the proud, the cold untroubled heart stone, that never mused on sorrow but its own.
Edelsten. Une belle ville de bras cassés, sans aucun doute. Et dire qu'elle était classée parmi les plus belles cités de Salva. La bonne blague. Un peu de féérie suffisait toujours à endormir l'attention des gens. Alexei, lui, n'y voyait qu'un ramassis de maisons bourgeoises, où il faisait bon vivre dans l'ignorance de la misère qui régnait ailleurs. La mine fermée, le blond s'avança à pas lent dans l'avenue principale, faisant claquer les talons durs de ses bottes en cuir sur le pavé. À cette heure-ci, il n'y avait pas grand monde dehors – chacun déjeunait tranquillement dans sa maison. D'ailleurs, une douce odeur de nourriture parvenait jusqu'à ses narines et réveillait son estomac endolori. Cela faisait plus de deux jours que le garçon ne mangeait pas à sa faim. Avant de partir, il avait préparé quelques sandwich agrémentés de viande séchée. De quoi se redonner de la force dans les moments difficiles, mais pas vraiment assez pour répondre efficacement à sa faim. D'ailleurs, les quelques tranches supplémentaires qu'il avait apportées pour son Pokémon ne semblaient pas lui avoir suffi. Depuis quelques heures, à présent, il remuait comme un fou dans sa pokéball, remonté à bloc. Alexei et lui s'étaient de nouveau disputés dans la matinée, sur le chemin d'Edelsten. Décidément, ils ne parviendraient jamais à s'entendre. Lyov se plaignait de la faim qui tiraillait son ventre et son dresseur lui avait demandé de se taire, ne supportant plus se jérémiades, ce à quoi le petit Pokémon, fort de sa rancœur, avait répondu par des cris irrités. Pour mettre fin à cette scène dont il ne savait comment se sortir, Alexei avait rappelé le Riolu dans sa Pokéball. Mécontent, ce dernier s'agitait à sa ceinture, réclamant de sortir, encore et encore. Profondément irrité, le jeune homme soupira, attrapant l'objet sphérique qu'il jeta pour libérer son compagnon de galère. S'accroupissant pour être à sa taille, il fronça les sourcils, tournant dix fois sa langue dans sa bouche avant de parler ; le moindre mot mal choisi pourrait envenimer la situation :
▬ Bon. Et si… On se calmait, tous les deux ?
Le regard rouge sanguin que lui lança Lyov manqua de lui faire perdre toute sa patience. Alexei grogna doucement, avant de se relever et de reprendre sa marche, récupérant sa pokéball au passage.
▬ Nous sommes ici pour la journée. Je vais nous trouver de quoi manger… Et je te laisse libre. Ne viens pas me dire que cela ne te convient pas.
Le petit loup bleu répéta son râle en écho, décidant de ne pas en rajouter et lui emboita le pas en silence. Il trompa sa faim en contemplant les jolies maisons colorées et fleuries qui encadraient la route. Leurs pierres, d'un blanc pur, étaient agrémentées de lierres grimpant jusqu'aux toits, en briquettes rouges. Les bâtisses gardaient cette architecture propre à la cité, mais étaient toutes différentes. La plupart existaient depuis bien longtemps ; elles étaient plus vieilles qu'elle n'y paraissaient. Au fond, Alex n'était pas insensible au charme d'Edelsten. C'était une bien jolie ville, il ne pouvait pas le nier. Seulement… Cette atmosphère doucereuse le dégoûtait au plus au point. Il n'était pas non plus habitué à ce climat ; le froid du nord se dissipait peu à peu, par ici. Et le jeune homme, originaire de l'une des cités les plus froides du monde, ne cessait de tomber les couches de vêtements qu'il avait mis sur son dos depuis son départ de Venyys. À présent, un petit pull de laine ne figurait plus que sur ses épaules. Le Riolu, quant à lui, semblait plus à l'aise avec ces températures. Au bout de quelques minutes, après avoir oublié sa rancœur, enivré par l'air frais d'Edelsten, il s'était mis à gambader dans la rue, surprenant les rares habitants qui quittaient peu à peu leurs maisons. Alexei le rappela plusieurs fois sur un ton courroucé, mais voyant que ses ordres n'avaient aucun effet sur la créature, il abandonna tout espoir de le voir obéir. Aussi préféra-t-il réfléchir à la raison de sa venue dans cette splendide ville. Quelques jours plus tôt, il avait croisé une petite annonce, placardée aux murs d'une auberge de Venyys ainsi que dans le Centre Pokémon. Un éleveur d'humeur voyageuse les avait sûrement punaisées lui-même en passant par là. Visiblement, il habitait à Edelsten et vendait des œufs de pokémon rares, qui, habituellement, ne se laissaient pas si facilement approcher par l'Homme. Alexei, piqué de curiosité, avait parcouru d'un œil critique la liste des créatures proposées… Et par chance l'une d'entre elles avait tout particulièrement attiré son attention.
Depuis toujours – et c'était sans doute dû à ses origines de mineurs – Alexei avait été attiré par les pokémons de type acier. Leur force inébranlable et leur apparente noblesse le fascinaient… Sans doute parce que lui-même rêvait de pouvoir être aussi dur et intraitable. Ce n'était bien sûr pas le cas, et il avait abandonné tout espoir de le devenir un jour. Contenir sa sensibilité comme il l'avait fait quelques années plus tôt n'avait été qu'une mauvaise idée. Cette pensée attira d'ailleurs son regard sur ses manches ; elles cachaient des cicatrices dont il n'était pas bien fier. Refouler, c'était se blesser volontairement. Au fond, il n'en était pas fier, mais il ne regrettait pas cette souffrance qu'il s'était infligé. Une juste chose compte tenu de l'affront qu'il infligeait à sa famille.
Bref. Alexei était ici pour récupérer un des œufs que promettait l'annonce. Bien sûr, ils n'étaient pas gratuits. Chacun d'entre eux coûtait plus de cinq-cent pokédollars. Une dépense considérable pour un enfant pauvre tel que lui… Mais il avait travaillé avant de quitter Venyys ; certes, la plupart de son salaire était parti dans les mains de son père, mais il en avait gardé une petite partie pour lui… Pour se constituer quelques économies. Avec l'achat de cet œuf, qui devrait contenir un magnifique et robuste Monorpale, il en dépenserait les trois quart. Mais il ne le regretterait pas… C'était sans doute ce qu'il avait de mieux à faire s'il voulait avancer dans sa carrière de dresseur : acquérir un pokémon aussi fort était un bon choix, il en était certain.
Les piaillements ravis de son Riolu le tirèrent de ses pensées. Il venait de repérer une petite brasserie qui semblait encore pleine de monde. Le regard qu'il lui lança ne fut que mépris. Oui, ce n'était certainement pas avec ce pleurnichard qu'il avancerait dans sa carrière. Lyov était mignon, était beau, certes, mais il n'avait pas l'âme d'un combattant… Et puis… Et puis sa provenance ne plaisait pas à Alexei, bien que sur le coup, il n'ait pas su le refuser. Un petit soupir s'échappa de ses lèvres : il avait été bien faible. Rejoignant son petit compagnon, il poussa la porte du restaurant sans un mot, lui tenant quelques instants pour qu'il le suive dans son entreprise. Lyov, les yeux brillants de faim et de gourmandise, ne se fit pas plus prier, sachant pertinemment qu'il allait bientôt être rassasié.
Ils ressortirent une vingtaine de minutes plus tard, les mains chargées de sandwich et d'une gourde remplie d'eau fraîche. Le riolu engloutit le tout en quelques instants, sous le regard mi amusé, mi coléreux d'Alexei. Au fond, il aimait bien cette sale bestiole. Elle le faisait rire. Il entama à son tour son pain et sa viande de tauros, appréciant la multitude de goûts qui se déposaient sur sa langue et son palais. Laissant aller sa tête en arrière, profondément soulagé, il observa le ciel bleu quelques instants, appréciant sa beauté, cette couleur vive qu'il n'avait pas vue souvent. Un léger sourire vint fleurir sur ses lèvres, la colère sourde qui serrait sa gorge depuis son réveil s'en allait doucement pour laisser place à une plénitude profonde. C'était un sentiment qu'il ne connaissait pas bien mais auquel il goûtait avec délice. Un mélange de liberté et de joie, certes légères, mais tout de même bien présentes.
Ils cheminèrent un moment dans les innombrables rues d'Edelsten, à la recherche de la maison du fameux éleveur qui leur donnerait leur nouveau compagnon. Le Riolu jouait sur le chemin, chassant des poussières ou poursuivant les ombres des oiseaux qui volaient à toute vitesse dans le ciel. À un énième embranchement, une lueur éclaira les yeux du garçon, qui s'arrêta net, rappelant son Pokémon :
▬ Lyov. Je crois que ce n'est plus très loin. Arrête de batifoler et suis-moi, maintenant.
Le Riolu posa un regard noir sur lui mais obéit à contre cœur. Visiblement, il n'avait pas très envie d'accueillir un œuf dans l'équipe… Sans doute par jalousie. Ce comportement étonnait le blond : s'il ne l'aimait pas… Comment pouvait-il être jaloux ? C'était tout simplement illogique.
▬ Essaie de ne pas me faire honte, pour une fois.
En quelques minutes à peine, le pokémon à ses trousses, Alexei arriva devant une jolie petite demeure, très grande, et surtout flanquée d'un grand jardin. Son visage se ferma de nouveau : il n'aimait pas ce genre de villas. Elles lui rappelaient au combien la vie pouvait être injuste. Regardant autour de lui, il posa les yeux sur une autre grande bâtisse, un peu plus loin. Elle avait tout l'air d'un laboratoire… Sans doute un grand chercheur habitait ici ? Peut-être irait-il y faire un tour, par curiosité. Les professeurs avaient toujours des objets à offrir ou des conseils à donner… Et c'était bien les seuls que le blond accepterait d'écouter.
S'asseyant sur les marches du perron, il finit son sandwich, faisant ainsi taire les derniers grondements de son estomac. Ses épaules furent secouées de plusieurs bâillements successifs. Il frotta ses yeux avant de se relever, et, après avoir fait signe à Lyov de venir à ses pieds, il s'apprêta à frapper à la porte de la demeure. Sauf que son Riolu, n'en faisant qu'à sa tête, partit en courant, piaillant plus fort que jamais.
Grognant, Alexei se retourna, sentant l'impatience serrer douloureusement sa gorge :
▬ Lyov ! Qu'est-ce que tu fous !? Tu commences à me courir, je te jure ! Reviens ici ou ça va mal se…
Le rouge mordit ses joues lorsqu'il se retrouva nez à nez avec une jeune femme plantureuse, plantée là, à quelques mètres de lui. Visiblement, ses invectives ne l'avaient pas charmée… Elle semblait même… Plutôt en colère ? Lyov s'était collée à ses jambes, jouant avec la poche de sa longue blouse blanche… Quelque chose de tout petit bougeait à l'intérieur. Le blond plissa les yeux pour tenter de discerner cette drôle de créature avec laquelle jouait son propre pokémon… Une… Pomme ?
Secouant la tête, il jeta un regard interrogateur et on ne peut plus froid à l'inconnue :
▬ Je peux savoir qui vous êtes et ce que vous faites là…?
« Urgh, s’il y a une chose de j’adore concernant mon job, c’est que je peux choisir mes horaires comme je l’entends »
C’est sur cette pensé que je me suis réveillée, courbaturée de partout, après avoir une nouvelle fois passé la nuit dans le laboratoire. Si au moins j’avais pu me trainer jusqu’au canapé que j’ai fini par installé pour ce genre de cas... mais non. ‘Nooon, pourquoi, Lucie utiliserait-elle quelque chose d’aussi pratique quand elle peut tout simplement s’endormir comme une masse sur son dernier papier ?’ Il y a des jours, comme celui-ci où mon dos me tue, où je me déteste vraiment. Comme si ‘juste quelques minutes de plus’ allait me convaincre d’arrêter à temps ? Evidemment, évidemment que la rédaction d’un énième article qui n’aura pas le moindre écho parmi mes pairs a fini par m’endormir. Et pourtant, je connais ce sujet par cœur. ‘Etude comparative sur l’utilisation de remèdes alternatifs lors de l’empoisonnement au dard-venin’, c’est mon nouveau dada du moment, depuis que j’ai découvert au fin fond de la forêt des illusions, une plante qui rebute complètement les pokemon de type poison. Dès qu’ils la sentent, ils s’enfuient... dès lors, faire le lien entre elle et une possibilité de traiter les empoisonnements s’est tout de suite imposée... depuis les six derniers mois. Yeah... une longue lubie, un peu comme toute celle qui me traverse l’esprit.
Qu’importe, ce dont j’ai surtout besoin maintenant, c’est d’un café et de me débloquer le dos.
