comme tu le sais-, des brocelômes et on est suffisamment au nord pour avoir des Blizzi qui descendent des milles sommets, mais pas suffisamment pour être envahis de pokémon de type glace. »

Cette forêt est l’enfant que je n’aurai jamais, même si elle est plutôt mon aïeul, vu son âge. Je ne peux m’empêcher d’avoir toujours ce petit battement de cœur supplémentaire quand j’en parle. Une passion qui transparait, un supplément d’âme. Comme tous scientifiques dignes de ce nom qui parlent de leur recherche, je suppose.

« Nous avons aussi des types fée, des Dedennes, trousselin et des bombidou. Les espèces de types spectre se retrouvent tous dans un ancien refuge construit par l’homme et abandonné il y a un peu plus de vingt ans. J’y passe parfois la nuit… et je suis toujours étonnée de la diversité d’espèces qu’il y a dans un si petit endroit ! Il y a des fantominus, des théffroid, des funécires, des mimiqui, des motisma… et quelques MrMime Jr assez farceurs ! »

Evidemment, je repense à ce MrMime Jr qui avait bien surpris Winston et s’était bien amusé à ses dépens et aux miens ! Tout ça sans jamais vraiment lui faire du mal… juste le faire tourner en bourrique quelques longues minutes. Stressant sur l’instant, amusant en y repensant. Le verpom, toujours bien planqué dans ma poche, ne doit pas être de mon avis. Une paire d’antennes ennuyées émergent d’ailleurs de ma blouse blanche. D’un petit cri, Wins’ attire mon attention. Sans doute doit-il m’écouter depuis le début. Ma main rejoint la poche dans laquelle il roupille habituellement et l’en sort. Puisqu’il est réveillé, et intéressé, autant le garder dans mes bras, histoire qu’il participe un petit peu.

« Oui… mon petit Winston a subit les affres d’un MrMime Jr bien téméraire, mais ça s’est bien terminé, hm… ? » Je caresse l’adorable bouille de pomme du bout de mon index. Je le couvrirai bien de petits bisous aussi, juste parce qu’il le mérite pour le simple fait d’exister, mais je vais me retenir… jusqu’au moment où je rejoindrai mon hôtel, du moins. Je reprends ensuite mes explications. « Je dirai pourtant que la forêt des Sycomores est surtout connue pour ses illusions ! Il ne fait peut-être pas aussi sombre que celle autour de Corrifey, mais nous avons plusieurs clans de Zorua et Zoroark qui prennent un malin plaisir à tromper les voyageurs. C’est très déroutant d’être persuadé d’aller dans une direction et de finalement revenir sur ses pas parce que l’environnement a été manipulé par des pokémons ! »

Pour en avoir fait les frais à de nombreuses reprises, je confirme que c’est déroutant. Parfois la ville doit même faire appel à une troupe de Ranger pour mettre un peu d’ordre, aussi lorsque les Zorua s’approchent un peu trop de la ville, justement, puisque celle-ci ne fait pas partie intégrante de la forêt.

« Si une visite de la région t’intéresse, je serai très contente de te faire visiter, et de te servir de guide ! Je suis sûre que cela pourrait t’être très utile si une mission te conduit un jour dans cette contrée. » Et j’ajoute, dans un léger rire moqueur. « Les rangers de l’Austrée finissent toujours par s’y perdre pendant un ou deux jours. La mine bouffie d’orgueil de certains se flétrit bien vite ! »

Il y a une part sauvage dans cette forêt qu’on ne pourra pas dompter. Elle est pleine de légendes et de superstitions, et une part de moi se dit qu’il me faudra bien plus d’une vie pour découvrir tous ses secrets.

« Hm, je sais, je vais te passer mes coordonnées perso’. Je suis sûre que ça ferait même plaisir à Père de discuter avec un mec pour une fois ! » Ah la vie d’ermite n’a pas que des avantages. Je sors un petit carnet -qui ne me quitte jamais… pas facile avec Wins’ et Lumila- de la poche de ma blouse et y griffonne mon adresse et numéro. J’arrache ensuite la page pour la présenter à Rohan. « J’aime aussi recevoir du courrier, alors n’hésite pas. Le papier est plus fiable que le réseau de téléphone dans la région ! »

C’est bien la première fois que je donne mon numéro privé à un mec… comme quoi, y’a un début à tout ! C’est amusant comme idée. Juste amusant.