Je prends mon courage à deux mains, et finit par m’étirer sur cette chaise redevenue inconfortable. Un petit craquement indélicat de ma colonne me signale que j’ai été un peu trop loin et je me lève. Père va encore en profiter pour me mettre un savon, vu l’état du labo, mais je le remettrai en ordre plus tard. S’il y a une chose que je hais concernant mon job, c’est d’avoir encore mon père sur le dos quand ça lui chante. J’ai beau diriger ce centre depuis quelques années maintenant, ça ne l’empêche pas de jouer au Vaututrice avec son petit. Ironique ? J’en ai l’impression. Je baille à m’en décrocher la mâchoire, tout en actionnant distraitement le percolateur. L’avoir installé juste à côté de mon bureau de travail est une véritable bonne idée par contre. Surtout que j’ai le loisir de tester quelques combinaisons pour suppléer ma dose de caféine. Aujourd’hui, baie maron en poudre, je vais en avoir besoin.
C’est plutôt un papier sur les bienfaits des baies en poudre pour remplacer le sucre du café que je devrai écrire, sur ça, je suis imbattable.
Roulant des épaules, un léger mouvement dans le coin l’œil m’interpelle. Roulant hors de sa cachette, deux minuscules antennes vertes émergent d’une pomme bien rouge. Un petit jappement mécontent et tremblotant s’en suit, alors que la ‘pomme’ roule dans la main que je lui tends. Je la ramène à mon niveau.
« Je suis désolé, Wins’, je sais que je t’avais dit que je te rejoindrai hier soir. »
Une seconde plainte s’en suit, que je change rapidement en un contentement lorsque je lui gratouille doucement le dos avec mon ongle. Winston est le seul mâle à avoir droit à mon attention juste au réveil, et surtout le seul à pouvoir partager mes draps... surtout parce que mes tentatives de lui installer un panier ailleurs se sont toutes soldées par un échec cuisant. Je pourrai simplement le garder dans sa pokéball mais... premièrement, faudrait que je la retrouve. Deuxièmement, il déteste ça et enfin, je préfère le laisse en liberté, quitte à le perdre de temps en temps. Un petit bisou sur sa peau bien rouge et je l’invite à s’installer sur mon épaule.
« Je parie que tu meurs de faim. De quoi tu as envie aujourd’hui ? »
Wins’ n’est pas une créature compliquée à contenter. Il aime le sucré. Il s’est installé dans une pomme relativement sucrée, et est attiré par tout ce qui ressemble de près ou de loin à un aliment sucré. Je sais aussi comment me faire pardonner facilement, car je n’ai pas très envie qu’il passe sa journée à me bouder. L’avantage quand on étudie quelque chose de comestible, c’est d’avoir toujours quelque chose à grignoter sous la main. J’ouvre le frigo de stockage du labo et j’en sors un récipient cylindrique assez énorme. Un peu plus de 50 cm de diamètre, métallique, dont l’image sur l‘étiquette laisse peu de place à l’imagination. Immédiatement, Wins’ s’agite, sautant doucement sur place, puis roulant de mon bras jusqu’à la table. Il sautille et sautille, jusqu’à ce que je lui présente une baie Stekpa, spécialité d’Hoenn. Elle est littéralement plus grosse que lui, mais je sais que ça ne l’empêchera pas de la dévorer en entier. C’est pas pour rien, c’est un dragon qui squatte cette pomme après tout. Cette scène a toujours eu le don de m’attendrir... Winston est le pokemon dont je ne pensais pas avoir besoin et qui m’est désormais indispensable. Etrange, je sais. Je le laisse prendre son petit-déjeuner et m’éloigne un peu pour prendre le mien : une tassé de café agrémentée d’extrait de baie maron et des galettes d’Illumnis. Un dresseur de passage me les a laissées pour me remercier des soins que j’ai donnés à son mucuscule. Et un peu pour excuser le comportement de son pokemon qui a bien failli engloutir Wins’ d’une bouchée.
On ne dirait pas, mais ça arrive bien plus souvent qu’on ne le pense. C’est à se demander comment l’espèce a pu survivre aussi longtemps. S’installer dans un fruit parfaitement comestible ne semble pas la stratégie la plus optimale après tout.
Je laisse mes pensées vagabonder ailleurs et profite de cette matinée qui promet sa dose de soleil. Bien, mes plantes dans la serre auront tout ce dont elles auront besoin, dès que je leur aurais donné leur propre petit déjeuner.
... Vu la tonne de spécimen que j’ai ramené dernièrement, j’ai plutôt intérêt à m’y mettre tout de suite en fait. Je soupire doucement, et jette un coup d’œil à l’horloge simple accrochée au mur. Ok, j’ai le temps de m’occuper de la serre, de me préparer et de partir chez Mama Diana.
« Ça te dit que m’accompagner pour aller chercher un nouvel ami ? »
Sa réponse mêlée d’interrogation et d’appréhension, alors que sa bouille est couverte de jus de Stekpa me fera toujours fondre.
**********
Le temps clément d’aujourd’hui m’a poussé à me vêtir simplement. Un short mi-cuisse sombre et taille haute, une paire de collant noir et mes bottes pour le bas, un pull à mailles épaisses, ni trop grand, ni trop petit couleur crème pour le haut. Evidemment, mon tablier de laboratoire vient compléter ma tenue. Winston s’y cache encore, comme d’habitude. Je le soupçonne d’en avoir fait son lieu de sieste favori en réalité.
Je pense que je serai à l’heure chez Mama Diana... en même temps, elle habite littéralement à deux maisons du laboratoire, un peu plus bas dans la rue. Cette dame d’un âge déjà assez avancé a toujours fait partie des énigmes d’Edelsten. Impossible de savoir d’où elle vient, mais il semble qu’elle a toujours été là. Impossible de se souvenir de son âge, pourtant, le temps ne semble pas avoir de prise sur elle. Impossible de se souvenir si elle a de la famille ou pas, pourtant, sa large demeure ne désemplit pas. Pourquoi ? Parce que Mama Diana est une des éleveuses les plus réputée de la région, voire l’éleveuse la plus réputée de la région. Aussi loin que je m’en souvienne, elle a toujours exercé, s’occupant avec soin des pokemon, des siens, de ceux des autres et même des espèces entièrement sauvages dont nous ne pouvions pas nous occuper au centre pokemon. Son âge ne semble pas l’empêcher de s’occuper de sa pension avec assez peu d’aide. De temps en temps, elle passe au laboratoire, sans disant pour refaire son stock de remèdes ou discuter tranquillement avec Père ou moi-même... mais je sais que sous ses airs de vieille dame inoffensive, se cache un esprit bien acéré. Elle veille, et n’hésite pas à offrir ses conseils. Comme elle me l’a fait lorsque je lui ai présenté Winston il y a de cela quelques années. C’est elle qui m’a vivement conseillé de le garder lorsque je me plaignais de ne pas pouvoir le rendre à la vie sauvage. Elle aussi qui l’a amadoué suffisamment pour qu’il ose sortir de ma poche quand on passe à côté de sa demeure.
Mama Diana est comme un trésor vivant pour Edelsten, et elle ne pose pas de jugements inutiles, ce que j’apprécie plus qu’elle ne croit.
J’ai à peine fait quelques pas que des piaillements m’interpellent et que j’aperçois un riolu trottiner tranquillement vers moi. Ce n’est pas tous les jours que je croise cette espèce de pokemon, spécialement en liberté. Plus que moi, je pense que ce petit bonhomme s’est mis en tête d’aller chercher un nouveau compagnon de jeu dans ma poche. Curieux, Winston sort de sa cachette et cherche mon regard. Je lui confirme d’un geste de la tête que tout va bien et qu’il ne craint rien. Il se détourne alors vers ce petit loup tout bleu et bien heureux.
« Qu’est-ce que tu fais là petit bonhomme... ? »
Ma réponse, je l’ai eue bien rapidement, mais pas sous la forme que je pensais. Une rudesse, provenant d’un peu plus bas dans la rue, s’élève. Je lève un regard courroucé vers le jeune homme invectivant cet adorable riolu. Oh. Son dresseur ? J’imagine. Pauvre de lui, il m’a l’air tout à fait... charmant.
... charmant, très charmant.
Le supposé dresseur du Riolu continue sa présentation soignée et polie. Ne tournons pas autour du pot, c’est un rustre, il m’interpelle de la manière la plus stupide possible et pense encore que je vais lui répondre ? Je lui adresse un simple regard. Vraiment ? Je m’accroupis ensuite à côté du petit loup, et lui présente mon petit Wins’ dans le plat de ma main.
« Il faut faire attention, Wins’ a peur des inconnus, particulièrement des idiots trop bruyants et impolis ».
Cette dernière partie, je l’ai bien appuyée, pour que ce délicieux jeune homme la comprenne parfaitement. Pourquoi je m’embêterai avec lui, quand son pokemon est mille fois plus intéressant ? Wins’ sautille de ma main sur la tête du Riolu et pousse un petit cri de victoire signifiant quelque chose dans l’idée de « Je suis le plus grand maintenant ! ». Je souris à la scène.
« Tu m’as l’air bien gentil, petit loup, tu peux jouer avec Wins’ si tu veux. J’ai aussi quelques baies dans ma poche... » Je glisse ma main dans la large poche de ma blouse et en sort une baie oran, toute ronde et toute bleue. Elles sont faciles à faire pousser en serre, alors j’en ai toujours un peu sur moi. « Tu veux ? »
Le rustre ? Déjà oublié. Il peut aller voir ailleurs si j’y suis.
the proud, the cold untroubled heart stone, that never mused on sorrow but its own.
Ce ton froid et insolent était sans doute inspiré par la honte que ressentait Alexei à cet instant précis. Depuis combien de temps cette femme se tenait-elle tout près de lui, à le regarder s'époumoner sur Lyov qui ne l'écoutait pas ? Il avait nourri cette sale bête, il l'avait laissé se promener seul, à ses côtés… Et encore, ce traitement de faveur ne lui convenait pas ! Bien sûr, le blond avait conscience de ses problèmes relationnels avec son Riolu. Les autres dresseurs gardaient toujours leurs petits compagnons hors de leurs pokéballs ; Alexei aurait rêvé de pouvoir faire la même chose… Mais ce n'était pas possible. Trop complexe, trop prise de tête. À partir du moment où il ne pouvait pas faire confiance en sa bestiole, ce n'était même pas la peine d'y penser. Et Lyon faisait toujours tout pour le mettre dans la panade, pour le forcer à mettre les pieds dans une vase collante et visqueuse qui lui collait à la peau des heures entières. Sans doute la honte de passer pour un mauvais dresseur, un tortionnaire aux yeux de tous. Le garçon aurait pourtant tout donné pour bien s'entendre avec le Riolu. Pour devenir les meilleurs amis du monde… Malheureusement, il avait bien conscience que cela n'arriverait jamais.
Aussi, le regard plein de mépris que lui lança la jeune femme en blouse blanche fut à l'origine d'une colère sourde qui serra violemment sa gorge. Et c'était certainement pour cela que ses mots avaient été si tranchants, si insolents. Un échantillon de rage pure, de honte et de désarroi mêlés. Alexei avait l'impression d'être tout petit, insignifiant. Un petit monstre que tout le monde détestait, que personne ne pourrait jamais aimer. Et lui même ne s'apprécier pas beaucoup. Voire pas du tout. Chaque qu'il se voyait dans la glace, il ne parvenait pas à se trouver une seule qualité, physique comme mentale. Rien n'allait ; tout partait de travers. Et au fond, il comprenait pourquoi Lyov le haïssait. C'était une juste chose ; pas vraiment étonnant. Mais, malgré cette pleine conscience de son sale caractère qui pouvait en faire fuir plus d'un, il n'apprécia pas que l'inconnue ait décidé de l'ignorer. C'était bien connu : l'indifférence était le plus grand des mépris ; une blessure purulente qui le piqua fort, très fort, à deux doigts d'éclater au grand jour. La colère enflait, enflait… Alexei détestait être mis de côté, complètement occulté. Il n'y avait rien de pire. Petit, son père ignorait ses pleurs, ses jérémiades ; bien sûr, il n'était pas un enfant facile, ni très honnête… Mais cette indifférence, elle lui avait fait mal, très mal. Et après, avec le temps, lorsque Grisha Kireïev avait décidé de ne plus s'intéresser à lui, le jugeant trop fragile pour être son digne héritier, il avait fini par développer cette vilaine rancœur, cette rage de montrer ce qu'il valait à chaque seconde. Non, il ne voulait pas être rien. Certes, il l'était. Il voyait bien qu'il ne servait pas à grand chose. Mais il voulait prendre sa revanche ; ne pas donner ce plaisir d'avoir raison à ce père qui l'avait laissé partir sans l'ombre d'une protestation. Car Monsieur Kireïev n'avait pas retenu son fils. Il avait bien compris qu'il ne pourrait jamais rien faire de lui, que c'était peine perdue. Et Alexei aurait sans doute préféré être menacé, disputé… Mais rien de tout cela n'était arrivé. En réalité, c'était plus parce que son père s'épuisait avec l'âge et les cicatrices que lui avaient laissées la vie… Mais la paranoïa naturelle dont souffrait le garçon l'avait poussé à croire en ce désamour. Une haine sourde qui s'était une fois de plus soldée par l'indifférence de ce géniteur qu'il avait toute son enfance cherché à charmer.
Alors, cette aigreur entra bien vite en ébullition. L'échange qui s'était établi entre les deux pokémon ne l'attendrit pas le moins du monde. Il ne fit qu'accentuer sa colère. Et lorsque la jeune femme donna le nom de son petit compagnon au loup gris et bleu, lui assénant indirectement une pique douloureuse, Alex éclata. Son emportement se traduisit d'abord par ses ongles qui se plantèrent dans son bras gauche, parcourant les cicatrices déjà présentes dissimulées sous son gros pull, d'un blanc ivoire, légèrement boursouflées. Et, lorsque elle ne lui adressa plus un seul regard, préférant gâter son pokémon, ses gestes devinrent d'autant plus nerveux. Il passa une main tremblante dans ses cheveux blonds, les rejetant en arrière, et se ronge quelques instants les ongles, observant la scène d'un regard noir, effrayant. Il fit quelques pas en avant, des tonnes d'insultes se pressant contre ses lèvres en même temps que les larmes qu'il refoula, au coin de ses yeux. Il se sentait profondément humilié, sans vraiment pouvoir l'expliquer. Et le chagrin qui s'imposait à lui était si grand que sans ce travail qu'il avait longtemps fait sur ses émotions, il se serait sans doute effondré en larmes. Aucun son ne sortit de sa bouche ; la rage était si forte qu'elle serrait sa gorge au point de l'empêcher de crier. C'était douloureux. Vraiment douloureux.
Ce ne fut que lorsque l'inconnue tendit quelques baies à Lyov qu'il eut la force d'agir, son visage exprimant une vive indignation. Pour qui se prenait-elle, cette vilaine pintade ?! Elle l'ignorait et gavait son Pokémon ?! Non, ça, Alexei ne pouvait l'accepter. Ce manque de respect était tout simplement insupportable… Et il n'avait absolument rien fait pour mériter ça. Personne ne devrait approcher le Pokémon d'un autre sans sa permission ! Saisissant sa pokéball, il rappela le Riolu sans mot dire. La créature eut juste le temps de laisser échapper un couinement furieux.
▬ Je peux te dire que t'es pas prêt d'en ressortir ! Cracha-t-il, ses mots suintant de rage. Il vomissait sa bile, tout simplement.
Le blond, pour toute conclusion, lança un regard furibond à la jeune femme, soutenant ses iris bleus profonds en rangeant la pokéball à sa ceinture. C'était un air de défi qu'il prenait. Sans doute pour la dissuader de faire le moindre commentaire. Il lui tourna le dos, reproduisant la même manœuvre qu'elle avait elle-même adoptée quelques minutes auparavant, rejoignant le perron de la maison de l'éleveur en silence. Il s'appuya contre la rambarde de l'escalier qui menait à la porte, et s'attacha rageusement les cheveux en un chignon désordonné. Il ignorerait cette pouffiasse aussi longtemps qu'elle resterait plantée là. Maintenant, elle n'avait plus aucune prise sur lui. Les dindes de son genre, il les méprisait, les haïssait. Des femmes qui ne se sentaient plus et se prenaient pour des hommes. Bientôt, si on les laissait faire, elles porteraient la culotte ; alors, le monde ne tournerait plus rond. Ruminant un petit moment, il finit par tirer une cigarette du porte-feuille où il rangeait son tabac ainsi que celles qu'il avait déjà roulées, et l'alluma avec le briquet en argent, volé à son père un an plus tôt. La première bouffée de fumée fut libératrice. Il sentit toute la tension et la colère accumulées se dissiper petit à petit, s'envolant avec le nuage de tabac blanc qu'il recracha. Il ne put contenir un long soupir de soulagement, quelques larmes, discrètes, coulant du coin de ses yeux. D'un léger revers de manche, il les essuya, fumant en silence.
Une fois sa cigarette terminée, il frapperait à la porte de ce type, prendrait son œuf, et partirait de cette foutue ville.
Il est rare de voir Wins’ s’amuser avec un autre pokemon, spécialement aussi rapidement. Je me demande pourquoi ou comment il a réussi à surmonter son extrême timidité... Ou peut-être est-ce juste évident ? Ce Riolu est tout simplement adorable, avec ses petits cris et son large sourire charmeur. Sans doute s’est-il approché de moi en sentant l’odeur des baies qui sont dans ma poche, mais le résultat reste le même, Wins’ a l’air de bien accrocher avec lui, et le voir, l’entendre pousser ses petits cris amusés m’arrache un sourire. Ce n’est pas pour rien que ce tout petit Verpom est mon seul et unique pokemon. Il est si peureux et craintif avec les étrangers que je doute qu’il prenne bien l’introduction de quelqu’un d’autre dans mon équipe. C’est quelque chose que je redoute. Fort heureusement, je n’ai pas pour vocation d’aller courir les arènes, car Winston est encore plus terrifié par le combat que par les inconnus ! Il déteste se battre, même pour se défendre, ce qui explique sa position fâcheuse lorsque je l’ai découvert dans la forêt. Difficile à croire qu’il s’agit là d’un ‘féroce dragon’ !
Mais peut-être... peut-être qu’il est temps pour nous d’agrandir la famille. Peut-être l’ai-je sous-estimé ? Peut-être n’attend-t-il qu’une légère poussée dans la bonne direction. Être coupé des autres de sa race, loin de son lieu de naissance ne doit pas être si évident après tout. Hm, je devrai en parler à Mama Diana, l’éleveuse est toujours de très bons conseils.
En attendant, le petit loup a bien mérité une récompense ! Je l’avoue, il n’a pas réellement fait grand-chose, à part se montrer adorable, mais j’ai toujours eu un faible pour les pokemon. Un énorme faible. Un gigantesque faible. Puis, il s’agit d’une baie –ou quelques baies s’il en veut-, rien de très calorique.
Winston sautille toujours sur son piédestal lorsque je présente le fruit. L’enthousiaste petit loup s’approche... et est coupé dans son élan par un rayon rouge. Rappel dans sa pokéball, sans aucune somation. Privé de son soutien, Wins’ manque de s’écraser au sol. Je le rattrape au dernier moment, mais il a eu une bonne frayeur ! Sa plainte et son incompréhension me brise le cœur. Je ne dois pas chercher longtemps pour trouver le coupable de cette rudesse. Le jeune rustre... s’époumone sans pudeur sur son propre pokemon coincé dans sa propre pokeball. Pourquoi ? Pour avoir osé s’approcher d’une inconnue ? Avoir osé s’éloigner ? Quoi d’autre ?!
De zéro, il est passé immédiatement à cent sur son échelle de l’énervement, c’en est presque... étonnant. Je peux encore vaguement comprendre qu’il soit irrité à cause d’une journée difficile, mais de là à le cracher son pokemon ? Alors qu’il ne faisait absolument rien de mal ? Pire qu’un rustre, j’ai droit à une rencontre du troisième type avec un parfait crétin de compétition. Le genre de type à s’énerver quand les choses ne vont pas dans leur sens... et j’en ai rencontré des tas, des types comme ça. Autant, avec les années, j’ai appris à m’en défaire, à en rire plutôt facilement. Les écouter me sortir un chapelet d’insultes pour avoir osé refuser des avances, un diner, ... je fais presque collection, et m’extasie lorsqu’une attaque ‘rare’ m’est lancée. Ça me glisse sur la peau... mais ce n’est pas le cas de mon Verpom ! Je m’occupe en priorité de calmer sa plainte déchirante, le rassurant de quelques mots et caresses.
Il ne va pas s’en tirer comme ça. Pas question. Je me fiche qu’il n’ait pas encore eu son goûter, ou qu’il fasse un caca nerveux, s’en prendre à mon pokemon, même indirectement, c’est s’en prendre à moi.
Je me redresse, et fixe un regard froid sur ce gamin. Oui, après un tel caprice, je refuse de le considérer comme un adulte. Il s’est mis à m’ignorer, calant son postérieur sur les marches menant à la porte d’entrée de la maison de Mama Diana. Sérieux ? Parce qu’il compte aller aussi l’emmerder ? C’est bien ma chance... Je ne compte pas me laisser écraser. Il veut mon attention ? Il va l’avoir. Et mon avis avec, bien senti et servi en pleine gueule. Il n’y a jamais que comme ça que les mâles comprennent. Il tire longuement sur une cigarette, crachant sa fumée toxique dans l’air et s’essuie le visage d’un revers de manche. Gheez, je déteste cette odeur, s’il veut accourcir sa pathétique existence, qu’il le fasse tout seul. D’un revers de main, je dissipe la brume, pas question de soumettre Wins’ à ça. Ma petite pomme tremblote encore dans ma main, alors que je me plante face à ce jeune crétin. De loin, on aurait dit une pelote de nerf prête à éclater... de près, ... aussi, mais son poison doit lui être monté au cerveau, parce qu’il me semble plus calme.
« Ta réaction était inutile et disproportionnée, et tu le sais. » Je découvre Winston, blotti dans mes mains. « Je me fous que t’essaies de te donner un genre en te comportant comme un connard. Tu lui dois des excuses. »
Je doute d’en obtenir, mais il n’était pas question que je le laisse s’en sortir sans rien dire. C’est à cause de ce genre de comportement que ce pays fonctionne à l’envers, sérieux. Encore cette odeur... Je n’ai pas l’habitude. Elle tranche tellement avec l’air sain d’Edelsten qu’elle a le don de m’arracher un toussotement. Je lui arracherai bien sa cigarette pour lui planter entre les deux yeux. Fumer à côté d’un établissement d’élevage... il a été élevé avec les pieds ou il n’a vraiment aucune empathie ? Je ne sais pas vers quelle idée je penche. Je ne sais pas s’il se prétend être dresseur, mais s’il veut que la communauté scientifique l’aide un minimum, il va devoir travailler sur son comportement.
« Je te signale que tu te paies aussi le luxe de fumer à côté d’un bâtiment rempli de bébés pokemon. Diana va adorer, tiens... »
Quand elle ouvrira la porte. J’aurai bien sonné, mais il bloque l’entrée. Je sens que je vais devoir deal avec lui plus que prévu.
the proud, the cold untroubled heart stone, that never mused on sorrow but its own.
Y'avait pas à dire. Le tabac, ça soignait les plus grands maux. Recrachant sa fumée, Alexei se demandait bien comment certains pouvaient considérer cette substance nocive. Des conneries, ni plus, ni moins. Aussi, comme pour se conforter dans son idée, il tira sur sa cigarette, savourant cette sensation de brûlure dans sa gorge et ses poumons. Peu à peu, la colère redescendait… Mais il avait l'intime conviction qu'elle ne tarderait pas à remonter en flèche. Car oui, il entendait l'inconnue se rapprocher, pas à pas ; son jeu de jambe traduisait une certaine irritation. Du coin de l'œil, le blond l'avait vu consoler sa bestiole. Il avait doucement secoué la tête, prenant une énième bouffée de tabac avec ce petit air supérieur, hautain qui lui allait si bien. Il ne comprenait pas comment on pouvait aimer s'occuper d'un pokémon aussi pathétique que celui-ci. Franchement : cette créature ne servait à rien ! Il geignait en permanence, n'était même pas capable de se débrouiller tout seul… Hmmpf. Ridicule, vraiment ridicule. Au moins, même si Lyov n'était pas tendre avec son dresseur, il savait se battre. Certes, ce n'était pas sa passion, et Alexei avait pu le constater à de nombreuses reprises, mais dans les moments d'urgence, il faisait largement l'affaire. D'ailleurs, c'était justement à cause cette réticence au combat que le jeune homme avait décidé d'adopter un nouveau membre dans son équipe. Bien sûr, il mettrait du temps à éclore, mais il l'élèverait dès la naissance, en faisant ainsi un mastodonte du duel pokémon. Un dur à cuire, aussi coriace que possible. Et Lyov s'en mordrait sans doute les pattes ; car il connaissait bien le loup bleu et son caractère un tant soit peu lunatique. Oh que oui ; il serait jaloux de cette nouvelle recrue, ferait tout pour lui voler la vedette… Car ce que voulait cette bestiole, c'était de l'attention. Bien plus d'attention qu'Alexei n'acceptait de lui en donner. Il ne l'aimait pas, un point c'est tout. Et le Riolu ne le portait pas non plus dans son cœur… Alors, ils étaient quittes.
Lorsque la jeune femme fut à sa hauteur, le toisant du haut de son bon mètre quatre-vingt, Alexei demeura assis sur le perron de la bâtisse, bien décidé à ne pas tenir cas de cette mégère qui avait fini de pourrir sa journée. Et puis quoi encore ? Il ne lui ferait pas le plaisir de pleurer devant elle ; il avait bien failli, tout à l'heure, mais cela n'arriverait pas. Ô grand jamais. Aussi se contenta-t-il de tapoter sa cigarette de son index, la picorant gracieusement, les lèvres souples, le regard droit et rigide. Ses yeux, aujourd'hui, étaient d'un bleu-vert déconcertant, se gorgeant de ce Soleil si rare à Venyys. Là-bas, il ne se connaissait qu'avec un regard gris sale ; quelque chose de clair mais en même temps de très bourbeux. Et, au fond, cette profondeur, cette portée froide et glaciale qu'avaient ses iris dans sa contrée lui manquaient un peu. Il passa une main dans ses cheveux, chassant les quelques mèches rebelles qui avaient fui son chignon, et soupira silencieusement, les yeux dans le vague, la respiration lente, l'oreille attentive.
Il attendait. Il attendait qu'elle l'ouvre enfin pour lui rabattre son caquet. Lui faire comprendre qu'il n'était pas qu'un simple gamin illettré et débile, venu acheter son œuf avec les économies de papa. Non. Il était Alexei Kireïev, et d'ici quelques mois, il deviendrait un des plus grands dresseurs de Salva. Ce n'était pas une certitude, loin de là – en fait, au fond de lui, il ne croyait pas un seul mot de ce qu'il avançait –, mais ça faisait du bien parfois, de se faire un peu mousser. De croire à l'impossible pour se booster au maximum, se donner les moyens de tout rafler sur son passage.
Au fond, l'ego d'Alex, ce n'était qu'un amas d'espérances feintes, de vaines tentatives de se motiver, de se donner la force de continuer. Et puis, en général, il n'avait pas besoin des autres pour tout détruire. Il lui suffisait de se remettre en question, de se rappeler à quel point il se détestait pour redescendre sur terre. Alexei, c'était des hauts et des bas. Jamais de gris. Du noir. Du blanc. Et ce, sans besoin d'un grand laps de temps pour basculer de l'un à l'autre comme une véritable girouette.
▬ Ta réaction était inutile et disproportionnée, et tu le sais. Je me fous que t’essaies de te donner un genre en te comportant comme un connard. Tu lui dois des excuses.
Noir. Noir profond. Il ne voyait plus que ça. Du noir, du noir. Un abîme. Et sans doute son regard dut-il traduire ce vide intense, cette volonté de faire taire sa jolie petite voix en serrant fort sa gorge. Que ses vilains mots s'étouffent au fond de son gosier, tout simplement. Il observa avec mépris son Pokémon. Il n'en avait jamais vu d'aussi ridicule, vraiment.
▬ Je te signale que tu te paies aussi le luxe de fumer à côté d’un bâtiment rempli de bébés pokemon. Diana va adorer, tiens... »
La colère, comme prévu, revint, brutale, terrible, inaltérable. Il essaya de la ravaler, la lâchant des yeux pour tirer une nouvelle fois sur sa cigarette, un petit sourire amer, presque fou, fleurissant au coin de ses lèvres. Puis, après avoir profité de cette sensation de chaleur diffuse dans ses voies respiratoires, il darda un œil plus sombre encore sur son interlocutrice, un rictus impertinent tordant son visage de poupée :
▬ Excuse-moi, on se connaît ? Demanda-t-il enfin, après avoir recraché la fumée blanchâtre à sa figure. Les gestes d'inconforts de l'étrangère picotèrent désagréablement son cuir chevelu. Elle l'insupportait, littéralement.À t'entendre parler, on dirait que t'es ma mère.
La seconde bouffée nauséabonde, il la souffla sur cette pomme hideuse qui tenait au creux de sa main, laissant échapper un petit rire amer, provocateur.
▬ Hmm, il me semble pas que ce soit le cas. Finit-il pas ajouter. Il serait donc préférable que tu t'occupes de ton cul. Et t'as de quoi faire, si tu vois ce que je veux dire ~
Un sourire glacial ponctua ses mots, puis, perdant d'un seul coup toute expression, il picora sa cigarette – ou du moins ce qu'il en restait – encore fumante, et fixa ses yeux bleus sur le petit pokémon rouge et vert.
▬ Quant à ce truc, tu m'excuseras, mais… C'est pas ma faute si c'est une tapette. D'ailleurs, tu lui montres bien l'exemple.
Il brandit les vestiges de sa cigarette, la laissant répandre son odeur sous son nez.
▬ On est un homme, ou on l'est pas. Y'a pas de juste milieu. Dégage.
Je n’ai pas pour habitude de me laisser faire. J’ai pris le parti de toujours répondre, de toujours montrer à ce monde de macho que je ne me laisserai pas écrasée comme des générations et des générations de femmes avant moi. Peu importe l’âge, le degré de respectabilité, les origines, ce pays est construit sur un quasi-esclavagisme de la moitié de sa population. Oh, rien n’est écrit dans les textes de loi, rien n’oblige les filles à se lier définitivement à un époux bruyant et ignare pour le reste de sa vie... mais, dévie de cette voie et ta vie sera un véritable enfer. Au point d’être ostracisé, banni de sa propre communauté, de sa propre famille. Depuis longtemps, j’ai compris qu’au moindre de mes pas en dehors de ce chemin, je devrai batailler dix fois plus qu’un homme.
Alors j’ai pris l’habitude de mordre à la gorge, dès que l’occasion se présente. Dès que la ligne est franchie. Beaucoup n’y sont pas préparé. Beaucoup ne voient que ma plastique et ne vont plus loin. Beaucoup ignorent cette blouse que je porte avec fierté. Des réponses, j’en ai déjà reçu de toutes sortes. Des demi-excuses vaguement honteuses dans le meilleur des cas, des insultes, des menaces, des gifles dans la majorité. Être rabaissée à cause de ce que j’ai ou je n’ai pas dans le pantalon. J’ai appris. J’ai appris à ne rien donner, à ne rien céder. J’ai appris à me défendre et à défendre mes propres batailles.
Souvent, on me dit froide, parce que je n’ai jamais porté la vie. Comme si mon cœur devait être mort et sec pour ne pas me soumettre à l’injustice. Comme si ne pas avoir le saint statut de ‘mère’ me rendait complètement inutile. La réalité est autre... tellement autre. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû réprimer une bouffée de rage pour quelle se mue en un poison piquant. J’ai appris à choisir mes batailles, au lieu de m’énerver sur le monde entier.
Aujourd’hui, j’ai choisi ma bataille et elle sera sanglante.
Je me fous de son âge, de son origine sociale ou de s’il n’a pas encore eu son biberon du matin, ce petit con va prendre dans la gueule précisément parce que c’est un petit con.
La bile exécrable qui sort de sa bouche n’est qu’essence qui alimente mon feu. A croire que tout ce qui sort de ce corps malingre n’est que conneries sur conneries. Il peut bien m’insulter, tout ce qu’il dit, je l’ai déjà entendu des milliers de fois. Encore et encore et encore. A croire que même le plus misérable des mecs est encore jaloux de mon cul, plutôt rageux de ne pas pouvoir poser les mains dessus sans se prendre un coup dans les parties. En réalité, il a bien de la chance que je ne sois pas sa mère, parce qu’il n’aurait vraisemblablement jamais vu le jour. Ce gamin peut bien s’en prendre à moi, il y a des lunes que plus rien ne me touche.
Mais s’en prendre à mon Winston... c’est signer son arrêt de mort.
Et il s’en est pris à lui... par deux fois déjà. Et quand j’entends mon pokemon se plaindre de son inconfort, quand je sens encore cette fumée âcre qui lui est jeté au visage, quand j’entends cette énième insulte... J’en ai juste plus rien à foutre de ce qu’on pourrait me dire. Si un regard pouvait tuer, je pense que je l’aurai déjà réduit en cendres. Lui faire ravaler son air hautain qu’une bonne claque, c’est ça que sa mère aurait dû faire il y a des années.
Je crois que je lui ai laissé assez de temps et de possibilités pour s’excuser.
Sans un mot, je replace Winston dans la large poche de ma blouse. Pas besoin qu’il assiste à cette scène, l’entendre sera déjà suffisamment effrayant pour lui.
« Tu t’es regardé dans une glace dernièrement ? C’est si facile de jouer au caïd quand on s’en prend uniquement à plus faible que soi. »
Si l’atmosphère n’était déjà pas assez tendue, la froideur de ma voix la rend presque solide. J’avance d’un pas, et claque le talon de ma botte sur la première marche du perron. Clairement, les professeurs ne sont pas censés s’en prendre aux dresseurs, ou quoique que ce crétin ose s’appeler pour se donner un semblant d’importance. Clairement, je n’en ai plus rien à foutre. J’ai déjà aucune estime de la part de la majorité de mes pairs, ils n’auront qu’à rajouter cet incident à la longue liste de trucs qui vont pas chez moi. Cet insolant, je le saisis par le col, tirant pour le soulever. Oui, je profite totalement de ma stature. L’idée d’un coup de tête m’a vaguement traversée l’esprit, j’avoue.
« Et si tu t’en prenais à quelqu’un de ta taille, pour changer ? »
Je le lâche, non sans lui retourner une gifle dans la gueule avant. Hm, ça a claqué fort quand même. Je ne sais si je devrai en être fière, mais ça fait vraiment, vraiment du bien. Il ne l’a pas volée. Il y a des jours où on ne peut juste pas rester au-dessus de la mêlée à jouer au grand sage magnanime.
« Tu veux jouer à l’homme ? Commence déjà par te faire pousser une vraie paire au lieu d’aboyer dans le vide »
the proud, the cold untroubled heart stone, that never mused on sorrow but its own.
Pour une fois, Alexei était fier de lui. Oui, il avait bien parlé. Certes, c'était un agressif, un peu détestable… Mais bon ! Il n'y avait rien de plus insupportable qu'une mégère – sans doute frustrée et délaissée par les hommes – qui faisait la morale sans en avoir le droit. Aussi ne regrettait-il pas la vigueur de ses propos ; non, au contraire, ça lui avait fait le plus grand bien. Maintenant, il s'attendait à ce qu'elle abdique, tout simplement. Qu'elle le laisse enfin tranquille, qu'elle aille vaquer à ses occupations. Sans doute était-ce un souhait naïf, digne de son âge et de son impétuosité. Une espérance qui passait pour certitude dans sa petite tête d'adolescent impulsif. Mais ça, il ne s'en rendait pas compte. Le blond manquait terriblement de recul, autant sur sa propre situation que sur les autres. Son comportement était tout bonnement impardonnable, et il n'en avait pas conscience. Pour lui, il n'avait fait que se défendre. C'était ce qu'on apprenait, dans le nord. Toujours taper plus fort lorsqu'un inconnu nous manquait de respect : une règle de vie essentielle pour ne pas se laisser marcher sur les pieds. Et autant dire que, se laisser marcher sur les pieds, Alexei préférait l'éviter ; il en avait assez de son Riolu qui n'en faisait toujours qu'à sa tête.
Aussi le Venyysien, sûr de son statut et de ses actes, continua-t-il de fumer irrévérencieusement, crachant de magnifiques panaches de fumée. Quel ne fut pas son étonnement lorsqu'il n'entendit pas les pas de la jeune femme s'éloigner. Non, non. Elle restait plantée là, à quelques mètres de lui, prête à lui marcher dessus, à l'étaler comme un crêpe. Il patienta encore un peu… Un tout petit peu… Puis un grognement courroucé naquit du fond de sa gorge. Il darda des yeux sanguinaires sur l'inconnue et s'exclama, de très, très mauvaise humeur :
▬ T'attends quoi, la grosse ?! Le dégel ?
Il hésita à fumer de nouveau sur cette ridicule petit pomme que son interlocutrice tenait toujours dans sa main, mais elle la rangea dans sa poche avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit. Dommage, ça l'aurait peut-être fait plus facilement partir. Aussi resta-t-il un court moment à la regarder fixement, les sourcils froncés, le poignet cassé, suspendu dans le vide, tenant gracieusement sa cigarette.
▬ Tu t’es regardé dans une glace dernièrement ? C’est si facile de jouer au caïd quand on s’en prend uniquement à plus faible que soi.
Pensant que c'était d'elle qu'elle parlait, Alexei pensa à rire un bon coup en ajoutant qu'elle avait enfin conscience de sa juste place, mais il n'en eut pas le temps. Si la tension et la colère froides palpables dans sa voix ne l'impressionnèrent guère – à vrai dire, quand on avait Grisha Kireïev pour père, plus aucune remontrance ne faisait vraiment frémir – les quelques pas rageurs qu'elle fit en sa direction l'inquiétèrent d'une toute autre façon. Il pensa à reculer, oubliant de fumer, mais elle fut plus rapide, saisissant le col de son manteau d'une poigne de fer. Alexei avait toujours été un poids plume ; rien de bien lourd à porter. Aussi l'inconnue n'eut-elle aucun mal à le faire se lever et à le soulever à quelques centimètres du sol.
D'abord complètement médusé, le blond finit par réaliser ce qui était en train de lui arriver. Un rouge vif s'empara de son visage, éclaboussant son front, ses joues et son nez, et il se débattit comme un beau diable, tentant de lui donner des coups de pieds dans les jambes :
▬ M-Mais…! Lâchez-moi, enfin ! Ç-Ça va pas non ?! Lâche-moi espèce de tarée !!!
Si la femme, du haut de son bon mètre quatre-vingt, obéit à ses cris de chatons apeurés, elle n'oublia pas de lui asséner une gifle d'une violence inouïe. Alexei retomba sur les marches, complètement déboussolé, poussant un couinement de douleur aigu, digne d'une jeune demoiselle en détresse. Il massa un moment sa joue endolorie, brûlant désagréablement, la vision troublée par la brutalité de ce coup. Quelque chose venait de se déconnecter dans son esprit. À vrai dire, il ne savait plus où il en était. Ce fut donc dans un état de sidération qu'il jeta un regard vide, profondément choqué, à l'inconnue qui crachait toute sa colère, l'insultant comme il l'avait lui-même fait un peu plus tôt. Il ne releva pas les différentes piques qu'elle lui assénait les unes après les autres. Non : sa tête lui faisait trop mal et il était toujours dans un état de choc, se remettant doucement de ses émotions.
Et lorsque tout fut de nouveau en place, lorsqu'il réalisa l'affront qu'il venait de subir, une lueur effrayante s'alluma dans son regard. Ni une ni deux, poussant un cri de rage, il sauta sur son assaillante et, lui assénant une béquille particulièrement réussie qui la fit tomber à terre, se jeta sur elle et tenta de la rouer de coups. C'était comme si un démon avait pris possession de son corps ; il ne réfléchissait plus à ses actes, n'avait aucune conscience du ridicule de leur situation. Il n'y avait plus que la colère, la honte, qui ensemble donnaient vie à une haine sans limite. S'il avait pu lui faire bouffer les pissenlits du terrain par la racine, il l'aurait fait sans hésiter. Mais son adversaire était bien plus coriace que lui, et ça, il n'y avait pas vraiment pensé. Aussi se retrouva-t-il bien vite face contre terre, écrasé par le poids conséquent de cette femme qui ne comptait pas se laisser faire, se débattant comme un véritable chiffonnier, lui crachant un bon nombre d'insultes à la figure et se débrouillant à lui donner quelques coups de poings et de genoux.
De loin, on aurait pu penser à deux gros pokémons qui combattaient. Mais ce n'était que deux imbéciles qui ne savaient pas mettre un frein à leur colère et qui se frappaient sans relâche, attendant que l'un d'eux abdique.
Mais aucun ne s'abaisserait à ça. Aucun ne s'avouerait vaincu.
Seul le grincement de la porte d'entrée de la grande maison au pied de laquelle ils se battaient interrompit leurs coups. Il y eut un arrêt sur image. Quatre yeux se fixèrent sur une vieille dame à l'air courroucé qui secoua sa tête dans tous les sens, véritablement scandalisée :
▬ Non mais franchement ! Vous n'avez pas encore fini vos bêtises, tous les deux ?! Si vous avez envie de vous entretuer, allez le faire ailleurs ! Certainement pas devant chez moi ! Non mais !
Est-ce que je regrette mon geste ? Absolument pas. J’ai encore la tiédeur de son visage qui persiste sur le bout de mes doigts, la légère douleur de les avoir plié dans un angle peu naturel. J’ai encore la sensation du poids de son corps dans les bras. Pour un homme, il est affreusement léger. Peut-être aurai-je dû le remarquer plus tôt, mais quand ne sourde colère vous prend, il est difficile d’être objectif. Je n’ai pas été objectif, ce qui est indigne d’un scientifique, et pourtant, je savoure l’idée de lui avoir fait fermer sa gueule. J’ai encore en tête le son de sa voix, rabattue par une claque monumentale. Certainement une que sa mère a oublié de lui donner. Il est tout ce que je déteste dans mon propre pays. Il a l’arrogance, l’arrogance de la jeunesse, mais surtout celle d’un Septrionnien. Quelque part, il est tout ce que l’on peut rêver d’avoir comme fils, je suppose. A cracher des insultes, à rabaisser, à humilier, à vouloir dominer. Elevé dans l’intolérance. Il a l’arrogance et la fierté du Septrion, mais oublie trop rapidement qu’il s’agit aussi de mon pays. J’ai dans les veines la même fierté, et aucune envie de me soumettre face à cette tentative ridicule de conquête.
J’en ai maté des plus coriaces. Et le voir couiner sur les marches me dit que finalement, il n’est pas si ‘fort’ que cela.
Mais ça... c’était avant de le voir se redresser. Sincèrement, je pensais qu’on en resterait là. Que cette leçon lui serait suffisante. En une fraction de seconde, j’ai su que cela ne serait pas le cas. Juste en croisant cette haine dans son regard. Une haine sourde, qui vous est jetée au visage dans l’unique but d’avertir de la frappe à venir. Sur ce coup-là, je n’ai pas été prudente, bien que je ne le sois particulièrement.
L’instant d’après, le monde s’est renversé. En un hurlement de rage, une douleur soudaine aux jambes, et je m’écrase par terre. Je siffle une plainte, la contient dans ma gorge quand ce gamin se jette littéralement sur moi. De tout son poids, il s’appuie, jetant pieds et poings dans ce qui ressemble à un grotesque combat de rue. La sagesse voudrait que je le contienne. La sagesse voudrait que j’attrape ses poings le temps qu’il se calme. N’est-ce pas comme ça que l’on calme les enfants en pleine crise de nerfs ?
Sauf que j’ai autant de fibre maternelle qu’un mackogneur.
Alors à chaque égratignure, je réplique par une écorchure. A chaque coup de genou qui me coupe la respiration, je réplique deux fois plus fort. A chaque poings jetés en avant, je réplique encore plus violement. Des lustres que je ne m’étais pas battue de la sorte... plus depuis l’école d’ailleurs, quand la seule manière de s’imposer dans la cours de récréation est d’établir une échelle de respect. Ce combat n’a rien d’académique. Il n’y a aucune règle, aucun fair-play.
Je ne suis pas fair-play quand on m’attaque en premier. Je ne le suis pas plus quand j’attaque première d’ailleurs.
Alors, j’attrape cette insupportable queue de cheval blonde et tire de toute mes forces. Encore et encore assez pour en arracher une petite poignée. Assez pour le redresser, juste suffisamment... suffisamment pour en profiter et le renverser.
Il ne pèse pas lourd, alors, j’ai presque l’impression qu’en prenant l’ascendant, je risque de lui briser les os. Est-ce que ça m’empêche d’arrêter ? Pas vraiment. L’ivresse de la violence est une drogue bien réelle. Se défouler d’années et d’années de rumeurs et de commentaires sur ce gamin est bien trop thérapeutique.
« Ferme-la ! Juste ferme-la ! »
Je n’en peux plus de l’entendre couiner et geindre. Au final, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. C’est lui qui s’est foutu dans cette merde. Je n’en peux plus d’entendre encore et encore ces mêmes insultes. Combien de fois ? Combien de fois je n’ai pas vu des femmes se cacher, honteuses des coups qu’elles reçoivent ?! Combien de fois je n’ai pas dû soigner un pokemon dans le même état à cause de sa saloperie de dresseurs ?! Combien de fois je n’ai pas dû le rendre à son connard de propriétaire ?! Je referme ma main, prête à asséner le prochain coup. Je veux juste qu’il la ferme. Je veux juste qu’il paie pour tous les autres.
Le grincement de l’ouverture d’une porte ne m’arrête pas... la voix autoritaire d’une femme d’âge mûr me stoppe au dernier moment.
En une interjection, c’est comme si j’étais de retour dans la réalité. Comme si je reprenais place dans mon propre corps. En une fraction de seconde, je prends conscience de ce carnage ridicule. Je prends conscience de mes poumons, brulant à force de manquer d’air. Je prends conscience de la douleur qui me cisaille les côtes, qui me barre les phalanges. Je prends conscience qu’en dessous de moi, j’ai un gamin qui se tortille misérablement. Je lève une paire d’yeux étonnés vers celle qui nous a stoppé en plein vol...
« Diana... ! »
Je crois que je ne suis pas la seule à m’être calmée d’un seul coup. Et pourtant, Diana n’est pas physiquement impressionnante. Le temps a courbé son dos, et l’hivers l’oblige à se déplacer avec prudence... et surtout une canne. Pourtant, l’âge a à peine altérer sa beauté et son tempérament. Ses cheveux d’un blanc cendré relevé en un chignon pratique, ses rides qui encadrent un regard plus dur que l’acier... tout le monde à Edelsten le sait, il ne faut pas avoir Mama Diana comme ennemie. Elle bloque ses yeux dans les miens et une seconde fois, sa voix forte, autoritaire, résonne.
« Je pensais que Michal t’avait mieux élevée que ça... ou es-tu en train de me prouver que de te laisser avec un père célibataire était une erreur ?! »
Il ne m’en faut pas plus pour que je me dégage et libère cet insupportable gamin. S’il y a bien quelque chose que je ne supporte pas, c’est bien que l’on critique les sacrifices que Père a dû faire pour me garder. Il aurait pu... juste se remarier et me laisser aux mains d’une belle-mère qui aurait certainement rendue ma vie impossible. Parce que s’occuper de la gamine d’une autre... qui en voudrait ? A la place, il a pris le temps de... faire de son mieux, même après le départ d’Erik. Je serre les dents. Personne n’a le droit de me sermonner comme une petite fille... !
« Je t’interdis de... ! »
Elle lève sa canne et reprends la parole.
« Je t’ai fait venir dans un but précis et je te retrouve à te battre devant chez moi ! Ne me fais pas regretter ma décision. »
Une par une, Diana descend les marches de sa demeure. Je la dépasse de presque deux têtes, mais je sais quand je dois la fermer. Maintenant que ma colère commence à se dissiper, je me dis que peut-être... peut-être, on a été trop loin dans cet... argument. Je ne me pensais surtout pas capable d’une telle... violence gratuite. A croire que je ne suis pas autant au-dessus de la mêlée que je le pensais. Diana se retourne vers l’autre crétin... si elle s’attend à ce que je m’excuse... aucune chance. C’est lui qui a commencé.
« Et tu es... ? Je ne crois pas t’avoir déjà vu à Edelsten... Sache qu’on aime pas les fauteurs de troubles par ici. »
the proud, the cold untroubled heart stone, that never mused on sorrow but its own.
Ce fut le nez sanglant et le cuir chevelu brûlant qu'Alexei s'immobilisa, écrasé par le poids de son assaillante. Il avait levé les bras pour se protéger du prochain coup de la jeune femme, mais ils demeurèrent figés dans le vide, comme paralysés par cette voix stridente qui les assommait de remontrances. Le blond renifla, finissant par porter une main sous son nez et avisa le sang qui tâcha sa peau d'un rouge éclatant. Ce fut les larmes aux yeux, la douleur irradiant l'arrête de son nez, que le garçon parvint enfin à se défaire du poids de l'inconnue, la repoussant avec mépris et rampant un peu plus loin tout en gardant une main pressée sur ses narines. Il garda la tête levée un petit moment, ne payant guère attention à la sénior qui était apparue sur son perron, brandissant sa canne, courroucée. Si son hémoglobine arrêta de couler à grand flot au bout de quelques minutes, il en retira une main écarlate.
Pendant ce temps, le Venyysien écouta d'une oreille attentive la conversation entre les deux femmes. Visiblement, la vieille n'était pas ravi d'avoir eu droit à un combat à main nu devant sa maison. Et elles se connaissaient… Ou du moins c'était ce qu'Alexei devinait en écoutant la harangue de l'ancienne :
▬ Je pensais que Michal t’avait mieux élevée que ça... ou es-tu en train de me prouver que de te laisser avec un père célibataire était une erreur ?!
Le blond se retint de hocher vivement la tête, trop occupé à stopper l'hémorragie, mais il n'en pensait pas moins : il manquait une case à cette grande perche, c'était une certitude. Se jeter sur lui comme ça, même s'il avait pu se montrer un tant soit peu irrespectueux… C'était tout simplement inconsidéré. Une grande malade, oui. Une folle, une dingue. La haine que le garçon lui vouait déjà était terrible. Il dévisagea sa meilleure ennemie dont les traits se durcirent aux mots de leur aînée ; visiblement, elle n'appréciait par sa remarque. Et lorsqu'elle tenta de riposter, la voix de cette dernière la coupa net dans son élan. De quoi faire jubiler Alexei qui demeura tout de même bien silencieux, observant la scène d'un œil curieux. L'autorité de ce vieux pruneau desséché était assez impressionnante ; il en restait bouche-bée. Elle avait réussi à mater la jeune femme en quelques réflexions bien placées. Propre, efficace. Du travail de professionnel.
Puis, au bout de quelques minutes savoureuses, à écouter cette vieille dame remettre l'inconnue à sa place, le garçon s'interrogea sur son identité. C'était qui, celle-là, au fait…? Une simple voisine à la retraite en manque d'occupation…? Ou bien…
▬ Je t’ai fait venir dans un but précis et je te retrouve à te battre devant chez moi ! Ne me fais pas regretter ma décision.
Ah. Fausse route. Alexei tiqua : c'était elle, l'éleveur…? Il passa une main nerveuse dans ses cheveux. Oups, il n'avait pas forcément fait bonne figure, sur ce coup. Il lança un regard noir à l'attention de la jeune femme qui venait de se relever en époussetant sa longue blouse blanche : elle n'avait pas intérêt de lui mettre des bâtons dans les roues en lui parlant de Lyov ! Ce serait trop fort. Il ne manquerait plus que le blond ait fait toute cette route pour rien ! Ah ça non ! Aussi finit-il lui aussi par se remettre sur ses jambes, bien décidé à reprendre un peu de sa superbe. Certes, sa main couverte de sang, son nez rouge vif, ses yeux larmoyants et sa tignasse ébouriffée n'y aidaient en rien… Mais bon. Il fallait bien faire preuve de force et de témérité, non ? Après tout, c'était bien le principal. Fidèle à lui-même, le garçon afficha une moue froide, glaçante, et dévisagea sans aucune gêne la vieille dame, lui montrant bien qu'elle ne l'impressionnait pas le moins du monde. Ce n'était certainement pas cette vieille peau qui allait lui faire la vie ! L'âge, de toute façon, ça ne voulait rien dire. Et puis… S'il la payait pour cet œuf, elle s'en contenterait, non ?
Sa fierté et assurance vacillèrent pourtant lorsque l'éleveuse l'apostropha, dardant un regard terrible sur lui après avoir descendu une par une les marches de son perron d'un pas sûr. Alexei en frissonna presque, ouvrant la bouche pour lui répondre, mais la refermant tout aussitôt, particulièrement intimidé.
Il croisa les bras pour se donner un semblant de contenance et rejeta ses cheveux en arrière, les joues un peu rouge, le regard franc : un fauteur de trouble ? Lui ? Pas du tout. Il était là pour affaire, rien de plus. Ce dimoclès, il désirait de tout son cœur. Il avait toujours été intrigué par la noblesse et la force de ce Pokémon, alors, en posséder un était tout à fait logique à ses yeux. Ce Pokémon deviendrait sa pièce maîtresse, il en était certain. Si sa confiance en lui n'était que feinte, le garçon nourrissait tout de même l'espoir de devenir un bon dresseur. Ses difficultés avec Lyov le faisait plus souffrir qu'autre chose, et il lui tardait d'avoir un nouveau partenaire pour pouvoir réellement tester ses capacités dans ce domaine. Aussi prit-il une grande inspiration, bien décidé à faire bonne figure malgré toute cette scène dont avait été témoin la senior :
▬ Je suis Alexei Kireïev, déclara-t-il d'une voix qu'il voulait ferme et claire. À la base je viens me procurer un œuf. J'ai vu votre annonce dans un centre pokémon, et une des espèces que vous proposez m'intéresse tout particulièrement. Il laissa peser un regard plein de haine et de mépris sur la jeune femme, désormais muette. Il est inutile de vous fier aux apparences. Je vaux bien mieux que ça ; contrairement à d'autres, visiblement.
S'il aurait pu se passer de cette dernière pique, elle avait trop brûlé sa langue pour qu'il la retienne. Aussi s'écarta-il un peu plus de l'inconnu, craignant une quelconque vengeance. Il avait déjà écopé d'un nez ensanglanté et de quelques griffures : c'était sans doute suffisant. Il ferma et ouvrit sa main souillée plusieurs fois, détestant la sensation du sang séché sur sa peau. Il ne lui tardait qu'une chose : se débarbouiller. S'il avait fait de son mieux pour ne pas trop salir son visage, il était conscient que son nez devait être assez effrayant à voir.
L'éleveuse fit tourner sa canne plusieurs fois dans sa main, le dévisageant d'un œil perplexe. Puis, elle renifla bruyamment et reprit la parole, les sourcils un peu froncé mais ses lèvres trahissant un certain amusement :
▬ Quel sérieux pour un garçon de votre âge ! Peut-être trop. Vous êtes presque présomptueux. Mais j'imagine que c'est la fierté mal placée du Septrion, n'est-ce pas ?
Elle laissa échapper un petit ricanement sec avant de claquer le bout en ferraille de sa canne sur le carreau de la dernière marche. Si Alexei n'apprécia pas beaucoup sa remarque, il n'osa pourtant pas y répondre, se renfrognant simplement. Diana secoua doucement la tête et soupira avant de reprendre :
▬ Enfin. Vous n'avez pas l'air d'un si mauvais garçon. À savoir pourquoi Lucie s'en est prise à vous ! Elle laissa peser un regard lourd de sens sur la jeune femme. Oh ! Non, je ne veux rien savoir ! En attendant, entrez. Et plus un mot, sinon je vous jette tous les deux dehors !
Grognant un peu, Alexei s'exécuta, ignorant la jeune femme en blouse blanche qui lui emboîta le pas. Son œuf, il allait l'avoir. Et personne ne lui mettrait des bâtons dans les roues.
J’ai beau avoir vécu dans ce quartier toute ma vie, jamais je n’ai réussi à attendrir Diana. Si elle n’a jamais eu l’affront de m’insulter en face, je sais qu’elle fait partie de ceux qui n’approuve pas forcément la manière dont j’ai été élevée. Oh, pas qu’elle souhaiterait que je sois devenue une femme au foyer bien propre sur elle et complètement dévouée à son homme... le propre époux de Diana –paix à son âme-, elle le menait à la baguette comme on le voit rarement. L’éleveuse est simplement une femme de son époque, une époque qui pense qu’un père célibataire ne peut que faire une masse de dégâts sur sa progéniture... Je suppose que le départ soudain d’Erik et mon comportement de ce jour ne fait qu’apporter les preuves dont elle n’avait pas besoin. Malgré tout, elle mérite mon respect, à défaut de le gagner. Elle n’est pas une grand-mère gâteau qui offre des cookies à tous ceux qu’elle croise. Elle est la femme sèche et froide qui te jauge et qui ne se laisse pas marcher de dessus. Ou du moins pas sans excellente raison. Elle est de ces femmes qui ont supporté la guerre... et vu que nous sommes proches de la frontière, elle a vu trop d’horreur pour quatre ou cinq vies. C’est du moins ce que Père m’a raconté, et je n’ai pas tellement de raison d’en douter.
Est-ce que ça diminue mon envie de lui cracher au visage qu’elle ne peut pas avoir plus tort ? Absolument pas. Mais avec l’age, j’ai appris à choisir mes batailles... et celle-ci ne vaut pas le coup d’être menée. Pas plus que celle qui m’a valu quelques médailles ensanglantées sur ma blouse, mais il y a des jours...il est juste compliqué de se retenir. Dans le regard de Diana, dans ses mots aussi, je ne peux m’empêcher de reconnaitre une certaine ... validation. Si tu penses que je vais baisser les yeux, tu te fourres ta canne où je pense. Ce gamin –cet Alexei- s’est montré odieux, insolent et maintenant complètement pompeux parce qu’il désire entrer suffisamment dans les bonnes grâces de l’éleveuse pour obtenir ce qu’il veut... mais on va laisser ça de côté ? Ce n’est que la « Fierté du Septrion » et c’est tout ? Ce n’est que la connerie du Septrion, oui ! Je lui fous une droite, je suis une folle furieuse jalouse et qui a juste besoin de faire baiser, mais il m’en fout une et c’est juste la ’fierté du Septron’ ? Pas un mauvais garçon ?! Et on s’étonne que rien ne va dans ce pays. Quand la moitié est peuplé d’arriérés trop bouffi d’orgueil pour éduquer correctement des mômes.
Si je n’avais pas un semblant de reste de réputation des Helm à défendre, je leur cracherai bien à la gueule. Ce gamin est exactement un beau reflet du Septrion, fort en gueule, mais suffit de le voir se reculer dès que j’avance pour comprendre que ce n’est que ça : du vent. Rien derrière, puisqu’il n’est même pas capable de ‘remettre une femelle à sa place’. Ce n’est pas ce qu’ils disent, après tout ? Pour justifier tout ce qui fonctionne à l’envers dans cette région.
Peu importe, ce n’est pas en lui arrachant plus de cheveux que je vais changer la face de ce pays. J’ai conscience de ma place dans ce monde... mais si je pouvais, je saisirais cette opportunité. Celle de nous faire réellement avancer au lieu de se complaire dans des traditions dépassées.
En attendant, il est plus alarmant de comprendre que ce mauvais dresseur est là pour obtenir une nouvelle victime. Vu comment il traite son Riolu, je ne veux même pas savoir ce qu’il compte faire subir à n’importe quelle espèce que Diana peut lui fournir. Moi-même j’ai vu son annonce, elle est placardée partout dans le centre pokemon. Pas étonnant que des dresseurs viennent de si loin pour la rencontrer vu les espèces qu’elle propose. Elle n’est pas forcément donnée mais... comme tous les bons éleveurs je suppose. C’est en glissant ma main à la recherche du réconfort de Wins’ que je suis cet insolent à l’intérieur de la demeure. Le pauvre a dû être terrifié de cette altercation, je m’occuperai bien de lui pour me faire pardonner... quitte à vider ma réserve de Baie Stekpa, peu importe. Il me suffit de le voir s’épanouir pour savoir que je suis dans le bon.
L’intérieur de la demeure est... exactement comme on peut s’y attendre. Une maison ancienne, une vague odeur de renfermé et de pokemon, des meubles qui datent sans doute du siècle dernier et qui n’ont pas été déplacé depuis aussi longtemps. Le tout est propre, très propre. Il se dégage dans la décoration un relent de nostalgie et de fierté. Des articles relatant ses talents et ceux de son défunt mari, des prix sur tel ou tel bête d’élevage, son entrée –et son salon- est le meilleur marketing qu’elle peut avoir. Tout l’arrière est consacré à l’élevage. Le jardin également. Interdiction de passer la porte arrière, menant directement à la nurserie, sans se faire attaquer à grand coup de canne... ou à grand coup de lame. Parce que l’Exagide d’Ernest –son défunt époux- garde trop jalousement la porte. Oui, elle a un Exagide en liberté chez elle. Un Exagide protecteur, méfiant, qui, malgré son âge avancé, est toujours aussi impressionnant et étincelant. C’est pour cela que le village n’a jamais cru bon de lui ‘venir en aide’ après le décès d’Ernest. Elle est sous très bonne garde, et n’a jamais déploré le moindre vol, à peine quelques tentatives qui se sont soldées par un échec.
« Alexei » La voix de l’éleveuse fait force de loi dans sa demeure... Elle n’est pas froide, juste autoritaire. Je commence à comprendre pourquoi son mari n’a jamais vraiment osé l’affronter. Elle pointe du bout de la canne un couloir sombre qui mène vers plusieurs autres pièces. « Deuxième porte à gauche, la salle de bain. Je n’ai guère envie que tu tâches ma moquette. »
Elle plonge un regard entendu dans le sien.
« Juste pour te prévenir, Millam veille. »
L’Exagide répond immédiatement à l’entente de son nom. Pour sûr, il est beaucoup plus impressionnant que Winston, et je suis certaine que les années n’ont pas émoussé le tranchant de sa lame... même si officiellement, il n’a jamais blessé grièvement quelqu’un.
Pas que je sache en tout cas.
Il ne lui faut longtemps pour nous laisser seules, Diana et moi. Elle m’invite à m’installer dans le salon, mais ce n’est que pure courtoisie. D’un geste de la main, je refuse son offre. Je ne compte pas m’éterniser plus que cela. L’éleveuse roule des yeux, même si je suis persuadée qu’elle s’attendait à cette réaction de ma part.
« Sois au moins un minimum polie... ! »
Du tact au tact, je lui réponds. Je n’ai pas envie de me mettre à dos la doyenne, mais il y a des limites qu’il ne faut pas dépasser.
« Stop. Je ne suis plus une gamine, Diana. Je suis là seulement parce que tu me l’as demandé. »
De son regard perçant, elle me jauge... et me juge sans doute. Mais depuis ma naissance son avis sur moi doit être fixé alors... peu importe. Je ne suis pas là pour ça et je suis trop vieille pour qu’on me fasse des remarques sur mon éducation. Si nous avons au moins un point commun, c’est celui-ci : personne ne nous dit quoi faire. Une tête plus dure que le bois, et une langue suffisamment bien pendue pour le faire savoir.
« ... Tu prends toujours bien soin de Winston ? »
J’acquiesce d’un geste de la tête, alors que le verpom sort ses deux antennes de ma poche, pour scanner l’environnement. Je le rassure toujours tranquillement, le sachant facilement angoissé par la nouveauté.
« Comme tu me l’as appris. »
Parce qu’un Verpom, c’est au final très différent du Lampinion de Père. Surtout un verpom traumatisé et terrifié par... à peu près tout ce qui est nouveau et qui bouge. Elle ricane doucement.
« Ouais, tu le couves surtout ! Mais qu’importe... »
Parce que je n’aurai pas d’autres occasions d’en parler. Je saute sur l’occasion.
« C’est un mauvais dresseur... ton ‘client’. Tu ne l’as pas vu avec son Riolu. »
« C’est ta raison pour lui refaire le portrait ? » En partie ? J’en ai vu en tabasser d’autres pour moins que ça. « Je vais en juger par moi-même, alors sors ton nez de mon business. »
J’hausse les épaules en réponse. Elle fera ce qu’elle veut au final, ce qui compte c’est que mon message soit passé. Le reste n’est plus vraiment de mon ressors... Je n’ai ni le pouvoir, ni l’envie de deal avec ce gamin de toute manière. J’espère juste que Diana a assez de bon sens pour faire passer ses pokemon avant l’argent... je pense que oui ? J’espère que oui.
« J’ai un œuf pour toi aussi » C’est pour ça qu’elle m’a fait venir... ? Sa révélation me laisse un peu perplexe. Pas forcément inattendue, mais tout de même assez étonnant. « Ce n’est pas une espèce que j’avais prévu d’obtenir alors... Il est à toi si tu le veux. »
Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que je n’en saurai pas beaucoup plus que ça... ?
« J’irai le chercher en même temps que le sien... alors tu vas devoir nous supporter un peu plus longtemps »
Evidemment... un œuf mystère et gratuit, ça se paie toujours à un moment ou un autre.
the proud, the cold untroubled heart stone, that never mused on sorrow but its own.
En pénétrant à l'intérieur de cette grande maison, Alexei se sentit presque instantanément tout petit et très mal à l'aise. Tout lui paraissait luxueux, de la porte aux meubles, des meubles à la moquette qu'il craignit de souiller avec ses chaussures sales. Ce fut donc à pas de velours qu'il avança, les bonnes manières qu'on lui avait apprises à coup de gifles s'emparant de ses faits et gestes bien malgré lui. Les rares fois qu'il avait visité une demeure de cette sorte, son père lui avait tiré les cheveux ou les oreilles pour qu'il se tienne de façon appropriée. Respecter les plus riches, courber l'échine… C'était ce qu'on lui avait appris, ce qu'on lui avait répété toute son enfance. Pourtant, il continuait de rejeter cette règle pitoyable. Pourquoi donc devrait-il respecter des inconnus pour leur argent ? Certains ne le méritaient pas. La vieille dame, néanmoins, lui semblait de confiance. Son autorité naturelle, bien qu'il y était habitué grâce à son père, lui aussi très dur, l'impressionnait et lui donnait une sensation d'étonnante sécurité. Aussi se permit-il néanmoins d'admirer toutes les pancartes et photos cloués aux murs. Des prix, des diplômes, des articles de journaux joliment encadrés… Chaque petit panonceau racontait une carrière ; et de ce que le Venyysien pouvait voir, deux cursus étaient exposés ainsi aux mur de cette maison. La réussite de l'éleveuse, bien sûr, mais aussi celle d'un homme. Ernest. Les sourcils du garçon s'arquèrent sans qu'il ne s'en rende vraiment compte. Sa curiosité s'éveillait d'elle-même ; qui était donc ce vieux monsieur qu'il voyait apparaître sur quelques clichés en noir et blanc…? Il dévisagea la vieille dame qui s'avançait dans son couloir, s'aidant de sa canne dans sa démarche chancelante, avant de laisser tomber son regard sur une photo plus récente ; celle d'un jeune homme souriant tenant un bambin dans ses bras. La ressemblance avec son hôte était frappante, mais à bien regarder, Alexei y trouver aussi des airs de ce pépé cloué aux murs. Leur fils ? Le blond eut un petit mouvement d'épaules : peu importe, en fait, non ? Ce n'était pas son problème.
Distraitement, il jeta un nouveau coup d'œil à sa main souillée de son propre sang. Urgh. L'hémoglobine avait séché, prenant cette teinte brune que la garçon détestait temps. Alexei serra bien vite son poing pour masquer les dégâts, frissonnant de dégoût. Il ne supportait plus la vue du sang depuis ses bêtises… Les plaies qu'il avait autrefois tracées sur sa peau blanche lui avaient donné des sueurs froides. Des demie-heures entières passées à éponger le liquide pourpre qui ne cessait de s'en écouler. L'odeur du sang, cette senteur de rouille, de fer… Il la détestait plus que tout au monde.
La grimace qu'il dut afficher devant ce triste état alerta sans doute l'aînée qui l'interpela de sa voix perçante qui appelait à une obéissance automatique, presque immédiate. Le jeune homme, surpris, sursauta presque : qu'avait-elle, celle-ci, encore ? S'était-elle enfin décidée à lui passer un savon comme elle venait de le faire avec la fameuse Lucie ? La finalité en fut tout autre et les traits de son visage poupon qui s'étaient tout d'un coup durcis se détendirent quelque peu :
▬ Deuxième porte à gauche, la salle de bain. Je n’ai guère envie que tu tâches ma moquette.
Alexei ne se le fit pas dire deux fois, trop pressé de se débarrasser de cette crasse et de cette odeur d'hémoglobine particulièrement désagréable qui lui montait à la tête. Il opina rapidement du chef, juste assez pour frôler l'impertinence, et se rua vers la porte indiquée sans oublier de lancer un regard noir à celle qui le suivait. La prochaine fois, ce serait lui qui lui referait le portrait : il s'en faisait la promesse. Néanmoins, il fut stoppé dans son élan par un avertissement particulièrement glaçant de la grand-mère :
▬ Juste pour te prévenir, Millam veille.
Fronçant les sourcils, Alexei la dévisagea avec incompréhension.
▬ Millam ? C'est qui Millam ? Finit-il par demander avant d'être alerté par un cri de Pokémon particulièrement glacial.
Il sursauta en voyant apparaître au coin du couloir un énorme Exagide, étincelant de mille feux. Grognant, il haussa les épaules avec insolence et, après avoir laissé échapper un petit "Vous me prenez pour qui ? Un voleur ? Pff !", il disparut dans la salle de bain.
Le reflet qu'il découvrit dans le miroir manqua presque de le faire fuir. Il avait une mine absolument affreuse. Soupirant, il lança un petit coup d'œil à l'Exagide qui le surveillait, menace latente, posté à l'encadrement de la porte alors que les deux autres semblaient se diriger vers le salon. Un étonnant petit sourire étira ses lèvres gercées :
▬ C'est vrai que j'ai l'air d'un fou, comme ça. Tu dois pas être rassuré. L'Exagide ne réagit pas à cette touche d'humour, et Alexei eut un petit reniflement méprisant pour toute conclusion. T'es vraiment glaçant.
Cherchant du coton ou du papier autour de lui, il jeta finalement son dévolu sur le rouleau de papier toilette qui accompagnait les petits WC non loin du lavabo. En coupant quelques feuilles, il alluma le robinet et les humidifia pour venir délicatement nettoyer son visage couvert de sang séché. À mesure qu'il passait le papier mouillé sur sa peau crasseuse, son blanc immaculé se colorait d'un rouge sale. Il les jeta au fur et à mesure dans la poubelle à ses pieds, à peine dissimulée par son énorme sac à dos dont il venait de se débarrasser. Reprenant peu à peu figure humaine, Alexei lança finalement un regard dépité à son propre reflet, et sans un mot ni même une remarque intérieure, coiffa sa tignasse ébouriffée avec ses doigts avant de les tresser rapidement pour plus facilement les ramener en un petit chignon serré. C'était sans doute mieux comme ça. Bien mieux, même. De cette façon, il ferait meilleure impression. Soupirant à en vider ses poumons, il passa finalement ses mains souillées sous l'eau gelées et nettoya non sans une grimace ses jointures égratignées et sanguinolentes.
Une fois qu'il eut terminé sa toilette, il lança son gros sac sur ses épaules et sortit sans un regard supplémentaire à destination de l'Exagide qui lui emboita le pas dans le long couloir. Demeurant silencieux, le blond bifurqua alors vers le salon, révélé par une porte vitrée. La lumière chatoyante du jour illuminait cet espace douillet, joliment aménagé par la vieille dame.
Les deux femmes étaient en train de discuter ; Lucie semblait de très mauvaise humeur, et Alexei n'en fut pas vraiment étonné. Il força un petit sourire crispé et remercia poliment leur hôte :
▬ Merci pour la salle de bain. J'en avais bien besoin.
La vieille dame, délaissant quelques instants la grande perche qui lui servait d'interlocutrice rendit son sourire à Alexei, s'autorisant un petit commentaire plus plaisant que les précédents :
▬ Ah ! Il nous revient de meilleure humeur ! Un léger rire de vieille personne secoua paisiblement ses épaules. Prends exemple Lucie. Il est presque plus poli que toi.
N'attendant pas de permission quelconque, harassé par une soudaine fatigue – sans doute la pression qui retombait petit à petit – Alexei se laissa aller sur un canapé, jetant son sac à ses côtés et fermant quelques instants les yeux pour tenter de se reposer. Le regard bienveillant que l'éleveuse avait posé sur lui devint un peu plus piquant, et elle se reprit sans attendre.
▬ Ou du moins c'était ce que je pensais avant qu'il ne s'affale sur le canapé ! Tapant de sa canne contre le parquet, elle apostropha l'adolecent qui rouvrit un œil tempétueux. Dis-moi jeune homme ! Tu te crois dans un hôtel ?! Elle secoua la tête, scandalisée. Les jeunes aujourd'hui ! Rien dans les jambes ! Tu viens d'où comme ça, avec ta maison sur le dos ?
Alexei rangea distraitement une mèche de cheveux derrière son oreille avant de lui répondre froidement, laissant peser un regard provocateur sur la fameuse Lucie qui assistait à la conversation.
▬ Venyys. J'ai fait le chemin exprès pour venir chez vous.
Un petit sourire narquois étira les lèvres de l'éleveuse qui ne tarda pas à reprendre sur un ton moqueur.
▬ Ne crois pas que je vais t'applaudir ! S'exclama-t-elle.En tous cas je vois que les gamins de Venyys sont toujours autant agréables ! C'est le froid qui rend le cuir plus dur, à ce qu'il paraît. Elle soupira, se laissant finalement aussi aller dans un fauteuil particulièrement confortable. Et que me veux-tu, petit monsieur ? Quel Pokémon t'a fait venir d'aussi loin ?
Se redressant un peu, Alexei reprit son sérieux et plongea un regard droit dans les yeux observateurs de l'aînée.
▬ J'ai économisé pour un de vos œufs de Dimoclès. Normalement, j'ai la somme. Et même un peu plus. D'ailleurs, si vous avez de la nourriture que je pourrais vous acheter, ça m'arrangerait bien. Mon Riolu a faim, et je n'ai plus grand chose à lui proposer. Plus grand chose qui l'intéresse, du moins.
Aller, c’est presque fini. Dans peu de temps, je vais pouvoir quitter cette maison qui pue la naphtaline, rentrer au labo’ et oublier cette agaçante journée et ces gens qui me la gâchent. Diana le fait exprès. Bien sûr qu’elle le fait exprès. Bien sûr que ça l’amuse de m’obliger à rester plus longtemps en sa compagnie. Ça doit être son passe-temps de la journée de pourrir la mienne... comme si elle en avait le droit. J’ai beau respecter son âge et sa personne, elle et moi, on ne sort juste pas du même moule. Comme beaucoup à Edelsten, je suis sûre qu’elle crève d’une envie malsaine de me voir ‘revenir à la raison’. Me caser avec un de ces petits crétins qui peuplent le village –un de l’acabit de cet ado d’ailleurs- et découvrir l’incroyable bonheur sans fin d’être soumise à son mari et de lui pondre une chiée de gosses qui n’auront pas plus de respect envers moi. La joie. Y’a des jours, je me dis que les hivers du Septrion sont trop longs et laissent trop de temps à leur imagination de se développer, ou trop temps à se consacrer à ce qui ne les regardent clairement pas du tout. Qu’importe. Calme, reste calme, c’est bientôt fini. Alors qu’elle et moi échangeons quelques banalités, Alexei refait son apparition. Il fait tout de suite bien moins peur maintenant. Est-ce mal d’avoir un sourire mauvais en pensant à la sale droite qui lui a éclaté le nez ? Sans doute, mais là, j’en ai rien à foutre. Lui faire la morale n’aurait rien changé, la fermer n’aurait rien changé... alors peut-être que la méthode est imparfaite, mais si j’ai pu lui imprimer autre chose en plus que la marque de mes phalanges sur la peau, alors ça me va pour l’instant. Je ne peux pas m’empêcher de soupirer, roulant des yeux, quand Diana l’encense encore. C’est bien à cause de ce genre de commentaires que ce genre de mec se croit tout puissant. Regardez-moi cette belle bande du Septrion, trop fier, trop coincé et trop énervé pour même adresser cette sale tension dans l’air. Et ce n’est pas moi qui vais faire quoique ce soit pour changer les choses. J’attends qu’une chose : obtenir cet œuf et partir faire autre chose.
...Au moins, en refusant de m’assoir, j’ai évité la douloureuse idée de devoir partager mon espace avec lui. Ah ! Puis, il parait que j’ai un gros cul, alors j’aurai pu difficilement l’intercaler entre les coussins et ce gamin rachitique. Si j’avais quinze ans de moins, plus que mon regard, c’est surtout mon majeur qu’il aurait vu. Quoiqu’il l’a déjà vu de près, alors je vais me consoler avec ça.
Ah... il vient de Venyys. Est-ce que ça excuse ? C’est sûr que c’est juste un coin paumé du Septrion, encore plus à la ramasse que le reste du pays, c’est dire. ça explique, juste. Ce n’est pas le premier jeune à venir jusqu’à Edelsten pour le centre ou l’arène. Ce ne sera pas le dernier, ni le premier à repartir dans son village après une cuisante défaite et déception. J’extrapole, je ne suis pas dresseuse, alors je n’en sais rien. Je ne fais que soigner les conséquences des mauvais dresseurs... alors j’ai tendance à sauter sur le moindre abus que je vois. Juste parce que j’en ai un peu marre de la fermer et de fermer les yeux quand clairement, y’a un truc qui va pas. Et là, ça ne va pas.
Qu’il a l’honnêteté de s’expliquer et de demander à payer pour de la nourriture, okay, j’ai rien contre. Mais... c’est exactement pour ça qu’il a rappelé son riolu. Enfin, non, juste parce qu’il ne supportait pas d’être désobéis, je présume. Et avec un monorpale en plus ? ça va être beau, tiens. Ce pokemon est autrement plus dangereux que son petit loup. Je prends sur moi, et attends juste que cette mascarade se finit. Ce n’est pas mon problème, ce n’est pas mon ‘business’... Diana reprend alors la parole.
« Soit. Si tu as de quoi payer... on discutera de la nourriture d’après. d’abord... ce pour quoi vous êtes venu. »
Aussi vieille est-elle, avec sa canne, elle n’a pas de mal à se déplacer. Elle rejoint la porte du fond menant à la nurserie et referme derrière elle. Millam, son fidèle Exagide, veille et vient expressément se placer devant, en bon gardien. Sa présence est... à la fois rassurante et angoissante. Sans doute de savoir qu’il peut à tout moment se tourner contre soi. Il est creepy. Et pendant ces longues minutes, me voilà en ‘tête à tête’ avec mon nouvel ami. J’aurai été contente de passer ce moment en silence mais... deux minutes, trois minutes à se regarder... ouais, j’en ai marre de me taire.
« T’as conscience que j’aurai été plus que contente de nourrir ton Riolu si t’avais pas été un petit con à ce sujet ? ... ça t’aurait aussi évité mon poing, tiens. »
Est-ce que ça va faire avancer la situation ? Pas vraiment ? Mais ça défoule. Juste, ça défoule.
« Peut-être que s’il ne t’obéit pas, c’est pas pour rien. Et tu voudrais en gérer un deuxième ? T’as du chemin à faire et mordre ceux qui veulent aider... tu vas juste te planter si tu continues. »
Mais ça, ma main au feu que ce que je raconte va entrer par une oreille et sortir par l’autre. C’est juste... frustrant et énervant. Je ne dis pas qu’il est impossible qu’il s’améliorer et finisse par devenir un dresseur convenable... juste, ouais, on ne peut pas dire qu’il me laisse une bonne impression. Je me console en me disant que la probabilité que je le revoie après aujourd’hui est pratiquement inexistante. Alors, qu’il me réponde, grogne ou la ferme, au final, je m’en fiche un peu. Quelques instants plus tard, l’éleveuse revient dans la pièce, deux œufs pratiquement identiques avec elle et un petit sourire en coin qui ne me dit rien qui vaille.
« Lucie, voilà pour toi. Cette espèce ressemble à celle de Winston, alors tu devrais t’en sortir »
Elle me tend l’œuf et... rien d’autre ? Pas de commentaires désobligeants, pas de piques désagréables ou autre truc qui sort d’il y a deux siècles ? Je prends alors l’œuf alors que deux antennes vertes sortent timidement de la poche de ma blouse. Un petit verpom curieux à l’air d’avoir envie de savoir ce qu’il y a à l’intérieur... mais il va falloir attendre encore un peu. Sans attendre beaucoup plus longtemps, je décide de prendre congé. Diana a déjà reporté son attention sur son ‘client’, alors je décide de juste quitter la demeure. Je referme derrière moi et soupire longuement. Un petit cri curieux et bien connu m’arrache à mes pensées. Je glisse ma main dans ma poche et caresse doucement la petite pomme qui s’y trouve.
« Oui, moi aussi je me demande ce qu’il y a à l’intérieur... un nouvel ami pour toi, tu aimerais ? »
Il acquiesce, je sais qu’il aimerait beaucoup, mais est souvent trop timide pour faire le premier pas. C’est compliqué.
« On rentre, je crois qu’on mérite de se reposer un peu »
Heureusement, mon laboratoire n’est vraiment pas loin du tout. C’est que... je sens que je vais avoir quelques courbatures, mine de rien.
the proud, the cold untroubled heart stone, that never mused on sorrow but its own.
Un regard droit, franc pour appuyer ses propos. Alexei voulait cet œuf, et il l'aurait. S'il devait proposer plus que le prix pour pouvoir mettre la main dessus, alors il le ferait. Il était hors de question qu'une septrionienne un peu trop orgueilleuse et avant-garde à son goût le prive de cet achat. Bien heureusement, la vieille semblait lui faire confiance. Les yeux qu'elle posait sur lui étaient dénués de méfiance. On y lisait plutôt un amusement bienveillant. Le genre de sentiment qu'avaient toujours les aînés en présence de la fougueuse jeunesse. Des souvenirs qui leur revenaient, peut-être ? Des images d'un temps désormais révolu, d'une adolescence mouvementée, pavée de rêves et de désillusions. L'éleveuse opina du chef et se lever non sans mal, s'appuyant sur sa canne pour se sortir de ce fauteuil un peu trop bas à son goût. Elle eut une petite grimace douloureuse avant de se ressaisir, lui répondant de son habituel ton autoritaire :
▬ Soit. Si tu as de quoi payer... on discutera de la nourriture après. d’abord... ce pour quoi vous êtes venu.
Retenant à peine un soupir soulagé, le jeune homme se laissa aller contre le dossier du canapé et hocha doucement la tête, observant Diane leur tourner le dos pour se diriger vers la pouponnière. C'était sans doute là-bas, dans cette pièce fermée juxtaposée à un jardin que les œufs étaient stockés avec leurs parents pour les couver autant qu'ils pouvaient. Un léger sourire satisfait étira sensiblement les lèvres d'Alexei ; la pression retombait petit à petit. Il n'aurait pas pu supporté d'avoir fait tout ce trajet pour rien. Certes, acheter le Dimoclès n'étaient pas seul but de cette longue randonnée : il avait aussi pris son première bol de liberté. Un avant-goût du voyage qui l'attendait… Mais l'œuf était tout de même un plus, une récompense sur laquelle il n'allait pas cracher.
Le silence retomba dans le salon. Lucie, toujours debout, mécontente, affichait une moue sombre. Ses yeux lançaient des éclairs. Insolent, le blond fixa son regard dur et froid dans le sien : qu'est-ce qu'elle avait encore, celle-là ? On lui offrait un œuf gratuitement et elle n'était pas contente ? Son comportement à la limite de l'incorrect avec la vieille était tout bonnement incompréhensible. Le Venyysien venait d'un milieu où le respect des aînés était toujours de mise. Leur tenir tête était une chose… Mais il ne fallait jamais dépasser les bornes.
Un peu plus loin, Millam flottait silencieusement, les observant avec une impassibilité impressionnante. Alexei, soupirant doucement, l'observa quelques instants avant de reporter son attention sur la jeune femme qui s'était enfin décidée à prendre la parole :
▬ T’as conscience que j’aurai été plus que contente de nourrir ton Riolu si t’avais pas été un petit con à ce sujet ? ... ça t’aurait aussi évité mon poing, tiens.
Un sourire narquois modula les traits du blond qui darda ses prunelles orageuses sur Lucie. Sérieusement ? Elle revenait là-dessus ? Décidément, il n'y avait rien pour l'arrêter. Passant une main dans cheveux pour ranger quelques mèches rebelles qui retombaient devant ses yeux, il lui répondit sur un ton neutre et distant :
▬ Mon Riolu m'appartient. Tu n'as pas à le nourrir sans mon autorisation.
Énoncer une règle aussi simple n'en finissait pas de l'étonner. C'était pourtant évident, non ? Il ne se serait jamais permis de nourrir les pokémon d'un inconnu. C'était tout simplement très irrespectueux.
▬ Peut-être que s’il ne t’obéit pas, c’est pas pour rien. Et tu voudrais en gérer un deuxième ? T’as du chemin à faire et mordre ceux qui veulent aider... tu vas juste te planter si tu continues.
Elle enfonçait le clou sans aucun ménagement. Et Alexei sentait bien qu'elle y prenait un main plaisir. Il inspira profondément pour garder son calme : la colère montait de nouveau dans sa gorge et la serrait sensiblement. Ce n'était pas le moment d'exploser à nouveau : elle ne méritait pas son attention. Avec de genre d'individu, l'indifférence et le mépris étaient de mise ; rien d'autre. Aussi ne prit-il même pas la peine de répondre, plantant quelques instants ses yeux dans les siens, comme pour l'intimer à ne pas en dire plus…
Sur ces entrefaites, l'Éleveuse revint avec deux œufs sous le bras. Le premier fut donné à Lucie : à la mention de la créature dont elle prenait déjà grand soin, deux petites antennes curieuses sortirent de la poche. Alexei ne put retenir un petit sourire amusé : visiblement, le Verpom était très intéressé par cette coquille pleine qui n'attendait que d'éclore. Le temps que Lucie reparte, il chercha activement son argent dans son sac, sortant quelques billets froissés : il n'allait certainement pas dire au revoir à cette grognasse… Ce n'était pas la peine. Autant être efficace en préparant les pokédollars : il ne sortirait et ne repartirait chez lui que plus vite.
La vieille ne sembla pas étonné par le départ rapide de sa voisine ; à peine fit-elle une petite moue mécontente. Elle posa ensuite l'œuf sur la table basse et tendit la main pour récupérer la monnaie. Elle compte méticuleusement les billets avant de demander d'une voix pleine :
▬ Tu sais que les Dimoclès ne sont pas faciles à élever. Si tu ne t'en sors déjà pas avec ton Riolu…
Le jeune homme, s'emparant de l'œuf qu'il emballa dans quelques couvertures avant de le mettre dans son sac lui coupa la parole, bien décidé à ne pas faire répéter la même choses plusieurs fois d'affilée :
▬ Ça n'a rien à voir. J'ai toujours eu un très mauvais rapport avec Lyov. On ne s'aime pas, c'est tout. Je lui cherche un autre dresseur : je ne compte pas le garder. Ça nous rend tous les deux… Assez malheureux.
Il esquissa une petite grimace désolée avant d'ajouter :
▬ Je m'occuperai bien du Dimoclès et de mes autres compagnons de route. J'ai toujours été passionné par les Pokémon… Il se trouve juste que je n'ai pas eu de chance.
Diana ne répondit pas à cette longue justification : sans doute cela lui était-il égal. Alexei ne s'en trouva pas vexé. Il préférait ne pas entendre son avis sur la question. À vrai dire, il ne demandait l'opinion de personne. C'était sa vie, pas la sienne. À la place, l'éleveuse ouvrit un meuble non loin de son fauteuil et en sortit deux paquets de croquettes pour Pokémon. Elle les tendit au garçon qui les prit avec précaution en lui lançant un petit regard interrogateur :
▬ Tiens. Avec ça tu tiendras le choc. Il y en a assez pour retourner à Venyys. Ça te fera… Disons quarante pokédollars. Je te fais un prix.
Le garçon acquiesça doucement, sortant deux nouveaux billets que l'éleveuse s'empressa de saisir et de ranger dans ses poches. Calant les paquets au dessus de l'œuf, Alexei referma finalement le tout et se leva, bien décidé à quitter cette maison et à s'éloigner de cette ville de malheur. Quelques banalités échangées, un au revoir, et il fut sur le pas de la porte avec un sac trois fois plus lourd sur le dos.
Le voyage retour ne serait clairement pas de tout repos…
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